Comptes rendus

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Implications de la pression intraoculaire et du débit sanguin oculaire dans le glaucome

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

Le 6e Symposium international sur la pharmacologie et la thérapeutique de l’œil

Berlin, Allemagne / 30 mars-2 avril 2006

D’abondantes données montrent que l’utilisation prolongée d’agents topiques renfermant des conservateurs d’usage courant peut altérer la surface de l’œil, causant ainsi malaises, instabilité du film lacrymal, inflammation de la conjonctive, fibrose sous-conjonctivale, apoptose épithéliale et atteinte de la surface cornéenne, autant de facteurs qui peuvent accroître le risque d’échec de toute chirurgie subséquente pour le glaucome. De l’avis du Dr Christophe Baudouin, Centre Hospitalier National d’Ophtalmologie des Quinze-Vingts, Paris, France, «on observe une inflammation subclinique chez environ 80 % des patients qui reçoivent un traitement topique à long terme, surtout chez les 40 % de patients qui prennent une association de deux, trois, voire quatre médicaments. Le conservateur est la cause du problème dans 90 % des cas.»

Après deux ou trois ans de traitement, la quasi-totalité des patients présentent une sécheresse oculaire et une altération du film lacrymal. Dans quelques cas, on observe un tissu cicatriciel et une fibrose au niveau de la conjonctive et de la cornée, ce qui est impossible à traiter, même par voie chirurgicale, en raison de la présence d’inflammation. C’est particulièrement dangereux en présence d’une maladie comme le glaucome qui peut entraîner la cécité. Il va de soi que pareils effets indésirables influent négativement sur l’observance du traitement; en effet, près de 40 à 50 % des patients glaucomateux ne sont pas fidèles à leur traitement, d’ajouter le Dr Baudouin. «Dans la mesure du possible, nous devons privilégier les médicaments sans conservateur», dit-il.

C’est une erreur que d’attribuer ces effets indésirables à une allergie à l’ingrédient actif du composé, d’enchaîner le Dr Baudouin. Le plus souvent, c’est l’effet toxique direct d’un conservateur d’usage courant qui est en cause. Lors d’études expérimentales et cliniques, il a été démontré que l’instillation de chlorure de benzalkonium (BAK), le conservateur le plus utilisé, à des concentrations de 0,015 à 0,05 % entraîne systématiquement des effets toxiques. Le BAK étant un ammonium quaternaire, il cause une instabilité du film lacrymal, la perte de cellules calciformes, une métaplasie pavimenteuse, l’apoptose épithéliale, la rupture de la barrière épithéliale de la cornée, la perte de cellules endothéliales s’il pénètre dans la chambre antérieure, voire la rupture de la barrière hémato-aqueuse au début de la pseudophakie. Les collyres renfermant du BAK ont été incriminés dans la pseudopemphigoïde cicatricielle oculaire, la kératinisation conjonctivale et l’uvéite antérieure. On a rapporté un taux de sensibilisation au BAK d’environ 6 % chez les patients souffrant d’une conjonctivite ou d’une dermatite de contact des paupières. «Les ammoniums quaternaires sont extrêmement toxiques du fait qu’ils sont lipophiles et qu’ils détruisent tout ce qui est lipidique, y compris les membranes de l’œil et le film lacrymal lipidique», explique le Dr Baudouin.

Le dorzolamide, inhibiteur de l’anhydrase carbonique (IAC), et l’association fixe dorzolamide/timolol sont les seuls médicaments topiques sans conservateur pour le glaucome que l’on trouve au Canada. En ophtalmologie, le Canada est le seul pays au monde où l’on utilise ces deux préparations de l’IAC sans conservateur pour éviter les réactions potentiellement allergiques, toxiques et inflammatoires associées aux conservateurs.

