Comptes rendus

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L’inhibition du VEGF dans le traitement de la dégénérescence maculaire liée à l’âge

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

FRONTIÈRES MÉDICALES - Assemblée annuelle 2012 de l’Association for Research in Vision and Ophthalmology (ARVO)

Fort Lauderdale, Floride / 6-10 mai 2012

Fort Lauderdale - Deux vastes essais indépendants n’ont pas réussi à trancher la controverse sur l’efficacité et l’innocuité relatives de deux inhibiteurs du facteur de croissance de l’endothélium vasculaire (VEGF) dans le traitement de la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA). De l’avis des auteurs, les données à 2 ans de l’essai CATT et les données à 1 an de l’essai IVAN – deux essais visant à évaluer dans le traitement de la DMLA le ranibizumab (homologué dans cette indication) et le bévacizumab (utilisé hors indication) – ont révélé que ces deux anti-VEGF étaient d’efficacité similaire. Le nombre plus élevé d’effets indésirables graves dans le groupe bévacizumab des deux études complique toutefois l’interprétation des résultats. En outre, plusieurs marqueurs de substitution de l’activité du médicament, dont la protection contre l’expansion des lésions, favorisaient le ranibizumab. Le débat, que les deux études ont alimenté plutôt que tranché, s’étend à de nombreuses questions, notamment l’impact du coût sur l’utilisation hors indication d’un médicament et les dispositifs de protection dans le processus d’homologation.

Rédactrice médicale en chef : Dre Léna Coïc, Montréal, Québec

L’inhibition du facteur de croissance de l’endothélium vasculaire (VEGF) permet de ralentir, voire de stopper dans certains cas, la perte de vision qui définit cliniquement la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) exsudative, en grande partie imputable à la néovascularisation. Le ranibizumab – qui s’est révélé efficace pour inhiber l’angiogenèse associée à la DMLA lors d’études de phase III – est homologué dans cette indication. Depuis quelque temps, des médecins de nombreux pays, les États-Unis en particulier, prescrivent du bévacizumab – un autre inhibiteur du VEGF actuellement indiqué pour le traitement du cancer du côlon – pour le traitement hors indication de la DMLA, son coût d’acquisition étant plus faible. Deux essais – CATT (Comparison of Age-related Macular Degeneration Treatments Trial) et IVAN (Inhibition of VEGF in Age-related choroidal Neovascularisation) – ont été réalisés aux États-Unis et au Royaume-Uni, respectivement, pour que l’on puisse déterminer si le bévacizumab est un substitut acceptable.

Résultats de l’essai CATT

Le Dr Daniel F. Martin, président, Cole Eye Institute, Cleveland Clinic, Ohio, qui présentait les nouveaux résultats de l’essai CATT au congrès 2012 de l’Association for Research in Vision and Ophthalmology (ARVO), a conclu son allocution en disant que la non-infériorité du bévacizumab sur le plan de l’acuité visuelle à 1 an s’était maintenue au cours de la deuxième année. Cependant, en raison de différences entre les deux anti-VEGF quant à l’innocuité et aux signes de progression de la maladie, les résultats à 2 ans soulèvent les mêmes dilemmes ou presque que les résultats à 1 an, souligne le Dr Martin.

«Je dois dire que tout le processus est assez amusant parce que, pour résumer la chose en quelques mots, les tenants [du ranibizumab] voient des différences alors que les tenants [du bévacizumab], eux, voient des similitudes», enchaîne le Dr Martin. Il faisait référence aux résultats à 1 an de l’essai CATT, mais sa phrase aurait bien pu s’appliquer aux résultats à 2 ans. Essentiellement, les deux agents sont d’efficacité similaire sur le plan de l’acuité visuelle, quoique le ranibizumab soit généralement associé à un avantage numérique non significatif, mais le ranibizumab s’est montré supérieur selon l’évaluation de nombreux autres paramètres importants, l’innocuité en particulier. Comme il s’agit d’un traitement chronique et que les différences pourraient s’amplifier avec le temps, il y a de quoi s’inquiéter.

Les 1185 sujets de l’essai CATT ont été randomisés en quatre groupes : ranibizumab 1 fois/mois, bévacizumab 1 fois/mois, ranibizumab au besoin (PRN) et bévacizumab PRN. Il a ainsi été possible de comparer les deux médicaments et les schémas posologiques courants. Sur le plan de l’acuité visuelle, la non-infériorité à 1 an était définie par un écart moyen de moins de 5 lettres. Une différence notable s’est dégagée de la comparaison entre le schéma PRN et le schéma mensuel pour chaque agent. Le ranibizumab administré au besoin s’est révélé non inférieur au même agent administré 1 fois/mois, tandis que le bévacizumab PRN n’a pas atteint les critères de non-infériorité par rapport au schéma mensuel, le résultat ayant été qualifié de «non concluant». Les auteurs ont conclu que, sur le plan de l’acuité visuelle, le bévacizumab était non inférieur au ranibizumab lorsqu’il était administré selon le même schéma, bien que chez les patients sous ranibizumab, les effets indésirables graves aient été significativement moins nombreux (p=0,04) et que certains signes de l’activité du médicament, en particulier l’absence d’exsudat à la tomographie par cohérence optique (p<0,001), aient été significativement plus prononcés.

