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Carcinome hépatocellulaire et hypernéphrome avancés : évaluation des gains de survie associés aux traitements ciblés

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

FRONTIÈRES MÉDICALES - 45e Assemblée annuelle de l’American Society of Clinical Oncology

Orlando, Floride / 29 mai-2 juin 2009

Les traitements ciblés constituent des choix rationnels d’efficacité démontrée pour des cancers contre lesquels les options étaient peu nombreuses, voire inexistantes, il n’y a pas si longtemps. Au nombre de ces traitements ciblés figurent des inhibiteurs de kinases multiples comme le sorafenib et le sunitinib ainsi que des inhibiteurs de la liaison des ligands à leurs récepteurs extracellulaires comme les agents ciblant le récepteur du facteur de croissance de l’endothélium vasculaire (VEGF) et ceux qui agissent directement sur le VEGF. Tant dans le carcinome hépatocellulaire (CHC) que dans l’hypernéphrome, les nouvelles données ont des retombées cliniques immédiates.

Résultats des essais AP et SHARP

Dans le CHC, un nouvel essai de phase III sur le sorafenib, inhibiteur des tyrosine kinases (ITK), intitulé AP (Asia-Pacific), a ajouté du poids aux résultats du premier essai de phase III intitulé SHARP (Sorafenib Hepatocellular Carcinoma Assessment Randomized Protocol) et a, du coup, amplifié les données sur l’efficacité et l’innocuité de cet agent. «Les résultats de l’essai de phase III AP mené à double insu avec randomisation et placebo ont révélé que cet agent était efficace et sûr pour le traitement du CHC avancé. Les nouvelles données de cet essai montrent que le sorafenib est efficace dans le CHC, quel que soit le taux initial des transaminases hépatiques», souligne le Dr Shukui Qin, Hôpital no 81, Nankin, Chine.

L’essai AP – dont les résultats viennent d’être publiés (Cheng et al. Lancet Oncology 2009;10:25-34) – portait sur 271 patients souffrant d’un CHC avancé qui étaient suivis dans 23 établissements en Asie. Ils ont été randomisés de façon à recevoir 400 mg de sorafenib ou un placebo selon un ratio 2:1, respectivement. La prolongation de la survie de 2,3 mois a généré une diminution du risque relatif de 32 % (HR de 0,68; IC à 95 % : 0,50-0,93; p=0,014) en faveur de l’ITK.

Dans cette étude satellite, la survie globale (SG) était moindre chez les patients présentant une dysfonction hépatique, mais l’avantage relatif du sorafenib en termes de survie a été maintenu, ce qui a donné lieu à un risque relatif (HR) de mortalité constant, quel qu’ait été le taux d’enzymes hépatiques. Les autres résultats (HR) en faveur de l’agent, comme le délai de progression et le taux de maîtrise du cancer, étaient également comparables pour tous les taux initiaux de transaminases hépatiques et d’alpha-fœtoprotéine (AFP).

Les données de l’essai AP ont amplifié et enrichi considérablement les données d’efficacité générées par l’essai phare SHARP, qui ont été publiées à peu près six mois plus tôt (Llovet et al. N Engl J Med 2008;359:378-90). Dans le cadre de l’essai SHARP, 602 patients porteurs d’un CHC avancé ont reçu aléatoirement 400 mg de sorafenib ou un placebo deux fois par jour. Les participants à l’étude n’avaient encore jamais reçu de traitement systémique pour leur cancer. Le gain de survie observé dans cette étude se chiffrait à près de trois mois (10,7 vs 7,9 mois), ce qui représente un avantage relatif de 31 % en faveur de l’ITK (HR de 0,69; IC à 95 % : 0,55-0,87; p<0,001). Le délai moyen de progression radiologique était de 5,5 mois dans le groupe de traitement actif vs 2,8 mois dans le groupe placebo (p<0,001).

Analyse de l’effet des caractéristiques initiales sur la réponse

Le Dr Jordi Bruix, Clinique du foie, Centre de recherche IDIBAPS, Barcelone, Espagne, a analysé les données des essais AP et SHARP afin de déterminer les effets d’autres caractéristiques, en particulier l’indice fonctionnel de l’ECOG (Eastern Cooperative Oncology Group) et la présence ou l’absence d’un envahissement vasculaire macroscopique (EVM) ou d’une extension extrahépatique (EEH), sur la réponse au traitement.

