Comptes rendus

De la physiopathologie à la pratique clinique
Prise en charge des anomalies minérales et osseuses associées à l’insuffisance rénale chronique

Choix critiques dans le traitement de l’insuffisance cardiaque chronique

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

Congrès mondial de cardiologie

Barcelone, Espagne / 2-6 septembre 2006

L’évaluation du risque a été intégrée aux stratégies de prise en charge de nombreuses maladies cardiovasculaires (CV), dont les syndromes coronariens aigus et la maladie coronarienne. De l’avis du Dr Christopher Granger, professeur adjoint de médecine, Duke University Medical Center, Durham, Caroline du Nord, la même démarche devrait être appliquée aux patients souffrant d’insuffisance cardiaque (IC) chronique. Pareille stratégie aiderait les médecins à prendre une décision quant à la nature et à l’intensité du traitement et à s’assurer que le bienfait absolu de l’intervention en vaut le risque. Les composantes clés du risque dans l’IC chronique se subdivisent en cinq grandes catégories : profil démographique des patients, variables cliniques comme la classification de la New York Heart Association (NYHA), variables électrocardiographiques, capacité fonctionnelle, marqueurs sanguins et paramètres hémodynamiques, en particulier la fraction d’éjection (FE).

De façon plus concrète, la base de données de CHARM (Candesartan in Heart Failure: Assessment of Reduction in Mortality and Morbidity) a révélé que la présence du diabète chez un patient souffrant d’IC chronique revêt une «importance critique» lorsque vient le moment de déterminer le pronostic du patient, fait remarquer le Dr Granger. Le déclin de la fonction rénale est l’un des principaux facteurs de risque d’un sombre pronostic, tant dans la maladie coronarienne que dans l’IC chronique, tout comme la présence d’anémie, ajoute-t-il. La probabilité d’atteindre le paramètre principal de CHARM était aussi plus élevée chez les patients de plus de 60 ans. Les paramètres secondaires étaient la mortalité CV et l’hospitalisation pour IC; une FE <45 %; la classe NYHA; et un faible poids corporel (<71 kg chez l’homme, <59 kg chez la femme).

Comme le souligne le Dr Piotr Ponikowski, Hôpital militaire, Wroclaw, Pologne, les facteurs de comorbidité, tant CV que non CV, sont extrêmement courants chez les patients souffrant d’IC chronique, et ces facteurs de comorbidité doivent être pris en compte dans les décisions thérapeutiques, car ils peuvent avoir une influence remarquable sur le pronostic. Par exemple, dans sa grande clinique d’IC chronique, plus du tiers des patients ambulatoires sont diabétiques et 27 % souffrent de la maladie pulmonaire obstructive chronique.

Selon de vastes bases de données, jusqu’à 40 % des patients souffrant d’IC chronique présentent au moins cinq facteurs de comorbidité; or, ces facteurs de comorbidité ont des retombées sur les résultats et interagissent avec le traitement. Cependant, les facteurs de risque traditionnels de la maladie CV n’ont pas tous une influence négative chez les patients souffrant d’IC chronique. Par exemple, une légère obésité chez un patient atteint d’IC chronique est en fait corrélée avec une meilleure survie, alors que la perte pondérale est de «mauvais augure», note le Dr Ponikowski. De faibles taux de cholestérol sont aussi associés à un sombre pronostic chez les patients atteints d’IC chronique.

En théorie, le diagnostic et la correction des facteurs de risque d’un mauvais pronostic devraient améliorer le pronostic sombre de l’IC chronique. Lors de l’essai CHARM, par exemple, le traitement par l’antagoniste des récepteurs de l’angiotensine (ARA), en l’occurrence le candésartan, a réduit le risque d’apparition d’un diabète de 22 % par comparaison à un placebo. Tant les inhibiteurs de l’ECA que les autres ARA sont associés à une diminution du risque d’apparition du diabète et de fibrillation auriculaire dans diverses populations.