Les objectifs de la comparaison à 2 ans de l’essai CATT ont été modifiés légèrement, mais les résultats étaient semblables à ceux de la première année. La principale différence entre les deux analyses est qu’au terme de la première année, 549 patients qui avaient reçu une injection mensuelle durant la première année ont été randomisés de façon à continuer d’être traités mensuellement ou à être traités au besoin au cours de la deuxième année. Les résultats à 2 ans ont donc permis aux chercheurs de non seulement continuer de comparer l’efficacité et l’innocuité relatives du ranibizumab et du bévacizumab, mais aussi de recueillir de nouvelles données sur l’importance relative de la stratégie d’administration. Les données sur l’innocuité et l’efficacité recueillies chez les 1107 patients évaluables ont été présentées d’après le médicament attribué et le schéma attribué.

Figure 1. CATT : Variation moyenne du score d’acuité visuelle par rapport au score initial

Là encore, les différences moyennes d’acuité visuelle étaient modestes (Figure 1), que la comparaison ait porté sur l’agent ou sur le schéma. Le ranibizumab a été systématiquement associé à une meilleure acuité visuelle comparativement au bévacizumab (qu’ils aient été administrés 1 fois/mois ou au besoin) et les résultats étaient meilleurs lorsque l’administration était mensuelle (que les patients aient reçu du bévacizumab ou du ranibizumab), mais la pertinence clinique de ces différences a fait l’objet d’un débat. Il est intéressant de souligner par exemple que si l’acuité visuelle moyenne était comparable à 104 et à 52 semaines dans trois des quatre groupes, elle a commencé à baisser progressivement vers la semaine 64 dans le groupe bévacizumab PRN. La nouvelle randomisation qui a eu lieu au terme de la première année a rendu plus difficile la mise en évidence d’un avantage relatif du ranibizumab. La perte de puissance statistique qui en a découlé est venue torpiller les efforts visant à comparer les schémas 1 fois/mois et PRN.

Cependant, au chapitre des effets indésirables graves, l’écart entre les deux agents s’était creusé au terme de la deuxième année, par rapport au terme de la première année. La comparaison de l’un ou l’autre schéma de ranibizumab avec l’un ou l’autre schéma de bévacizumab a révélé que le risque relatif ajusté d’effet indésirable grave était 30 % plus élevé (RR 1,3; IC à 95 %, 1,07-1,57; p=0,009) sous bévacizumab. Lorsque reportée sur un graphique, l’augmentation relative du nombre d’effets indésirables graves au cours des 2 années de l’étude était constante et progressive.

Figure 2. CATT : Variation moyenne de la surface des lésions

En outre, l’évaluation de plusieurs paramètres donne à penser que le ranibizumab pourrait exercer une influence plus marquée sur la pathologie sous-jacente. Comme ce fut le cas la première année, la variation moyenne de la surface des lésions au cours de la deuxième année était significativement moindre (p=0,006) sous ranibizumab que sous bévacizumab, que ces agents aient été administrés 1 fois/mois (-0,4 vs +1,6 mm2) ou au besoin (+1,9 vs +3,0 mm2) (Figure 2). De même, la proportion de patients dont l’examen objectivait l’absence d’exsudat à 2 ans était significativement plus élevée (p=0,0003) sous ranibizumab, que l’administration ait été mensuelle (46 % vs 30 %) ou au besoin (22 % vs 14 %) (Figure 3). L’atrophie géographique, quoique plus marquée chez les patients sous ranibizumab 1 fois/mois (26 % vs 18 %) ou au besoin (15 % vs 13 %), ne différait pas significativement selon l’agent administré (p=0,13). La différence quant à la variation moyenne de l’épaisseur totale de la rétine, quoique moins prononcée sous ranibizumab que sous bévacizumab, n’a pas atteint le seuil de significativité statistique selon l’agent attribué; la protection accrue que conférait l’administration mensuelle plutôt qu’au besoin avoisinait le seuil de significativité statistique (p=0,08).

Au chapitre du nombre moyen d’injections chez les patients traités au besoin, il y a eu une seule injection de moins sous ranibizumab (13 vs 14), mais cette différence a atteint le seuil de significativité statistique (p=0,01). Comme c’était la persistance de la maladie qui déterminait le besoin d’une injection, cette différence étaye la possibilité d’une activité plus marquée du ranibizumab. Même si les comparaisons n’ont duré que 2 ans dans le cadre de l’essai CATT, il est pertinent de prendre en compte l’effet de différences même modestes en présence d’une maladie chronique.

