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Le point sur les stratégies d’abandon du tabac traditionnelles et novatrices

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

13e Assemblée annuelle de la Society for Research on Nicotine and Tobacco

Austin, Texas / 21-24 février 2007

Les bienfaits pour la santé de l’abandon du tabac, cause première de mortalité évitable à la grandeur de la planète, font consensus. La crainte des méfaits du tabac pour la santé est d’ailleurs l’une des principales raisons qui incitent la majorité des fumeurs à vouloir cesser de fumer. Au Canada, environ 85 % des fumeurs ont tenté au moins une fois d’arrêter de fumer, précise John Cunningham, PhD, Centre for Addiction and Mental Health, Toronto, Ontario. Il importe ici de souligner que le problème n’est pas la volonté des fumeurs de se défaire de cette habitude, mais bien le manque de méthodes suffisamment efficaces pour permettre une rémission prolongée. Les stratégies pharmacologiques d’abandon du tabac et les services de soutien ont beaucoup évolué. La dernière-née des options pharmacologiques d’aide au sevrage tabagique, un agoniste des récepteurs nicotiniques, pourrait tripler le taux d’ex-fumeurs par rapport au counselling seul selon des essais comparatifs avec placebo; et, par comparaison aux autres méthodes connues, ce nouvel agent pourrait augmenter le taux de réussite de manière substantielle.

Situation actuelle

Le traitement de substitution nicotinique (TSN) – qui est largement utilisé depuis déjà plusieurs décennies – n’est pas d’une grande efficacité. Le bupropion, antidépresseur commercialisé il y a plus de 10 ans comme aide antitabagique, offre une efficacité comparable à celle du TSN, mais nombreux sont ceux qui le préfèrent parce qu’il s’administre facilement et évite une exposition continue à la nicotine. Les connaissances sur le sevrage tabagique ont toutefois progressé avec la mise au point d’un agoniste partiel/antagoniste des récepteurs nicotiniques de l’acétylcholine. Premier représentant de cette classe, la varenicline, qui est dotée d’un mode d’action plus spécifique, semble plus efficace que le bupropion ou le TSN selon des essais comparatifs directs et indirectes, respectivement. Lorsque ce nouvel agent est combiné à la modification du comportement et au counselling de soutien, les taux d’abandon à long terme excèdent les taux enregistrés avec les agents pharmacologiques connus.

L’efficacité relative des trois principales options pharmacologiques dans le traitement de la dépendance au tabac a été évaluée dans le cadre d’une méta-analyse présentée par Edward Mills, PhD, professeur adjoint d’épidémiologie clinique et de biostatistique, McMaster University, Hamilton, Ontario. Selon 70 essais comparatifs randomisés, le TSN s’est révélé après un an environ 70 % plus efficace qu’un placebo pour aider les patients à cesser de fumer. Selon 12 essais comparatifs randomisés, le bupropion s’est révélé environ 55 % plus efficace qu’un placebo, là encore à un an. Enfin, selon quatre essais randomisés, la varenicline s’est quant à elle révélée près de 300 % plus efficace qu’un placebo pour aider les patients à demeurer abstinents après un an (Figure 1).

Figure 1. Taux d’efficacité


Bien que plusieurs essais comparatifs directs soient en cours pour évaluer la varenicline et le TSN, les résultats ne sont pas encore publiés. Cependant, trois études ont comparé la varenicline et le bupropion. Sur le plan des taux d’abandon à 12 mois, souligne le Dr Mills, l’avantage de la varenicline par rapport au bupropion se situait entre 45 % et 75 %, pour une moyenne de 58 % (p=0,001). Cet avantage s’apparente à celui qui se dégage de comparaisons indirectes entre la varenicline et le TSN par l’intermédiaire d’essais comparatifs avec placebo, avantage que le Dr Mills estime à 66 %. Ce sont là des avantages relatifs, car le TSN et le bupropion sont des traitements actifs.

«Nous avons démontré l’efficacité systématique de chaque intervention à court et à long terme, explique le Dr Mills. Les comparaisons directes font ressortir la supériorité de la varenicline par rapport au bupropion, tandis que les comparaisons indirectes mettent en lumière la supériorité de la varenicline par rapport au TSN.»