Les patients les plus exposés au risque d’une issue défavorable sont aussi ceux chez qui les traitements médicamenteux sont les plus bénéfiques. Par conséquent, affirment les conférenciers à l’unanimité, surtout chez ces patients, nous devrions faire un effort particulier pour prescrire les traitements dont la grande efficacité est reconnue et s’assurer que le traitement est suivi.

Démarches proposées pour la prise en charge de l’IC chronique

Les données publiées plaident-elles en faveur d’une démarche clé pour la prise en charge fondamentale de l’IC chronique? Voilà la question à laquelle a tenté de répondre le Dr Marc Pfeffer, professeur titulaire de médecine, Harvard Medical School, Boston, Massachusetts. D’abord et avant tout, précise-t-il, il a été prouvé que les inhibiteurs de l’ECA sont efficaces dans la prise en charge de l’IC chronique, pour autant que les patients puissent les tolérer. Cela dit, la littérature fait aussi état de données concluantes à l’appui de l’utilisation d’un ARA, tant en concomitance avec un inhibiteur de l’ECA qu’avec un bêta-bloquant. Lors de l’essai Val-HeFT (Valsartan Heart Failure Trial), par exemple, l’ajout du valsartan, un ARA, à un traitement de fond à base d’un inhibiteur de l’ECA n’a pas prolongé la survie, mais il a permis une diminution de la morbidité par rapport au placebo. De plus, dans le petit sous-groupe de patients de Val-HeFT qui ne pouvaient pas tolérer un inhibiteur de l’ECA, l’ARA a diminué significativement la morbidité et la mortalité en l’absence d’un inhibiteur de l’ECA.

Le même bienfait clinique a été observé dans l’essai CHARM-Alternative, lors duquel plus de 2000 patients ne pouvant pas tolérer les inhibiteurs de l’ECA ont reçu le candésartan en plus d’autres médicaments standard pour le traitement de l’IC chronique. Les résultats obtenus chez ces nombreux patients ont montré que l’ARA avait réduit le risque d’atteinte du paramètre principal de l’essai – à savoir, la mortalité CV et l’hospitalisation pour IC – par rapport au placebo. «Si un patient ne prend pas d’inhibiteur de l’ECA, il ne fait aucun doute qu’un ARA doit être administré», fait valoir le Dr Pfeffer

CHARM-Added a aussi montré que l’ajout du candésartan chez des patients qui prennent déjà un inhibiteur de l’ECA autorisait une diminution de 15 % du risque relatif d’atteinte du paramètre principal comparativement à un placebo.

Une diminution des hospitalisations pour IC a de nouveau été observée dans l’étude Val-HeFT chez les patients recevant à la fois un inhibiteur de l’ECA et un ARA, «de sorte que l’ajout d’un ARA à un inhibiteur de l’ECA est bénéfique», poursuit le Dr Pfeffer.

Les résultats de l’étude Val-HeFT laissaient entendre que l’ajout de l’ARA à l’étude pourrait être associé à un pronostic plus sombre chez les patients qui recevaient à la fois un inhibiteur de l’ECA et un bêta-bloquant. En revanche, les résultats obtenus au sein d’une cohorte beaucoup plus vaste dans le cadre de l’essai CHARM-Added n’ont pas étayé ce lien. En effet, dans CHARM-Added, «l’effet favorable de l’ajout du candésartan n’a pas été modifié par la présence ou l’absence d’un bêta-bloquant, ce qui est un point très important dans l’interprétation des données», affirme le Dr Pfeffer. Les autorités ont aussi demandé aux investigateurs de CHARM de déterminer si le bienfait clinique qu’ils avaient observé lorsque l’ARA avait été ajouté à un inhibiteur de l’ECA et à un bêta-bloquant aurait pu être obtenu par une simple augmentation de la dose de l’inhibiteur de l’ECA. Dans le cadre du programme CHARM, d’enchaîner le Dr Pfeffer, les patients recevaient une dose initiale et une dose d’entretien de l’inhibiteur de l’ECA conformes aux doses recommandées dans la littérature. Cela dit, l’avantage de 15 % observé dans l’essai CHARM-Added ne variait pas en fonction de la dose de l’inhibiteur de l’ECA, insiste le Dr Pfeffer.

