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Greffe de cellules souches : Prophylaxie primaire et secondaire des infections fongiques invasives

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

PRESSE PRIORITAIRE - 37e Assemblée annuelle du European Group for Blood and Marrow Transplantation

Paris, France / 3-6 avril 2011

Au début des années 1990, la prophylaxie anti-Candida a été associée à une prolongation de la survie des allogreffés de cellules souches (CS), mais les établissements de santé ont ensuite observé une augmentation des infections à moisissures, en particulier des aspergilloses invasives (AI). «Il s’agissait pour la plupart d’infections survenant tardivement après la greffe et durant la maladie du greffon contre l’hôte [GVHD]», affirme la Dre Kieren Marr, professeure titulaire de médecine, Johns Hopkins School of Medicine, Baltimore, Maryland.

L’AI demeure associée à des taux élevés de mortalité. En 2007, ce qui est somme toute assez récent, le taux de mortalité 3 mois après un diagnostic d’AI se chiffrait toujours à 30 %. «Force nous est de constater que les résultats sont encore médiocres», poursuit-elle.

Risque élevé d’AI

Les patients qui reçoivent une allogreffe de CS sont exposés à un risque élevé d’AI et d’autres infections fongiques invasives (IFI). La Dre Marr a cité à cet égard deux études sur la prophylaxie antifongique par le fluconazole et l’itraconazole au sein de populations d’allogreffés de CS. Bien que le nombre de cas d’AI ait été significativement plus faible sous itraconazole que sous fluconazole, l’itraconazole n’a pas été associé à une augmentation des probabilités de survie (Blood 2004;103[4]:1527-33; Ann Intern Med 2003;138[9]:705-13).

«Cela est très inquiétant», fait remarquer la Dre Marr, ajoutant que l’absence d’écart significatif au chapitre de la survie pourrait tenir à la ‘censure informative’. Si un médicament toxique est administré suffisamment longtemps, explique-t-elle, les patients les plus à risque peuvent être éliminés de l’analyse statistique en raison de la toxicité du médicament ou de leur décès. «Ce n’est évidemment pas l’objectif que nous visons lorsque nous prescrivons un médicament à des fins de prophylaxie», souligne la Dre Marr.

Tentant d’éliminer les conséquences potentiellement trompeuses de la censure informative, la Dre Marr et ses collaborateurs ont conçu une étude à double insu qui visait à comparer deux antifongiques, le voriconazole et le fluconazole, et ont retenu comme paramètre principal le taux de survie sans infection fongique (SSIF) 6 mois après la greffe. La durée du traitement était de 100 jours (ou 180 jours dans certaines circonstances); le voriconazole était administré à raison de 200 mg 2 fois/jour, dose relativement faible, et le fluconazole, à raison de 400 mg/jour. Un traitement antifongique empirique était permis pendant au plus 2 semaines pour les IFI suspectées. Les patients étaient majoritairement exposés à un risque standard; la plupart avaient reçu une allogreffe d’un donneur apparenté compatible, et la maladie sous-jacente la plus répandue était une leucémie aiguë myéloblastique (LAM).

De 0 à 180 jours après la greffe, le nombre d’IFI était plus faible dans le groupe voriconazole (22) que dans le groupe fluconazole (33), mais l’écart entre les deux n’était pas statistiquement significatif. «Cette différence tient au nombre moindre d’infections à Aspergillus dans le groupe voriconazole», précise la Dre Marr.

À 6 mois, il n’y avait aucune différence entre les deux antifongiques quant au taux de SSIF, mais une analyse post hoc regroupant exclusivement les patients atteints de LAM a révélé que le voriconazole était associé à un taux plus élevé de SSIF et à un nombre moindre d’IFI, ajoute-t-elle. Le choix du taux de SSIF 6 mois après la greffe comme paramètre principal a peut-être été «malencontreux», dit-elle, car d’autres événements non liés aux IFI pourraient avoir causé la mort. «Il est important de garder ce facteur à l’esprit, car il a pu avoir eu un impact sur nos conclusions.»

Dans le cadre d’un essai fort différent où l’on comparait le posaconazole et le fluconazole, les deux antifongiques étaient administrés au moment du diagnostic de GVHD symptomatique chez des patients qui, pour la plupart, souffraient de leucémie myéloïde chronique. Les résultats ont montré que le posaconazole était supérieur au fluconazole pour la prévention d’IFI, mais on n’a observé aucune différence entre les deux groupes au chapitre de la survie.

«Lorsqu’on mesure la SSIF, un certain nombre d’événements peuvent diluer la possibilité de faire ressortir une différence dans le groupe voriconazole, à plus forte raison si l’on mesure le paramètre très longtemps après la greffe, explique la Dre Marr. À mon sens, les études semblent indiquer que nous pouvons prévenir les infections fongiques en administrant des antifongiques à des fins prophylactiques.»

Le Dr Tony Pagliuca, directeur des transplantations, King’s College Hospital, Londres, Royaume-Uni, a passé deux études en revue : l’étude IMPROVIT sur la prophylaxie primaire qui n’a pas encore été publiée et l’étude VOSIFI sur la prophylaxie secondaire ciblée chez des greffés de CS ayant des antécédents d’IFI prouvée ou probable. «IMPROVIT a été la première étude internationale à comparer deux agents [antifongiques]», précise le Dr Pagliuca.

