Comptes rendus

Stratégies de réduction du risque d’AVC ischémique : incidence et retombées
Le rôle des antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II dans la prévention des AVC

Frappe Préventive : Cibler le SRA à l’étape de son Activation

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

79es Séances scientifiques de l’American Heart Association

Chicago, Illinois / 12-15 novembre 2006

Revu par : Richard Z. Lewanczuk, MD, PhD, FRCPC

Professeur titulaire de médecine Division d’endocrinologie et de métabolisme University of Alberta Edmonton, Alberta

Dans le traitement de l’hypertension, la réduction de la tension artérielle (TA) est essentielle; toutefois, à baisse tensionnelle comparable, les agents des différentes classes d’antihypertenseurs n’offrent pas la même protection des organes cibles. Les inhibiteurs de l’ECA et les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine (ARA) sont associés à un effet protecteur contre l’insuffisance rénale terminale et les maladies cardiovasculaires (CV) évolutives comme l’insuffisance cardiaque. Ces classes inhibent toutes deux les effets d’une régulation positive du système rénine-angiotensine (SRA). L’importance de ce mécanisme d’action a été validée dans des essais ayant démontré la supériorité des agents dirigés contre le SRA par rapport à un traitement de référence pour des paramètres d’évaluation majeurs comme l’infarctus du myocarde ou la mortalité CV, même lorsque les traitements comparés s’équivalent sur le plan tensionnel. Les inhibiteurs directs de la rénine (IDR), une nouvelle classe de composés qui agissent sur cette même voie enzymatique, pourraient ajouter aux bienfaits des inhibiteurs de l’ECA et des ARA grâce à un mode d’action beaucoup plus spécifique des effets physiopathologiques de la régulation positive du SRA.

Lorsqu’une nouvelle classe d’antihypertenseurs est en développement, la première étape est de démontrer l’abaissement de la TA. Selon un examen des données d’essais cliniques sur l’aliskiren effectué à l’American Heart Association (AHA), l’IDR s’est révélé à cet égard au moins comparable à d’autres agents ciblant le SRA. Dans l’une des premières études de détermination de la dose — au cours de laquelle 226 patients hypertendus avaient reçu, après randomisation, l’une de quatre doses d’aliskiren ou le losartan à 100 mg — on n’a pas observé de différence d’efficacité antihypertensive significative entre l’aliskiren et l’ARA pour toutes les doses évaluées à l’exception de la plus faible (Stanton et al. Hypertension 2003;42:1137-43).

Selon le Dr Michael Weber, SUNY Downstate College of Medicine, Brooklyn, qui a dirigé l’examen des données sur l’antihypertenseur à l’AHA, les études subséquentes ont non seulement confirmé son activité antihypertensive mais également mis en évidence un effet additif lorsque l’aliskiren est associé à d’autres types d’antihypertenseurs, y compris des agents ciblant le SRA. Parmi les études citées par le Dr Weber, l’une a évalué l’association de l’IDR avec un diurétique, soit l’hydrochlorothiazide (HCTZ), et une autre, l’association avec un inhibiteur de l’ECA, soit le ramipril. Dans les deux cas, le traitement associatif a davantage réduit la TA que l’un ou l’autre composé en monothérapie. Dans l’étude sur l’IDR et l’inhibiteur de l’ECA, par exemple, le ramipril à 10 mg a réduit la TA systolique de 12,0 mmHg, l’aliskiren à 300 mg a été associé à une réduction de 14,7 mmHg, et l’association a engendré une réduction de 16,6 mmHg (p<0,001 vs ramipril seul).