Débit sanguin oculaire

«Il est certain que la pression intraoculaire [PIO] est un facteur de risque du glaucome, mais l’élévation de la PIO n’explique pas tous les cas cliniques», souligne le Dr Peter Netland, Hamilton Eye Institute, University of Tennessee, Memphis. «Dans le glaucome à pression normale, on observe souvent une progression de la maladie malgré une PIO faible. Par contre, chez beaucoup de patients qui présentent une hypertension oculaire, on n’observe pas de progression malgré une PIO élevée. Ces observations ont amené les chercheurs à envisager la possibilité de facteurs de risque non liés à la PIO, dont le débit sanguin oculaire [DSO].»

Dans le cadre d’une revue factuelle de 606 articles, le Dr Netland a cerné des données probantes à l’appui de la théorie voulant que les anomalies du DSO soient courantes chez les patients glaucomateux et que les médicaments antiglaucomateux puissent améliorer le DSO. Selon les pratiques privilégiées par l’American Academy of Ophthalmology, «une PIO élevée n’est pas nécessaire au diagnostic du glaucome». Par ailleurs, selon la Société européenne du glaucome, la «progression de la neuropathie optique glaucomateuse dépend non seulement de la PIO, mais également de la perfusion vasculaire de la tête du nerf optique [TNO]».

Il y a une interaction entre l’élévation de la PIO et l’ischémie qui semble pertinente dans la pathogenèse de la maladie. La dysfonction vasculaire et l’ischémie pourraient déclencher la libération de glutamate et lancer une cascade d’événements menant à l’apoptose des cellules ganglionnaires de la rétine, et ces événements sont tous indépendants de la PIO, explique-t-il. Il pourrait s’agir d’anomalies de la pression de perfusion, d’un trouble de l’autorégulation, d’un vasospasme et d’anomalies circulatoires. L’autorégulation permet de maintenir le débit sanguin constant malgré les variations de la pression de perfusion dans l’œil, poursuit le Dr Netland. Il est devenu évident que l’autorégulation est atypique en présence de glaucome. Des chercheurs allemands ont récemment démontré que le dorzolamide améliore l’autorégulation vasculaire dans le glaucome (Nagel et al. Curr Eye Res 2005;30[2]:129-37).

De l’avis du Dr Mark R. Lesk, département d’ophtalmologie, Université de Montréal, Québec, les renseignements les plus complets que l’on trouve sur les collyres utilisés dans le glaucome concernent le dorzolamide, qui semble le seul agent topique à améliorer systématiquement le débit sanguin des vaisseaux menant à la choroïde, à la rétine, à l’anneau rétinien, au clivus et fort probablement au compartiment rétrobulbaire. L’IAC semble agir en augmentant la pression partielle de l’oxygène dans la TNO, et cet effet semble indépendant de la PIO. «Dans le cadre de l’une des plus vastes et meilleures études sur le DSO, le dorzolamide et le timolol administrés à 140 patients glaucomateux ont abaissé la PIO de façon similaire à deux semaines, à trois mois et à six mois, mais seul le dorzolamide a eu un effet positif sur les débits sanguins de l’anneau neurorétinien, du clivus et de la choroïde.»

Études cliniques

Examinant l’effet du dorzolamide et du timolol sur les variations de la PIO et du DSO chez les patients glaucomateux, les investigateurs ont constaté que l’IAC améliorait significativement le débit sanguin rétinien. Les deux agents administrés en concomitance ont permis d’abaisser la PIO de 18,6 à 16,4 mmHg, ce qui constituait une amélioration significative par rapport au timolol en monothérapie (p<0,001), et d’augmenter le débit sanguin rétinien moyen de 285 à 330 unités arbitraires (AU) (p<0,001), rapporte le Dr Francesco Parmeggiani, département d’ophtalmologie, Université de Ferrara, Italie. L’administration des deux agents combinés en une préparation unique à doses fixes a permis une augmentation supplémentaire du débit sanguin rétinien moyen, plus précisément de 330 à 353 AU (p<0,05). Aucune variation du champ visuel ne s’est produite, ajoute-t-il. Les chercheurs indiquent que leurs données confirment l’effet bénéfique de l’IAC sur les paramètres hémodynamiques de la TNO. «Comme la dérégulation vasculaire semble être l’une des premières manifestations du glaucome, le dorzolamide pourrait contribuer à préserver la TNO en augmentant la perfusion oculaire», de conclure les chercheurs.

