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Leucémie myéloïde chronique : les ITK de deuxième génération se taillent une place en traitement de première intention

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

PRESSE PRIORITAIRE - La 52e Assemblée/Exposition annuelle de l’American Society of Hematology

Orlando, Floride / 4-7 décembre 2010

On s’y attendait depuis longtemps : les données les plus récentes sur l’emploi des inhibiteurs de tyrosine kinases (ITK) de deuxième génération dans le traitement de première intention de la leucémie myéloïde chronique (LMC) à chromosome Philadelphie positif (Ph+) justifient une modification du traitement de référence. Nous en sommes au 24e mois du suivi le plus long dans le cadre d’un essai de phase III (en l’occurrence, sur le nilotinib), et les données font encore ressortir des réponses à la fois plus nombreuses, plus rapides et plus profondes. La nature des effets indésirables diffère notablement d’un ITK à l’autre, certes, mais les agents les plus récents sont au moins aussi bien tolérés que leurs prédécesseurs.

Données à 24 mois de l’étude ENESTnd

En examinant les données du suivi à 24 mois de l’essai ENESTnd (Evaluating Nilotinib Efficacy and Safety in Clinical Trials—Newly Diagnosed Patients), on comprend pourquoi les agents de deuxième génération se taillent une place dans le traitement de première intention.

«Après 24 mois, nous pouvons conclure que le nilotinib est supérieur à l’imatinib au chapitre de la réponse moléculaire majeure (RMM), de la réponse cytogénétique complète (RCyC) et de la réponse moléculaire complète (RMC). Dans le groupe nilotinib, par rapport au groupe imatinib, on a enregistré un taux d’échec plus faible et une amélioration significative de la survie sans progression (SSP), et on a observé moins d’effets indésirables. Ces données étayent la supériorité du nilotinib pour le traitement de première intention», affirme le Pr Timothy P. Hughes, Royal Adelaide Hospital, Australie.

L’observation sans doute la plus révélatrice de ce suivi récent de l’étude ENESTnd provient d’une évaluation de la cinétique de la RMM. Ainsi, nous avions constaté, lors d’études antérieures, l’existence d’une corrélation positive entre la rapidité de la RMM ou la proportion totale de sujets obtenant une RMM, et l’obtention de résultats favorables au chapitre, par exemple, de la SSP. La RMM obtenue sous nilotinib à 6 mois était comparable à la RMM obtenue sous imatinib à 18 mois.

Tous les résultats à 24 mois d’ENESTnd étoffent et consolident les données à 12 mois publiées plus tôt cette année (N Engl J Med 2010;362:2251-9). Dans l’étude ENESTnd, 846 sujets atteints de LMC Ph+ en phase chronique ont reçu, après randomisation, du nilotinib (300 mg 2 fois/jour. ou 400 mg 2 fois/jour) ou de l’imatinib à 400 mg. Le paramètre principal, à savoir la RMM, a été atteint chez près de deux fois plus de patients traités par l’une des deux doses de nilotinib que de patients sous imatinib (44 % et 43 % pour le nilotinib vs 22 % pour l’imatinib; p<0,001). Quant à la RCyC de 80 % sous nilotinib à 300 mg et de 78 % sous nilotinib à 400 mg, elle a été, dans un cas comme dans l’autre, significativement supérieure à la RCyC de 65 % enregistrée sous imatinib (p<0,001 pour les deux comparaisons).

À 24 mois, le taux de RMM a grimpé à 62 % et à 59 % sous nilotinib à 300 mg et à 400 mg, contre 37 % sous imatinib (p<0,001 pour les deux doses de nilotinib par rapport à l’imatinib). Le taux de RCyC s’est lui aussi accru, atteignant 87 % et 88 % dans les deux groupes nilotinib, comparativement à 77 % dans le groupe imatinib (p=0,0018 [nilotinib à 300 mg vs imatinib]). Dans une analyse en intention de traiter, le taux de progression vers la phase d’accélération/crise blastique (PA/CB) s’est établi à 0,7 % sous nilotinib à 300 mg (p=0,0059 vs imatinib), à 1,2 % sous nilotinib à 400 mg (p=0,0196 vs imatinib) et à 4,2 % sous imatinib. Au chapitre de la progression vers la PA/CB avec évolution clonale, les taux ont été de 0,7 % (p=0,0003 vs imatinib), de 1,8 % (p=0,0089 vs imatinib) et de 6 %.

Toujours à 24 mois, le taux de neutropénie de grade 3 et 4 était, comme à 12 mois, plus élevé chez les sujets sous imatinib (21 % vs 12 % et 11 % pour les sujets sous nilotinib à 300 mg et à 400 mg); en revanche, le taux de thrombopénie de grade 3 ou 4, auparavant plus élevé sous nilotinib, était semblable à celui du groupe imatinib (9 % pour l’imatinib vs 10 % et 12 % pour le nilotinib à 300 mg et à 400 mg). La toxicité digestive demeurait plus fréquente chez les patients traités par l’imatinib, mais on a enregistré un taux d’hyperbilirubinémie (4 % et 8 % vs < 1 %) et d’élévation de la lipase (7 % et 8 % vs 3 %) plus élevé chez les patients traités par le nilotinib. Enfin, les anomalies des enzymes hépatiques ont été comparables sous nilotinib à 300 mg et sous imatinib (4 % vs 3 %), mais plus fréquentes sous nilotinib à 400 mg (9 %).