Là encore, sur le plan des effets sur la SG, les HR demeuraient à l’intérieur d’un intervalle assez serré (0,45 et 0,77), en faveur du sorafenib dans les deux essais (Tableau 1). En outre, une analyse secondaire de la réponse d’après la fonction hépatique chez les sujets de l’essai AP a montré que l’ITK était efficace quelle que soit la fonction hépatique initiale (Tableau 2).

Tableau 1. Analyse des essais SHARP et AP selon la présence d’un EVM et d’une EEH et de l’indice fonctionnel de l’ECOG


La constance des résultats en fonction de toutes les caractéristiques initiales est rassurante étant donné les variations géographiques possibles de ce cancer, qui est beaucoup plus fréquent en Asie en raison des taux élevés d’hépatite B. Non seulement les taux de réponse étaient-ils semblables d’une caractéristique initiale à l’autre et d’une région à l’autre, mais les taux d’effets indésirables étaient aussi similaires. «Dans l’ensemble, le sorafenib a été bien toléré. Comparativement au placebo, les effets indésirables de grade 3 ou 4 les plus courants dans les deux essais étaient le syndrome mains-pieds (7,7 % et 10,0 % vs 0 % et 0,3 %), la diarrhée (6 % et 8,4 % vs 0 % et 1,7 %) et la fatigue (3,4 % et 3,7 % vs 1,3 % et 3,6 %), précise le Dr Bruix. Les résultats de notre analyse de sous-groupe étayent l’utilité de cet agent dans toutes les régions géographiques et pour divers facteurs pronostiques au départ.»

Tableau 2. Analyse de l’essai A
hépatique initiale

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Caractéristiques influant sur le type de traitement

Dans le CHC, la probabilité de recevoir un ITK ou tout autre traitement semble dépendre largement de la présence de facteurs de comorbidité et de l’âge du patient, à en juger par l’analyse d’une base de données américaine sur les demandes de remboursement de médicaments. En tout, 4153 cas de CHC repérés entre 2002 et 2008 ont été stratifiés en fonction des caractéristiques initiales, notamment l’âge du patient, les facteurs de risque du CHC, l’intervalle précédant l’administration du traitement et le type de traitement administré.

Par comparaison aux patients plus jeunes de cette base de données, les patients âgés ont reçu des traitements non curatifs plus tôt (58 jours vs 110 jours, p<0,001) et étaient moins susceptibles de bénéficier d’une transplantation (2,2 % vs 10,7 %; p<0,001), explique le Dr Arun Sanyal, Virginia Commonwealth University School of Medicine, Richmond. Les transplantations et les résections ont été effectuées plus tôt chez les patients d’âge moins avancé. Dans les cas où les ITK étaient accessibles, les patients âgés étaient moins susceptibles d’en recevoir un, mais l’écart entre les deux groupes n’était pas significatif (2,8 % vs 3,2 %).

Les facteurs de risque d’un CHC – notamment une stéatose hépatique non alcoolique, le diabète et l’hépatite C – ne différaient pas selon l’âge, ce qui sous-entend que les habitudes de pratique, elles, diffèrent en fonction de l’âge du patient.

Données sur l’hypernéphrome

Dans l’hypernéphrome, les traitements ciblés ont aussi été associés à des améliorations considérables des paramètres clés d’un bénéfice clinique, notamment la survie sans progression (SSP) et la SG, mais la séquence optimale des traitements du premier au dernier recours est moins bien établie du fait que de nombreuses études ont comparé plusieurs types de traitements ciblés à un placebo ou à des cytokines, mais pas à d’autres traitements ciblés.

Outre les inhibiteurs multikinase comme le sorafenib et le sunitinib, des essais comparatifs rigoureux ont démontré que le bevacizumab, inhibiteur du VEGF, et le temsirolimus, inhibiteur de mTOR, étaient actifs dans le traitement de l’hypernéphrome avancé, tant chez des patients au lourd passé thérapeutique que chez des patients encore jamais traités. «Les inhibiteurs du VEGF (bevacizumab, sorafenib, sunitinib) et de mTOR (temsirolimus et everolimus) ont donné lieu à une amélioration significative des résultats cliniques et sont maintenant d’usage courant dans le traitement de l’hypernéphrome métastatique. Cependant, malgré ces progrès de taille, d’importantes questions demeurent quant à la séquence de ces traitements», soulignent les chercheurs sous la direction du Dr Daniel Heng, Tom Baker Cancer Centre, Calgary, Alberta.

