Comptes rendus

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L’innocuité cardiaque des anthracyclines dans le cancer du sein

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

FRONTIÈRES MÉDICALES - 32e Symposium de San Antonio sur le cancer du sein

San Antonio, Texas / 10-13 décembre 2009

La chimiothérapie néoadjuvante joue souvent un rôle dans la prise en charge d’un cancer du sein opérable, l’excision complète de la tumeur étant plus probable lorsque celle-ci est moins volumineuse. Dans certains cas, la réduction du volume tumoral permet à la patiente de subir une chirurgie mammaire conservatrice plutôt qu’une mastectomie.

Les anthracyclines sont largement utilisées pour la chimiothérapie néoadjuvante dans le cancer du sein. Ces agents offrent la possibilité d’une rémission complète à l’examen pathologique et de meilleurs résultats à long terme dans le cancer localement avancé, affirme la Dre Rosalba Torrisi, vice-directrice, unité de recherche en sénologie médicale, Istituto Europea di Oncologia, Milan, Italie.

Dans le cancer du sein exprimant le récepteur HER2 (HER2+), on a recours au trastuzumab pour réduire le volume de la tumeur avant la chirurgie. L’association du trastuzumab et d’une anthracycline serait une option séduisante pour le traitement préopératoire si ce n’est que ces deux agents sont cardiotoxiques, poursuit la Dre Torrisi.

«Il a été démontré que la doxorubicine liposomale pégylée [DLP] était aussi active, mais moins toxique que la doxorubicine standard dans le cancer du sein, souligne-t-elle. L’utilisation préopératoire de l’association DLP + trastuzumab n’avait toutefois pas été évaluée en détail.»

Afin d’enrichir le corpus de données sur l’association DLP + trastuzumab, les chercheurs de l’institut milanais ont réalisé un essai clinique qui portait sur des patientes atteintes d’un cancer du sein localement avancé HER2+. La chimiothérapie néoadjuvante se résumait à 25 mg/m2 de DLP, 60 mg/m2 de cisplatine et 200 mg/m2/jour de 5-fluorouracile par cycle de 21 jours, pendant au plus huit cycles. En outre, les patientes recevaient une dose d’attaque de trastuzumab de 8 mg/kg suivie d’une dose de 8 mg/kg tous les 21 jours. Les patientes dont le cancer du sein exprimait des récepteurs hormonaux recevaient également un inhibiteur de l’aromatase.

Les paramètres d’évaluation principaux étaient la réponse clinique et la réponse pathologique complète (RpC), que l’on définissait comme l’absence d’une tumeur mesurable ou invasive dans le sein et les ganglions lymphatiques axillaires, ainsi que la tolérabilité du schéma. Les chercheurs ont recruté 32 patientes dont l’âge médian était de 47 ans. Les autres caractéristiques initiales étaient la présence de récepteurs hormonaux chez 15 patientes, un cancer de stade T4 chez 15 patientes et des ganglions positifs à l’examen clinique chez 26 femmes (86 %).

Quatre patientes ont obtenu une RpC et 26 autres, une réponse partielle (RP), ce qui revient à un taux de réponse globale de 94 %. Le cancer n’a progressé chez aucune patiente durant le traitement préopératoire. La Dre Torrisi rapporte que 13 patientes (41 %) sont parvenues à une RpC. Une autre patiente ne présentait que quelques cellules tumorales résiduelles tandis que deux autres patientes présentaient un cancer T1a résiduel à l’examen pathologique. Au moment de l’intervention, les ganglions lymphatiques étaient négatifs chez 74 % des patientes.

En tout, poursuit la Dre Torrisi, 21 patientes ont reçu les huit cycles de chimiothérapie néoadjuvante. Les 11 autres patientes ont arrêté leur traitement prématurément, bien que seulement sept épisodes de toxicité non hématologique de grade 3 ou plus aient été signalés, dont trois épisodes chez une seule et même patiente. La fraction d’éjection ventriculaire gauche (FÉVG) était <u>></u>50 % chez toutes les patientes avant la chimiothérapie préopératoire, et elle n’a chuté sous le seuil de 50 % chez aucune d’entre elles.

«Ce schéma était très actif. Son activité se compare d’ailleurs à celle de l’association d’une anthracycline classique et du trastuzumab, affirme la Dre Torrisi. La cardiotoxicité était négligeable. À notre avis, pareils résultats justifient une évaluation plus poussée de ce schéma préopératoire dans le cancer du sein HER2+.»

