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Mieux protéger les patients atteints de cancer contre les thromboembolies veineuses

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

FRONTIÈRES MÉDICALES - 52e Assemblée/Exposition annuelle de l’American Society of Hematology

Orlando, Floride / 4-7 décembre 2010

Le non-respect des recommandations quant à l’utilisation, aux doses et à la durée de la thromboprophylaxie est une lacune clinique de plus en plus importante à en juger par l’incidence croissante des thromboembolies veineuses (TEV) et de ses complications. Bien que plusieurs sociétés savantes, dont le National Comprehensive Care Network (NCCN) et l’American Society of Clinical Oncology (ASCO), recommandent une thromboprophylaxie chez tous les patients cancéreux hospitalisés et de nombreux patients cancéreux non hospitalisés en l’absence de contre-indications, les études montrent les unes après les autres qu’un grand nombre de patients ne reçoivent aucune forme de protection.

Qui peut bénéficier d’une thromboprophylaxie?

On travaille actuellement à la stratification du risque d’embolie pulmonaire (EP) et de thrombose veineuse profonde (TVP) – deux complications pouvant aggraver l’issue clinique – afin de cerner les patients les plus à risque. «Bien que les patients atteints de cancer soient exposés à un risque élevé de TEV, ils reçoivent moins de traitements thromboprophylactiques que n’importe quel autre groupe à risque de patients hospitalisés», affirme le Dr Samuel Z. Goldhaber, Brigham and Women’s Hospital, Harvard Medical School, Boston, Massachusetts.

Présidant un symposium du congrès sur le lien étroit entre cancer et thrombose, le Dr Goldhaber a fait état du combat qu’il doit livrer dans son établissement – hôpital universitaire jouissant pourtant d’une réputation enviable – afin que la thromboprophylaxie occupe la place qui lui revient de droit. Ayant collaboré à l’élaboration du protocole d’un essai sur les TEV, il a expliqué que le logiciel avait été programmé pour alerter le personnel soignant à la nécessité éventuelle d’une thromboprophylaxie chez des patients traités en aigu, l’objectif ultime étant de déterminer si un message d’alerte pouvait modifier le comportement des médecins.

«Aucun patient admissible n’aurait dû être laissé pour compte. Après tout, le logiciel nous permettait de cerner les patients qui répondaient aux critères officiels de thromboprophylaxie. Or, nous avons constaté que 2500 patients ne recevaient pas le traitement approprié pour prévenir les TEV», poursuit le Dr Goldhaber. Cette étude ne visait pas à évaluer les effets salutaires de la thromboprophylaxie, ces derniers ayant été déjà été démontrés, mais bien à déterminer si un changement de comportement des médecins pouvait changer l’issue, souligne-t-il.

L’incidence de la TVP et de l’EP a en fait diminué de 40 % grâce à ce système d’alerte (Figure 1). Dans le cadre d’une étude connexe réalisée auprès de la proportion substantielle de médecins qui n’avaient pas prescrit de thromboprophylaxie, ces médecins étaient persuadés de l’utilité de la thromboprophylaxie, mais le risque hémorragique les inquiétait, explique le Dr Goldhaber. Or, enchaîne-t-il, le bénéfice associé à la thromboprophylaxie a été démontré noir sur blanc, alors que rien ne prouve l’existence d’un risque hémorragique majeur, enchaîne-t-il. Plusieurs participants à ce même symposium ont d’ailleurs réitéré ce message.

Figure 1. Alertes servant à prévenir les TEV chez les patients hospitalisés


«Nombreux sont les oncologues qui disent ne pas offrir d’anticoagulants à leurs patients parce qu’ils craignent une hémorragie, mais ils doivent changer leur façon de penser», affirme le Dr Craig Kessler, Service d’hématologie, Georgetown University Medical Center, Washington, DC. Ce dernier a d’ailleurs cité six essais comparatifs avec placebo portant sur l’utilisation des héparines de bas poids moléculaire (HBPM) aux fins de thromboprophylaxie chez les patients atteints de cancer. À l’exception d’une seule étude réalisée chez des patients atteints de gliome lors de laquelle le taux d’hémorragies a été plus élevé sous HBPM (5,1 % vs 1,2 %), aucune n’a objectivé d’augmentation majeure du taux d’hémorragies sous traitement actif. La plus grande différence relative entre les traitements quant au taux d’hémorragies a été relevée dans une étude où le taux était plus élevé sous placebo que sous traitement actif (7,1 % vs 2,9 %) (Sideras et al. Mayo Clin Proc 2006;81:758-67). Pourtant, la diminution des taux de TEV avait atteint 50 % lors de ces essais.

