Comptes rendus

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Du fait de leur grande activité, les agents ciblés sont devenus des traitements de référence dans le cancer du rein et les tumeurs stromales gastro-intestinales

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

33e Congrès de l’ESMO (European Society for Medical Oncology)

Stockholm, Suède / 12-16 septembre 2008

Souvent diagnostiqués à un stade avancé, le cancer du rein et les tumeurs gastro-intestinales (GIST) sont depuis toujours associés à un sombre pronostic, même s’ils sont traités énergiquement. Avant l’avènement des agents ciblés, la médiane de survie d’un patient atteint d’un cancer du rein métastatique se chiffrait à sept mois en moyenne tandis que la survie du porteur d’une GIST avancée oscillait en moyenne entre neuf et 20 mois. Les inhibiteurs de tyrosine kinases (ITK) qui agissent sur ces cancers ont prolongé la survie de façon remarquable. Depuis leur commercialisation, le sunitinib et l’imatinib sont devenus les traitements de référence du cancer du rein et des GIST, respectivement. L’efficacité de ces agents dans ces cancers témoigne de l’activité antitumorale substantielle qui découle de l’inhibition des voies moléculaires de la croissance tumorale.

«Les agents ciblés ont révolutionné l’issue du cancer du rein métastatique et des GIST avancées», affirme la Dre Cora Sternberg, Université La Sapienza, Rome, Italie, et Tufts University School of Medicine, Boston, Massachusetts. «L’arrivée des ITK a métamorphosé la démarche thérapeutique en autorisant d’importants gains de survie par rapport aux traitements de référence antérieurs.»

Le traitement de référence antérieur du cancer du rein métastatique – lequel n’a jamais répondu de façon acceptable aux agents cytotoxiques – était une cytokine, l’interféron-alfa (IFNa) assez fortement dosé. Le sunitinib, un ITK, a déclassé l’IFNa à titre de traitement de référence lorsqu’un essai de phase III a démontré qu’il autorisait une augmentation remarquable de la survie sans progression (SSP) (Motzer et al. N Engl J Med 2007;356:115-24). Très récemment, un suivi plus long a confirmé une augmentation de la survie globale (SG). Selon les données divulguées au congrès de l’ASCO (American Society of Clinical Oncology) qui viennent d’être mises à jour au congrès de l’ESMO, le sunitinib a été associé à un gain de SG malgré des facteurs de confusion comme le changement de groupe de traitement et l’utilisation de stratégies adjuvantes une fois l’étude terminée.

«À défaut d’un ajustement des données, le gain de survie associé au sunitinib était minime [26,4 mois vs 21,8 mois; p=0,51]; par contre, au sein du sous-groupe de patients ayant reçu seulement les traitements à l’étude, la médiane de survie était deux fois plus élevée chez les sujets sous sunitinib [28,1 mois vs 14,1 mois; p=0,003]», rapporte la Dre Sylvie Négrier, équipe de recherche Cytokines et cancer, Centre de cancérologie Léon-Bérard, Lyon, France. «Après ajustement des données en fonction de strates, le gain de survie associé au sunitinib demeurait significatif (p=0,0491) malgré l’administration d’un autre traitement au terme de l’étude chez près de 60 % des patients, dont le passage au sunitinib pour 33 % des patients du groupe IFNa» (Figure 1).

Figure 1. Estimation Kaplan-Meier de la SG chez les patients n’ayant reçu aucun traitement après l’étude


Dans le cadre de l’essai grâce auquel le produit a été homologué, 750 patients ont reçu aléatoirement soit le sunitinib, soit l’IFNa. Les critères d’admissibilité étaient un cancer du rein métastatique, un indice fonctionnel de 0 ou 1 selon la classification de l’ECOG (Eastern Cooperative Oncology Group) et l’absence de traitement systémique antérieur. L’ITK était administré par voie orale à raison de 50 mg une fois par jour en cycles de six semaines, soit quatre semaines de traitement suivies de deux semaines sans traitement. L’IFNa était administré par voie sous-cutanée à raison de 9 MU trois fois par semaine. Au vu de l’activité du sunitinib, on a modifié le protocole peu de temps après le début de l’étude de façon à permettre aux patients randomisés dans le groupe IFNa de recevoir du sunitinib à partir du moment où leur cancer progressait.

Le paramètre principal de l’essai était la SSP. Au moment où ce paramètre a été atteint, par contre, la médiane de SG n’avait encore été atteinte dans aucun des deux groupes. Là encore, comme la survie subséquente des patients qui avaient reçu seulement les traitements à l’étude, la SSP était deux fois plus élevée dans le groupe sunitinib que dans le groupe IFNa (11 mois vs 5 mois, p<0,0001). Cet écart concorde avec le taux de réponse objective significativement plus élevé (31 % vs 6 %; p<0,001) et la probabilité moindre de progression du cancer (21 % vs 45 %). Les réponses objectives et la progression du cancer ont été confirmées par un comité central indépendant.