Si les réductions tensionnelles autorisées par les IDR étaient prévisibles, les espoirs que suscitent ces agents résident plutôt dans leur potentiel protecteur à l’égard des organes cibles. Rappelant l’importance de la rénine comme cible thérapeutique, le Dr Bradford Berk, University of Rochester Medical Center, New York, a expliqué que, par son effet sur le SRA, la rénine participe à la régulation de la tension artérielle, de la fonction cardiovasculaire et de la volémie. La sécrétion de rénine est une première étape clé dans la cascade d’événements aboutissant à la production de l’angiotensine II, laquelle favorise la vasoconstriction, l’hypertrophie vasculaire et cardiaque, la régulation positive de facteurs prothrombotiques et l’agrégation plaquettaire. L’inhibition des effets de l’angiotensine II est le mode d’action présumé des inhibiteurs de l’ECA et des ARA; toutefois, les inhibiteurs de l’ECA ne bloquent qu’une seule des voies qui convertissent l’angiotensine I en angiotensine II, et les ARA s’opposent aux actions de l’angiotensine II seulement après l’augmentation de ses taux circulants. En inhibant la rénine, les IDR bloquent cette voie à une étape limitante — la conversion de l’angiotensinogène en angiotensine I — et enrayent ainsi toute la cascade d’événements subséquents (Figure 1).

Figure 1. Inhibition de la rénine


LES INHIBITEURS DIRECTS DE LA RÉNINE : UNE NOUVELLE CLASSE

Le potentiel que recèlent les IDR pour freiner ou même enrayer les atteintes du rein et du cœur n’est pas une découverte récente. Comme le note le Dr Berk, lespremiers travaux sur cette classe ont été effectués voilà plus de dix ans avec des agents s’administrant par voie intraveineuse. Étant donné que ces préparations se prêtent mal au traitement d’une maladie chronique, l’évaluation de leur utilité clinique demeurait partielle avant qu’on réussisse à synthétiser des agents actifs par voie orale. Bien que les perspectives prometteuses de cette classe s’appuient sur les travaux effectués sur l’aliskiren — molécule la plus près de l’homologation — les données sur d’autres composés à des stades moins avancés de développement confirment l’intérêt et la faisabilité de cibler l’inhibition de la rénine.

Par rapport aux inhibiteurs de l’ECA et aux ARA, les IDR ont un avantage qui réside dans leur capacité d’inhiber la rénine sans provoquer de stimulation contre-productive de l’ARP. Dans une analyse des données regroupées de quatre essais cliniques randomisés à double insu qui a été présentée au congrès (Gradman et al. Circulation 2006;114[suppl 2]:II-773, résumé 3620), on a constaté une augmentation de l’ARP de plus de 70 % chez les sujets ayant reçu l’HCTZ à 25 mg, et de plus de 110 % chez les sujets ayant reçu le ramipril à 10 mg ou l’irbesartan à 150 mg. Au contraire, l’aliskiren était associé à une réduction de 70 % de l’ARP par rapport aux valeurs de départ (p<0,0001). L’auteur principal de cette étude, le Dr Alan Gradman, chef, division des sciences cardiovasculaires, The Western Pennsylvania Hospital, Pittsburgh, a cité une analyse antérieure qui montre que l’ARP a diminué de 65 % par rapport aux valeurs de départ et s’est maintenue à ce niveau lorsque l’aliskiren était associé au valsartan, un ARA (Azizi et al. J Am Soc Nephrol 2004;15:3126-33).

Jusqu’ici, les données probantes qui accréditent les effets rénoprotecteurs et cardioprotecteurs des IDR proviennent surtout d’études expérimentales. Selon le Pr A.H. Jan Danser, PhD, professeur titulaire de pharmacologie, Centre médical Érasme, Rotterdam, Pays-Bas, ce domaine de recherche connaît des progrès rapides, dont la mise en évidence récente d’un récepteur de la prorénine à la surface des cellules des tissus des organes cibles tels que le rein et le cœur. Ces récepteurs de la prorénine, qui peuvent être stimulés lorsque la rénine est régulée à la hausse, sont incriminés dans diverses activités potentiellement pathogènes, dont certaines pourraient ne pas être directement liées à la régulation positive de l’angiotensine II.