Cancer du sein HER2+

Dans le cadre d’une deuxième étude présentée au symposium de San Antonio, des chercheurs ont évalué la DLP en association avec le paclitaxel et le trastuzumab dans le traitement néoadjuvant d’un cancer du sein HER2+ opérable. La Dre Petra Rietschel, professeure adjointe de médecine, Division d’oncologie, Albert Einstein College of Medicine, Bronx, New York, a expliqué la raison d’être de cette étude.

«La doxorubicine, le paclitaxel et le trastuzumab sont tous très actifs dans le cancer du sein HER2+, précise-t-elle, mais le trastuzumab et la doxorubicine sont tous deux cardiotoxiques. En combinant les deux, on majore le risque d’une cardiotoxicité importante. Comparativement à la doxorubicine standard, la DLP semble considérablement moins toxique pour le cœur tout en exerçant une activité substantielle.»

Pour être admissibles à l’étude, les patientes devaient avoir un cancer du sein de stade T1c-T4 non métastatique et au plus un ganglion lymphatique positif. Le schéma préopératoire était composé de DLP à raison de 24 mg/m2 toutes les trois semaines, de paclitaxel à raison de 80 mg/m2 par semaine et de trastuzumab à raison d’une dose d’attaque de 4 mg/m2, puis d’une dose hebdomadaire de 2 mg/m2. En présence d’une toxicité cutanée excessive, la dose initiale de DLP était ramenée à 20 mg/m2, ajoute la Dre Rietschel.

Les chercheurs ont recruté 24 patientes dont l’âge médian était de 55 ans. On a dû réduire la dose de paclitaxel chez neuf patientes et la dose de DLP chez 12 patientes. Cinq patientes ont cessé leur traitement prématurément. Une patiente s’est retirée de l’étude dès le premier cycle de traitement et une autre patiente est morte d’une cause non reliée au traitement, si bien que la réponse était évaluable chez 22 patientes.

La chimiothérapie préopératoire a autorisé 13 RpC (59 %) et neuf RP (41 %). Chez l’une des patientes qui n’a pas terminé l’étude, le cancer s’est stabilisé.

La toxicité cutanée de grade 2 ou 3 – qui a affecté 18 des 22 patientes (82 %) – était prédominante. Une ventriculographie isotopique réalisée avant et après la chimiothérapie néoadjuvante n’a mis en évidence aucun signe de cardiotoxicité patente.

«Le schéma de chimiothérapie préopératoire DLP + paclitaxel + trastuzumab semble très actif, et nous n’avons observé aucun signe de cardiotoxicité avec ce schéma, fait remarquer la Dre Rietschel. Les évaluations à venir devraient avoir pour objectif d’optimiser ce schéma afin d’atténuer sa toxicité cutanée.»

Outre ces deux études sur la DLP, plusieurs études présentées au symposium de San Antonio ont porté sur la chimiothérapie néoadjuvante dans le cancer du sein.

• Des chercheurs autrichiens ont rapporté que la trithérapie néoadjuvante épirubicine + docetaxel + capécitabine avait donné lieu à un taux plus élevé de RpC que l’association épirubicine + docetaxel chez des patientes présentant un cancer du sein précoce. La même équipe de chercheurs a constaté que l’ajout du trastuzumab à l’un ou l’autre schéma cytotoxique permettait une augmentation non significative du taux de RpC comparativement à la chimiothérapie seule chez des patientes souffrant d’un cancer du sein précoce HER2+.

• Des chercheurs du Sunnybrook Health Sciences Centre et du Princess Margaret Hospital à Toronto ont rapporté qu’un cancer du sein localement avancé avec récepteurs hormonaux détectés à la biopsie mammaire initiale n’exprimait plus de récepteurs lors de l’intervention chirurgicale finale chez 24 % des patientes qui avaient reçu un traitement systémique néoadjuvant. La différence tenait en grande partie à la perte des récepteurs de la progestérone. On prévoit réaliser d’autres études pour déterminer la signification pronostique éventuelle de ce phénomène.

• Lors d’une étude chinoise regroupant 127 patientes atteintes d’un cancer du sein localement avancé, un schéma néoadjuvant reposant sur le paclitaxel et le carboplatine a donné lieu à un taux de réponse globale de 86 %, à un taux de RC de 32 % et à un taux de RpC chez 19,4 %.

Traitement adjuvant

Les anthracyclines sont aussi largement utilisées pour la chimiothérapie adjuvante dans le cancer du sein. Comme c’est le cas en contexte néoadjuvant, la doxorubicine et d’autres anthracyclines administrées en adjuvant exposent la patiente à un risque substantiel de cardiotoxicité, et ce risque augmente avec l’utilisation d’associations qui comportent de la doxorubicine et du trastuzumab.

