Comptes rendus

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Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

PRESSE PRIORITAIRE - La 51e Assemblée annuelle de l’American Society of Hematology

La Nouvelle-Orléans, Louisiane / 5-8 décembre 2009

Tant le cancer que les anticancéreux entraînent un état d’hypercoagulabilité qui majore le risque de thrombo-embolie veineuse (TEV), notamment le risque de thrombose veineuse profonde (TVP) et d’embolie pulmonaire (EP) symptomatiques. Du fait que la TEV, l’une des principales causes de mortalité intrahospitalière, survient chez environ 20 % des patients cancéreux hospitalisés, l’intervention du médecin est maintenant préconisée dans plusieurs guides de pratique. Les organismes ayant publié des recommandations s’entendent à l’unanimité ou presque quant à la durée de la prophylaxie, aux anticoagulants recommandés et aux mesures thérapeutiques appropriées en cas de TEV.

Recommandations unanimes

«La TEV est une complication très fréquente d’un vaste éventail de cancers, et de nombreux anticancéreux en exacerbent le risque. Il ressort des recommandations officielles que la prophylaxie est un impératif et que les héparines de bas poids moléculaires [HBPM] sont appropriées en première intention», affirme le Dr Ajay Kakkar, unité de recherche sur la thrombose, Barts and the London School of Medicine, Londres, Royaume-Uni. Bien que l’on fasse exception à ce principe pour les patients à risque élevé d’hémorragies, les preuves à l’appui d’un bénéfice de l’héparine non fractionnée (HNF) et des HBPM étudiées sont incontestables, explique le Dr Kakkar. La comparaison des deux types d’anticoagulant montre qu’une HBPM administrée une fois par jour donne d’aussi bons résultats que l’HNF administrée trois fois par jour, «quel que soit le paramètre utilisé», à savoir la TEV, la TVP, l’EP ou la mort.

L’ASCO a publié ses recommandations il y a deux ans (Lyman et al. J Clin Oncol 2007;25:5490-505), et l’ESMO (European Society of Medical Oncology), le NCCN (National Comprehensive Cancer Network) et l’ACCP (American College of Chest Physicians), entre autres, lui ont emboîté le pas. Lorsque les groupes de travail de ces organismes et d’autres organismes, notamment les sociétés française et italienne du cancer, se sont rencontrés récemment pour discuter des similitudes et des différences entre leurs recommandations, ils sont parvenus à un consensus : tous les patients hospitalisés (mais seulement certains patients cancéreux ambulatoires) doivent recevoir un traitement prophylactique contre la TEV (Khorana et al. J Clin Oncol 2009;27:4919-26). Dans tous les cas, les HBPM sont reconnues comme la méthode de thromboprophylaxie de choix.

Données corroborantes sur la prophylaxie de la TEV

La plupart des études qui ont objectivé le bénéfice de la thromboprophylaxie chez les patients sous traitement médicamenteux regroupaient des patients cancéreux et des patients non cancéreux. Lors de l’une de ces études, PREVENT (Prospective Evaluation of Dalteparin Efficacy for Prevention of VTE in Immobilized Patients Trial), la daltéparine, une HBPM, a été associée à une diminution de 45 % (p=0,0015) du risque de TEV couplée à une augmentation très légère du risque hémorragique (Leizorovicz et al. Circulation 2004;110:874-9). Une autre étude, intitulée MEDENOX (MEDical Patients With ENOXaparin), a associé l’énoxaparine, une autre HBPM, à un bénéfice similaire (Samama et al. N Engl J Med 1999;341:793-800). Lorsque les populations étaient stratifiées d’après leur maladie sous-jacente, la protection conférée par l’HBPM, par rapport au placebo, contre la TEV était au moins aussi bonne chez les patients cancéreux qu’au sein de la population entière.

Chez les patients opérés, les études montrant un bénéfice associé à la thromboprophylaxie sont encore plus convaincantes, et certaines d’entre elles portent exclusivement sur des patients cancéreux. Par exemple, dans le cadre d’une étude réalisée il y a plus de 30 ans (Kakkar et al. Lancet 1975;2[7924]:45-51), l’HNF a réduit de 85 % le risque d’EP chez des patients atteints d’un cancer qui subissaient une intervention chirurgicale. Des études similaires portant sur des HBPM ont mis en évidence des diminutions comparables du risque. Lors d’une étude de détermination de la dose qui regroupait 1303 patients opérés pour un cancer, le taux de TVP – déjà faible chez les patients recevant 2500 UI de daltéparine – a été encore plus faible chez ceux qui recevaient 5000 UI (14,9 % vs 8,5 %; p=0,001), sans que l’incidence des hémorragies augmente de manière significative (Bergqvist et al. Br J Surg 1995;82:496-501). Dans le cadre d’une étude canadienne où l’on comparait 5000 U d’HNF 3 f.p.j. avec 40 mg d’énoxaparine 1 f.p.j. chez des patients subissant une intervention colorectale, les taux de TEV étaient plus faibles dans le groupe HBPM, l’écart avoisinant le seuil de significativité statistique (13,9 % vs 16,9 %; p=0,05), et les taux d’hémorragies majeures ne différaient pas de manière significative pour autant (McLeod et al. Ann Surg 2001;233:438-44).  

