Comptes rendus

Prévention secondaire des mycoses invasives chez les greffés de cellules souches hématopoïétiques
L’utilisation restreinte d’un antagoniste du CCR5 en fonction du tropisme : une pratique à reconsidérer chez les patients déjà sous traitement

Inhibition de la pompe à protons et activité antiplaquettaire : une question de voies métaboliques

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

PRESSE PRIORITAIRE - La 58e Séance scientifique annuelle de l’American College of Cardiology

Orlando, Floride / 29-31 mars 2009

Le clopidogrel est un antiplaquettaire qui joue un rôle de premier plan dans la réduction du risque d’événement thrombotique au sein de diverses populations, entre autres parmi les patients ayant déjà subi un infarctus du myocarde (IM). Les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP), qui réduisent la sécrétion d’acide gastrique et préviennent ainsi les maladies liées à l’acidité comme l’œsophagite par reflux, figurent au nombre des agents les plus prescrits à l’échelle mondiale. La crainte d’interactions médicamenteuses entre les IPP et le clopidogrel se traduisant par une activité moindre du clopidogrel a généré récemment une série de publications dont les résultats se contredisaient. Les toutes dernières études sur les interactions relatives au sein de la classe des IPP ont toutefois apporté une explication : le risque dépend étroitement des voies spécifiques du métabolisme des IPP, et cette interaction n’est pas un effet de classe.

Étude d’observation

«Nous avons démontré que les IPP n’exercent pas tous le même effet sur la réponse plaquettaire au clopidogrel, ce qui concorde avec nos propres observations cliniques. Les résultats contradictoires des études rétrospectives seraient donc plausibles», souligne le Dr Dirk Sibbing, Deutsches Herzzentrum München, Allemagne. À son avis, les IPP qui interagissent avec le clopidogrel étaient probablement fortement représentés dans les études dont les résultats ont été négatifs alors que les IPP exposant à un faible risque d’interaction étaient probablement fortement représentés dans les études où aucun lien n’a été mis en évidence.

Un millier de patients coronariens qui avaient subi une intervention coronarienne percutanée (ICP) ont été recrutés pour une étude d’observation transversale. Tous les patients recevaient un double traitement antiplaquettaire (75 mg de clopidogrel et AAS). Lors d’une visite de suivi, pour tester la fonction plaquettaire, on procédait à la mesure standardisée de l’agrégation plaquettaire induite par l’adénosine diphosphate (ADP) à l’aide du test d’agrégométrie à électrodes multiples (MEA). Parmi les 1000 patients évalués, 268 recevaient un IPP concomitant et 732 n’en recevaient pas.

Les valeurs d’agrégation plaquettaire différaient de façon marquée. L’agrégation plaquettaire mesurée par le test de MEA, exprimée par l’aire sous la courbe en unités arbitraires par minute (UA*min), se chiffrait en moyenne à 220 UA*min chez les patients ne prenant pas d’IPP alors qu’elle était légèrement inférieure (209 UA*min) chez les patients sous esoméprazole et légèrement plus marquée (226 UA*min) chez les patients sous pantoprazole. L’écart entre ces deux groupes et le groupe ne prenant pas d’IPP n’était pas significatif. Cependant, l’agrégation moyenne obtenue au test de MEA dans le groupe oméprazole était de 295,5 UA*min, et l’écart par rapport aux non-utilisateurs d’IPP était significatif (p=0,001).

«Dans une étude antérieure où une faible réponse au clopidogrel se définissait comme un résultat au test de MEA dans le quintile supérieur d’une vaste série de données recueillies prospectivement, on a observé un lien significatif entre une faible réponse et un risque accru d’événement thrombotique», rapporte le Dr Sibbing. Cette étude – qui utilisait la même définition d’une réponse faible – n’a objectivé aucune différence significative entre l’esoméprazole, le pantoprazole et la non-utilisation d’un IPP, mais «les taux de réponse faible étaient plus élevés chez les patients sous oméprazole que chez ceux ne prenant pas d’IPP, et l’écart était très significatif [32,8 % vs 19,1 %; p=0,008]».

Données corroborantes

Une étude similaire publiée en ligne juste avant le congrès de l’American College of Cardiology (ACC) a généré les mêmes résultats (Siller-Matula et al. Am Heart J 2009;157:148:e1-148.e5). Dans le cadre de cette étude réalisée chez 300 patients coronariens subissant une ICP, on a évalué l’agrégabilité plaquettaire par la mesure de l’agrégation plaquettaire à l’ADP (technique utilisée dans l’étude présentée au congrès de l’ACC) et la phophorylation de la protéine VASP (vasodilator-stimulated phosphoprotein), ce qui a permis de générer un index de réactivité plaquettaire. Même si l’étude comparait uniquement les non-utilisateurs d’IPP aux patients sous esoméprazole ou sous pantoprazole, aucune différence significative n’a été décelée. Ce résultat a confirmé ce que l’on savait déjà du risque d’interaction.

La voie métabolique CYP2C19

Bien que les IPP soient tous métabolisés dans une certaine mesure par le système du cytochrome P450, ils ne dépendent pas nécessairement de l’isoenzyme CYP2C19. Comme ni l’esoméprazole ni le pantoprazole ne dépendent de l’enzyme CYP2C19, ajoutent les auteurs, les interactions médicamenteuses observées entre les IPP et le clopidogrel ne doivent pas être considérées comme un effet de classe.

