Comptes rendus

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Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

FRONTIÈRES MÉDICALES - 31e Congrès annuel de la Société européenne de cardiologie

Barcelone, Espagne / 29 août-2 septembre 2009

Des essais multinationaux récents sont en voie de redéfinir les schémas antiplaquettaires efficaces pour la prévention des événements thrombotiques chez les victimes d’un syndrome coronarien aigu (SCA). Parmi les nouvelles données, les plus importantes semblent provenir d’un essai de phase III sur le ticagrelor, un médicament expérimental. Les résultats ont été qualifiés de «percée», la diminution des événements thrombotiques par rapport au schéma standard à base de clopidogrel ayant été obtenue sans augmentation significative du risque d’hémorragie majeure. En outre, cet agent a été associé à une diminution relative de la mortalité.

«Avant cet essai, nous ne pensions pas qu’il était possible d’obtenir un effet antiplaquettaire plus marqué sans entraîner un taux inacceptable d’hémorragies. Cette étude est venue changer la donne», affirme l’auteur principal de l’étude sur le ticagrelor, le Dr Lars Wallentin, Centre de recherche clinique d’Uppsala, Suède. Lorsqu’il a résumé l’essai, intitulé PLATO (Platelet inhibition And Treatment Outcomes), il a déclaré : «c’est la première fois depuis 10 à 15 ans qu’un essai sur un antithrombotique montre une diminution de la mortalité totale».

L’essai PLATO

Lors de l’essai PLATO, 18 624 patients hospitalisés pour un SCA avec ou sans sus-décalage du segment ST ont été randomisés de façon à recevoir du ticagrelor ou du clopidogrel. Ces deux agents inhibent un récepteur de surface, le P2Y12, qui joue un rôle clé dans l’activation plaquettaire. L’agent novateur a été administré à raison d’une dose d’attaque de 180 mg, puis d’une dose d’entretien de 90 mg 2 f.p.j. Les autres sujets ont reçu comme dose d’attaque 300 ou 600 mg de clopidogrel, à la discrétion du médecin, puis 75 mg/jour en traitement d’entretien. Les deux antiplaquettaires s’ajoutaient à l’AAS. Le paramètre principal mixte regroupait les décès d’origine vasculaire, les infarctus du myocarde (IM) et les AVC. Au chapitre de l’innocuité, le paramètre principal était la survenue d’une hémorragie majeure.

Au terme du suivi de 12 mois, le ticagrelor a été associé à une diminution de 16 % du risque relatif de survenue des événements compris dans le paramètre mixte par rapport au clopidogrel (HR de 0,84; IC à 95 % : 0,77-0,92; p<0,001) (Figure 1). Contrairement aux études antérieures où l’on comparait deux antiplaquettaires, dont l’un était plus efficace que l’autre, cet avantage relatif n’a pas été associé à une différence significative quant au taux d’hémorragies majeures (11,6 % vs 11,2 %, respectivement; p=0,43). L’évaluation individuelle des composantes du paramètre mixte, chacune étant également un paramètre secondaire prévu au protocole, a mis en évidence un avantage significatif par rapport au clopidogrel dans tous les cas sauf celui des AVC (1,5 % vs 1,3 %; p=0,22).

Figure 1. PLATO : Intervalle précédant la survenue d’un premier événement du paramètre principal mixte (décès CV, IM, AVC)


La diminution relative de la mortalité est peut-être la conclusion la plus probante de l’étude, car la comparaison portait sur un schéma de référence actif. Par rapport au clopidogrel, l’avantage absolu de 1,1 % à 12 mois au chapitre des décès d’origine vasculaire (4,0 % vs 5,1 %) s’est traduit par une protection relative de 21 % (HR de 0,79; IC à 95 % : 0,69-0,91; p<0,001). Sur le plan de la mortalité toutes causes confondues, la différence absolue était d’ampleur similaire (4,5 % vs 5,9 %) et la réduction du risque relatif a atteint 22 % (HR de 0,78, IC à 95 % : 0,69-0,89; p<0,001).