Résultats d’une étude sur la prophylaxie primaire

Dans le cadre de l’étude IMPROVIT, 489 allogreffés de CS ont reçu une prophylaxie primaire par le voriconazole ou l’itraconazole pendant au moins 100 jours (180 jours chez les patients dont la GVHD était active). Le paramètre principal mixte regroupait la survie à 180 jours et l’absence d’IFI prouvée ou probable durant le traitement. L’analyse principale avait pour objectif de démontrer la non-infériorité du voriconazole et, le cas échéant, d’évaluer sa supériorité éventuelle.

À 180 jours, 49 % des patients sous voriconazole avaient atteint le paramètre principal vs 33 % des patients sous itraconazole, ce qui représente un écart statistiquement significatif (p<0,001). De plus, les résultats ont objectivé la non-infériorité et la supériorité du voriconazole par rapport à l’itraconazole, ajoute le Dr Pagliuca. Comme ce fut le cas dans d’autres études, le taux de survie à 180 jours était semblable dans les deux groupes : 84 % sous voriconazole et 85 % sous itraconazole.

Pourtant, une «différence évidente» et statistiquement significative s’est dégagée entre les groupes quant à la durée médiane de la prophylaxie : 96 jours sous voriconazole vs 68 jours sous itraconazole. La probabilité de recevoir d’autres antifongiques était aussi significativement plus faible chez les patients sous voriconazole que chez les patients sous itraconazole, et ces derniers ont été nombreux à passer au voriconazole ou à un autre antifongique. L’intervalle précédant la survenue d’une IFI était environ 30 à 40 jours plus court sous itraconazole, mais peu de patients de l’un ou l’autre groupe ont développé une IFI (environ 2 % des sujets de chaque groupe).

«Dans cette étude, la supériorité du voriconazole tient à un meilleur profil de toxicité à long terme, enchaîne le Dr Pagliuca. La prophylaxie primaire de longue durée par le voriconazole est une option sûre et efficace pour la prévention des IFI chez les allogreffés.»

Résultats d’une étude sur la prophylaxie secondaire

Concernant les greffés de CS les plus à risque en raison de leurs antécédents d’IFI, le Dr Pagliuca a passé en revue l’étude VOSIFI dont les résultats viennent d’être publiés (Haematologica 2010;95[10]:1762-8). Dans le cadre de cette étude, 45 patients ayant des antécédents d’IFI prouvée ou probable au cours des 12 mois précédents ont reçu pendant 100 jours un traitement prophylactique par le voriconazole qui était amorcé au plus 48 heures après la chimiothérapie de conditionnement. Au sein de la cohorte, 58 % des sujets avaient eu une aspergillose probable et 13 %, une aspergillose prouvée.

À 12 mois, l’incidence cumulative d’IFI avait atteint 6,7 %, alors que le taux de récidive est habituellement voisin de 30 %. Un seul des 45 patients est décédé durant le suivi et aucun cas d’aspergillose n’a été rapporté après la greffe.

«VOSIFI a été le premier essai prospectif sur la prophylaxie secondaire dans cette population à risque élevé, et il ressort des résultats que le voriconazole semble sûr et efficace pour protéger les patients contre les IFI récidivantes après une allogreffe de CS», conclut le Dr Pagliuca.

Le pour et le contre de la prophylaxie primaire

Bien qu’il ait été démontré que les antifongiques protègent contre les IFI, les conditions de la mise en route de la prophylaxie primaire doivent être clarifiées dans le contexte du risque d’IFI et de la possibilité d’un diagnostic rapide dans un centre de transplantation. De l’avis de la Dre Marr, ce ne sont pas tous les patients à risque qui devraient recevoir une prophylaxie primaire. «L’utilisation de ces médicaments expose le patient à un risque, et nous devons comprendre que ce risque peut être plus grand que le risque d’IFI», explique-t-elle.

Il est essentiel d’évaluer la vulnérabilité individuelle aux effets toxiques des antifongiques, souligne la Dre Marr. Si un patient présente déjà des anomalies hépatiques, par exemple, l’administration d’un médicament potentiellement hépatotoxique est une variable importante.

Le Dr Pagliuca estime pour sa part que tous les patients à risque devraient recevoir une prophylaxie primaire, mais qu’il faut prendre en compte à la fois le risque d’exposer le patient à une infection à moisissures et les ressources diagnostiques dont dispose l’établissement. «Certains médecins penchent pour la prophylaxie primaire, d’autres pour le traitement précoce dès le diagnostic, [...] c’est une question de philosophie», dit-il. Si votre établissement a la technologie et l’expertise nécessaires pour diagnostiquer l’IFI tôt, «peut-être opterez-vous pour un diagnostic précoce», poursuit-il. Par contre, si votre établissement n’a ni la technologie ni l’expertise pour intervenir rapidement lorsqu’une IFI est suspectée, «peut-être vous rangerez-vous du côté de la [prophylaxie] primaire».

À en juger par une analyse de la base de données européenne la plus complète qui soit sur les infections fongiques, le dosage du galactomannane par la méthode ELISA à partir de sérum ou de liquide de lavage broncho-alvéolaire (LBA) est le test le plus sensible que l’on ait pour le diagnostic d’une AI : la sensibilité de ce dosage dans le liquide de LBA est en effet supérieure à 80 % lorsqu’on utilise 0,5 comme valeur-seuil.

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