Dans le cadre d’un essai clinique multinational avec randomisation, des chercheurs ont comparé l’efficacité et l’innocuité de deux schémas de chimiothérapie adjuvante, l’un à base de doxorubicine standard, l’autre à base de DLP. L’essai portait sur des patientes qui avaient subi une intervention à visée curative pour un cancer du sein localement avancé ou un cancer sans atteinte ganglionnaire à risque élevé.

Après randomisation, les patientes recevaient l’un de deux schémas : • 35 mg/m2 de DLP plus 600 mg/m² de cyclophosphamide par cycle de trois semaines, pendant quatre cycles, plus 4 mg/m² de trastuzumab comme dose d’attaque puis 2 mg/m2 comme dose d’entretien hebdomadaire;

• 60 mg/m² de doxorubicine plus 600 mg/m² de cyclophosphamide par cycle de trois semaines, pendant quatre cycles.

Les patientes des deux groupes recevaient ensuite un traitement adjuvant à base de 80 mg/m² de paclitaxel et de 2 mg/m² de trastuzumab par semaine pendant 12 semaines.

Les patientes ont passé une ventriculographie isotopique ou une échocardiographie au départ, avant le 5e cycle et après le 8e cycle, puis tous les trois mois pendant un an et tous les six mois l’année suivante.

Les participantes avaient été randomisées selon un ratio 2:1 dans les groupes DLP et doxorubicine standard. Les objectifs principaux de l’étude étaient la faisabilité et l’innocuité cardiaque des schémas, explique le Dr Daniel Rayson, professeur agrégé de médecine, Dalhousie University, Halifax, Nouvelle-Écosse. Les chercheurs ont tenté de déterminer l’incidence de signes de cardiotoxicité de niveau 1 (insuffisance cardiaque sévère, décès d’origine cardiaque) et de niveau 2 (insuffisance cardiaque asymptomatique ou paucisymptomatique associée à une diminution de la FÉVG).

Les patientes du groupe doxorubicine standard ont reçu une dose cumulative d’anthracycline de 233,3 mg/m2 et celles du groupe DLP, de 127,5 mg/m2. La FÉVG des patientes sous doxorubicine se chiffrait en moyenne à 66 % au départ, à 63 % avant le 5e cycle (13 semaines) et à 60,3 % après le 8e cycle (p=0,017). Dans le groupe DLP, la FÉVG moyenne était de 65 % au départ, de 62 % avant le 5e cycle et de 61,6 % après le 8e cycle (p=0,058).

«L’incidence globale de la cardiotoxicité était nulle dans les deux groupes, et aucune patiente de l’un ou l’autre groupe n’a été privée de trastuzumab en raison d’une variation de la FÉVG», fait valoir le Dr Rayson.

Dans le groupe doxorubicine standard, les principaux signes de toxicité (tous grades confondus) étaient l’alopécie (76,6 %), la fatigue (73,0 %) et les nausées (63,3 %). Dans le groupe DLP, l’alopécie (52,5 %), la fatigue (52,5 %), le syndrome mains-pieds (59,3 %) et les nausées (54,2 %) étaient les signes de toxicité les plus fréquents. Les signes de toxicité de grade 3 ou 4 ont été peu fréquents dans les deux groupes de traitement.

Les données rapportées au symposium de San Antonio provenaient d’une analyse partielle. Les chercheurs prévoient avoir en main l’analyse finale d’ici le milieu de l’année 2010.

D’autres études sur le traitement systémique adjuvant dans le cancer du sein ont été présentées :

• Une étude française multicentrique n’a révélé aucune amélioration de la survie sans cancer ou de la survie globale sous l’effet d’un traitement adjuvant par le 5-fluorouracile et le docetaxel chez des patientes atteintes d’un cancer inflammatoire du sein localement avancé qui avaient reçu un traitement néoadjuvant à base d’épirubicine et de cyclophosphamide.

• Les données préliminaires d’un essai américain multicentrique n’ont objectivé aucune augmentation de la cardiotoxicité résultant de l’ajout de lapatinib au traitement systémique adjuvant à base de paclitaxel et de trastuzumab.

• Une analyse rétrospective des résultats obtenus avec plusieurs schémas de chimiothérapie adjuvante a révélé que six cycles du schéma FEC (5-fluorouracile/épirubicine/cyclophosphamide) donnaient lieu à une incidence plus élevée d’aménorrhée que trois cycles de FEC suivis de trois cycles de docetaxel ou quatre cycles de FEC suivis de quatre cycles de docetaxel.