L’activité plus marquée du sunitinib s’est accompagnée d’une meilleure tolérabilité. Par exemple, on a signalé des effets indésirables de grade 3 ou 4 chez 12 % des sujets sous IFNa vs 7 % (p<0,05) des sujets sous sunitinib. Si les sujets sous sunitinib ont été plus nombreux que les sujets sous IFNa à présenter certains effets indésirables de grade 3 comme les vomissements (4 % vs 1 %), l’hypertension (8 % vs 1 %) et le syndrome palmo-plantaire (5 % vs 0 %) (p<0,05 pour chaque effet indésirable), l’IFNa a été associé à des pourcentages plus élevés de fatigue de grade 3 ou 4 (12 % vs 7 %) et de plusieurs anomalies biologiques de grade 3 comme la lymphopénie (22 % vs 11 %). La meilleure tolérabilité du sunitinib s’est reflétée par une amélioration de la qualité de vie mesurée à l’aide du questionnaire Functional Assessment of Cancer Therapy – General -Gou (FACT-G) ou du questionnaire FACT – Kidney Symptom Index (FKSI) (p<0,001 en faveur du sunitinib, vs l’IFNa, pour les deux échelles validées d’évaluation de la qualité de vie).

Il ressort de la toute dernière analyse de la survie que le sunitinib est le premier agent à conférer une survie médiane de plus de deux ans après le traitement. Il s’agit là d’un jalon important et révélateur, surtout pour un traitement qui entraîne moins d’effets indésirables qu’un grand nombre de chimiothérapies cytotoxiques d’usage courant. Outre l’attribution aléatoire du sunitinib, l’analyse multivariée a révélé que sept facteurs étaient des prédicteurs de la SG, laquelle excède maintenant 36 mois pour une proportion substantielle de patients en suivi. Ces facteurs sont un indice fonctionnel ECOG de 0 (vs 1), un taux d’hémoglobine normal, un traitement amorcé dans les 12 mois suivant le diagnostic, une calcémie normalisée, un taux de phosphatases alcalines inférieur à la limite normale supérieure, un taux de lactate déshydrogénase inférieur à 1,5 fois la limite normale supérieure, et moins de deux foyers métastatiques.

Le gain de survie mis en évidence malgré le changement de groupe de traitement a consolidé le bénéfice clinique déjà rapporté sur le plan de la SSP. De l’avis de la Dre Négrier, l’arrivée du sunitinib est venue «bonifier l’arsenal thérapeutique global dans le cancer du rein». Réitérant les recommandations actuelles dans le traitement du cancer du rein métastatique, elle a qualifié le sunitinib de «traitement de référence en première intention dans le cancer du rein métastatique».

Utilisant les mêmes termes, la Dre Sternberg a ajouté que le sunitinib était une option viable pour les patients atteints d’un cancer du rein avancé et inopérable, pour qui les options étaient jusque-là extrêmement limitées. Montrant un algorithme de traitement pour le cancer du rein métastatique, elle a présenté le sunitinib comme le traitement de référence des cancers de pronostic intermédiaire ou favorable (Tableau 1). Cependant, à l’instar d’autres experts, elle estime que l’on peut optimiser les taux de réponse et de qualité de vie en traitant les effets indésirables de façon proactive.

«Les agents ciblés comme le sunitinib sont généralement bien tolérés, mais leurs effets indésirables peuvent décourager les patients et entraîner une réduction de la dose. On dispose de données montrant que l’efficacité du sunitinib est liée à l’intensité de l’exposition. En outre, comme les agents ciblés exercent généralement leur action en inhibant la croissance cellulaire plutôt qu’en tuant les cellules cancéreuses, il devient important de maintenir des concentrations thérapeutiques du médicament pour tenir le cancer en échec», explique le Dr Alain Ravaud, Centre hospitalier universitaire, Bordeaux, France.

Tableau 1. Algorithme de
du rein métastatique

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Le Dr Ravaud a décrit brièvement plusieurs stratégies pour éviter ou réduire au minimum les effets indésirables limitant la dose. Prenant l’exemple de l’élévation de la tension artérielle, effet indésirable de nombreux agents ciblés, il a expliqué que l’on pouvait abaisser des chiffres tensionnels en administrant un antihypertenseur avant le début du traitement et, au besoin, en cours de traitement. De même, il pourrait être utile de préparer les patients à la possibilité d’effets indésirables comme le syndrome palmo-plantaire avant le début du traitement. Le plus important, insiste le Dr Ravaud, est d’intensifier les soins de soutien pendant les deux premiers cycles de traitement, lorsque le risque d’effets indésirables est maximal.