Sur la foi d’études cliniques et expérimentales antérieures, on s’attendait à l’efficacité supérieure du ticagrelor, ce dernier ayant été associé à une inhibition plus rapide, plus marquée et plus constante du récepteur P2Y12 que le clopidogrel. Un autre agent dont l’action s’exerce sur cette même voie, le prasugrel, a également été associé à des effets antiplaquettaires plus constants et plus marqués que le clopidogrel lors d’un essai comparatif antérieur intitulé TRITON-TIMI 38 (TRial to assess Improvement in Therapeutic Outcomes by optimizing platelet iNhibition with prasugrel — Thrombolysis In Myocardial Infarction). Par contre, la diminution des événements cliniques sous prasugrel, par comparaison au clopidogrel, s’est accompagnée d’une augmentation de 32 % du risque relatif d’hémorragie majeure (HR de 1,32; IC à 95 % : 1,03-1,68; p=0,03), incluant une augmentation des hémorragies mortelles (0,4 % vs 0,1 %; p=0,002) (Wiviott et al. N Engl J Med 2007;357:2001-15).

Dans le cadre de l’essai PLATO, les chercheurs n’ont observé aucune différence entre les groupes quant aux hémorragies majeures, qu’ils aient pris comme définition de l’hémorragie majeure celle qui était prévue au protocole ou celle qu’avaient formulée les chercheurs de l’essai TIMI. L’absence de différence significative entre les groupes quant aux hémorragies majeures (paramètre principal d’évaluation de l’innocuité) a été renforcée par plusieurs paramètres secondaires d’évaluation de l’innocuité, comme l’absence de différence significative quant aux hémorragies mortelles ou potentiellement mortelles. Le ticagrelor a été associé à un taux plus élevé d’hémorragies non reliées aux pontages aortocoronariens (4,5 % vs 3,8 %; p=0,03) et à un taux plus élevé d’hémorragies mineures et majeures combinées (16,1 % vs 14,6 %; p=0,008) alors que le clopidogrel a été associé à un taux plus élevé d’hémorragies non intracrâniennes mortelles (0,1 % vs 0,3 %; p=0,03). Le taux d’hémorragies intracrâniennes mortelles était faible à la fois dans le groupe clopidogrel (0,01 %) et le groupe ticagrelor (0,1 %), mais l’écart était significatif (p=0,02).

Les seuls autres effets indésirables qui différenciaient les deux traitements étaient la dyspnée et les tumeurs bénignes. La dyspnée est survenue chez 13,8 % des sujets sous ticagrelor et 7,8 % des sujets sous clopidogrel (p<0,001), mais le taux d’abandons pour cause de dyspnée était inférieur à 1 % dans les deux groupes (0,9 % vs 0,1 %; p<0,001). Des tumeurs bénignes ont été signalées chez 0,4 % des sujets sous clopidogrel et 0,2 % des sujets sous ticagrelor (p=0,02), mais les faibles taux et la significativité négligeable donnent à penser indiquer que ce résultat est trompeur. À 12 mois, on a observé chez les sujets sous ticagrelor une augmentation plus marquée de la créatininémie (11 % vs 9 %; p<0,001) et de l’uricémie (15 % vs 7 %; p<0,001), mais ces augmentations étaient réversibles à l’arrêt de l’un ou l’autre traitement. Une étude satellite avec enregistrement Holter n’a pas révélé de différences significatives entre les groupes quant au risque de pauses ventriculaires à 30 jours.

D’autres résultats notables étaient compatibles avec la plus grande activité antiplaquettaire du ticagrelor par rapport au clopidogrel, le plus important étant la diminution des thromboses sur tuteur. Près des deux tiers des sujets randomisés (11 289) étaient porteurs d’un tuteur. Peu importe la stratification des thromboses, la supériorité de l’agent novateur était systématique : thromboses prouvées (1,3 % sous ticagrelor vs 1,9 % sous clopidogrel; p=0,009); thromboses prouvées ou probables (2,2 % vs 2,9 %; p=0,02), ou thromboses prouvées, probables ou possibles (2,9 % vs 3,8 %; p=0,01).

Sur la foi des données générées par cet essai, le Dr Wallentin a calculé que l’administration du ticagrelor à la place du clopidogrel chez un millier de patients entraînerait 14 décès de moins, 11 IM de moins et 6 à 8 thromboses sur tuteur de moins sans causer d’augmentation des hémorragies majeures. La dyspnée nécessiterait le passage du ticagrelor au clopidogrel chez neuf patients.

«À court et à long terme, le ticagrelor est plus efficace que le clopidogrel pour la prévention continue des événements ischémiques chez les victimes d’un SCA», poursuit le Dr Wallentin. Il a qualifié la diminution de la mortalité de l’une des plus importantes jamais obtenue dans une étude comparative sur deux agents actifs dans le traitement des maladies cardiovasculaires (CV), et il s’attend à ce que ce nouvel agent joue un rôle clé dès sa commercialisation.