PROTECTION RÉNALE

Dans l’un de plusieurs modèles examinés par le Pr Danser, la comparaison de l’aliskiren et du valsartan a montré que, à doses équivalentes sur le plan de l’efficacité antihypertensive, l’IDR a freiné la progression de la néphropathie aussi efficacement que le valsartan (Pilz et al. Hypertension 2005;46:569-76). Des souris transgéniques exprimant les gènes humains codant pour la rénine et l’angiotensinogène ont reçu l’une de deux doses d’aliskiren ou l’une de deux doses de valsartan, ou n’ont reçu aucun traitement après un appariement des groupes selon le degré d’albuminurie. Les souris non traitées ont présenté une élévation de la TA systolique, une progression de l’albuminurie et une augmentation de la créatinine sérique. La dose la plus élevée de valsartan (10 mg/kg/jour) — qui avait auparavant été associée à un effet protecteur contre les lésions aux organes cibles — était plus efficace que la dose plus faible (1 mg/kg/jour) pour réduire la TA et l’albuminurie. De même, la dose la plus forte d’aliskiren (3 mg/kg/jour) a été plus efficace que la dose plus faible (0,3 mg/kg/jour) pour réduire la TA et l’albuminurie et normaliser la créatinine sérique. Les réductions de la TA et de l’albuminurie associées à la dose la plus élevée de l’ARA et de l’IDR étaient de même ordre. Au terme de l’étude, la mortalité était de 100 % dans le groupe des souris non traitées, de 26 % dans le groupe de la plus faible dose de valsartan, et de 0 % dans les groupes de l’une ou l’autre dose d’aliskiren et de la dose la plus élevée de valsartan.

Un autre exemple de protection des organes cibles démontré dans un modèle animal a été présenté au congrès de l’AHA de 2006 (Lu et al. Circulation 2006;114[suppl II]: II-215, résumé 1154). Des souris mâles dépourvues d’un récepteur des LDL ont reçu l’une de deux doses d’aliskiren ou de son excipient. Toutes les souris ont été soumises à un régime riche en graisses. Alors que la TA a monté dans le groupe témoin sous excipient, elle a baissé dans le groupe aliskiren. La concentration de cholestérol total et le stress oxydant n’ont pas varié dans le groupe IDR. Si les auteurs n’ont pas observé de signes d’athérosclérose chez les souris sous traitement actif, ils ont par contre noté une athérosclérose notable dans le groupe sous excipient. Comme ils le notent, bien que d’autres agents ciblant le SRA aient également prévenu la survenue de lésions d’athérosclérose dans des modèles similaires, il s’agit de la première preuve expérimentale de cet effet de l’inhibition directe de la rénine. Contrairement aux inhibiteurs de l’ECA, dont une part des effets pourrait être imputée à leur capacité d’augmenter le taux de bradykinine, ou aux ARA, qui pourraient exercer un effet protecteur en stimulant les récepteurs AT2, les inhibiteurs de la rénine n’ont pas d’effets connus sur d’autres voies.

Ces études ne font pas qu’illustrer les avantages potentiels des IDR par rapport à d’autres composés, mais éclairent également la physiopathologie de la maladie CV et rénale. La régulation positive du SRA est l’un des états pathologiques qui semblent lier la dysfonction vasculaire à la maladie clinique activée non seulement par l’hypertension mais également par ladyslipidémie et l’altération du métabolisme glucidique. Le Dr Thomas Giles, Tulane University School of Medicine, La Nouvelle-Orléans, Louisiane, a insisté sur cette corrélation dans la revue qu’il a faite des efforts déployés pour obtenir une meilleure maîtrise de l’hypertension. S’appuyant sur cette corrélation, l’American Society of Hypertension Writing Group a proposé l’année dernière une nouvelle définition de l’hypertension (Giles et al. J Clin Hypertens (Greenwich) 2005;7:505-12) qui ne repose plus sur des seuils tensionnels donnés. Dans cette définition, le groupe de rédaction soutient que «la classification de l’hypertension ne peut pas s’appuyer uniquement sur des seuils tensionnels distincts»; plus exactement, «la progression est fortement associée à des anomalies cardiovasculaires fonctionnelles et structurales qui altèrent le cœur, les reins, le cerveau, le système vasculaire et d’autres organes, et aboutissent à une morbidité et à une mortalité prématurées.»

