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Effet protecteur des anesthésiques halogénés sur les organes

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

80e Congrès clinique et scientifique de l’International Anesthesia Research Society

San Francisco, Californie / 24-28 mars 2006

À une époque où les protocoles accélérés de sortie de la salle de surveillance post-interventionnelle (SSPI) jouent un rôle grandissant en chirurgie cardiaque, les anesthésiques volatils qui autorisent un réveil rapide peuvent revêtir une importance clé, affirme le Dr Thomas M. Hemmerling, CHUM-Hôtel Dieu, et professeur agrégé de clinique en anesthésiologie, Université de Montréal, Québec. Il semble que le sévoflurane et le desflurane aient des caractéristiques idéales en pareilles circonstances, car ils permettent tous deux un réveil rapide après la chirurgie. Cependant, peu d’études ont comparé le profil cardiaque de ces deux anesthésiques. Selon des données publiées, le sévoflurane aurait tendance à induire des bradycardies, tandis que, selon d’autres données, le desflurane pourrait causer des tachyarythmies chez certains patients.

«Les arythmies peuvent poser un problème chez certains patients et surviennent généralement deux ou trois jours après l’intervention, explique le Dr Hemmerling. Leur incidence varie énormément, mais elle peut atteindre 30 à 35 % et ne semble pas diminuer lorsque les pontages aortocoronariens se font sur cœur battant plutôt que sous circulation extracorporelle [CEC]. Selon notre propre expérience, le taux est d’environ 15 % lorsque les pontages aortocoronariens se font sur cœur battant sous sévoflurane.»

Données sur les arythmies

Deux anesthésiques halogénés ont fait l’objet d’une étude clinique randomisée dans laquelle 40 patients subissaient des pontages aortocoronariens sur cœur battant. L’anesthésie était maintenue par le sévoflurane ou le desflurane, à 1 CAM (concentration alvéolaire minimale) dans les deux cas. La fonction cardiaque faisait l’objet d’un monitorage continu à l’électrocardiogramme pendant l’intervention, puis jusqu’à 72 heures après l’intervention. Les autres paramètres évalués étaient notamment les taux de troponine T et de créatine kinase-MB (CK-MB), le mouvement régional des parois, la fraction d’éjection, le délai d’extubation, la fonction respiratoire et la stabilité hémodynamique.

Au départ, les caractéristiques démographiques et cliniques étaient similaires dans les deux groupes. La durée de l’intervention (150 à 160 minutes), le nombre de greffons (trois), la durée de l’ischémie (20 à 21 minutes) et le délai d’extubation (11 à 12 minutes) ne différaient pas non plus. Enfin, les résultats des épreuves de laboratoire et fonctionnelles étaient semblables.

Une fibrillation auriculaire (FA) et une tachycardie supraventriculaire (TSV) se sont manifestées chez un nombre significativement plus élevé de patients dans le groupe desflurane que dans le groupe sévoflurane (p<0,05 pour les deux comparaisons). On a signalé cinq cas de FA dans le groupe desflurane vs un cas dans le groupe sévoflurane, et cinq cas de TSV dans le groupe desflurane vs aucun cas dans le groupe sévoflurane. Enfin, quatre cas de bradycardie ont été signalés dans le groupe sévoflurane vs trois cas dans le groupe desflurane (Tableau 1).

Tableau 1. Types d’arythmies observés


Ces données sur les arythmies sont compatibles avec les données d’une analyse rétrospective antérieure qui portait sur des patients subissant des pontages aortocoronariens sur cœur battant, de faire valoir le Dr Hemmerling (Acta Anaesthesiol Belg 2005;56[2]:147-54). Les résultats ont révélé que, dans un contexte de pontages aortocoronariens sur cœur battant, le sévoflurane a entraîné significativement moins de cas de FA et de TSV que le desflurane tout en autorisant une extubation aussi rapide. «Pour l’instant, nous ne recommanderions pas le desflurane comme l’anesthésique volatil de choix pour une sortie rapide ou ultra-rapide de la SSPI des patients en chirurgie cardiaque», précise le Dr Hemmerling.