Risque de TEV chez les patients atteints de cancer

Les patients atteints de cancer représentaient environ 15 % de l’effectif total des trois études les plus vastes ayant prouvé le bénéfice associé à la thromboprophylaxie chez les patients hospitalisés à court terme. Ces études – MEDENOX sur l’énoxaparine, PREVENT sur la daltéparine et ARTEMIS sur le fondaparinux, inhibiteur du facteur Xa – ont toutes associé le traitement actif à une réduction marquée des taux de TEV par rapport à un placebo. Cela dit, les cancers en général, et certains types en particulier, semblent exposer le patient à un risque de TEV potentiellement plus élevé que le risque associé à l’immobilité et à l’état procoagulant résultant d’un épisode aigu. Parmi les anticoagulants évalués, la daltéparine est le seul agent qui soit expressément indiqué pour le traitement des TEV et la prévention secondaire des TEV chez le patient atteint de cancer. La daltéparine a été évaluée en prévention primaire et secondaire, et c’est l’agent que l’ASCO recommande pour la prévention de la TVP chez les patients atteints de cancer. L’American College of Chest Physicians (ACCP), pour sa part, cite des études sur la daltéparine et d’autres anticoagulants à l’appui de sa recommandation de niveau 1A pour la prophylaxie des TEV chez les patients atteints de cancer alités ou subissant une intervention chirurgicale.

«Les TEV qui surviennent sur fond de cancer diffèrent des TEV qui surviennent sur fond d’autres maladies nécessitant une hospitalisation à court terme», soutient le Dr Kessler. Après avoir fait référence à des données selon lesquelles une TEV était diagnostiquée chez 20 % des patients atteints de cancer et à l’autopsie chez 50 % des patients décédés des suites de leur cancer, il a noté que 10 % des patients présentant une TEV idiopathique développaient un cancer dans un délai de 2 ans, ce qui donne à penser que le cancer lui-même crée un état favorable à la coagulation (Tableau 1). Lorsqu’on calcule la probabilité de décès dans les 180 jours suivant n’importe quelle hospitalisation, la TVP ou l’EP portent le risque à près de 30 %. Certes, ce risque est légèrement inférieur au seuil de près de 40 % associé au cancer, mais la mortalité à 180 jours excède 90 % en présence des deux, c’est-à-dire TVP ou EP et cancer.

«La question est de savoir si l’activation de la coagulation sanguine influe sur la biologie du cancer, et nous l’ignorons, mais les données épidémiologiques nous portent à croire que la TEV est de mauvais augure et les données expérimentales étayent l’hypothèse voulant que les stratégies antithrombotiques inhibent la croissance tumorale», souligne le Dr Frederick R. Rickles, professeur titulaire de pharmacologie, George Washington University, Washington, DC. Ce dernier a d’ailleurs évalué des données montrant que le facteur tissulaire, essentiel à la formation de la thrombine, contribue à la régulation de l’angiogenèse et à la formation de caillots. Il a cité plusieurs interactions possibles entre le cancer et la coagulation. Par exemple, il semble que la thrombose induise l’angiogenèse et qu’elle amène les cellules tumorales à migrer à partir d’une zone hypoxique centrale, mécanisme qui pourrait expliquer la formation de métastases.