PRÉVENIR LES LÉSIONS AUX ORGANES CIBLES :Ll’OBJECTIF UTIME

Les IDR sont un outil supplémentaire bienvenu dans l’arsenal du traitement de l’hypertension à la fois parce qu’ils l’enrichissent d’un nouveau mécanisme antihypertenseur et qu’ils ont la capacité potentielle d’améliorer le pronostic indépendamment de leurs effets sur la TA. Selon le Dr Giles, la mise au point de nouvelles molécules est très importante si l’on songe que nous n’avons pas encore réussi à atteindre les cibles tensionnelles pour tous les patients hypertendus. L’atteinte des cibles tensionnelles reste inférieure à 50 % chez les patients traités en dépit du fait que les cibles établies ne sont peut-être pas optimales, prévient-il. Selon ce dernier, les données épidémiologiques laissent supposer que le niveau tensionnel auquel la morbidité CV commence à s’accentuer se situe quelque part entre 115/75 et 125/80 mmHg, en particulier chez les patients qui présentent des facteurs de risque multiples (Lewington et al. Lancet 2002;360:1903-13). Au Canada, la situation n’est pas meilleure; par exemple, selon une estimation, seulement 16 % des patients atteignent leurs cibles tensionnelles (Khan et al. Can J Cardiol 2002;18:657-61).

Étant donné le vaste choix d’agents qui nous est proposé parmi six classes d’antihypertenseurs, on s’entend généralement pour penser que l’incapacité à maîtriser l’hypertension est une question de doses inadéquates ou de mauvaise observance. Bien que ces problèmes soient importants, le Dr Giles estime qu’il s’impose d’améliorer les stratégies de traitement associant des agents dotés de mode d’action complémentaires. L’expansion du nombre d’options de traitement bien tolérées est un pas important vers la multiplication des possibilités d’associations sûres et efficaces, en particulier parce qu’un traitement insuffisamment énergique et une mauvaise observance peuvent tous deux découler de problèmes de tolérabilité. Outre le fait qu’ils exercent un effet antihypertenseur puissant, les IDR n’ont jusqu’ici été associés à aucun effet indésirable significatif dans les essais cliniques.

RÉSUMÉ

Le principal obstacle à la réduction du risque de progression de la néphropathie et de la maladie CV est notre incapacité actuelle à parvenir à la maîtrise rigoureuse des facteurs de risque modifiables, y compris l’hypertension. L’activité des agents n’est pas le seul facteur en cause. Il faut aussi que les traitements soient faciles à utiliser et bien tolérés. Les attributs des IDR, qui sont en bonne voie de constituer la prochaine classe d’antihypertenseurs, réunissent notamment l’activité antihypertensive, la compatibilité avec d’autres antihypertenseurs et un faible risque d’effets indésirables. De plus, les IDR pourraient accroître l’éventail des options conférant des avantages indépendants de l’effet antihypertenseur. S’ils agissent sur la même voie enzymatique que les inhibiteurs de l’ECA et les ARA — classes qui se sont révélées toutes deux capables de prévenir la progression de la maladie rénale et CV sans égard à leurs effets antihypertenseurs — les IDR interviennent à une étape plus fondamentale du mécanisme de régulation positive du SRA et n’augmentent pas l’ARP. Composé dont le processus d’évaluation clinique est le plus avancé parmi les IDR, l’aliskiren s’est montré doté d’effets antihypertenseurs puissants et d’un profil d’innocuité semblable à celui d’un placebo lors des premiers essais cliniques. Il s’agit maintenant de déterminer si les médicaments de cette classe peuvent inhiber plus directement le processus physiopathologique induit par la régulation positive du SRA.

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