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Monothérapie ou association dan le traitement des mycoses invasives? Un débat

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

PERSPECTIVE PROFESSIONNNELLE - Point de vue sur des communications présentées au 26e Congrès international sur la chimiothérapie et les infections Conférence annuelle de l’AMMI Canada et de la CACMID

Toronto, Ontario / 18-21 juin 2009

Relu et révisé par

Donald Sheppard, MD, FRCPC

Professeur adjoint, Département de microbiologie et d’immunologie, Université McGill, Montréal (Québec)

Au congrès, lors du débat sur les stratégies de traitement antifongique, j’étais de ceux qui prônaient la prudence. Les médecins doivent d’abord se demander si, cliniquement parlant, ils ont effectivement besoin de meilleures stratégies de traitement antifongique. Comme l’a montré l’essai phare de Herbrecht et al. (N Engl J Med 2002;347[6]:408-15), la reconstitution du système immunitaire est le meilleur prédicteur d’une issue favorable de l’aspergillose invasive (AI). Si l’on en juge par le taux de survie d’environ 70 % associé au voriconazole dans l’AI lors de cette étude, le traitement antifongique a beaucoup évolué et la situation s’est nettement améliorée (Figure 1). Cela dit, même si nous estimons qu’il y a encore de la place pour l’amélioration, nous devons tenter de déterminer pourquoi une association d’antifongiques serait supérieure à la monothérapie.

Figure 1. Réussite et survie


Plaidoyer pour la monothérapie

En théorie, une association d’antifongiques pourrait être moins efficace que la monothérapie pour plusieurs raisons. Prenons d’abord le mode d’action des antifongiques. L’amphotéricine B (AmB) agit en se fixant aux ergostérols de la membrane fongique alors que les dérivés azolés exercent leur action antifongique en bloquant la synthèse des ergostérols membranaires. L’association de l’AmB et d’un dérivé azolé ouvre donc la porte à une action antagoniste. Cette absence de synergie a été démontrée dans une étude sur la candidémie lors de laquelle le taux de réussite de 56 % dans le groupe fluconazole/placebo ne différait pas, sur le plan statistique, du taux de 69 % obtenu dans le groupe fluconazole/AmB (Clin Infect Dis 2003;36:1221-8). Des études in vitro ont aussi objectivé une interaction négative lorsque l’AmB était mis en contact avec un dérivé azolé; par ailleurs, dans un modèle animal de mycose invasive sur fond d’immunosuppression classique (J Infect Dis 2006;194:1008-18), les résultats obtenus selon chacun des critères d’évaluation étaient moins favorables chez les animaux qui avaient reçu l’association dérivé azolé + AmB liposomique que chez ceux qui avaient reçu un seul agent. L’ajout de l’AmB ou de la micafungine au voriconazole n’a conféré aucun bénéfice supplémentaire chez des cobayes neutropéniques (Clin Microbiol Infect 2004;10:925-8), l’effet du traitement ayant été attribué exclusivement au voriconazole.

Les résultats d’études d’observation à groupe unique sur le traitement de secours de l’AI me laissent sceptique. En l’absence de groupe témoin permettant de comparer les taux de réussite, l’efficacité globale qui ressort de toutes ces études d’observation avoisine généralement 50 %, quelle que soit l’association utilisée, ce qui n’a rien d’encourageant.

On a réalisé quelques essais afin de comparer une association à la monothérapie. Lors d’une étude effectuée chez des transplantés d’organe solide (Transplantation 2006;81:320-6), on a comparé l’association voriconazole + caspofongine à l’AmB liposomique. Cette étude a mis en évidence une tendance vers de meilleurs résultats dans le groupe recevant l’association de même qu’un avantage significatif de l’association dans les sous-groupes de patients infectés par Aspergillus fumigatus ou insuffisants rénaux. Cela dit, il n’est pas clair que les résultats auraient été meilleurs si les patients avaient été exposés au voriconazole seul. De plus, bien que cette étude ait été prospective, elle reposait sur un plan séquentiel, de sorte que le groupe sous monothérapie a été recruté avant le groupe sous traitement d’association. Il est donc possible que l’amélioration des résultats observée chez les patients recevant l’association reflète d’autres améliorations dans les soins. Une étude d’Upton et al. (Clin Infect Dis 2007;44:531-40) a effectivement révélé que les taux de survie avaient augmenté progressivement avec le temps.