Une autre étude présentée au congrès visait à comparer le sévoflurane et l’isoflurane chez des patients subissant des pontages aortocoronariens sur cœur battant. L’étude regroupait 117 patients hospitalisés dans deux centres participants. Après randomisation, ces patients recevaient l’un ou l’autre agent pour le maintien de l’anesthésie sans protoxyde d’azote, explique la Dre Ellise Delphin, professeure titulaire et directrice de l’anesthésiologie, University of Medicine and Dentistry of New Jersey, Newark. Les patients des deux groupes étaient anesthésiés par l’étomidate, après quoi on leur administrait un myorelaxant à action intermédiaire pour faciliter l’intubation et maintenir le bloc neuromusculaire peropératoire. L’utilisation peropératoire du fentanyl se limitait à une dose de 5 mg/kg.

Les chercheurs ont procédé au mini-examen de l’état mental (MMSE) et au test de mémorisation avant l’intervention, quelques minutes après l’extubation et 90 minutes plus tard. La douleur a été évaluée à intervalles de 15 minutes pendant 90 minutes après l’extubation. Seize patients ont été exclus de l’analyse en raison de données incomplètes, de sorte que la comparaison portait sur 101 patients.

Les patients des deux groupes ne différaient pas quant aux caractéristiques initiales, et il n’y avait pas de différence non plus quant aux effets hémodynamiques et cardioprotecteurs des anesthésiques ni quant à la durée du séjour à l’unité des soins intensifs ou à la durée totale du séjour à l’hôpital. Les taux d’enzymes cardiaques (troponine, CK-MB, créatine phosphokinase [CPK]) ont été mesurés dans un sous-groupe de patients recevant le sévoflurane ou l’isoflurane. La différence entre les taux mesurés le jour de l’intervention, à 24 heures et à 48 heures n’a pas atteint le seuil de signification statistique.

Diminution du délai d’extubation

Le sévoflurane a été associé à une réduction significative du délai d’extubation par rapport à l’isoflurane, le délai moyen ayant été de 2 heures 56 minutes pour le sévoflurane vs 4 heures 17 minutes pour l’isoflurane (p<0,05). La variation moyenne du score au MMSE (sur une échelle de 0 à 30) était de -8,1 au moment de l’extubation et de -4,8 après 90 minutes dans le groupe sévoflurane; les valeurs correspondantes étaient comparables dans le groupe isoflurane (-9,2, -6,2). Le score du test de mémorisation (sur une échelle de 0 à 8) avait baissé en moyenne de 1,8 à l’extubation de même qu’à 90 minutes dans le groupe sévoflurane alors qu’il avait baissé respectivement de 1,7 et de 1,3 dans le groupe isoflurane.

Tableau 2. Variation des fonctions cognitives
es préopératoires

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À 24 heures, le score au MMSE ne s’était pas normalisé aussi rapidement chez les femmes que chez les hommes (p<0,006). La Dre Delphin a précisé à l’auditoire que ni ses collègues ni elle-même ne pouvaient expliquer clairement cette différence entre les sexes. Les scores de la douleur, par contre, différaient de manière significative 90 minutes après l’extubation. Le score de la douleur (sur une échelle de 0 à 10) se chiffrait en moyenne à 7,2 au moment de l’extubation dans le groupe sévoflurane vs 7,6 dans le groupe isoflurane; à 90 minutes, les scores moyens de la douleur se chiffraient respectivement à 5,7 et à 4,3 (p<0,05). La différence n’est pas étonnante, car les patients qui recevaient le sévoflurane ont été extubés plus tôt, de poursuivre la Dre Delphin. «Nous pouvons en conclure que l’isoflurane et le sévoflurane permettent tous deux une anesthésie stable et sûre sur le plan hémodynamique chez les patients qui subissent des pontages aortocoronariens sur cœur battant, sans que des narcotiques fortement dosés ne doivent être utilisés, affirme la Dre Delphin. Chez la femme, on observe parfois un retard du rétablissement des fonctions cognitives à 24 heures. Le sévoflurane a permis aux patients d’être extubés plus tôt et de retrouver leurs fonctions cognitives plus rapidement que l’isoflurane. Le soulagement de la douleur était sous-optimal dans les deux groupes.»

