Comptes rendus

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Diagnostic, évaluation et traitement de la goutte

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

MEDPOINT - 69e Assemblée annuelle de la Société canadienne de rhumatologie (SCR)

Whistler, Colombie-Britannique / 26 février-1er mars 2014

Whistler, Colombie-Britannique - La goutte, souvent perçue comme un simple malaise ou une maladie mineure, peut en fait être aussi invalidante que la polyarthrite rhumatoïde (PR) ou le rhumatisme psoriasique; il est donc urgent que des experts se penchent sur la question. De nouvelles techniques d’imagerie et options thérapeutiques ont vu le jour. La goutte et la PR peuvent coexister, bien que ce soit rare, mais comme elles se traitent différemment, il importe de les différencier l’une de l’autre. Tous les outils cliniques utilisés pour l’évaluation de l’efficacité du traitement sont imparfaits en soi. D’une part, il n’est pas rare que les chercheurs ne s’entendent pas sur le degré d’activité de la maladie; d’autre part, les paramètres d’évaluation de la qualité de vie ciblés par les échelles actuelles ne sont pas forcément aussi pertinents aux yeux des patients qu’aux yeux des chercheurs, et devraient tenir compte des valeurs personnelles de chacun.

Rédactrice médicale en chef : DreLénaCoïc, Montréal, Québec

Dans l’atelier qu’il animait sur le traitement de la goutte en présence de maladies complexes, le Dr Greg Choy, professeur adjoint de médecine, University of Toronto, a rappelé aux congressistes la nécessité de différencier la goutte aiguë de la goutte chronique, les divers stades de la maladie étant traités différemment. Dans la goutte aiguë, les articulations sont rouges, gonflées et chaudes, et elles peuvent être extrêmement douloureuses, explique le Dr Choy.

On qualifie d’«intercritique» la phase entre deux crises de goutte aiguë. L’absence de symptômes aigus ne signifie pas que la maladie est disparue, car les cristaux d’acide urique continuent de s’accumuler dans les articulations si l’hyperuricémie persiste. Àdéfautd’un diagnostic et d’un suivi s’installe avec le temps une goutte chronique progressivement invalidante dont les symptômes persistent. Un diagnostic de goutte repose sur la présence de cristaux d’acide urique à l’examen au microscope, soulignent Roddy et al. (BMJ 2013;347:5648).

Jusqu’à tout récemment, il ne semblait y avoir aucune nouveauté dans le traitement de la goutte, ce qui pourrait expliquer qu’elle ne soit toujours pas – à tort – considérée comme prioritaire, affirme le Dr Choy. Grâce aux nouveaux traitements, l’arsenal thérapeutique s’élargit, mais encore faut-il que les médecins soient au courant de ces nouvelles options pour mieux traiter la maladie. Àl’aide d’unalgorithme conçu par l’American College of Rheumatology (Arthritis Care & Research 2012;64:1431-46 et 1447-61), le Dr Choy a expliqué que le traitement d’une crise de goutte aiguë doit être amorcé dans les 24 heures suivant l’apparition des symptômes.

Goutte aiguë

Parmi les agents recommandés pour le traitement de première intention de la goutte aiguë, on trouve les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), la colchicine orale et les corticostéroïdes administrés par voie générale ou, si la goutte ne touche que 1 ou 2 articulations majeures, par voie intra-articulaire. L’administration d’uricosuriques établis doit se poursuivre sans interruption durant une crise aiguë. Chez l’ensemble des patients goutteux, un traitement préventif par un anti-inflammatoire est aussi recommandéau moment oùle traitement uricosurique est amorcé et doit se poursuivre en présence du moindre signe de persistance de la maladie ou si l’uricémie ne baisse pas sous le seuil de 6 mg/dL (360 µmol/L).

