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Progrès dans le traitement des cancers du poumon et du sein

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

PRESSE PRIORITAIRE - Le 35e Congrès de la European Society of Medical Oncology

Milan, Italie / 8-12 octobre 2010

Le cancer du poumon cause chaque année, dans le monde entier, 1,3 million de décès, davantage que le mélanome et les cancers du sein, du côlon, du foie et du rein combinés. Environ 85 % des cancers du poumon sont du type non à petites cellules (CPNPC). Au nombre des récents développements figure le bévacizumab, agent biologique qui cible le facteur de croissance de l’endothélium vasculaire (VEGF) et qui inhibe l’angiogenèse tumorale. Les essais pivots de phase III E4599 et AVAiL ont montré que, comparativement à la chimiothérapie seule, un traitement à base de bévacizumab suivi de l’administration du bévacizumab en monothérapie jusqu’à la progression de la maladie améliorait significativement les résultats cliniques chez des patients porteurs d’un CPNPC non spinocellulaire avancé. Le paramètre principal a été atteint dans les deux essais : survie globale (SG) dans l’essai E4599 (HR 0,79, p=0,003) et survie sans progression (SSP) dans l’essai AVAiL (HR 0,75, p=0,003 et HR 0,82, p=0,03 pour les doses de 7,5 mg/kg et de 15 mg/kg, respectivement). L’essai AVAiL n’a toutefois pas objectivé d’amélioration de la SG.

Cependant, les CPNPC ne sont pas tous identiques, rappelle le Dr Lucio Crinò, Hôpital universitaire de Pérouse, Italie. En Europe et en Amérique du Nord, 10 à 15 % des patients atteints d’un CPNPC sont porteurs de mutations dans le gène du récepteur du facteur de croissance épidermique (EGFR), alors que cette proportion atteint 30 à 40 % en Asie de l’Est.

Lorsque ces patients reçoivent un inhibiteur sélectif de l’activité tyrosine kinase (ITKs) de l’EGFR comme le géfitinib ou l’erlotinib, par comparaison à ceux qui ne reçoivent qu’une chimiothérapie standard, leur SSP est significativement plus longue. L’essai phare IPASS (Iressa Pan-Asia Study) a été le premier à en faire la preuve, une nette différence ayant été observée quant à l’efficacité du géfitinib selon le statut mutationnel, explique le Dr Crinò. Cette observation a depuis été confirmée par des études prospectives réalisées chez des patients porteurs de mutations dans le gène de l’EGFR, principalement l’étude NEJ002 (N Engl J Med 2010;362:2380-8) qui a métamorphosé la pratique. Les résultats de l’étude OPTIMAL, présentés au congrès par le Pr Caicun Zhou, Hôpital pulmonaire de Shanghai, Chine, semblent maintenant indiquer que l’erlotinib est associé à une prolongation similaire de la SSP chez les patients n’ayant jamais reçu de chimiothérapie.

«Impossible de ne pas conclure que l’on a identifié un nouveau type biologique de CPNPC pour lequel il existe un traitement efficace», affirme le Pr Michael Cullen, Queen Elizabeth Hospital, Birmingham, Royaume-Uni. Non seulement les mutations dans le gène de l’EGFR définissent-elles le cancer, mais elles sont aussi «responsables du phénotype malin des cellules cancéreuses». Le traitement de première intention par l’ITK de l’EGFR «peut faire régresser ce phénotype malin chez environ 70 % des patients». Cela dit, comme environ 30 % des patients ne reçoivent jamais de traitement de deuxième intention, enchaîne le Pr Cullen, «force nous est de conclure que les patients atteints d’un CPNPC doivent, dans la mesure du possible, recevoir le meilleur traitement en première intention».

Résultats de l’étude IPASS et d’autres études

L’importance d’un traitement approprié en première intention a été démontrée lors de la séance du président dirigée par le Pr Chih-Hsin James Yang, Hôpital de l’Université nationale de Taiwan, Taipei. Ce dernier a en effet montré que la SG au terme de l’étude IPASS ne différait pas selon le traitement de première intention (HR 0,90; IC à 95 % : 0,79-1,02; p=0,109). De l’avis du Pr Yang, la prescription d’un traitement de deuxième intention à un nombre substantiel de patients pourrait avoir été un facteur de confusion dans cette analyse et avoir dilué l’effet du géfitinib sur ce paramètre secondaire. Chez ces patients, donc, la SSP donne une meilleure idée de l’efficacité du traitement.

La médiane de SG a été presque deux fois plus longue chez les patients porteurs de mutations que chez les non-porteurs (21,6 vs 11,2 et 21,9 vs 12,7 mois dans le groupe ITK et carboplatine/paclitaxel, respectivement), ce qui confirme l’existence de deux types distincts de CPNPC selon le statut mutationnel, poursuit le Pr Yang.

Le Dr Jean-Charles Soria, Institut de Cancérologie Gustave Roussy, Villejuif, France, a discuté pour sa part des retombées cliniques des résultats de l’étude IPASS et notamment de la possibilité que la mutation dans le gène de l’EGFR annonce un pronostic plus favorable chez les patients porteurs d’un CPNPC. Bien que les résultats aient été similaires dans les deux groupes en termes de SG, le géfitinib administré en première intention a permis de mieux maîtriser les symptômes, d’améliorer la qualité de vie et de prolonger la SSP, sans oublier qu’il a l’avantage de s’administrer par voie orale. À l’instar du Pr Cullen et d’autres experts, le Dr Soria préconise «le meilleur traitement en première intention».