Innocuité en chirurgie générale

Des chercheurs sous la direction de la Dre Neera Sah, Magee-Womens Hospital, Pittsburgh, Pennsylvanie, ont exploré les différences éventuelles entre le desflurane et le sévoflurane au sein d’une population de patients subissant une chirurgie non cardiaque, plus précisément une gastroplastie laparoscopique pour le traitement d’une obésité morbide. L’obésité morbide comporte un risque de complications respiratoires postopératoires et de réveil tardif après une anesthésie générale, note la Dre Sah. En raison de leur faible coefficient de partage sang/gaz, ces deux anesthésiques volatils permettent un réveil rapide, d’où un risque potentiellement moindre de complications respiratoires postopératoires.

Une étude préalable avait fait ressortir un temps de réveil plus court chez des patients recevant du desflurane qui avaient subi une laparotomie, indique-t-elle (Ebert et Schmid. In: Barash et al., rédacteurs en chef. Clinical Anesthesia, 4e éd. Philadelphie, Pennsylvanie. Lippincott, Williams and Wilkins;2001:377-417).

L’étude regroupait 70 patients dont l’indice de masse corporelle (IMC) était supérieur à 35. Tous les patients devaient subir une gastroplastie laparoscopique sous anesthésie générale. Après randomisation, les patients recevaient l’un ou l’autre anesthésique. Les critères peropératoires étaient le temps écoulé entre l’arrêt de l’administration de l’agent anesthésique et l’ouverture des yeux et l’extubation. Les critères postopératoires – saturation en oxygène, tension artérielle, fréquence cardiaque, douleur, nausées (score sur l’échelle analogique visuelle [EAV]), vomissements, score d’Aldrete modifié et score au MMSE – étaient mesurés à l’arrivée à la SSPI, puis à intervalles de 15 minutes jusqu’au congé.

Les deux groupes de patients ne différaient pas quant aux caractéristiques initiales (sexe, âge et IMC). La durée de la chirurgie (environ 151 minutes) était aussi la même dans les deux groupes.

Le délai d’ouverture des yeux variait entre 4,5 et 5,5 minutes, le délai moyen d’extubation était d’environ 8 à 9 minutes et le durée du séjour en SSPI était de 144 minutes pour le sévoflurane vs 160 minutes pour le desflurane, différence qui n’a pas atteint le seuil de s
que (p=0,08) (Tableau 3).

Tableau 3. Résultats obtenus en SSPI

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«Notre étude n’a pas fait ressortir de différences réelles entre le desflurane et le sévoflurane chez ces patients, de conclure la Dre Sah. D’autres études ont mis en évidence une différence en faveur du desflurane, mais la plupart de ces études antérieures portaient sur la gastroplastie à ciel ouvert, de sorte que la durée de l’intervention était beaucoup plus longue. La durée inférieure à 2,5 heures chez tous les patients explique probablement l’absence de différence entre les deux anesthésiques. Essentiellement, nous avons démontré que le sévoflurane et le desflurane sont aussi appropriés l’un que l’autre si la chirurgie dure moins de 2,5 heures.»

Anesthésie profonde

L’anesthésie profonde soulève d’autres problèmes concernant l’innocuité et l’efficacité des anesthésiques halogénés. Diverses communications présentées au congrès ont jeté plus de lumière sur ces problèmes dans différents contextes cliniques.

L’inhalation d’un anesthésique halogéné à une concentration élevée permet une induction rapide et en douceur de l’anesthésie générale tout en réduisant au minimum l’impact sur les paramètres hémodynamiques systémiques (Anesth Analg 2001;93:1185-7). Cette technique est utile pour les interventions de courte durée en ambulatoire. Cependant, le délai d’induction peut varier selon l’âge, la capacité vitale (CV) et le débit cardiaque du patient. Des chercheurs de la faculté de médecine de l’Université Kanazawa, Uchinada, Japon, ont évalué les effets de divers paramètres des fonctions respiratoire et cardiaque préopératoires sur le délai d’induction sous sévoflurane.