«Il importe ici de souligner que les omnipraticiens sont très peu, voire pas du tout, au courant des effets indésirables des traitements ciblés. Le sunitinib est beaucoup plus facile à administrer que les cytokines ou un grand nombre d’agents cytotoxiques, mais on ne doit surtout pas oublier le risque d’effets indésirables», maintient le Dr Ravaud. On doit porter attention aux effets indésirables à la fois pour préserver l’amélioration de la qualité de vie et maximiser les chances d’une prolongation notable de la survie.

Vaincre la résistance causée par les mutations

Les retombées des ITK sur la survie des personnes porteuses d’une GIST sont aussi remarquables que celles du sunitinib dans le cancer du rein. Après l’avènement de l’imatinib, maintenant bien établi comme traitement de première intention, la survie à un an est passée de 35 % à près de 90 %. La principale contrainte imposée par l’imatinib est l’apparition d’une résistance, mais les études subséquentes sur d’autres ITK, dont le sunitinib, ont montré qu’il était possible de maîtriser à nouveau la prolifération de cellules tumorales. Les progrès à ce chapitre sont rapides, notamment en ce qui a trait à l’élaboration de stratégies appropriées pour évaluer la résistance et amorcer l’administration d’agents en deuxième intention. En identifiant les mutations et en évaluant l’activité des traitements ciblés de nouvelle génération en présence de ces mutations, nous avons réussi à mieux comprendre la biologie moléculaire de la maladie.

«L’imatinib est le premier choix pour le traitement initial d’une GIST exprimant le récepteur du facteur de croissance des cellules souches (KIT) qui est inopérable ou métastatique», explique le Dr Jean-Yves Blay, Centre de cancérologie Léon-Bérard. «Bien que l’on puisse vaincre certains types de résistance – comme celle qui est liée à la mutation de l’exon 9 de KIT – en portant la dose d’imatinib à 800 mg/jour, on sait maintenant que d’autres agents ciblés sont actifs lorsque l’imatinib faillit à la tâche.»

«Le sunitinib est le traitement de choix en cas d’échec de l’imatinib, fait remarquer le Dr Blay. La question que l’on se pose est la suivante : doit-on systématiquement rechercher la présence de mutations avant d’amorcer le traitement ou seulement à l’échec du traitement par l’imatinib?» Si l’on envisage la recherche systématique de mutations avant le traitement, c’est en partie parce qu’une résistance apparaît chez la majorité des patients qui reçoivent la dose standard de 400 mg d’imatinib, généralement à cause de mutations secondaires du gène codant pour KIT. Il est fréquent que l’on décide de porter la dose à 800 mg sur des bases empiriques pour vaincre la résistance minime associée à la mutation de l’exon 9, mais la recherche de mutations pourrait accélérer l’introduction de traitements de deuxième intention lorsque les mutations de KIT, comme celles de l’exon 13 ou 14, sont peu susceptibles de répondre à une augmentation de la dose d’imatinib.

«La recherche de mutations et la prise en compte des facteurs individuels pourraient contribuer à optimiser les choix de traitement chez les patients porteurs d’une GIST avancée», explique le Dr Blay. Il concède néanmoins que la qualité des analyses de laboratoire peut varier et qu’il est essentiel de confier l’analyse à un laboratoire chevronné. L’identification de mutations permettrait aussi d’accélérer l’introduction de traitements de deuxième ou de troisième intention. En raison des profils d’activité différents des divers ITK, la résistance croisée est minime à ce jour. Si le sunitinib est souvent efficace lorsque l’imatinib échoue, d’autres ITK, comme le sorafenib, se sont montrés actifs lorsqu’une GIST résiste à la fois à l’imatinib et au sunitinib. L’une des voies de recherche de l’avenir sera probablement l’élaboration de séquences d’administration formelles des ITK en fonction des mutations repérées, prédit le Dr Blay.

Nouveaux schèmes de référence dans le traitement des GIST et d’autres tumeurs

Les ITK pourraient avoir d’autres applications dans le traitement des GIST. L’une des applications qui suscitent le plus d’intérêt est le traitement adjuvant d’une GIST opérable. Un bénéfice ayant été repéré dans quelques cas isolés, on évalue maintenant l’imatinib dans le cadre d’un essai randomisé et comparatif avec placebo chez des patients porteurs d’une GIST exprimant le récepteur KIT. Si l’on en juge par l’activité des ITK dans les GIST avancées, il serait logique qu’ils soient aussi bénéfiques en traitement adjuvant, mais cette théorie n’a pas encore été confirmée.