La possibilité d’un traitement ciblé efficace dépend du test de détection des mutations. Au Japon, explique le Dr Tetsuya Mitudomi, Centre d’oncologie d’Aichi, Nagoya, le taux d’adoption du test de détection de mutations dans le gène de l’EGFR a augmenté rapidement depuis qu’il est couvert par les assurances (2007). La décision d’opter pour ce test ou non ne devrait pas dépendre de critères cliniques comme l’absence de tabagisme, a-t-on entendu dire au congrès. Par exemple, une étude regroupant 679 Japonais que le Dr Mitudomi a décrite a révélé qu’une proportion substantielle de fumeurs (50 % des femmes et 30 % des hommes atteints d’un adénocarcinome) étaient porteurs de mutations dans le gène de l’EGFR.

Les allocutions présentées à Milan nous permettent d’espérer que la présence de mutations dans le gène de l’EGFR devienne le facteur déterminant de l’accès au traitement ciblé dans le CPNPC. Pour atteindre cet objectif, on ne devrait pas restreindre l’accès au test de détection en fonction de critères cliniques dans les cas avancés, et les patients porteurs de mutations devraient recevoir un ITK de l’EGFR comme le géfitinib en première intention.

ATAC : 10 ans plus tard

Le Pr John Forbes, University of Newcastle, Australie, a présenté au congrès les résultats de l’analyse du suivi de 10 ans de l’essai ATAC (Arimidex, Tamoxifen Alone or in Combination). «Il ne fait pas de doute que l’anastrozole est significativement supérieur au tamoxifène» en termes de survie sans cancer, de cancers du sein récidivants et de nouveaux cancers du sein controlatéraux chez les patientes atteintes d’un cancer du sein avec récepteurs hormonaux, a-t-il déclaré à l’auditoire.

C’est en 1996 qu’a débuté l’essai ATAC, dont l’objectif était de comparer l’inhibiteur de l’aromatase (IA), l’anastrozole, à 1 mg/jour avec le tamoxifène à 20 mg/jour, seuls ou en association, dans le traitement adjuvant de première intention d’un cancer du sein invasif localisé. Après 5 ans, le traitement a été interrompu, mais le suivi en clinique s’est poursuivi à l’insu pendant au moins 10 ans (durée médiane du suivi : 120 mois). Il est rare que l’on ait l’occasion d’évaluer les effets continus d’un traitement du cancer du sein pendant une aussi longue période. Le Pr Forbes a montré, à l’aide de statistiques robustes, que la supériorité de l’IA s’était non seulement maintenue, mais qu’elle s’était accentuée selon les paramètres importants pendant au moins 5 ans après la fin du traitement.

En termes de survie sans cancer, l’anastrozole est demeuré supérieur au tamoxifène après 10 ans (HR 0,86, p=0,03). L’analyse de l’intervalle précédant la récidive du cancer du sein a en effet objectivé «un effet résiduel frappant», la différence absolue de 2,7 % entre l’anastrozole et le tamoxifène à 5 ans étant passée à 4,3 % après 10 ans. Statistiquement parlant, la courbe lissée du risque est aussi venue confirmer cet effet, montrant que le taux d’événements sous tamoxifène demeurait plus élevé que sous anastrozole après la fin du traitement. De plus, on n’a pas observé d’hétérogénéité statistique d’un sous-groupe à l’autre ni de diminution de l’efficacité chez les patientes sans atteinte ganglionnaire («bien au contraire», fait remarquer le Pr Forbes).

L’effet était encore plus marqué pour l’intervalle précédant l’apparition de métastases à distance, qui reflète probablement la mortalité par cancer du sein, indique le Pr Forbes. Dans ce cas, la différence entre l’anastrozole et le tamoxifène à 10 ans (2,6 %) était deux fois plus élevée que la différence observée à 5 ans (1,3 %).

Les décès post-récidive, qui correspondent en grande partie aux décès par cancer du sein, ont diminué de 13 % (HR 0,87, p=0,09). Bien que cette baisse n’ait pas été significative sur le plan statistique, d’abondantes données sur les effets des IA étayent une diminution réelle et cliniquement significative qui n’a probablement rien d’un hasard, poursuit le Pr Forbes.

L’effet de l’anastrozole sur le risque de survenue d’un cancer du sein controlatéral «donne tout lieu de croire qu’un IA pourrait être efficace en prévention primaire du cancer du sein», avance le Pr Forbes. Soulignant que l’effet du tamoxifène sur le cancer du sein controlatéral était le facteur clé dans les essais de prévention primaire sur cet agent, il a rapporté que la différence absolue entre les deux agents après 10 ans (1,7 %, en faveur de l’anastrozole) avait doublé par rapport à la différence observée après 5 ans (0,8 %, en faveur de l’anastrozole).

En termes d’innocuité, ajoute le Pr Forbes, «nous n’avons pas observé d’excédent du taux de fractures après 5 ans de traitement, et aucun nouveau problème n’a été signalé sur le plan de la morbimortalité».

Le suivi des patientes de l’essai ATAC se poursuivra maintenant dans le cadre de l’essai LATTE (Long-term Anastrozole vs Tamoxifen Treatment Effects). Cette étude portera la durée du suivi à 15 ans, ce qui pourrait en faire la plus longue étude jamais réalisée pour démontrer l’efficacité et l’innocuité continues d’un traitement dans le cancer du sein.

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