Dans le cadre d’une étude décrite au congrès, des chercheurs ont analysé les résultats de traitements administrés en deuxième intention chez des patients ayant d’abord reçu du sorafenib, du sunitinib ou du bevacizumab dans sept établissements participants du Canada et des États-Unis. Des 645 patients ayant reçu l’un de ces agents, 216 (33 %) ont reçu un traitement en deuxième intention. Parmi les médicaments qui agissent sur la voie du VEGF, le sunitinib a été administré à 93 patients, le sorafenib à 80 patients, le bevacizumab à 11 patients et l’axitinib à huit patients. Parmi les médicaments qui agissent plutôt sur la voie de mTOR, le temsirolimus a été prescrit à 21 patients et l’everolimus, à trois patients.

Il est ressorti d’une analyse multivariée que le seul prédicteur de l’administration d’un traitement de deuxième intention était un indice fonctionnel de Karnofsky >80 % avant le traitement de première intention. «L’intervalle médian précédant l’échec du traitement de deuxième intention était de 4,9 mois dans le cas d’un inhibiteur du VEGF et de 2,5 mois dans le cas d’un inhibiteur de mTOR (p=0,014)», rapportent le Dr Heng et son équipe. Il en est résulté une réduction du risque de 48 % (HR de 0,52; IC à 95 % : 0,29-0,91; p=0,014). L’avantage relatif des inhibiteurs du VEGF a persisté après prise en compte à l’examen histopathologique de la présence de cellules non claires et de caractéristiques d’un cancer sarcomatoïde, mais l’avantage en termes de SG n’a pas atteint le seuil de significativité (14,2 vs 10,6 mois; p=0,38).

Cela dit, le seul fait que nous puissions même évaluer l’efficacité relative d’un traitement de deuxième intention dans l’hypernéphrome métastatique témoigne des progrès majeurs réalisés, puisque les soins palliatifs étaient généralement la seule option pour cette maladie il n’y a pas si longtemps. Plusieurs études dont les résultats ont été publiés au cours des dernières années ont métamorphosé la pratique clinique. L’une de ces études a mis en évidence une augmentation de la SSP associée au sorafenib, par rapport à un placebo, chez des patients dont l’hypernéphrome n’avait pas répondu au traitement antérieur (Escudier et al. N Engl J Med 2007;356:125-34). Une autre étude a objectivé une augmentation de la SSP associée au sunitinib, par rapport à un interféron (IFN), dans le traitement de première intention de l’hypernéphrome métastatique (Motzer et al. N Engl J Med 2007; 356:115-24). Enfin, une troisième étude a fait ressortir une augmentation supplémentaire de la SG associée au temsirolimus en monothérapie, par rapport à son association avec un IFN ou à un IFN seul dans le traitement d’un hypernéphrome métastatique de mauvais pronostic (Hudes et al. N Engl J Med 2007;356:2271-81). Les études comparatives de traitements ciblés demeurent toutefois peu fréquentes, ce qui rend les risques et les bénéfices relatifs difficiles à évaluer.

Analyse d’une base de données

Dans le cadre d’une analyse rétrospective, des chercheurs ont épluché une base de données américaine d’assurance maladie afin de voir comment le sorafenib et le sunitinib étaient prescrits. Ils ont repéré 189 cas d’hypernéphrome traités par le sorafenib et 204 traités par le sunitinib. Il n’y avait aucune différence significative entre les deux groupes quant aux caractéristiques initiales, à part une incidence plus élevée d’AVC (7,9 % vs 3,8 %, respectivement; p=0,037) et une incidence plus élevée de cancers touchant un site autre que le rein (93,7 % vs 87,8 %, respectivement) dans le groupe sorafenib.