«Si possible, j’utilise le même agent pour le traitement anti-inflammatoire préventif que pour celui d’une crise aiguë; si je choisis un AINS, par exemple, je le prescris d’abord à forte dose, puis je diminue la dose pour le traitement préventif», affirme le Dr Choy. La comorbidité est fréquente chez de nombreux patients atteints de goutte, en particulier la maladie rénale chronique (MRC) qui prédispose à la goutte, ajoute-t-il. Si la colchicine orale est utilisée à titre préventif, la dose doit être ajustée en présence de MRC, et il faut garder à l’esprit le risque de multiples interactions médicamenteuses.

Traitement de la goutte chronique

Les inhibiteurs de la xanthine oxydase (IXO) sont recommandés pour le traitement de première intention. Àl’allopurinol, commercialisé depuis un certain temps déjà, s’est ajouté plus récemment le fébuxostat pour le traitement hypo-uricémiant de la goutte. La dose initiale d’allopurinol ne doit pas excéder 100 mg/jour, et elle ne doit être que de 50 mg/jour, du moins au départ, chez les patients présentant une MRC de stade 4 ou 5, prévient le Dr Choy. La dose d’allopurinol doit aussi être augmentée lentement, mais après une augmentation progressive, la dose d’entretien peut dépasser 300 mg/jour, même en présence d’une MRC.

La détection de l’allèle HLA-B*5801 – lequel confère un risque élevé de réaction d’hypersensibilité sévère – est possible, mais la plupart de ses patients ne passent pas ce test en raison de son coût élevé, fait-il remarquer. Le fébuxostat est plus facile à administrer, car il se prend 1 fois/jour, alors que l’allopurinol peut nécessiter jusqu’à 4 doses/jour. Le coût du nouvel agent doit aussi être pris en considération. «Nous savons que le traitement par l’allopurinol peut être administrélongtemps, car il est commercialisé depuis une quarantaine d’annéesdéjà, poursuit le Dr Choy, mais le fébuxostat coûte plus cher. Je donne le choix à mes patients, car les deux médicaments sont recommandés pour le traitement de première intention.»

Le probénécide peut aussi être envisagé pour le traitement de première intention de la goutte chronique, mais il peut interagir avec de nombreux médicaments d’usage courant, et la plupart des médecins l’évitent précisément àcause de cela. Le Dr Choy modifie aussi la médication concomitante afin de faire pencher la balance en faveur d’une baisse du taux d’acide urique. Par exemple, si le patient a besoin d’un antihypertenseur, le Dr Choy favorise le losartan aux dépens d’autres antihypertenseurs parce qu’il abaisse l’uricémie de 10 à20 % (Cardiovasc Diabetol 4 nov 2013;12[1]:159). Pour les mêmes raisons, il remplacerait une statine par le gemfibrozil.

Il faut rappeler aux patients de prendre soin de modifier leur alimentation (la bière étant le pire agresseur) afin que leur uricémie demeure la plus faible possible, ajoute le Dr Choy.

PR et goutte

Comme le soulignent la Dre Lilia Olaru, boursière, University of Alberta, Edmonton, et al. (résumé 41), il était établi depuis longtemps que la polyarthrite rhumatoïde (PR) et la goutte ne pouvaient pas coexister chez le même patient. Face à des cas qui remettaient cette théorie en doute, le groupe d’Edmonton a interrogé la base de données de la University of Alberta et a ainsi passé en revue les dossiers de 1985 patients atteints de PR et de 1977 patients atteints de goutte. Au sein de cette cohorte, 10 patients souffraient à la fois de PR et de goutte, selon les critères en vigueur des deux maladies. La PR étaitapparue àunâge moyen de 54 ans et la goutte, de 65,3 ans. «La PR est apparue en premier lieu chez la plupart despatients», note la Dre Olaru.

Cependant, 3 patients – tous des hommes – ont d’abord développé une goutte. Il est généralement admis que chez la femme, la goutte apparaît uniquement après la ménopause, et ce fut le cas dans cette cohorte. Compte tenu de l’ancienneté de la maladie chez ces patients, la progression radiologique a semblé moins sévère que ce à quoi l’on s’attendrait dans un cas de PR classique, et la goutte affectait principalement les articulations touchées par les deux maladies, précise la Dre Olaru.