Résultats de l’essai DASISION et autres données

L’avantage clinique de l’autre ITK de deuxième génération, le dasatinib, sur l’imatinib s’est affirmé lors d’une actualisation à 18 mois de données déjà publiées. Les résultats de cet essai de phase III, DASISION (Dasatinib versus Imatinib Study in Treatment-Naive CML Patients), ont été publiés en même temps que ceux d’ENESTnd (N Engl J Med 2010;362:2260-70). Lors de l’essai DASISION, on a comparé le dasatinib à 100 mg par jour à l’imatinib à 400 mg par jour chez 519 patients atteints de LMC et n’ayant jamais été traités. Le Dr Neil Shah, University of California, San Francisco, qui a présenté les tout derniers résultats de cette étude, rapporte que l’avantage du dasatinib s’est maintenu.

«Selon une analyse du délai de réponse, les patients sous dasatinib étaient 1,84 fois plus susceptibles d’obtenir une RMM que les patients sous imatinib (HR : 1,84, p<0,0001). Par ailleurs, le taux de RCyC chez les patients du groupe dasatinib s’est établi à 92 %, à 71 % et à 73 %, selon que les sujets étaient exposés à un risque faible, modéré ou élevé. Dans le groupe imatinib, ces taux ont été respectivement de 72 %, de 71 % et de 64 %», déclare le Dr Shah. Toutefois, les taux de progression vers la PA/CB à 12 mois se sont chiffrés à 2,3 % sous dasatinib contre 3,5 % sous imatinib, ce qui ne constitue pas un écart statistiquement significatif, note le médecin.

Du côté des effets indésirables à 18 mois, les taux étaient généralement plus faibles sous dasatinib que sous imatinib, mais le tableau était différent. Ainsi, dans le groupe dasatinib, on a enregistré un taux de rétention liquidienne (23 % vs 43 %) et d’œdème superficiel (10 % vs 36 %) plus faible, mais un taux d’épanchement pleural plus élevé (12 % vs 0 %). Les taux de nausées (9 % vs 21 %), de vomissements (5 % vs 10 %), de myosites (4 % vs 19 %) et de myalgies (6 % vs 12 %) était inférieur sous dasatinib, mais les différences entre les taux de douleurs musculosquelettiques (12 % vs 16 %), de diarrhée (18 % vs 19 %) et de fatigue (8 % vs 11 %) étaient relativement ténues.

À l’instar du Dr Hughes, le Dr Shah estime que le suivi à long terme étaye l’emploi en première intention des ITK de deuxième génération. Et des données portant sur une période encore plus longue ne font que renforcer cette opinion. Ainsi, dans un essai de phase II, on a amorcé un traitement par le nilotinib chez 73 sujets atteints de LMC et exempts d’antécédents thérapeutiques; après 3 années de suivi, la leucémie avait progressé vers la PA/CB chez un seul patient, et elle n’avait progressé chez aucun des patients qui avaient obtenu une RMM. Les taux de SSP et de survie globale atteignaient 99 %, tandis que le taux de survie sans événement était de 92 %. Les quatre abandons ont été motivés par une hausse de la lipase ou de l’amylase, mais il n’y a pas eu de cas de pancréatite ni d’abandons provoqués par d’autres effets indésirables. À 3 ans, la dose quotidienne de nilotinib était de 800 mg chez 71 % des patients, de 400 mg chez 28 % des patients et de 200 mg chez 1 patient.

«Le taux de réponse très élevé observé dans cette étude, tout comme dans l’étude ENESTnd à 12 mois, se traduit, concrètement, par les résultats auxquels on pouvait s’attendre vu la maîtrise plus serrée et plus rapide que permet d’obtenir cet agent par rapport à l’imatinib», affirme le Dr Gianantonio Rosti, Département d’hématologie et d’oncologie, Università di Bologna, Italie. «La stabilité des réponses continue de nous étonner», déclare-t-il au sujet des résultats de cet essai de phase II.

Si les ITK de deuxième génération offrent une maîtrise plus serrée, c’est parce qu’ils réalisent une inhibition beaucoup plus puissante de l’oncogène BCR-ABL, avantage d’abord démontré in vitro et dont la portée clinique est désormais établie. Une étude de faible effectif a d’ailleurs permis de démontrer cet avantage : on a procédé à une évaluation de la cinétique du gène BCR-ABL chez des patients passés au nilotinib en raison d’une réponse moléculaire sous-optimale à l’imatinib.

«On a observé, chez les 14 sujets de l’étude, une réduction médiane de 3,11 logs des produits de transcription du gène BCR-ABL dans les 3 mois qui ont suivi le passage au nilotinib», signale la Dre Carole Miller, Saint Agnes Hospital, Baltimore, Maryland, précisant que cette réduction était plus importante à 6 et à 12 mois. Qui plus est, 86 % des patients traités pendant au moins 12 mois ont, malgré une réponse sous-optimale à l’imatinib, obtenu une RMM après être passés au nilotinib; c’est sans doute là le résultat le plus important.

Résumé

Les données cumulatives sur l’emploi des ITK de deuxième génération dans le traitement de première intention de la LMC valident les résultats observés après 12 mois de traitement. Ces agents, dont on avait constaté la plus grande efficacité contre la cible moléculaire lors d’études expérimentales, ont conduit plus rapidement à des taux de réponse plus élevés et à des réponses plus profondes, le tout se concrétisant par une maîtrise à long terme plus serrée de la maladie. Le suivi le plus long a été réalisé chez des patients sous nilotinib : ce produit a assuré, moyennant un profil d’innocuité acceptable, une maîtrise efficace et durable de la LMC pendant une période ayant atteint 3 ans chez des patients qui n’avaient encore jamais été traités. Ces données semblent paver la voie à la redéfinition du traitement de référence de la LMC en phase chronique.

Nota : Au moment de la mise sous presse, ni le nilotinib ni le dasatinib n’étaient homologués en traitement de première intention au Canada.

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