Il est aussi ressorti de l’essai RALES (Randomized Aldactone Evaluation Study) que l’ajout de la spironolactone à un inhibiteur de l’ECA et à un bêta-bloquant pouvait permettre une diminution supplémentaire du risque CV chez les patients souffrant d’une IC chronique accompagnée d’une dysfonction systolique.

«L’ajout d’un ARA éprouvé à une dose éprouvée ou de la spironolactone est un choix qui vous incombe, mais quel que soit votre choix, une surveillance s’impose, comme cela a été le cas dans le cadre de CHARM», souligne le Dr Pfeffer avec insistance; deux semaines après le début du traitement, on doit vérifier la présence éventuelle d’une hyperkaliémie. Comme l’ont montré les données d’innocuité du programme CHARM, l’incidence de l’hyperkaliémie demeure très faible chez les patients recevant l’ARA, pour autant qu’ils soient surveillés étroitement.

Facteurs de comorbidité

L’optimisation du traitement médicamenteux devrait améliorer l’issue clinique de l’IC chronique. Cela dit, précise le Dr Graham Jackson, Guy’s and St. Thomas’ National Health Service Foundation Trust, Londres, Royaume-Uni, la prise en charge de l’IC chronique ne se limite pas à la manipulation neurohormonale. L’IC chronique entraîne une incapacité physique et sociale de même qu’une baisse d’énergie plus sévères que les maladies respiratoires chroniques, l’arthrite et d’autres troubles cardiaques, y compris l’angine, souligne-t-il. À mesure que la sévérité de la maladie s’accentue, «la qualité de vie globale diminue de façon marquée», ajoute-t-il, et l’IC chronique s’accompagne souvent d’une dépression chez une proportion substantielle de patients. Comme les symptômes de la dépression – apathie, fatigue, anergie – sont souvent associés à l’IC chronique, «il est fréquent que la dépression passe inaperçue», de noter le Dr Jackson.

La dépression se caractérise souvent par un sentiment de désespoir, un sentiment d’inutilité et une piètre estime de soi, autant de facteurs qui contribuent à la dysfonction érectile (DE) chez l’homme et aux dysfonctions sexuelles (DS) chez la femme. Très peu de recherches ont été effectuées sur le traitement de la DE et des DS chez les patients souffrant d’IC chronique, mais c’est un problème majeur qui peut mener à de graves troubles émotifs chez de nombreux patients, fait remarquer le Dr Jackson. Les médecins doivent donc commencer à demander à leurs patients souffrant d’IC chronique s’ils présentent une DE ou des DS et, au besoin, donner espoir aux patients en les informant que des stratégies pharmacologiques et non pharmacologiques permettent souvent de corriger le problème. «Commencez par des questions non menaçantes», dit le Dr Jackson. Par exemple, le médecin peut dire que certains agents utilisés dans le traitement de l’IC chronique nuisent à l’obtention et au maintien d’une érection et que, le cas échéant, il peut y avoir des façons de manipuler le traitement de façon à atténuer son effet sur la DE. De nombreux patients porteurs d’un défibrillateur automatique implantable (DAI) disent s’abstenir de relations sexuelles ou avoir une vie sexuelle moins active après la mise en place du DAI par crainte que le dispositif ne soit déclenché pendant la relation sexuelle. Les patients ont aussi tendance à surestimer l’effort requis pour une relation sexuelle; on doit leur faire comprendre que s’ils peuvent faire le test de marche de six minutes ou monter et descendre une ou deux volées d’escalier, ils ne doivent pas craindre l’effort requis pour une relation sexuelle.

«Les agents utilisés pour le traitement de la DE ne sont pas contre-indiqués chez les patients souffrant d’IC chronique, pour autant que ceux-ci ne prennent pas de dérivés nitrés», note le Dr Jackson. S’ils en prennent, il y a des solutions de rechange aux médicaments, dont l’alprostadil en injection intracaverneuse (si l’on opte pour cette solution, le patient ne doit s’en servir que deux fois par semaine et s’injecter à un endroit différent chaque fois).