Cet avantage relatif semble aussi indépendant du degré de dépendance à la nicotine au départ. Lors d’une analyse d’essais cliniques de phase II et III sur la varenicline, dont les résultats ont été présentés par la Dre Susan Swartz, Maine Medical Center, Portland, les investigateurs ont tenté de cerner l’ampleur de l’effet de la varenicline, administrée pendant 12 semaines, par rapport au placebo. Cette analyse regroupait 1750 fumeurs qui étaient stratifiés en fonction de leur niveau de dépendance à la nicotine et de leur consommation quotidienne de cigarettes au départ.

Entre les semaines 9 et 12, près de 46 % des fumeurs traités par la varenicline ne fumaient pas, par comparaison à environ 17 % des témoins sous placebo. Entre les semaines 9 et 52, environ 23 % des sujets sous traitement actif et 9 % des témoins sous placebo demeuraient aussi abstinents. Lorsque les résultats étaient stratifiés en fonction de la dépendance à la nicotine (déterminée par le score au test de dépendance à la nicotine de Fagerström) et du nombre de cigarettes fumées par jour, la probabilité d’abstinence était plus forte si les fumeurs – tous degrés de dépendance et de consommation confondus – avaient reçu le traitement actif plutôt que le placebo.

Par exemple, parmi les patients les plus dépendants à la nicotine et ceux qui fumaient le plus de cigarettes par jour, au moins deux fois plus (environ 20 %) de sujets sous varenicline que de témoins sous placebo appariés étaient toujours abstinents à 52 semaines. «Ces études excluaient les patients présentant des facteurs de comorbidité psychiatrique chez qui le taux de tabagisme est plus élevé, prévient la Dre Swartz, mais l’ampleur des différences [entre le traitement actif et le placebo dans ces essais] m’a impressionnée et je pense que nous aidons même les gros fumeurs à être de plus en plus sûrs qu’ils réussiront à passer une journée sans cigarette.»

Selon une autre analyse fascinante de la base de données dans laquelle la varenicline était comparée au bupropion ou à un placebo, les patients qui reçoivent la varenicline pourraient demeurer plus susceptibles de cesser de fumer après le jour J qu’ils ciblent pour renoncer au tabac pour autant qu’ils continuent de prendre le médicament. Lors d’une étude présentée par le Dr David Gonzales, Oregon Health and Science University, Portland, les investigateurs ont étudié les tendances de l’arrêt du tabac chez des fumeurs qui avaient reçu la varenicline pendant 12 semaines. Les participants étaient classés en quatre sous-groupes : abandon immédiat (les patients étaient abstinents lors de toutes les visites); abandon différé (les patients fumaient lors d’une ou de plusieurs visites entre les semaines 2 et 8, mais ils ont ensuite été abstinents des semaines 9 à 12); abandon intermittent (les patients étaient abstinents lors d’une ou de plusieurs visites entre le jour J cible et la semaine 12, mais pas de façon continue entre les semaines 9 et 12); et échec de l’abandon.

Comme on l’a déjà signalé, l’antagoniste des récepteurs nicotiniques s’est révélé significativement plus efficace que le bupropion ou un placebo entre les semaines 9 et 12, environ 44 % des sujets sous varenicline, environ 30 % des sujets sous bupropion et environ 18 % des témoins sous placebo étant demeurés abstinents entre les semaines 9 et 12. Un plus grand nombre de fumeurs sous varenicline que sous bupropion ou sous placebo ont renoncé au tabac immédiatement ou à retardement. La proportion d’abandons intermittents était comparable dans les groupes varenicline et bupropion, mais le nombre d’échecs était moins élevé dans le groupe varenicline que dans le groupe bupropion ou placebo (Figure 2).


e l’abandon du tabac

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«Les abandons enregistrés entre le jour J cible et la fin du traitement donnent à penser que les sujets du groupe varenicline sont en proportion non seulement plus nombreux à renoncer au tabac le jour J cible, mais aussi plus nombreux en proportion à continuer de renoncer au tabac au cours des semaines subséquentes lorsqu’ils reçoivent la varenicline plutôt que le bupropion ou un placebo», rapporte le Dr Gonzales. Il interprète ce résultat comme un signe que le tabac procure moins de plaisir sous varenicline de sorte que les patients qui continuent de prendre cet agent sont plus susceptibles de finir par arrêter de fumer.