Une autre étude visant à comparer la micafungine en monothérapie avec la micafungine + un autre antifongique homologué a objectivé un gain de survie dans le groupe monothérapie. Par contre, comme cette étude n’a pas été effectuée avec randomisation, de nombreux biais – comme la probabilité plus élevée d’un traitement d’association chez les patients plus malades – ont pu être introduits et pourraient avoir faussé les résultats (J Infect Dis 2006;53[5]:337-49).

Selon une étude rétrospective dans laquelle on comparait le posaconazole en monothérapie avec l’AmB liposomique + une échinocandine en traitement de secours, les taux de réponse et de survie du groupe monothérapie étaient significativement supérieurs à ceux du groupe recevant l’association (Leukemia 2008;22:496-503).

Ces résultats pourraient amener les médecins à se demander si la posologie des agents administrés était appropriée lors de ces études comparatives, car les résultats sont plus susceptibles d’être prometteurs si chaque agent est administré à la dose optimale. En fait, de récentes données semblent indiquer que les concentrations de voriconazole pourraient être faibles chez jusqu’à 25 % des sujets recevant les doses généralement recommandées. Il semble donc parfaitement justifié de recommander la surveillance des concentrations thérapeutiques chez les patients sous voriconazole, comme on le fait déjà avec la gentamicine.

Le seul essai comparatif avec randomisation dont les résultats ont semblé favoriser la stratégie d’association visait à comparer l’association AmB liposomique + caspofongine avec l’AmB liposomique seule (Cancer 2007;110:2740-6). Les résultats de cette étude – qui portait là encore sur l’AI – ont fait ressortir des taux de réponse et de survie significativement meilleurs en faveur de l’association. Néanmoins, comme je l’ai souligné durant le débat, la dose d’AmB liposomique utilisée dans cette étude était élevée, et on sait maintenant que l’AmB liposomique à forte dose est associée à des résultats moins favorables. Bien qu’il ait été statistiquement significatif, le bénéfice observé à 12 semaines dans le groupe recevant l’association était au mieux très modeste, et l’écart entre les deux groupes a fini par ne plus être statistiquement significatif avec le temps.

En outre, comme Herbrecht et ses collaborateurs l’ont démontré, le voriconazole est plus efficace que l’AmB dans le traitement de l’AI. C’est d’ailleurs depuis leur essai phare que le voriconazole est recommandé pour le traitement préemptif de l’AI et/ou le traitement d’une AI confirmée. Mais, peut-on se demander, les patients recevant l’association AmB liposomique + caspofongine dans le cadre de cet essai avec randomisation s’en seraient-ils sortis aussi bien s’ils avaient reçu du voriconazole ou l’association voriconazole + une échinocandine en première intention, qui aurait été un choix plus rationnel en pareil contexte?

Aspergillose du SNC

De toutes les mycoses disséminées, l’aspergillose du système nerveux central (SNC) est la plus mortelle, et des études antérieures donnent même à penser que le taux de mortalité avoisinerait 100 %. Les effets cognitifs à long terme d’une AI non maîtrisée peuvent aussi être importants. Pendant l’infection, Aspergillus fabrique en abondance des enzymes lytiques qui digèrent des lipides, des protéines et tout ce qui se trouve dans leur sillage, c’est-à-dire le réseau neuronal du patient. Les études d’imagerie sont pratiquement inutiles pour la surveillance des progrès du patient une fois que l’aspergillose gagne le SNC, et le dosage du galactomannane est pratiquement inutile dans l’AI du SNC primitive. La prise en charge demeure donc un réel défi et, dans le meilleur des cas, les décisions concernant le traitement sont difficiles à prendre.

