Comptes rendus

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La triade du glaucome : pression intraoculaire, débit sanguin et tension artérielle

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

Les 71es Congrès et exposition annuels de la Société canadienne d’ophtalmologie

Whistler, Colombie-Britannique / 11-14 juin 2008

On sait depuis des années que la tension artérielle (TA) et la pression de perfusion (PP) sont liées l’une à l’autre, mais elles suscitent un intérêt nouveau dans le glaucome. Comme le rapporte le Dr Paul Lee, service du glaucome, Duke University Eye Center, Durham, Caroline du Nord, on a démontré dans une étude que les sujets dont la PP oculaire était faible avaient un champ visuel plus étroit (Choi et al. Invest Ophthalmol Vis Sci 2006;47[3]:831-6). Comme les cardiologues se donnent comme objectif thérapeutique des valeurs tensionnelles très basses, ajoute-t-il, les patients dont le champ visuel se dégrade en dépit d’une pression intraoculaire (PIO) normale sont plus nombreux qu’autrefois, en particulier lorsque la tension diastolique est <60 mmHg. En fait, on sait depuis longtemps également que la prise d’un hypotenseur en soirée peut, en abaissant la PP oculaire nocturne, provoquer une perte de la vision.

Perfusion oculaire nocturne : menacée sur deux fronts

La maîtrise des pressions nocturnes pourrait constituer l’aspect le plus important de la prise en charge du glaucome, avance le Dr David Yan, ophtalmologiste, Mount Sinai Hospital, et professeur adjoint d’ophtalmologie, University of Toronto, Ontario. «Il se pourrait fort bien que les effets nocturnes d’un médicament importent plus que ses effets diurnes s’il s’avère que l’essentiel des lésions survient la nuit.»

Il rappelle que dans la Baltimore Eye Study, on a montré que la prévalence du glaucome primitif à angle ouvert (GPAO) augmentait brusquement en présence d’une faible PP oculaire diastolique (PPOD) (Tielsch et al. Am J Epidemiol 1991; 134[10]:1102-10). C’est là une observation confirmée dans plusieurs études longitudinales phares d’envergure. La PPOD est la différence entre deux forces qui s’opposent : la TA diastolique (TAD), que le Dr Yan compare à la pression de l’eau retenue par un barrage hydroélectrique, et la PIO, qu’il assimile aux basses eaux en aval du barrage. Ainsi, explique-t-il, l’augmentation de la PPOD peut résulter soit de la hausse de la TAD, soit de la baisse de la PIO.

Chez certaines personnes (les dippers), la TAD s’abaisse de façon marquée la nuit. Or, d’après une étude citée par le Dr Yan, ces personnes sont significativement plus exposées que les autres à la dégradation du champ visuel (Graham SL, Drance SM. Surv Ophthalmol 1999;43[suppl 1]:S10-S16). Ainsi, des 48 sujets dont le champ visuel rétrécissait graduellement, 34 étaient des dippers, tandis que des 22 sujets dont le champ visuel était stable, neuf seulement étaient des dippers (p=0,01). Fait à souligner, il n’y avait aucune corrélation entre la progression de la maladie, d’une part, et la TA diurne ainsi que la TA moyenne sur 24 heures, d’autre part. Dans bon nombre d’autres études, on a mis en lumière un lien entre l’hypotension nocturne et une augmentation de l’incidence du glaucome, de la sévérité de la maladie au moment du diagnostic et du risque de progression. Les patients atteints de glaucome à pression normale (GPN), précise le Dr Yan, subissent des chutes nocturnes plus marquées que la normale et, au sein même de ce groupe, les chutes sont plus prononcées chez les patients dont la maladie progresse que chez ceux dont l’état est stable. Selon lui, les ophtalmologistes devraient mesurer la TA de leurs patients sur 24 heures afin d’évaluer les variations nocturnes de la TAD.

L’autre déterminant de la PPOD est la PIO nocturne. En raison du décubitus, la PIO est plus élevée la nuit que lorsque le médecin la mesure, en plein jour (Mosaed et al. Am J Ophthalmol 2005;139[2]:320-4). Ainsi, des patients dont l’état semble bien maîtrisé subissent en réalité une baisse appréciable de la PPOD la nuit, si bien que leur maladie progresse. La prise en charge d’une perfusion nocturne déficiente n’est pas simple, prévient le Dr Yan. On a proposé d’augmenter la charge sodique au coucher, par exemple avec un jus V8, de dormir en position demi-assise et de diminuer les antihypertenseurs, surtout les diurétiques, considérés comme un important facteur de risque de progression vers le glaucome dans la European Glaucoma Prevention Study (Miglior et al. Ophthalmology 2005;112[3]:366-75). Par ailleurs, le choix du médicament peut revêtir de l’importance, certains étant plus efficaces que d’autres la nuit, fait observer le Dr Yan. Il évoque certaines études, dont l’une ayant révélé que le latanoprost et le dorzolamide abaissaient la PIO nocturne plus efficacement que les agonistes alpha et les bêta-bloquants, sans pour autant agir sur la TA (Quaranta et al. Invest Ophthalmol Vis Sci 2006;47[7]:2917-23).