L’étude portait sur 27 patients devant subir une chirurgie non urgente sous anesthésie générale. La spirométrie et la pléthysmographie corporelle ont été réalisées plusieurs jours avant l’intervention chirurgicale. La CV et la capacité résiduelle fonctionnelle (CRF) ont été comparées avec les valeurs théoriques en fonction de l’âge et du sexe, puis exprimées en pourcentage de ces valeurs théoriques. L’indice bispectral faisait aussi l’objet d’un monitorage.

Portant un casque d’écoute, les patients se faisaient ordonner d’inspirer, de serrer une balle de caoutchouc rattachée à un transducteur de pression, d’expirer, puis de serrer la balle à nouveau. Ces ordres étaient répétés aux 12 secondes. L’anesthésie a été induite par le sévoflurane à 2,5 CAM (corrigée en fonction de l’âge) et l’oxygène. Les chercheurs ont mesuré le délai entre le début de l’inhalation de l’anesthésique et la perte du réflexe ciliaire, l’incapacité de serrer la balle et la baisse de l’indice bispectral en deçà de 60.

La perte du réflexe ciliaire est survenue à 42 secondes; venaient ensuite l’incapacité de serrer la balle (66 secondes) et la baisse de l’indice bispectral sous le seuil de 60 (99 secondes). Aucune caractéristique préopératoire n’était corrélée avec la perte du réflexe ciliaire. Les chercheurs ont observé une corrélation positive entre l’intervalle précédant l’incapacité de serrer la balle et l’âge (p=0,02) et une corrélation négative entre ce même intervalle et le volume résiduel (p=0,015) et la CRF (p=0,042). Seul l’âge était corrélé positivement avec le délai d’atteinte d’un indice bispectral inférieur à 60 (p=0,004).

Les chercheurs en ont conclu que l’âge est le facteur prédictif le plus fiable du délai d’induction par le sévoflurane à 2,5 CAM. Les résultats semblent indiquer que le volume résiduel en pourcentage, la CRF en pourcentage et l’indice cardiaque préopératoire ne risquent pas de prolonger le délai d’induction par l’anesthésique à 2,5 CAM.

L’anesthésie profonde peut causer une hypoperfusion et une ischémie des organes cibles, ce qui soulève des questions d’innocuité, expliquent la Dre Helen Li, University of Texas Medical Branch, Galveston, et ses collègues. L’innocuité de l’anesthésie profonde dans le traitement par suppression des bouffées d’activité du tracé EEG (BST, pour burst suppression therapy) a été examinée dans un groupe de patients souffrant de dépression unipolaire ou bipolaire sévère et réfractaire.

Les patients avaient reçu un total cumulatif de 197 séances de BST par le sévoflurane, chacune donnant lieu à au moins deux minutes consécutives de silence électrocérébral. Les patients étaient intubés après l’induction et maintenus sous anesthésie par le sévoflurane à 8 % jusqu’à ce que l’on observe un silence électrocérébral de deux minutes. Les chercheurs avaient recours aux paramètres de monitorage standard de l’American Society of Anesthesiologists et à un EEG à cinq dérivations.

En fin d’expiration, la CAM de l’agent se situait entre 2,4 et 3,5, et l’exposition à l’anesthésie profonde (de l’intubation à l’arrêt de l’administration du sévoflurane) variait entre 21 et 42 minutes. Tous les patients ont reçu le Ringer lactate comme solution de remplissage vasculaire pour l’hypotension, et certains ont aussi reçu de l’éphédrine ou de la phényléphrine. Aucun patient n’a subi d’infarctus du myocarde, d’AVC ou d’épisode ischémique cliniquement significatif au cours de l’intervention.

La Dre Li et ses collègues en ont conclu que le BST par le sévoflurane pourrait être utilisé sans entraîner de complications graves, pour autant que l’anesthésique fasse l’objet d’une surveillance étroite avant et pendant la chirurgie.

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