Lorsque le traitement par le voriconazole semble échouer chez l’un de mes patients, j’estime important de déterminer si l’échec est imputable à une intolérance ou plutôt à un manque d’efficacité. Si les réactions au traitement médicamenteux ou des interactions médicamenteuses sont en cause, par exemple si le patient est en proie à d’importantes hallucinations visuelles, le passage à une stratégie reposant sur un autre antifongique azolé semble assez logique. Si c’est plutôt la progression de l’infection qui est au cœur du problème, il importe de déterminer si la progression résulte de la libération inappropriée du médicament, auquel cas il pourrait être opportun d’opter pour une posologie ou un mode de libération différents. La résistance primitive de l’agent pathogène en pareil contexte n’est généralement pas un problème, mais si le traitement demeure inefficace malgré une posologie suffisante de voriconazole, j’évite d’y associer un deuxième agent, ce qui à mon avis revient à l’administration de monothérapies séquentielles. Je préfère alors changer de classes de médicaments, par exemple deux classes différentes de médicaments comme l’AmB liposomique et une échinocandine.

Stratégies reposant sur les associations d’antifongiques

De l’avis de ma consœur, la Dre Kieren Marr, directrice du programme des maladies infectieuses en oncologie et en médecine de transplantation, Johns Hopkins University, Baltimore, Maryland, un certain nombre de considérations théoriques expliqueraient que les associations d’antimicrobiens soient préférables aux monothérapies. Les associations d’antifongiques pourraient accroître l’activité antimicrobienne et diminuer la résistance aux antimicrobiens. De plus, les associations augmentent le spectre d’activité, et deux agents peuvent être complémentaires du fait de leur distribution tissulaire unique. Dans le cas où les agents entraînent des effets toxiques dose-dépendants, leur utilisation en association, comme l’AmB et la 5-fluorocytosine dans la méningite cryptococcique, augmente le taux de stérilisation du liquide céphalo-rachidien (LCR) et diminue la pression d’ouverture du LCR, deux facteurs maintenant considérés comme des marqueurs de substitution de la réussite thérapeutique dans la méningite cryptococcique.

Lors de l’étude qui comparait l’association fluconazole + AmB avec le fluconazole seul dans la candidémie (Clin Infect Dis 2003; 36[10]:1221-8), enchaîne la Dre Marr, la stratégie d’association a diminué l’intervalle précédant l’obtention d’une culture négative et a donné de meilleurs résultats lorsque les patients étaient stratifiés en fonction du score APACHE II. Cela dit, le «cœur du problème» demeure la prise en charge de l’aspergillose, ajoute-t-elle.

Il ressort d’études in vitro et d’études chez l’animal que plusieurs dérivés azolés et les échinocandines exercent une activité synergique et qu’ensemble, ils tuent les espèces du genre Aspergillus efficacement. De petites études d’observation lors desquelles on a eu recours à l’association AmB + caspofongine pour traiter l’aspergillose ont aussi indiqué que les réponses à l’association étaient nettement plus prometteuses que les réponses observées chez des témoins historiques. Par exemple, lorsque la caspofongine a été ajoutée à l’AmB ou à l’AmB liposomique, on a enregistré une réponse favorable chez 60 % des sujets de l’une de ces études qui présentaient une infection réfractaire, notamment une résolution complète dans 20 % des cas (Cancer 2003;97:1025-32).