L’essai CURRENT OASIS 7

Il ressort également du deuxième essai, intitulé CURRENT OASIS 7 (Clopidogrel optimal loading dose Usage to Reduce RecurrENT events/Optimal Antiplatelet Strategy for InterventionS), qu’activité antiplaquettaire ne rime pas nécessairement avec risque hémorragique. Lors de cet essai, 25 087 victimes d’un SCA qui devaient subir une intervention coronarienne percutanée (ICP) précoce ont été randomisées en fonction de deux facteurs. Le premier était la dose de clopidogrel (dose d’attaque de 600 mg suivie d’une dose d’entretien de 150 mg vs dose d’attaque de 300 mg suivie d’une dose d’entretien de 75 mg) et le second, la dose d’AAS (300 à 325 mg vs 75 à 100 mg). Le paramètre principal mixte était le même que celui de l’essai PLATO, soit le décès d’origine CV, l’IM ou l’AVC. Les hémorragies majeures constituaient le paramètre principal d’évaluation de l’innocuité.

Sur le plan du paramètre principal d’évaluation de l’efficacité antiplaquettaire, la réduction de 0,2 % du risque absolu d’événement sous clopidogrel à forte dose, par rapport au clopidogrel à dose standard, n’a donné lieu qu’à une réduction non significative de 5 % du risque relatif (HR de 0,95; IC à 95 % : 0,84-1,07; p=n.s.). Cependant, les 7855 (31 %) sujets de cette étude n’ayant pas subi d’ICP représentaient une part beaucoup plus importante que ce à quoi l’on s’attendait. Lorsqu’ils ont été exclus de l’analyse, on a observé une réduction de 15 % du risque relatif (HR de 0,85; IC à 95 % : 0,74-0,99; p<0,01) de survenue du paramètre principal, celle-ci tenant en grande partie à la réduction de 22 % des IM (HR de 0,78; IC à 95 % : 0,64-0,95; p<0,01). En outre, chez les patients ayant subi une ICP qui ont reçu du clopidogrel à forte dose, on a enregistré une réduction de 42 % du risque relatif de thrombose sur tuteur prouvée (HR de 0,58; IC à 95 % : 0,42-0,79; p=0,001). Comme dans l’essai PLATO, il n’y avait aucune différence significative entre les deux groupes quant aux hémorragies majeures (0,5 % dans les deux groupes). Même si les transfusions sanguines de plus de deux unités ont augmenté de près de 50 % (HR de 1,49; IC à 95 % : 1,11-1,98; p<0,01) chez ceux qui recevaient le clopidogrel à forte dose, les hémorragies mortelles ont été moins nombreuses dans ce groupe,mais l’écart n’était pas significatif (0,07 % vs 0,15 %; p=n.s.).

Malgré l’absence de bénéfice au chapitre du paramètre principal prévu au protocole pour l’ensemble de la population de l’étude, ces résultats sont considérés comme importants et pertinents, car les sujets ayant subi une ICP étaient le groupe ciblé dans cette étude. Même lorsque sont exclus les patients n’ayant pas subi d’ICP, la population restante constitue l’une des plus vastes jamais étudiées sur la prise en charge des SCA. De l’avis de l’auteur principal, le Dr Shamir Mehta, professeur agrégé, département de médecine (cardiologie), McMaster University, Hamilton, Ontario, ces résultats modifieront la pratique.

«Les comités qui formuleront les recommandations tiendront probablement compte de ces données d’une façon quelconque», fait-il remarquer, soulignant que le traitement par le clopidogrel à forte dose a réduit les risques sans causer d’hémorragies majeures. Un changement relativement mineur dans la pratique se traduira par un gain appréciable, ajoute-t-il. «C’est un changement simple à mettre en œuvre. Il suffit de passer de un à deux comprimés par jour [de clopidogrel]. Les répercussions sur le coût sont pratiquement négligeables, tandis que les bénéfices, eux, sont importants. Cette mesure toute simple pourrait améliorer l’issue clinique chez les patients ayant subi une ICP.»

En revanche, le traitement à forte dose par l’AAS n’a pas été associé à un bénéfice plus marqué chez les sujets de l’essai CURRENT OASIS 7, tant chez ceux qui n’ont pas subi d’ICP que chez ceux qui en ont subi une. Au sein de l’effectif total de l’étude, la réduction de 0,2 % du risque absolu (4,2 % vs 4,4 %) observée sous AAS à forte dose s’est traduite par une réduction non significative de 4 % du risque relatif (HR de 0,96; IC à 95 % : 0,85-1,08; p=n.s.). Les résultats étaient comparables, que les sujets aient subi une ICP ou non. Les hémorragies majeures n’ont pas augmenté sous l’effet de doses accrues d’AAS, mais les résultats dans leur ensemble sont compatibles avec d’autres données montrant que tout accroissement éventuel de l’effet antiplaquettaire est relativement modeste à des doses supérieures à 100 mg.