Chez certains patients, la PR ou la goutte peuvent toucher différentes articulations – «de sorte que la PR peut être surtout présente au niveau des mains et la goutte, au niveau des pieds, ou vice versa, poursuit-elle. Le traitement de ces deux maladies étant manifestement bien différent, il est important que les médecins sachent qu’elles peuvent coexister», ajoute-t-elle. Le diagnostic ne peut être posé avec certitude sans aspiration, mais les chercheurs d’Edmonton sont en train d’évaluer leur «protocole de diagnostic de la goutte» à l’aide de la TDM en double énergie qui permet de détecter des cristaux d’acide urique sans effraction.

«Le protocole n’a pas encore ététotalement validé, mais je pense qu’il est très prometteur, car il permettrait de détecter la goutte sans douleur», conclut la Dre Olaru.

Outils d’évaluation imparfaits en soi

Les rhumatologues utilisent typiquement diverses échelles pour évaluerl’efficacité du traitement de la PR. Par contre, affirme le Dr Brian Feldman, professeur titulaire et chef de division, Hospital for Sick Children, Toronto, les outils d’évaluation utilisés en rhumatologie ont des imperfections inhérentes et ne mesurent pas forcément les paramètres qui importent le plus aux patients.

Pour illustrer le type de discordance qui peut surgir, il a fait référence à un cas où 4 experts en rhumatologie pédiatrique de son établissement avaient examiné les mêmes 14 patients afin d’évaluer l’activité de la PR, notamment en déterminant le nombre d’articulations gonflées. «Quandest venu le moment de déterminer quelles articulations étaient gonflées chez ces 14 patients, les 4 experts étaient d’accord moins de la moitiédu temps, poursuit le Dr Feldman. Les mesures sont une source de problèmes.» Dans un essai récent sur la myosite réfractaire chez l’enfant et l’adulte financé par les National Institutes of Health au coût de 7 millions de dollars, la comparaison des stratégies de traitement n’a objectivé aucune différence quant au délai d’amélioration selon les critères de l’étude (Arthritis Rheum 2013;65:314-24). Par contre, lorsque le Dr Feldman et al. ont changé les critères d’amélioration, ils ont pu différencier les deux groupes de l’essai.

«Nous devons apprendre comment mieuxévaluerle changement», ajoute-t-il. Par exemple, en réponse à un questionnaire qui les amenait à déterminer quels aspects de la vie importaient àleurs yeux, des enfants atteints d’une maladie chronique ont jugé beaucoup plus important d’avoir des amis, d’être heureux et de s’entendre avec leurs parents que de mieux composer avec leur handicap physique.

«La qualitéde vie ne se limite pasàla santé; elle concerne tous les aspects de la vie, rappelle le Dr Feldman. Et les valeurs personnelles entrent toujours en jeu.»

Résumé

La goutte est l’une des formes d’arthrite inflammatoire les plus répandues, et la goutte aiguë est l’une des entités les plus douloureuses. Àdéfaut d’un diagnostic ou d’un traitement adéquat, l’accumulation de cristaux peut entraîner des lésions articulaires irréversibles. Les traitements non médicamenteux et médicamenteux traditionnels n’ont jamais eu la cote, tant pour la goutte aiguë que pour la goutte chronique, car le succès du traitement dépend en grande partie de l’éducation et de l’engagement du patient. Des traitements plus faciles à administrer, mieux tolérés et interagissant moins avec les autres médicaments pourraient contribuer àla réussitedu traitement de la goutte. Au chapitre du diagnostic, on doit exclure la possibilité de goutte chez les patients atteints de PR et celle de PR chez un patient goutteux pour s’assurer que tous les patients sont bien traités. La réussite du traitement dépend beaucoup plus de la perception du patient qu’on veut bien l’admettre, et l’interprétation des paramètres cliniques d’évaluation de l’efficacité doit s’améliorer. 

 

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