Au Fred Hutchinson Cancer Research Center à Seattle, Washington, la Dre Marr et son équipe ont commencé à recourir aux associations d’antifongiques pour traiter les AI dans l’espoir d’obtenir de meilleurs résultats. Leur expérience (Clin Infect Dis 2004;39:797-802) a montré que le taux de survie à trois mois était significativement plus élevé chez les patients atteints d’une AI qui avaient reçu l’association voriconazole + caspofongine en traitement de secours après un traitement initial par l’AmB, que chez les patients qui avaient reçu du voriconazole seul (Figure 2). À un an, par contre, le taux de survie ne différait pas d’un groupe à l’autre, reconnaît la Dre Marr. Les chercheurs ayant aussi utilisé des témoins historiques dans cette étude, il est possible que les résultats aient été faussés par les mêmes biais que ceux des études menées chez des transplantés d’organe solide, c’est-à-dire que la survie globale se soit améliorée avec le temps.

Néanmoins, le nombre de décès imputables à l’AI était moins élevé chez les patients recevant une association que chez les patients sous monothérapie, et les décès survenus dans le groupe recevant l’association étaient prévisibles. La Dre Marr estime aussi que les résultats de cette étude au chapitre de la prévention des décès prématurés étaient suffisamment parlants pour que cette association particulière soit envisagée dans le traitement de secours de l’AI réfractaire, surtout chez les patients très malades, comme ceux qui ont fait l’objet de son analyse.

Au sujet du défi clinique que représente le traitement de l’aspergillose du SNC, la Dre Marr explique que le risque immunologique persistant est la raison première des échecs cliniques. L’échec peut aussi résulter du fait qu’une quantité suffisante de médicament ne peut pas être acheminée au foyer infectieux, là où l’antifongique est requis. L’émergence de souches résistantes, quoique moins probable, demeure une possibilité. Si le patient a déjà reçu l’association AmB liposomique + caspofongine, comme c’était le cas dans l’exemple présenté, les données chez l’animal étayent le recours au voriconazole dans l’aspergillose du SNC. Certains modèles animaux d’AI semblent indiquer que l’association AmB liposomique + voriconazole donne de meilleurs résultats (Antimicrob Agents Chemother 2005;49:4867-75). Une étude d’observation sur l’AI du SNC qui regroupait 81 patients (Blood 2005;106:2641-5) a toutefois révélé que 35 % des patients avaient obtenu une réponse complète ou partielle au traitement par le voriconazole seul, ce qui est nettement supérieur aux résultats observés chez des témoins historiques. Dans la même étude, l’excision des lésions du SNC a aussi été associée à une amélioration de la survie selon l’analyse multifactorielle.

Comme le souligne la Dre Marr, il y a des arguments à la fois pour et contre les associations médicamenteuses dans les mycoses invasives. Le traitement d’association est justifié dans certaines situations, mais probablement pas dans la candidose maintenant que notre arsenal thérapeutique compte des échinocandines. Nous avons néanmoins besoin d’essais cliniques comparatifs de puissance statistique suffisante comme l’essai de phase III MSG 003 en cours qui compare le voriconazole seul avec l’association voriconazole + anidulafungine dans le traitement de première intention d’une AI prouvée ou probable.

Les résultats de cette étude, prévus pour la fin de 2010, nous permettront sans doute de déterminer laquelle des stratégies est la plus efficace sur les plans de la mortalité toutes causes confondues six semaines après le début du traitement à l’étude. Les critères d’évaluation secondaire de l’essai MSG 003 sont notamment le taux de réponse globale à six semaines, la mortalité toutes causes confondues à six semaines, la mortalité toutes causes confondues à 12 semaines, la mortalité imputable à l’AI à six semaines, l’intervalle précédant la mort de même que l’innocuité et la tolérabilité des deux schémas.

D’ici à ce que nous ayons d’autres données, poursuit la Dre Marr, l’association d’antifongiques est justifiée en cas de progression de l’AI, pour autant qu’elle ne donne pas lieu à de moins bons résultats. Un manque de données n’équivaut pas nécessairement à un manque d’efficacité, conclut-elle.

Figure 2. Taux d
ents souffrant d’AI

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