Cela dit, ces résultats sont équivoques et ne tranchent pas la controverse, si bien qu’on ne sait toujours pas si tous les patients doivent recevoir de l’AAS à faible dose, pratique plus courante en Europe qu’en Amérique du Nord. Même si les écarts n’étaient pas significatifs, note le Dr Mehta, les résultats de l’évaluation des paramètres principaux favorisaient systématiquement la dose la plus forte. Les données ne font peut-être pas ressortir d’avantage, mais «il n’y avait aucun inconvénient». En fin de compte, les données semblent indiquer que les deux doses d’AAS sont acceptables. Le rôle des IPP

Une troisième étude sur l’utilisation des antiplaquettaires dans la prise en charge des SCA aura des retombées immédiates. En effet, une analyse rétrospective détaillée sur des patients ayant reçu un inhibiteur du récepteur P2Y12 lors d’essais cliniques d’envergure n’a mis en évidence aucune interaction significative avec l’utilisation concomitante d’un inhibiteur de la pompe à protons (IPP). Cette analyse regroupait les données de 13 608 sujets de l’essai TRITON-TIMI 38 et celles de 201 sujets de l’essai de moindre envergure PRINCIPLE-TIMI 44 (Prasugrel compared with high-loading and maintenance-dose clopidogrel in patients with planned PCI: the Prasugrel in Comparison to Clopidogrel for Inhibition of Platelet Activation and Aggregation-Thrombolysis in Myocardial Infarction). Visant à trancher la controverse soulevée par une étude d’observation il y a près de deux ans, la nouvelle analyse n’a finalement objectivé aucune différence significative dans les résultats lorsque les patients sous IPP, qui représentaient environ le tiers des patients évalués, ont été comparés aux patients ne recevant pas d’IPP. Cette conclusion valait à la fois pour le clopidogrel et le prasugrel.

«Dans un premier temps, ces données rassurent les cliniciens quant à l’innocuité de ces deux classes de médicaments administrées en concomitance chez les patients pour qui les deux sont clairement indiquées», explique l’auteure principale de l’étude, la Dre Michelle L. O’Donoghue, Brigham and Women’s Hospital, Harvard Medical School, Boston, Massachusetts. Certes, nous avons besoin d’un essai prospectif avec randomisation pour obtenir des données concluantes, prévient-elle, mais pour l’instant, ce sont les meilleures données que nous ayons en main.

Abondant dans le même sens, le Dr Kurt Huber, Service de cardiologie, Hôpital Wilhelminen, Vienne, Autriche, estime que la force de cette analyse tient au fait qu’elle cible une population bien définie et aux données relativement complètes sur l’exposition de cette population aux IPP. Comme sa consœur, le Dr Huber considère que l’obtention de données probantes sur l’utilisation des IPP passe par une étude prospective avec randomisation, mais les données dont nous disposons étayent les recommandations actuelles en vertu desquelles un IPP peut être utilisé chez un patient sous antiplaquettaire lorsque ces deux médicaments sont indiqués.

Résumé

Les données montrant que des antiplaquettaires plus puissants peuvent exercer une activité antithrombotique plus marquée sans pour autant augmenter significativement le risque d’hémorragie majeure confirment que nous avons fait des progrès pour ce qui est de réduire le risque d’événement vasculaire chez les victimes d’un SCA. Les résultats de l’essai PLATO revêtent une importance particulière du fait qu’ils ont associé le médicament à l’étude avec une diminution de la mortalité toutes causes confondues, résultat difficile à obtenir dans les essais où l’on compare deux agents actifs. De plus, on dispose maintenant de données prouvant qu’il suffit de doubler les doses d’attaque et d’entretien de clopidogrel pour réduire davantage le risque chez les patients ayant subi une ICP. Cette mesure, que l’on peut appliquer dès maintenant, est un tremplin vers une meilleure prise en charge du patient. Par ailleurs, l’absence d’effet des IPP sur le traitement antiplaquettaire est rassurante pour une population dans laquelle l’utilisation d’un IPP est monnaie courante.

Nota : Au moment de la mise sous presse de la présente publication, le ticagrelor n’était pas commercialisé au Canada.

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