La comparaison des deux agents a démontré que les patients sous sunitinib étaient moins nombreux que les patients sous sorafenib à avoir reçu la dose recommandée (50 mg/jour et 800 mg/jour, respectivement). «Au cours des trois premiers mois de traitement, la dose a dû être réduite chez 65 % des patients sous sunitinib et 25 % des patients sous sorafenib (p<0,001). Après prise en compte des différentes durées d’exposition à chaque médicament, la proportion de patients chez qui la dose avait été réduite au moins une fois était six fois plus élevée dans le groupe sunitinib que dans le groupe sorafenib; cet écart était statistiquement significatif au cours des trois premiers mois de même que pour le premier traitement complet (p<0,001)», explique le Dr Stephen M. Keefe, Abramson Cancer Center, Philadelphie, Pennsylvanie.

La comparaison des traitements complets a révélé que la dose avait été réduite chez 35,5 % des patients sous sunitinib vs 16,9 % des patients sous sorafenib (p<0,001). L’intervalle précédant la réduction de la dose se chiffrait en moyenne à 104,3 jours dans le groupe sunitinib vs 161,6 jours dans le groupe sorafenib (p=0,003). D’autres études prospectives s’imposent pour que l’on comprenne la raison de ces différences et que l’on détermine si celles-ci ont des répercussions sur les résultats du traitement.

Effet du traitement sur le délai de progression

Lorsqu’on compare des agents dans le traitement de l’hypernéphrome avancé, qu’il s’agisse d’antinéoplasiques classiques, d’agents ciblés ou d’une association, il est raisonnable d’utiliser le délai de progression ou la SSP comme paramètres d’évaluation, si l’on en juge par une étude qui visait à vérifier cette hypothèse.

Cette analyse regroupait 28 essais publiés portant sur 39 comparaisons de traitements chez 8770 patients atteints d’un hypernéphrome métastatique. Au nombre des agents comparés figuraient des cytokines comme l’IFN et l’interleukine-2 (IL-2), des agents chimiothérapeutiques comme la vinblastine, des inhibiteurs micromoléculaires comme le sorafenib et le sunitinib, des inhibteurs de mTOR comme le temsirolimus et l’everolimus, et le bevacizumab. «Les résultats de cette étude semblent indiquer que les effets du traitement sur le délai de progression et en particulier sur la SSP sont prédictifs de l’effet du traitement sur la SG chez les patients porteurs d’un hypernéphrome métastatique», précise le Dr Thomas E. Delea, Policy Analysis Inc., Brookline, Massachusetts. La SSP et le délai de progression pourraient être des critères de substitution appropriés de la SG dans les essais cliniques sur des agents novateurs dans le traitement de l’hypernéphrome métastatique.»

Il s’agit là d’une observation potentiellement importante, car les essais qui reposent sur la survie comme paramètre principal nécessitent plus de temps et sont plus coûteux. Avec la prolifération récente de nouveaux traitements pour l’hypernéphrome avancé et métastatique, nous avons besoin de comparaisons plus brèves et plus efficientes pour bien établir les bénéfices et les risques de chacun des agents commercialisés qui se sont révélés actifs dans cette maladie. Si nous connaissons les bénéfices relatifs de ces agents, non seulement pourrons-nous mieux orienter les patients vers le traitement le plus susceptible de maîtriser leur cancer, mais nous pourrons également tirer profit au maximum de l’activité de chaque agent novateur en l’associant aux agents les plus efficaces dans le cadre d’essais cliniques.

Résumé

L’activité des agents ciblés dans le CHC avancé ou l’hypernéphrome avancé ou métastatique représente un tournant dans l’évolution du traitement de ces cancers. Ces traitements nous donnent l’occasion d’offrir aux patients des résultats légèrement améliorés, mais les progrès accomplis sont dignes de mention. L’essai AP a récemment enrichi nos connaissances grâce aux nouvelles données d’efficacité et d’innocuité qu’il a générées sur le sorafenib administré en première intention dans le CHC avancé. Par ailleurs, nous avons accompli des progrès dans la détermination de l’efficacité relative des divers types de traitements ciblés dans l’hypernéphrome, y compris ceux qui pourraient être plus efficaces en deuxième intention chez les patients ayant déjà reçu un agent ciblé en première intention. Il est à souhaiter que ce progrès soit un premier pas vers le but ultime qu’est la maîtrise de la maladie à long terme.

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