Les données à l’appui des répercussions cliniques d’une interaction entre les IPP et le clopidogrel demeurent contradictoires. On a présenté au congrès de l’ACC les résultats d’une évaluation de l’incidence des événements après un an de traitement par le clopidogrel chez 535 patients inscrits dans la base de données du NHLBI (National Heart, Lung, and Blood Institute Dynamic Registry), University of Pittsburgh, Pennsylvanie. Parmi ces patients, 138 (26 %) prenaient aussi un IPP alors que les 397 (74 %) autres n’en prenaient pas. Les deux groupes étaient comparables quant à l’âge, quant à la prévalence de facteurs de comorbidité comme le diabète ou l’insuffisance rénale, et quant au tabagisme ou au succès de l’intervention.

Après un an, il n’y avait aucune différence entre les deux groupes quant aux événements; au contraire, les taux absolus étaient légèrement inférieurs dans le groupe IPP pour un grand nombre d’événements majeurs, dont l’infarctus du myocarde (IM) (3,7 % vs 4,2 %; p=0,83), le pontage coronarien (3,1 % vs 4,1 %; p=0,53) et le décès (3,0 % vs 5,9 %; p=0,18), de même que pour le paramètre mixte décès et IM (6,7 % vs 9,6 %). Les taux d’ICP répétées (13,4 % vs 10,1 %; p=0,23) et d’interventions de revascularisation répétées (15,8 % vs 14,2 %; p=0,65) étaient légèrement plus élevés chez les patients sous IPP, mais là encore, les différences n’étaient pas significatives.

«Nos données n’étayent pas un risque accru d’événement thrombotique ou d’autres résultats défavorables chez les patients sous clopidogrel qui prennent un IPP», affirme le Dr José F. Ramírez, Cardiovascular Institute, University of Pittsburgh. Après une ICP, le traitement par un IPP chez un patient sous clopidogrel «semble sûr», conclut-il.

Différenciation des IPP

Il pourrait toutefois être essentiel de différencier les IPP en fonction de leur métabolisme et de l’apparent mécanisme des interactions médicamenteuses. Les études de population sont difficiles à interpréter lorsqu’on ignore la représentation proportionnelle des divers IPP, d’autant plus que les exigences des listes de médicaments – inclusions et exclusions – pourraient se traduire par la prédominance d’un ou deux IPP en particulier dans une étude donnée. En fait, les résultats de l’étude de Pittsburgh étaient contraires à ceux de l’étude de Denver publiée à peine quelques semaines plus tôt (Ho et al. JAMA 2009; 301:937-44). Dans cette dernière étude, chez 8205 patients à qui on avait prescrit du clopidogrel après leur hospitalisation pour un syndrome coronarien aigu (SCA), l’utilisation d’un IPP a été associée à une augmentation de 25 % du risque de décès ou de réhospitalisation pour un SCA (HR : 1,25; IC à 95% : 1,11 à 1,41) sur une période de deux à cinq ans. Ni l’étude de Pittsburgh ni celle de Denver ne précisaient le taux d’utilisation des divers IPP, ce qui pourrait expliquer les résultats contradictoires.

L’importance de la différenciation des IPP était le fondement même de l’étude dirigée par le Dr Sibbing. Les médecins de son établissement se sont mis à craindre une augmentation du risque d’événement thrombotique lorsqu’ils se sont rendu compte que des patients à qui ils avaient prescrit un IPP particulier à leur sortie de l’hôpital étaient en fait sous oméprazole lorsqu’ils revenaient pour un suivi. Le risque d’interactions médicamenteuses soulevait déjà des craintes à ce moment-là, ce qui a amené le Dr Sibbing et son équipe à évaluer la fonction plaquettaire chez ces patients en fonction de l’IPP qu’ils prenaient. Seulement trois IPP étaient représentés dans cette étude parce que seuls ces trois IPP avaient été prescrits aux patients participants.

«Nous avons constaté que, par souci d’économie, l’oméprazole générique avait automatiquement été substitué à l’IPP prescrit chez un grand nombre de patients», affirme le Dr Sibbing. Maintenant que nous disposons de données objectives montrant l’existence de différences entre l’oméprazole, l’esoméprazole et le pantoprazole quant à leur effet sur l’agrégation plaquettaire, explique le Dr Sibbing, nous avons pris des mesures pour éviter la substitution d’IPP, dont la sensibilisation des patients aux différences éventuelles entre les IPP.

Résumé

L’ampleur clinique du risque d’interactions médicamenteuses entre un IPP et le clopidogrel demeure nébuleuse en raison de données contradictoires, mais de nouvelles données semblent indiquer que le risque d’interaction se répercutant sur la fonction plaquettaire diffère d’un IPP à l’autre. Du fait de leur métabolisme, les IPP qui dépendent de la voie CYP2C19, comme l’oméprazole, semblent les plus susceptibles de diminuer l’effet antiplaquettaire du clopidogrel, qui est métabolisé par la même voie. L’esoméprazole et le pantoprazole, qui utilisent un plus grand éventail de voies métaboliques, n’ont été associés à aucun effet sur l’inhibition de l’activité plaquettaire par le clopidogrel. Ces résultats pourraient influer sur le choix du médicament chez les très nombreux patients qui ont besoin à la fois du clopidogrel et d’un IPP.

Commentaires

Nous vous serions reconnaissants de prendre 30 secondes pour nous aider à mieux comprendre vos besoins de formation.