Débit sanguin : plus important que la PIO

Souhaitant démontrer l’importance du débit sanguin, le Dr Mark Lesk, professeur agrégé d’ophtalmologie, Université de Montréal, Québec, a souligné que dans les Barbados Eye Studies, on a déterminé que pour chaque baisse de 10 mmHg de la PP oculaire, le risque de glaucome à angle ouvert augmentait de 50 % (Leske et al. Ophthalmology 2006;113[1]:29-35). Dans l’essai Early Manifest Glaucoma Trial, la maladie a progressé chez 100 % des patients dont la PIO était >21 mmHg et qui avaient des antécédents de maladies cardiovasculaires. «Les maladies cardiovasculaires semblent très, très importantes», insiste le Dr Lesk. Dans le cadre d’une étude prospective, on a établi un lien entre la progression de la maladie et la diminution du débit sanguin dans diverses artères, dont l’artère ophtalmique (Martínez A, Sánchez M. Acta Ophthalmol Scand 2005;83[6]:716-22). Le Dr Lesk a parlé de plusieurs autres études dans lesquelles on a démontré que la PIO était sans effet chez certains patients. «La PIO est un facteur important dans le glaucome, mais certains des effets s’exercent par l’entremise du débit sanguin oculaire», note-t-il.

Progression du GPN et débit sanguin

La Dre Cindy Hutnik, professeure agrégée, départements d’ophtalmologie et de pathologie, University of Western Ontario, London, travaille en collaboration avec le Dr Stephen Drance, professeur émérite d’ophtalmologie, University of British Columbia, Vancouver, chez des patients dont le champ visuel se rétrécit graduellement malgré une PIO normale en apparence. Il s’agit souvent de sujets relativement jeunes, âgés de 40 à 60 ans, fait-elle remarquer.

Certains chercheurs soupçonnent l’existence d’une composante auto-immune dans le GPN, mais la Dre Hutnik est plutôt d’avis que le débit sanguin oculaire est en cause. «Peut-être que le nerf est lésé par manque d’oxygène, parce qu’il n’est pas suffisamment irrigué, avance-t-elle. En médecine clinique, il est toujours très difficile d’établir une corrélation entre un paramètre et une conséquence, si bien que beaucoup ont écarté la théorie du débit sanguin, mais je pense qu’elle est en train de renaître de ses cendres.»

Selon la Dre Hutnik, les inhibiteurs de l’anhydrase carbonique (IAC) pourraient améliorer le débit sanguin, comme l’indiquent d’ailleurs de nombreuses études fondamentales et précliniques. Les travaux de Quaranta ont été particulièrement importants, précise-t-elle. «Ils ont surveillé la pression oculaire et la TA, systolique et diastolique, pendant 24 heures. Ils ont constaté que les agonistes alpha et les bêta-bloquants, qui agissent sur la TA, ont un effet négatif, mais que les agents qui n’agissent pas sur la TA ont un effet positif. Alors, les résultats montrent clairement que le dorzolamide a effectivement eu un effet favorable en abaissant la pression oculaire, mais non la TA, si bien que l’oeil était irrigué», explique-t-elle.

La théorie du débit sanguin tient la route, confirme la Dre Hutnik. «Si l’état de votre patient empire, le [dorzolamide/timolol] est sans contredit une solution à envisager, parce qu’elle ne peut pas nuire et, selon certaines données, pourrait même aider. Mark Lesk a montré que lorsqu’on donnait du dorzolamide à des patients glaucomateux, le débit sanguin oculaire augmentait.» À Toronto, un groupe de chercheurs mesure le taux de gaz carbonique, souligne-t-elle, parce que les IAC libèrent du gaz carbonique, ce qui a pour effet de dilater les vaisseaux sanguins. «Je dirais donc que ce ne sont pas les preuves circonstancielles qui manquent pour étayer cette théorie», insiste-t-elle.

Il ne faut pas oublier que le débit sanguin de l’oeil n’est pas dissocié de celui du reste de l’organisme, précise la Dre Hutnik. Autrement dit, une hypoxie consécutive à une baisse nocturne de la TAD pourrait causer des lésions nerveuses oculaires.

Efficacité 24 heures durant

Des données convaincantes témoignent de l’efficacité du dorzolamide/timolol pendant 24 heures, commente la Dre Hutnik. «Les prostaglandines, ces médicaments pris une fois par jour, ont vraiment la cote en ophtalmologie depuis quelque temps. On les prend le soir, mais si on examine de près les résultats des études, on constate que si on prend le médicament à 20 h, son effet commence à se dissiper autour de 22 h pour réapparaître plus tard; l’effet est maximal le matin, mais a tendance à s’estomper la nuit. L’association dorzolamide/timolol doit quant à elle être prise deux fois par jour, soit le matin et le soir, et son comportement sur 24 heures est franchement remarquable; en fait, elle est plus efficace à 22 h que les prostaglandines. Au chapitre de l’efficacité nocturne, c’est un traitement difficile à battre.»

«Si on assemble les pièces du casse-tête, c’est-à-dire la maîtrise sur 24 heures, l’absence d’effet délétère de l’IAC sur la TA nocturne et le fait que cet agent pourrait augmenter le débit sanguin, on a en main un médicament très puissant qui vaut la peine qu’on s’y attarde un peu», déclare la Dre Hutnik, avant d’ajouter, en guise de conclusion, que ce traitement mérite toute notre attention, ne serait-ce qu’en raison de sa capacité d’abaisser la PIO.

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