Les DS chez la femme peuvent nécessiter une mesure aussi simple qu’un lubrifiant. Les œstrogènes intravaginaux peuvent aussi aider à faire régresser l’atrophie vaginale et stimuler la lubrification pour permettre à la femme d’avoir une relation sexuelle sans douleur.

«Il n’est pas toujours facile de traiter ces patients et le traitement ne réussit pas toujours. Le plus souvent, par contre, il est efficace et améliore la qualité de vie. Il est fréquent que la dépression et l’anxiété disparaissent [grâce à une vie sexuelle plus active], de sorte que l’on doit encourager les patients à signaler tout problème sexuel persistant», de conclure le Dr Jackson.

Les lignes directrices facilitent la prise de décisions

Comme dans de nombreux autres volets de la médecine, diverses associations et sociétés ont rédigé des lignes directrices pour aider les cliniciens à prendre des décisions quant à la prise en charge de l’IC chronique. À l’heure actuelle, les principales lignes directrices à la disposition des cliniciens des pays occidentaux proviennent de quatre groupes : Société canadienne de cardiologie (SCC); Société européenne de cardiologie, American College of Cardiology/American Heart Association; et Heart Failure Society of America.

Comme le souligne le Dr Karl Swedberg, Académie de médecine de Sahlgrenska, Université de Göteborg, Suède, «les quatre documents ne se distinguent que par des différences mineures au chapitre du traitement initial», le dénominateur commun étant l’association d’un inhibiteur de l’ECA et d’un bêta-bloquant. Les principales différences d’une série de lignes directrices à l’autre concernent les recommandations quant à l’utilisation des ARA et le niveau de preuve attribué à chaque recommandation.

Le comité de la SCC qui était responsable des lignes directrices estimait qu’il avait été clairement démontré que les ARA réduisent le nombre d’hospitalisations chez les patients atteints d’IC chronique et a donc attribué le plus haut niveau de preuve à sa recommandation quant à l’utilisation d’un ARA, poursuit le Dr Swedberg.

La Société européenne de cardiologie recommande les ARA chez les patients qui ne tolèrent pas les inhibiteurs de l’ECA, chez ceux dont l’IC chronique demeure symptomatique ou se détériore malgré la prise d’un inhibiteur de l’ECA et chez ceux dont la fraction d’éjection est conservée ou réduite.

«De nouvelles pharmacothérapies ont diminué la morbi-mortalité et amélioré la qualité de vie des patients souffrant d’IC chronique, mais le traitement est devenu plus compliqué et nécessite l’association de plusieurs antagonistes neurohormonaux, affirme le Dr Swedberg. En pareil contexte, donc, les lignes directrices jouent un rôle de premier plan.»

Les médecins du Canada qui ont l’intention d’assister au Congrès canadien sur la santé cardiovasculaire de cette année seront mis au fait des nouvelles lignes directrices sur l’IC, car celles-ci seront présentées pendant le congrès qui se tiendra du 21 au 26 octobre à Vancouver, en Colombie-Britannique.

Résumé

Les traitements médicamenteux et les traitements reposant sur un dispositif, qu’il s’agisse d’un traitement de resynchronisation cardiaque ou d’un DAI, améliorent constamment le pronostic de l’IC chronique. Nous verrons probablement d’autres améliorations, car de nombreux composés et dispositifs sont en cours de développement. D’ici là, nous savons que l’optimisation du traitement de l’IC chronique – qui passe par l’administration d’agents clés éprouvés, comme les inhibiteurs de l’ECA, les bêta-bloquants et les ARA, et, chose très importante, à une dose dont l’efficacité a été démontrée – diminue la morbi-mortalité imputable à l’IC chronique et améliore la qualité de vie. Dans les cas où cela est possible, le traitement concomitant des facteurs de comorbidité pourrait également améliorer l’issue clinique chez ces patients.

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