Aucune étude n’a encore montré si, à elles seules, les HBPM prolongeaient la survie chez les patients atteints de cancer, mais une méta-analyse regroupant quatre études sur les HBPM citée par le Dr Rickles a fait ressortir une diminution significative de 12 % (p=0,015) de la mortalité à 1 an (Kuderer et al. Cancer 2007;110:1149-60). Parue dans la même publication, une méta-analyse regroupant neuf études n’a pas associé la warfarine à une diminution de la mortalité, quoique toutes les études combinées sur le traitement anticoagulant aient objectivé un écart significatif (p=0,003). Des études dotées de la puissance statistique nécessaire pour évaluer l’aptitude des HBPM à prolonger la survie des patients atteints de cancer, dont une étude intitulée FRAGMATIC sur la daltéparine dans le cancer du poumon nouvellement diagnostiqué, sont d’ailleurs en cours et permettront peut-être de trancher la question.

Dans le cadre de l’une des études les plus importantes à avoir prouvé les bénéfices associés aux HBPM et leur supériorité sur la warfarine, on a comparé ces stratégies dans un contexte de prévention secondaire de la TEV récidivante chez les patients atteints de cancer. Cette étude, intitulée CLOT (Comparison of Low molecular weight heparin versus Oral anticoaguLant Therapy), a révélé que la daltéparine, comparativement à la warfarine, diminuait de 52 % (HR 0,48; p=0,002) la probabilité de récidive thromboembolique sur une période de 6 mois (Lee et al. N Engl J Med 2003;249:146-53). Les chercheurs n’ont observé aucune différence significative entre les deux groupes quant au risque d’hémorragie majeure ou de toute autre hémorragie. La mortalité était plus faible chez les patients sous daltéparine, mais l’écart n’était pas significatif sur le plan statistique (39 % vs 41 %).

Tableau 1.
atteints de cancer

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Importance de la localisation du cancer et autres prédicteurs du risque

Si, malgré les recommandations, les médecins hésitent à administrer une thromboprophylaxie ou s’ils l’administrent à faible dose ou pendant de courtes périodes, c’est que seule une minorité de patients atteints de cancer finissent par développer une thrombose cliniquement significative. Cette observation a d’ailleurs amené les chercheurs à déployer des efforts considérables pour améliorer la stratification du risque et ainsi augmenter le taux de thromboprophylaxie chez ceux qui en ont le plus besoin. La localisation du cancer, par exemple, semble importante. Lors d’une étude, le risque relatif approché (odds ratio [OR]) d’apparition d’une TEV était relativement faible dans le cancer de la prostate (2,2 %) et du sein (4,9 %) alors qu’il était pas mal plus élevé dans les cancers digestifs (20,3 %) et les cancers du poumon (22,2 %) (Blom et al. JAMA 2005;293:715-22). Il importe ici de souligner que les hémopathies malignes sont les cancers associés au risque le plus élevé de TEV (OR 28,0).

«Les facteurs de risque clinique et les biomarqueurs peuvent nous permettre de déterminer quels patients, parmi ceux qui sont atteints de cancer, sont exposés à un risque élevé de TEV, et je crois qu’ils peuvent nous aider grandement à repérer les cas où un traitement anticoagulant s’impose d’urgence», affirme le Dr Alok A. Khorana, chef adjoint de la Division d’hémato-oncologie, Wilmot Cancer Center, University of Rochester, New York. Comme le souligne le Dr Khorana, un modèle à cinq facteurs qui a été élaboré dans l’établissement où il exerce compte parmi les outils validés pour la détermination du risque. Ces cinq facteurs sont les suivants : nombre élevé de plaquettes, faible taux d’hémoglobine, leucocytose, obésité et localisation du cancer (cotes maximales attribuées aux cancers de l’estomac et du pancréas) (Khorana et al. Blood 2008;111:4902-7).

Certes, de telles initiatives devraient nous être utiles pour reconnaître les patients à risque élevé d’une première TEV, mais des travaux sont aussi en cours sur la détermination des patients qui pourraient avoir besoin d’un traitement anticoagulant plus intensif à la suite d’une première TEV. De nouvelles données présentées au congrès par une équipe canadienne de chercheurs sous la direction de la Dre Martha L. Louzada, Division d’hématologie, University of Western Ontario, London, semblent indiquer que la cotation du risque pourrait être utile. Ces chercheurs se sont penchés rétrospectivement sur les TEV récidivantes au sein d’une population de 543 patients atteints de cancer. De ces patients, 55 ont eu une TEV récidivante. Leur analyse multivariée – qui a souligné l’importance du sexe, du foyer tumoral principal, du stade de la tumeur et des antécédents de TEV – a servi à l’élaboration d’une méthode de détermination du risque.