Le Dr Oczan Kayikcioglu, Université Celal Bayar, Manisa, Turquie, a abordé la question de la prise en charge du glaucome caractérisé par une PIO très élevée et une neuropathie optique grave. Compte tenu du fait que, dans un glaucome aussi avancé, la chirurgie comporte un risque important et qu’une monothérapie pourrait réduire la PIO de seulement 20 à 35 % dans le meilleur des cas, son équipe a entrepris une étude de trois mois sur l’association fixe dorzolamide/timolol administrée en concomitance avec le latanoprost, analogue de la prostaglandine F2a, chez 21 patients dont le glaucome avancé n’avait jamais été traité et qui présentaient un ratio excavation/papille très élevé, une faible acuité visuelle et une PIO >30 mmHg dans au moins un œil. «Au départ, la PIO moyenne se chiffrait à 38,7 mmHg et, étonnamment, elle était de 16,1 mmHg après un mois et de 18,5 mmHg après trois mois, ce que nous avons considéré comme satisfaisant, souligne le Dr Kayikcioglu. Cette cohorte comportait 10 patients souffrant d’un glaucome primitif à angle ouvert [GPAO], sept patients souffrant d’un syndrome de pseudoexfoliation, trois patients souffrant d’un glaucome par fermeture chronique de l’angle et un patient souffrant d’un glaucome par récession de l’angle. Nous avons obtenu des résultats similaires dans le sous-groupe GPAO, la PIO étant passée de 39,1 mmHg à 15,8 mmHg après un mois et à 18,6 mmHg après trois mois sous l’effet de l’analogue de la prostaglandine ajouté à l’association fixe IAC/timolol.»

Sur le plan des effets indésirables, cinq cas d’hyperémie modérée et deux cas de goût métallique ont été signalés, mais aucun n’était grave. «Cependant, 10 patients n’ont pas répondu au traitement, leur PIO étant demeurée supérieure à 22 mmHg, ou avaient abandonné le traitement à trois mois parce qu’ils le trouvaient trop difficile à suivre, précise-t-il. Ces patients souffraient principalement du syndrome d’exfoliation et de glaucome chronique à angle étroit, et on leur a offert l’option de la chirurgie. Nous avons eu de bons résultats à court terme, mais nous avions des craintes au sujet de l’observance dans ce groupe particulier. Ces cas étaient difficiles, parce qu’ils présentaient une PIO élevée et un glaucome avancé, mais un peu plus de la moitié d’entre eux ont pu éviter la chirurgie grâce à ce traitement.»

De l’avis du Dr Kayikcioglu, le dorzolamide, le timolol et le latanoprost constituent le meilleur traitement maximal que l’on puisse offrir à des patients souffrant d’un glaucome aussi avancé. Il estime que ces patients ont eu une réponse très satisfaisante et qu’ils ont bien toléré ce traitement d’association novateur.

Résumé

Comme le soulignait le Dr Alon Harris, directeur, Glaucoma Research and Diagnostic Center, Indiana University School of Medicine, Indianapolis, c’est grâce à ces mêmes études démographiques qui, depuis 10 ans, nous ont permis de mieux cerner le rôle de la PIO dans le glaucome que l’on a compris l’importance d’évaluer les facteurs de risque vasculaire du glaucome. Ces études ont mis en évidence de nombreux déficits hémodynamiques oculaires dans le GPAO, que la PIO ait été élevée ou non, et ont confirmé que la perfusion de la TNO était anormale dès le début du processus glaucomateux, ce qui évoque son rôle dans la pathogenèse du glaucome.

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