Schémas et durée du traitement

Tous les patients cancéreux hospitalisés devraient se voir offrir une HBPM à titre de thromboprophylaxie pendant toute la durée de leur hospitalisation. Le traitement doit se poursuivre de sept à 10 jours après l’intervention chez tous les patients, voire plus longtemps dans certains sous-groupes à risque élevé, comme les patients subissant une intervention abdominale ou pelvienne majeure, les patients porteurs d’un cancer résiduel, les patients obèses et les patients ayant des antécédents de TEV, explique le Dr Kakkar. De l’avis de ce dernier, le traitement par l’HBPM devrait se prolonger jusqu’à quatre semaines, que le patient demeure hospitalisé ou non. La prophylaxie mécanique peut être combinée au traitement médicamenteux, surtout chez les patients exposés à un risque très élevé, mais elle ne doit pas s’y substituer, sauf chez les patients pour qui les HBPM sont contre-indiquées en raison d’une hémorragie active, insiste le Dr Kakkar.

Pour le traitement de la TEV chez les patients cancéreux, les HBPM sont non seulement plus pratiques que les autres agents, mais aussi plus efficaces. En effet, non seulement réduisent-elles le risque de TEV davantage que l’HNF, mais elles sont associées à un gain de survie. Il est ressorti d’une méta-analyse que le taux de mortalité était 38 % plus faible chez les patients sous HBPM que chez les patients sous HNF (risque relatif estimé [OR] de 0,62; IC à 95 % : 0,46-0,84) (Cochrane Syst Rev 2004;4:CD001100). Par comparaison à la warfarine, les HBPM donnent généralement de meilleurs résultats pour la prévention du risque à long terme. Par exemple, dans une étude où l’énoxaparine était comparée à la warfarine chez 138 patients, la protection contre les TEV récidivantes a presque atteint le seuil de significativité statistique dans le groupe HBPM (10,5 % vs 21,1 %; p=0,09) (Meyer et al. Arch Intern Med 2002;162:1729-35), et une autre étude regroupant 672 patients a fait ressortir une différence hautement significative en faveur de l’HBPM (9 % vs 17 %; p=0,002) (Lee et al. N Engl J Med 2003;349:146-53).

«Chez environ le tiers des patients cancéreux sous warfarine, le traitement échoue, soit parce qu’il est d’efficacité insuffisante, soit parce qu’il est difficile de maintenir les taux sanguins dans les limites thérapeutiques», affirme la Dre Agnes Y.Y. Lee, directrice médicale du programme sur les thromboses, Vancouver General Hospital, University of British Columbia. Un traitement par la warfarine est contraignant et diminue la qualité de vie en raison des vérifications fréquentes qu’il impose, ajoute-t-elle. Les organismes d’envergure ont aussi choisi les HBPM pour le traitement de première intention du fait qu’elles n’interagissent pas avec les anticancéreux. Pour ce qui est des autres anticoagulants, comme le fondaparinux, inhibiteur du facteur Xa, ou les nouveaux inhibiteurs directs oraux du facteur Xa, comme le rivaroxaban, soit ils ne se sont pas montrés plus efficaces que l’HNF ou la warfarine, soit ils n’ont pas encore été étudiés chez des patients atteints de cancer.

À l’heure actuelle, l’ACCP recommande l’administration d’une HBPM pendant au moins trois mois pour le traitement de la TEV chez les patients cancéreux alors que l’ASCO en recommande l’administration pendant au moins six mois. La Dre Lee rappelle qu’aucune étude clinique n’a encore établi à partir de quel moment la thromboprophylaxie des récidives n’avait plus d’intérêt. Les données semblent plutôt indiquer que le risque de TEV récidivante persiste tant et aussi longtemps que les patients reçoivent un traitement anticancéreux thrombogène ou que leur cancer demeure actif. Même si elle recommande de mettre fin au traitement de longue durée si le risque d’hémorragie grave l’emporte sur le risque de TEV récidivante, la Dre Lee rapporte que de l’avis de nombreux experts, la prophylaxie par une HBPM devrait se poursuivre indéfiniment pour éviter les récidives.

«Nous n’avons pas de données concluantes pour le prouver, mais il semble tomber sous le sens que le traitement anticoagulant devrait se poursuivre tant que le cancer est actif ou que le patient demeure sous chimiothérapie», enchaîne la Dre Lee. Le traitement doit toutefois être individualisé en fonction du risque de TEV et du risque hémorragique, conclut-elle.

Résumé

Même si l’on sait depuis une centaine d’années déjà que les cancers sont responsables d’un état d’hypercoagulabilité, la TEV est à l’origine d’une incidence croissante de complications potentiellement mortelles, en partie à cause de notre capacité à lutter contre le cancer. La survie des patients atteints d’un cancer avancé étant de plus en plus longue, souvent grâce à des chimiothérapies chroniques hautement thrombogènes, notamment les nouveaux anti-angiogéniques comme le bevacizumab, l’incidence des TEV est en hausse. L’ASCO et d’autres organismes influents se sont donc employés à formuler des recommandations pour la prophylaxie et le traitement de la TEV. Au chapitre de la thromboprophylaxie, tous les patients cancéreux hospitalisés devraient recevoir une protection pharmacologique, et la durée du traitement devrait se prolonger s’ils sont opérés. Au chapitre du traitement des TEV, le traitement devrait se poursuivre tant et aussi longtemps que le cancer est actif. Dans les deux cas, les HBPM sont recommandées pour le traitement anticoagulant de première intention.

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