«Si nous comprenons mieux les caractéristiques du patient qui influent sur le risque de récidive, peut-être serons-nous en mesure d’individualiser le traitement du patient aux prises avec une TEV sur fond de cancer», explique la Dre Louzada. Après avoir attribué une cote numéri que à chacune de ces caractéristiques, la Dre Louzada et son équipe ont constaté que 48 % des patients avaient un score =0, associé à un risque de TEV récidivante de 4,5 %. En revanche, un score =1 était associé à un risque d’au moins 19 %. Pareille démarche pourrait être utile pour l’individualisation du traitement anticoagulant, ajoute-t-elle, mais d’autres études devront la valider.

Dose en fonction du poids

La détermination de la dose en fonction du poids est une façon d’individualiser le traitement. Contrairement à la warfarine, les HBPM ne nécessitent pas de surveillance du temps de Quick et, de plus, une dose déterminée en fonction du poids pourrait être associée à une plus grande efficacité du traitement chez les patients corpulents et à une diminution du risque hémorragique chez les patients de faible poids corporel. Pour simplifier cette démarche, surtout en contexte ambulatoire, le patient peut se servir de seringues préremplies à la dose correspondant à son poids. Une méthode aussi simple que celle-là pourrait encourager les médecins à prescrire un traitement anticoagulant plus souvent tout en favorisant l’observance du traitement chez les patients. Bien que les avantages de cette méthode n’aient pas été démontrés dans le cadre d’un essai, nous avons besoin de telles méthodes compte tenu de l’ampleur de la non-utilisation de la thromboprophylaxie chez les patients qui en ont le plus besoin.

«L’ACCP recommande que chaque hôpital mette au point une démarche formelle de prévention des TEV, mais cette recommandation n’est pas appliquée systématiquement», souligne le Dr Goldhaber. Au dire de ce dernier, plusieurs tendances vont concourir à exacerber le problème si on ne renverse pas la vapeur. Par comparaison aux patients hospitalisés qui ne souffrent pas de cancer et dont les taux de TEV sont demeurés assez constants au cours des 20 dernières années, les taux rapportés chez les patients atteints de cancer – qui ont toujours été plus élevés – ont grimpé de façon substantielle.

Il n’y a pas si longtemps, ou bien les patients atteints de cancer répondaient à leur traitement, ou bien ils mouraient, si bien que leur risque de TEV était limité (Figure 2). Maintenant, en revanche, surtout avec les nouveaux agents ciblés qui stoppent la croissance tumorale, les patients vivent plus longtemps avec leur cancer. Chez ces patients en particulier, la TEV pourrait assombrir un pronostic généralement favorable.

«À mesure que les traitements anticancéreux s’améliorent, le nombre d’années de vie de qualité augmente, et les traitements contre les complications du cancer, dont les TEV, revêtiront une importance croissante dans l’optimisation des soins», conclut le Dr Goldhaber.
de survivants du cancer et le taux de TEV augmentent en parallèle

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Résumé

Selon les guides de pratique en vigueur, un traitement anticoagulant doit être administré aux patients atteints de cancer qui sont hospitalisés et à ceux qui demeurent exposés à un risque élevé de TEV après leur sortie de l’hôpital. Le traitement recommandé est une HBPM, et seule la daltéparine est homologuée dans cette indication. Il a été démontré qu’une HBPM était plus efficace que la warfarine pour la prévention des TEV récidivantes. Le principal obstacle à la prévention des TEV est l’adhésion des médecins aux recommandations, et plusieurs initiatives – notamment des stratégies en milieu hospitalier visant à augmenter le taux de prescription d’anticoagulants chez les patients en ayant besoin – ont été mises de l’avant pour contribuer au changement des habitudes. Certes, nous devons sensibiliser les médecins à l’utilité démontrée du traitement par une HBPM aux fins de thromboprophylaxie chez les patients atteints de cancer, mais nous avons aussi besoin de stratégies pour déterminer le risque de TEV et ainsi aider les médecins à reconnaître les patients ayant le plus besoin de protection.

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