Exposition antérieure à une anthracycline

Au symposium de San Antonio de 2008, le Dr Joseph Sparano, professeur titulaire de médecine, Division d’oncologie, Albert Einstein College of Medicine, New York, avait présenté les résultats d’une étude sur la DLP et le docetaxel chez des patientes atteintes d’un cancer du sein avancé récidivant ayant déjà reçu une anthracycline en traitement adjuvant ou néoadjuvant. Les données avaient montré que l’association DLP + docetaxel prolongeait l’intervalle sans progression sans pour autant majorer le risque de cardiotoxicité comparativement au docetaxel seul (Sparano et al. Cancer Res 2008;68[suppl]:résumé 60).

Au symposium de 2009, le Dr Sparano et ses collaborateurs ont présenté une nouvelle analyse de l’étude, examinant cette fois le lien entre la durée de l’intervalle sans anthracycline (laps de temps entre la fin du traitement et la récidive) et l’issue.

L’étude initiale regroupait 751 patientes atteintes d’un cancer du sein avancé qui avait récidivé au moins un an après un traitement adjuvant ou néoadjuvant par une anthracycline. Les patientes avaient été randomisées de façon à recevoir 75 mg/m² de docetaxel ou encore, 30 mg/m² de DLP puis 60 mg/m² de docetaxel. Le paramètre principal était l’intervalle sans progression. Les paramètres d’évaluation secondaires d’intérêt étaient la survie globale, la survie sans progression, le taux de réponse objective et l’innocuité.

Pour les besoins de l’analyse présentée au symposium de 2009, les patientes avaient été subdivisées en fonction de la durée de l’intervalle sans anthracycline. Dans le premier groupe, qui incluait 306 patientes, l’intervalle variait entre un et deux ans, et dans le second, qui incluait 442 patientes, l’intervalle était de plus de deux ans.

Dans le groupe où l’intervalle sans anthracycline avait été plus bref, l’intervalle sans progression a atteint 5,7 mois chez les patientes sous docetaxel seul vs 7,8 mois chez celles sous DLP + docetaxel (p=0,002). Un avantage similaire a été observé chez les patientes dont l’intervalle sans anthracycline était de plus de deux ans : intervalle sans progression de 7,7 mois chez les patientes sous docetaxel seul vs 10,6 mois chez celles sous DLP + docetaxel (p<0,001).

La survie sans progression était aussi plus longue chez les patientes sous DLP + docetaxel, que l’intervalle sans anthracycline ait été de un à deux ans (7,7 vs 5,5 mois sous docetaxel seul, p=0,002) ou de plus de deux ans (10,0 vs 7,7 mois, p<0,001). La survie globale et le taux de réponse objective ne différaient pas d’un groupe de traitement à l’autre, quelle qu’ait été la durée de l’intervalle sans anthracycline.

Dans l’ensemble, un intervalle sans anthracycline plus long a été associé à une prolongation significative de l’intervalle sans progression (8,9 vs 6,6 mois, p=0,001), de la survie globale (23,4 vs 17,2 mois, p<0,001) et de la survie sans progression (8,7 vs 6,5 mois, p<0,001).

L’incidence de l’insuffisance cardiaque, qui était d’environ 1 %, ne différait pas de manière significative d’un groupe à l’autre, précise la Dre Preeta Kanojia, chercheuse, Horsham, Pennsylvanie, au nom de l’équipe. Le syndrome mains-pieds et la stomatite sont survenus plus souvent chez les patientes sous DLP + docetaxel. La plupart des cas de syndrome mains-pieds ont répondu à une diminution de la dose de DLP ou à un report du cycle de traitement. Cependant, le syndrome mains-pieds a motivé 20 % des abandons prématurés dans le groupe DLP + docetaxel. Le taux de syndrome mains-pieds observé dans ce groupe se comparait au taux observé dans une étude sur un schéma à base de capécitabine dans le cancer du sein métastatique.

Comme le soulignent les chercheurs, un intervalle sans anthracycline de plus de deux ans a amélioré l’intervalle sans progression, la survie globale et la survie sans progression, quel qu’ait été le traitement administré. Comme dans l’étude initiale, le traitement par l’association DLP + docetaxel a prolongé significativement l’intervalle sans progression et la survie sans progression par rapport au docetaxel seul chez les patientes atteintes d’un cancer du sein avancé, quelle qu’ait été la durée de l’intervalle sans anthracycline. L’ajout de DLP à un schéma à base de docetaxel est une option active pour les patientes atteintes d’un cancer du sein avancé ayant déjà reçu une anthracycline en adjuvant.

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