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Difficultés de la prise en charge des mycoses au Service des soins intensifs

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

PRESSE PRIORITAIRE - Critical Care Canada Forum

Toronto, Ontario / 25-28 octobre 2009

Les patients dans un état critique sont souvent victimes de mycoses invasives (MI), notamment d’infections à Candida et à Aspergillus. L’administration immédiate d’un traitement empirique a longtemps été reconnue comme un moyen important de réduire la morbi-mortalité, mais «le fardeau de la maladie semble s’alourdir», souligne la Dre Yoanna Skrobik, professeure agrégée de médecine, Division des soins intensifs, CHUM – Hôpital Maisonneuve-Rosemont, Montréal, Québec.

Les champignons sont maintenant à l’origine d’environ 80 % des infections nosocomiales et 15 % des infections contractées au Service des soins intensifs (SSI). Bien que C. albicans demeure l’espèce prédominante dans les mycoses nosocomiales, les infections à Aspergillus sont souvent plus difficiles à maîtriser et plus susceptibles de toucher les patients gravement malades. Si l’incidence des aspergilloses au SSI est évaluée à 5,8 %, des données récentes indiquent que les espèces Aspergillus sont responsables d’une proportion croissante des MI (Mersseman et al. Clin Infect Dis 2007;45[2]:205-16; Vandewoude et al. Medical Mycology 2006;44;S71-6).

Même si tous les patients hospitalisés au SSI sont exposés à un risque accru de mycose, ce dernier est particulièrement élevé dans les cas suivants : neutropénie (<500 neutrophiles/mm3), hémopathie maligne, greffe de moelle osseuse allogénique, corticothérapie au long cours, prise prolongée d’antibiotiques à large spectre et long séjour au SSI. Parmi les autres facteurs de risque, on compte les transplantations d’organes solides, les cathéters veineux centraux et la ventilation artificielle.

Les mycoses augmentent considérablement le risque de mortalité intrahospitalière, surtout en présence de sepsis, précise le Dr Anand Kumar, professeur agrégé de médecine, de microbiologie médicale, et de pharmacologie/thérapeutique, University of Manitoba, Winnipeg et médecin traitant, Health Sciences Centre. Le risque de choc septique semble particulièrement élevé chez les patients hospitalisés au SSI en raison d’une leucémie ou d’un myélome.

Justification du traitement empirique

Compte tenu des risques associés aux mycoses, un traitement empirique choisi en fonction de l’agent pathogène soupçonné est essentiel, même si tout est mis en œuvre pour identifier ce dernier le plus rapidement possible. Une prise en charge empirique s’impose notamment parce qu’il est souvent difficile de préciser la portée clinique de certains agents pathogènes. «Les signes et symptômes caractéristiques de l’infection sont absents ou n’ont aucune utilité diagnostique chez les patients à risque de mycose [...], la douleur étant parfois le seul signe d’appel. En outre, il existe peu de caractéristiques cliniques propres aux mycoses généralisées», explique le Dr Kumar. On note toutefois quelques exceptions, dont l’endophtalmie, les lésions cutanées macronodulaires et la candidurie chez les patients exempts de sonde à demeure. Le diagnostic des mycoses est d’autant plus difficile que «les hémocultures ne permettent de reconnaître qu’une minorité de cas de sepsis fongique [environ 30 %]», précise le Dr Kumar.

«Pour sauver des vies, il nous faudrait de meilleurs outils diagnostiques», reconnaît le Dr Coleman Rotstein, professeur titulaire de médecine, Division des maladies infectieuses, University of Toronto, et directeur, Maladies infectieuses oncologiques, Toronto General Hospital et Princess Margaret Hospital, Ontario. La tomodensitométrie constitue une avancée importante, car elle permet de déceler les signes d’une infection invasive (p. ex., macronodule, signe du halo, condensation, opacité en verre dépoli) environ cinq jours avant qu’ils ne soient visibles à la radiographie. On utilise depuis peu le dosage de marqueurs sérologiques, comme le galactomannane (Aspergillus) et le bêta glucane (Aspergillus et Candida); toutefois, peu d’établissements canadiens disposent de l’équipement nécessaire pour réaliser ces dosages qui, en raison de leurs faibles sensibilité et spécificité, ont une utilité clinique limitée.

Choix d’un antifongique

Le choix d’un antifongique repose idéalement sur un diagnostic précis, mais les cliniciens doivent souvent envisager de recourir à un traitement prophylactique ou provisoire/empirique chez les patients présentant des facteurs de risque ou une possible infection, respectivement. «Chez les patients neutropéniques, immunocompromis ou gravement malades exposés à de multiples facteurs de risque, le traitement empirique constitue parfois la seule façon d’intervenir rapidement, ce qui signifie que nous ne disposons pas toujours de toute l’information nécessaire avant la mise en route du traitement antifongique», souligne le Dr Kumar.

La stratégie thérapeutique clé en présence de mycoses graves, notamment celles qui sont susceptibles de causer un choc septique, consiste à «frapper juste, vite et fort», soutient le Dr Kumar. Pour ce faire, l’antifongique choisi en première intention doit être efficace contre le micro-organisme incriminé.