«Le point à retenir de cette analyse est que si l’on prescrit un médicament au patient et qu’il ne cesse pas de fumer la première ou la deuxième semaine, il serait logique de conclure que le médicament n’est pas efficace et de mettre fin au traitement, fait valoir le Dr Gonzales. Or, à la lumière de ces données, ce serait une erreur parce que, [ce faisant], on réduit les chances d’abandon du tabac chez près de la moitié des patients qui amorcent un traitement par la varenicline et près du tiers de ceux qui amorcent un traitement par le bupropion. Nous ne devons donc pas arrêter le traitement même si le patient est incapable d’arrêter de fumer le jour prévu.»

Gain pondéral

Les options pharmacologiques d’aide au sevrage tabagique augmentent nettement la probabilité d’abandon du tabac à long terme, mais les thérapies non pharmacologiques jouent un important rôle accessoire. Les médecins qui prescrivent la varenicline ou un autre agent devraient activement encourager les patients à s’inscrire à un programme d’aide dans lequel ils peuvent repérer leurs obstacles à l’abandon du tabac et apprendre comment modifier leur comportement pour éviter les facteurs qui déclenchent l’envie de fumer. Le gain pondéral – l’une des conséquences les plus complexes de la tentative d’arrêter de fumer – n’est pas inévitable et ne devrait pas constituer un obstacle durant la première période la plus difficile, lorsque l’envie de fumer est la plus impérieuse.

«De nombreux fumeurs se disent réticents à l’idée de cesser de fumer parce qu’ils craignent une prise de poids», fait remarquer la Dre Nancy Rigotti, directrice, Tobacco Research and Treatment Center, et professeure agrégée de médecine, Harvard Medical School, Boston, Massachusetts. Cela dit, les données sur le gain pondéral peuvent être une source de confusion parce que, dans les faits, les personnes qui prennent plus de poids lorsqu’elles essaient de cesser de fumer ont souvent plus de succès que celles qui n’en prennent pas, ajoute-t-elle. «Nous savons qu’il ne faut pas essayer d’arrêter de fumer et de perdre du poids simultanément. On doit d’abord cesser de fumer, puis s’attaquer au poids. Toutefois, si le patient craint une prise de poids, le meilleur remède demeure l’activité physique.»

Compte tenu de la vaste proportion de fumeurs adultes ayant la motivation nécessaire pour renoncer au tabac, l’obstacle principal se résume souvent à trouver un clinicien qui serait prêt à appuyer son patient en lui offrant un traitement pharmacologique couplé à un soutien non pharmacologique. Il y a toutefois un certain nombre de groupes à risque élevé chez qui l’intervention doit être adaptée, comme les adolescents, qui constituent le bassin de nouveaux fumeurs, les fumeuses enceintes, dont environ la moitié continuent de fumer pendant la grossesse, et les personnes souffrant de troubles psychiatriques, chez qui les taux d’abandon sont de loin inférieurs aux moyennes nationales.

Populations particulières difficiles

Le plus difficile, dans le cas de l’adolescent et de la femme enceinte, est de les motiver à cesser de fumer. L’éducation revêt bien sûr une grande importance, mais le passage de l’étape de l’acceptation du bien-fondé de l’arrêt du tabac à celle d’un état émotionnel plus propice à la décision est une condition sine qua non de la réussite. En raison des mécanismes de dépendance en jeu, la motivation est cruciale, même lorsque le patient reçoit une pharmacothérapie optimale et une aide non pharmacologique.

Il serait toutefois possible d’adapter la pharmacothérapie à différentes populations à risque. Lors d’un essai qui regroupait des patients présentant des troubles psychiatriques concomitants, par exemple, l’association du TSN et du bupropion chez des patients schizophrènes s’est traduite par des taux d’abandon plus élevés que le TSN et le placebo, explique Andrea Weinberger, PhD, chercheure associée, Yale University School of Medicine, New Haven, Connecticut.

Lors de cet essai, 58 patients ont reçu soit un TSN à 21 mg/jour et le bupropion à 300 mg/jour, soit un TSN plus un placebo, pendant 10 semaines. Le critère de jugement principal était l’abstinence au cours des quatre dernières semaines de l’essai, les taux de prévalence à un moment donné sur une période de sept jours et l’abstinence six mois après le jour J cible. Au terme des 10 semaines, 34 % des sujets recevant le traitement d’association vs environ 10 % des témoins sous TSN et placebo ne fumaient pas, alors qu’après six mois, 16 % des sujets du premier groupe, vs aucun du deuxième, étaient toujours abstinents. L’adaptation de la dose de nicotine du TSN à la consommation plus forte de tabac chez les schizophrènes n’a pas semblé améliorer les résultats non plus.