Le sunitinib a été associé à une amélioration de la médiane de SG lors d’un essai de phase III comparatif avec placebo qui a permis l’homologation de cet ITK dans le traitement d’une GIST en cas de résistance ou d’intolérance à l’imatinib. Dans cet essai, le sunitinib était administré à raison de 50 mg/jour suivant le cycle de six semaines qui est devenu la norme dans le traitement du cancer du rein. Par comparaison à un placebo, le traitement actif a fait bondir la médiane de SG de 35,7 semaines à 73,9 semaines (p<0,001) (Demetri et al. J Clin Oncol 2008;26[suppl]:résumé 10524).

De plus en plus, on incorpore les agents ciblés dans les protocoles de traitement standard pour divers cancers, mais on est probablement encore bien loin d’avoir exploité leur plein potentiel. Le bevacizumab, anticorps monoclonal qui cible le récepteur extracellulaire du facteur de croissance de l’endothélium vasculaire (VEGF), s’est montré actif dans plusieurs types de cancer, dont le cancer du sein, mais des voies de signalisation redondantes pourraient limiter son effet antitumoral. Les ITK, qui agissent sur la signalisation intracellulaire, bloquent souvent plus d’une voie de signalisation et pourraient donc être dotés d’un spectre d’activité plus large. Des études expérimentales ont associé le sunitinib au blocage de KIT, du VEGF, du facteur de croissance dérivé des plaquettes (PDGF) et de protéines en aval dans ces voies de signalisation. Les ITK, comme l’imatinib et le sorafenib, exercent à la fois des actions communes et spécifiques sur la signalisation intracellulaire.

«Nous pouvons nous attendre à voir un nombre croissant d’associations. L’association d’agents ciblés et d’agents cytotoxiques est déjà monnaie courante, mais il se pourrait aussi que les agents ciblés soient de plus en plus souvent associés à d’autres agents ciblés ou à des cytokines comme l’IFNa ou à des agents immunosuppresseurs comme l’évérolimus», affirme le Dr Joaquim Bellmunt, Hospital del Mar (hôpital universitaire), Barcelone, Espagne. De l’avis de ce dernier, les études futures porteront de plus en plus sur les monothérapies séquentielles d’agents ciblés, l’objectif étant de réduire la toxicité et de prolonger la durée de la réponse tout en atténuant le risque de résistance.

Dans le cancer du rein et les GIST, les différences entre les agents ciblés quant au mode d’action pourraient élucider en partie les mécanismes de la prolifération des cellules cancéreuses, y compris les changements moléculaires causés par la résistance. Un certain nombre d’études de phase III conçues pour évaluer les stratégies cliniques de traitement face à un cancer résistant pourraient aussi permettre de repérer les voies de signalisation actives. Citant un certain nombre d’essais de ce type, le Dr Bellmunt a fait référence à un essai sur le cancer du rein métastatique dans lequel on comparera les effets de l’association de l’enzastaurine (inhibiteur de la sérine/thréonine kinase) et du sunitinib avec le sunitinib et un placebo. Dans les essais de phase III déjà en cours, on évalue l’axitinib, le temsirolimus et le sorafenib dans le traitement des cancers résistants au sunitinib.

«Dans le traitement adjuvant [du cancer du rein], trois essais d’envergure sont en cours. Le premier porte sur le sunitinib ou un placebo, le deuxième, sur le sunitinib, le sorafenib ou un placebo, et le troisième, sur le sorafenib ou un placebo, poursuit le Dr Bellmunt. En parallèle, la liste des agents ciblés s’allonge, et d’autres agents, comme le cediranib et le pazopanib, sont évalués en première et en deuxième intention. Nous avons donc bon espoir que le traitement du cancer du rein continue de progresser», conclut-il.

Résumé

Le développement des agents ciblés progresse à la vitesse grand V, du moins en partie parce que des gains de survie substantiels sont associés au sunitinib dans le cancer du rein et à l’imatinib dans les GIST. Certes, ces agents ciblés sont déjà devenus des traitements de référence dans la pratique courante, mais ils représentent tout de même une démarche avant-gardiste dans le traitement du cancer qui consiste à stopper certains des processus moléculaires sous-jacents à la croissance tumorale. Le potentiel du sunitinib et de l’imatinib n’est probablement pas encore pleinement exploité, surtout au chapitre de l’association avec d’autres médicaments, y compris les agents ciblés dont la liste ne cesse de s’allonger.

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