Figure 3. CATT : Proportion de patients dont l’examen a objectivé l’absence d’exsudat à 2 ans

 

Résultats de l’étude IVAN et autres discussions

Les résultats à 1 an de l’étude IVAN, dont les sujets étaient également randomisés en 4 groupes, sont fort comparables à ceux de l’étude CATT. Dans son allocution, la Pre Usha Chakravarthy, Queen’s University, Belfast, Royaume-Uni, a expliqué que l’avantage de 1,99 lettre observé sous ranibizumab à 1 an avoisinait le seuil de significativité statistique (p=0,056) sans toutefois dépasser la borne prédéfinie de non-infériorité. Le risque relatif approché d’effet indésirable systémique, quel qu’il soit, a augmenté de 35 % sous bévacizumab (OR 1,35;IC à 95 % : 0,8-2,27; p=0,25), mais la différence n’a pas atteint le seul de significativité statistique. Il importe toutefois de souligner que les concentrations sériques de VEGF étaient significativement plus faibles sous bévacizumab que sous ranibizumab dans l’étude IVAN, ce qui donne à penser que le bévacizumab exerçait un effet systémique. La migration du bévacizumab hors de l’œil pourrait expliquer en partie le taux plus élevé d’effets indésirables associés à cet agent. Tous les changements morphologiques, y compris la surface des lésions et la fuite de colorant, favorisaient le ranibizumab, mais aucun n’était significatif. Vu l’absence de significativité, les auteurs ont conclu que le bévacizumab était non inférieur et que le traitement au besoin était comparable au traitement mensuel.

Plusieurs objections à l’allégation de non-infériorité ont été soulevées durant la période de discussion qui a suivi la présentation ainsi que dans d’autres forums du congrès de l’ARVO. L’une d’elles concernait l’équivalence des doses comparées. Les auteurs des études CATT et IVAN ont rétorqué qu’ils n’avaient pas tenté de définir l’équivalence des doses principalement parce qu’il n’y avait jamais eu d’étude sur la posologie ou l’efficacité du bévacizumab dans la DMLA. Ils ont plutôt décidé d’étudier la dose de bévacizumab que les médecins américains utilisent le plus souvent dans la DMLA. Au nombre des autres objections, les difficultés inhérentes à la reconstitution du bévacizumab, qui n’est pas commercialisé en doses pour usage ophtalmique, ont des répercussions sur son innocuité relative. Dans le cadre de l’étude IVAN, des membres du personnel dûment formés appliquaient un protocole de reconstitution rigoureux et utilisaient des flacons de verre stérilisés; il va sans dire qu’au quotidien, l’utilisation de flacons de verre stérilisés n’est pas aussi rigoureuse. D’ailleurs, quelques cas récents d’endophtalmie infectieuse signalés chez des patients sous bévacizumab – que l’on a attribués à la reconstitution (Gonzalez et al. Am J Ophthalmol 2012;153:196-203) – indiquent que les risques relatifs de ces agents pourraient différer en conditions réelles.

L’avantage systématique mais généralement non significatif du traitement anti-VEGF mensuel par rapport au traitement au besoin – lequel a réduit de près de 50 % le nombre d’injections sur une période de 2 ans – a amené les auteurs des études CATT et IVAN à conclure que l’administration au besoin semblait préférable pour la plupart des patients atteints de DMLA. Au-delà de la diminution du coût et du risque de complications liées aux injections, les auteurs estiment que la plupart des patients se passeraient volontiers d’injections mensuelles si leur acuité visuelle n’en souffrait pas de manière importante. Durant la deuxième année de l’étude CATT, lors de laquelle des patients d’abord traités mensuellement ont été randomisés de façon à continuer d’être traités mensuellement ou à être traités au besoin, les chercheurs ont constaté qu’il n’y avait aucun désavantage à passer à un traitement au besoin. L’acuité visuelle était en effet similaire à 2 ans chez tous les patients; même si les sujets de CATT traités mensuellement pendant la totalité des 2 années sont ceux qui ont eu la meilleure acuité visuelle moyenne, l’avantage par rapport aux sujets traités au besoin dès le départ ou après 1 an n’était pas significatif.

Résumé

Compte tenu des critères prédéfinis et de la durée limitée des essais, les chercheurs des deux études ont conclu à la non-infériorité du bévacizumab, mais les discussions houleuses qui ont suivi la présentation des données semblent indiquer que les conclusions ne font pas l’unanimité. Les différences entre les deux agents sur le plan de l’innocuité et la possibilité que les avantages du ranibizumab à 1 an s’amplifient avec le temps ont en effet amené de nombreux congressistes à conclure que les deux agents ne sont pas interchangeables.  

 

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