Nouvelles stratégies

Le traitement d’association n’a jamais été étudié à fond, mais c’est un concept intéressant, estime le Dr Mills, qui insiste sur les modes d’action distincts du TSN, du bupropion et de la varenicline. Bien que la varenicline soit l’agent le plus efficace selon les essais comparatifs, dit-il, cet avantage relatif n’exclut pas «la possibilité d’un traitement d’association ni d’un traitement adapté aux symptômes particuliers ressentis à l’abandon du tabac».

La varenicline offre un avantage clé : si ses effets agonistes partiels semblent soulager l’envie de nicotine et les symptômes du sevrage dont l’irritabilité, les difficultés de concentration et les troubles du sommeil, on croit que ses effets antagonistes atténuent les effets renforçateurs de la nicotine. L’administration de cet agent ou de tout autre agent pharmacologique n’est pas un remède instantané au tabagisme, mais elle peut augmenter de façon appréciable les taux d’abandon si la motivation et le soutien y sont. Pour la proportion substantielle de patients qui souhaitent cesser de fumer, la commercialisation de traitements plus efficaces aidera les cliniciens à redoubler d’effort pour amener leurs patients à renoncer au tabac.

Résumé

La science de l’abandon du tabac vient de faire un pas de géant. L’agent le plus récent, un agoniste partiel/antagoniste des récepteurs nicotiniques de l’acétylcholine, s’est révélé significativement plus efficace que les autres traitements. Par comparaison aux techniques usuelles de modification du comportement et de counselling, on enregistre des taux de réussite sans précédent. Ces résultats viennent confirmer que la majorité des fumeurs actuels ont déjà essayé de cesser de fumer ou abandonneraient le tabac s’ils pouvaient vaincre leur dépendance.

Questions et réponses

Les questions et réponses qui suivent sont tirées de discussions tenues pendant le congrès avec la Dre Nancy Rigotti, professeure agrégée de médecine, Harvard Medical School, et directrice, Tobacco Research and Treatment Center, Boston, Massachusetts, et Edward Mills, PhD, professeur adjoint d’épidémiologie clinique et de biostatistique, McMaster University, Hamilton, Ontario.

Q : Pourquoi est-il si important d’amener les jeunes adultes à renoncer au tabac le plus tôt possible?

Dre Rigotti : En partie parce que si l’on cesse de fumer avant l’âge de 35 ans, le risque de décéder d’une maladie liée au tabac est comparable à celui d’une personne qui n’a jamais fumé. Nous devons donc convaincre les jeunes de se défaire de l’habitude le plus tôt possible parce que cela fait une grosse différence à un jeune âge.

Q : À votre avis, quelles mesures permettraient d’augmenter les taux d’abandon du tabac?

Dre Rigotti : Deux mesures seraient utiles : d’abord, avoir des traitements plus efficaces; deuxièmement, encourager les personnes qui essaient de cesser de fumer à utiliser les traitements à notre disposition. Aux États-Unis, à l’heure actuelle, seulement 20 à 25 % des patients qui essaient d’arrêter de fumer obtiennent de l’aide. Il faut donc convaincre les fumeurs d’essayer de renoncer au tabac, mais de le faire avec du soutien.

Q : Avons-nous besoin de meilleurs traitements pour aider les patients à cesser de fumer?

Dr Mills : Nous avons trois traitements efficaces à notre disposition et ils fonctionnent tous, mais ils ne semblent pas tous d’efficacité égale, la varenicline étant apparemment le plus efficace. Lorsqu’elle se révèle inefficace, on peut envisager le bupropion et lorsque celui-ci est inefficace, on peut envisager le TSN. Comme les trois traitements ont des modes d’action distincts, le traitement d’association est aussi une possibilité.

Q : À votre avis, quelles seront les retombées des nouvelles options d'aide au sevrage tabagique sur la médecine générale?

Dr Mills : Je pense qu’elle donne aux cliniciens une autre arme pour lutter contre le tabagisme et qu’elle leur offre l’occasion d’essayer une nouvelle intervention. Il y a des patients chez qui le TSN et le bupropion ont échoué et des patients chez qui le bupropion n’est pas idéal parce qu’il exerce des effets antidépressifs. Comme la varenicline n’a pas ces effets, c’est une nouvelle option.

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