Afin de s’assurer d’une bonne adéquation entre le traitement empirique et le germe soupçonné, on doit choisir l’antifongique en fonction des données épidémiologiques propres à chaque établissement. Ainsi, «C. albicans n’est responsable que d’environ 60 % des candidoses dans l’hôpital où je travaille; le reste des candidoses – possiblement résistantes aux médicaments comme le fluconazole – comptent pour au moins 15 %», précise la Dre Skrobik. Les mêmes observations s’appliquent aux autres micro-organismes à l’origine de mycoses. Dans les établissements ayant été récemment aux prises avec des éclosions d’aspergillose invasive, les soupçons doivent se porter sur les espèces Aspergillus. Les auteurs du document Treatment of aspergillosis: clinical practice guidelines of the Infectious Diseases Society of America recommandent de recourir au voriconazole dans les cas d’aspergillose invasive prouvée ou probable (Clin Infect Dis 2008;46[3]:327-60). Le risque d’interactions médicamenteuses et les stratégies visant à réduire au minimum la pharmacorésistance sont des critères dont il faut tenir compte dans le choix d’un médicament, précise la Dre Skrobik.

Comme l’explique le Dr Kumar, «toute erreur dans le traitement d’une mycose majore le risque de mortalité. Il faut frapper juste». En présence d’un choc septique d’origine fongique ou bactérienne, un traitement initial inapproprié aura des répercussions encore plus grandes sur la mortalité.

Le fait de retarder le traitement jusqu’à l’obtention des résultats des cultures peut assombrir le pronostic. Il faut donc aussi «frapper vite». Ainsi, dans le cadre d’une récente étude rétrospective ayant porté sur des patients hospitalisés pour cause de candidémie (Morrell et al. Antimicrob Agents Chemother 2005;49:3640-5), l’amorce d’un traitement approprié dans les 12 heures suivant le prélèvement sanguin aux fins de culture a été associée à un taux de mortalité de 12 %, tandis qu’un délai de 24 à 48 heures a porté ce taux à 30 % environ. En présence d’un choc septique, le risque relatif approché de mortalité ajusté se chiffre à quelque 12 % par heure.

Le traitement antifongique est généralement administré avec un retard appréciable chez les patients présentant un choc septique et hospitalisés dans les SSI canadiens, souligne le Dr Kumar. Dans le cadre de son étude, le délai médian d’administration était de 35 heures pour le traitement antifongique et de 5,5 heures pour le traitement antibiotique. «Si les deux groupes reçoivent leur traitement médicamenteux en moins de deux heures, leur taux de survie est très semblable [80 % environ] […] Dans l’ensemble, le délai d’administration du traitement antimicrobien compte pour environ 90 % de la différence observée au chapitre de la survie. En présence d’un choc septique provoqué par une mycose, cette différence tient essentiellement à la mise en route différée du traitement», ajoute-t-il.

La troisième composante de la stratégie de prise en charge des mycoses graves – frapper fort – consiste à éradiquer rapidement l’agent pathogène. Bien que le voriconazole soit indiqué en première intention lorsqu’on suspecte une aspergillose, l’éradication des micro-organismes à l’origine d’une aspergillose invasive pourrait nécessiter le recours à des agents additionnels chez les patients grandement fragilisés, particulièrement lorsque cette infection s’est déjà révélée difficile à maîtriser. L’utilité clinique de l’association d’au moins deux médicaments ciblant différentes composantes des cellules fongiques reste à prouver, mais cette stratégie pourrait se révéler plus efficace tout en étant associée à une toxicité moins marquée et à un risque moins élevé de résistance, affirme le Dr Rotstein. Une étude de phase III compare actuellement le voriconazole en monothérapie et l’association voriconazole-anidulafungine sur le plan de l’efficacité (http://ClinicalTrials.gov:NCT00531479). Le paramètre d’évaluation principal de cette étude est la mortalité toutes causes confondues mesurée six semaines après une aspergillose invasive chez des patients présentant une infection prouvée ou probable.

L’arrivée d’immunosuppresseurs plus puissants a mené à une multiplication des mycoses nosocomiales. Les progrès réalisés en matière de soins intensifs, qui permettent de prolonger la survie des patients fragilisés, l’utilisation plus répandue des greffes de moelle osseuse, les chimiothérapies mieux ciblées et les soins de soutien prodigués aux patients atteints d’insuffisance rénale avancée sont autant de facteurs qui laissent croire que les taux de MI continueront de croître. La mise en route différée d’un traitement empirique ainsi que les lacunes au chapitre des épreuves diagnostiques s’imposeront de plus en plus comme des obstacles à la survie de patients qui pourraient par ailleurs répondre au traitement de leur affection sous-jacente.

Résumé

Malgré l’émergence de nouvelles méthodes permettant de diagnostiquer efficacement les MI, l’administration empirique d’antifongiques avant l’identification formelle de l’agent pathogène demeure une stratégie thérapeutique essentielle pour améliorer la survie. Le praticien a tout avantage à connaître la nature des agents pathogènes susceptibles de contaminer l’établissement où il travaille pour pouvoir mettre en route sans délai un traitement antifongique efficace. En cas de suspicion de mycose, il convient d’établir la distinction entre les risques et les signes caractéristiques d’une candidose ou d’une aspergillose probables avant de prescrire un traitement de première intention. Bien qu’il soit essentiel de prescrire rapidement le meilleur agent doté de la puissance appropriée aux patients présentant un choc septique, l’administration d’un traitement antifongique efficace s’impose comme l’une des stratégies les plus importantes pour prolonger la vie des patients hospitalisés pour une maladie grave.

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