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Prévention de la diarrhée du voyageur : stratégies de réduction du risque

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

MEDI-NEWS - D’après la déclaration du comité consultatif (DCC) du CCMTMV

Novembre 2015

La diarrhée du voyageur (DV) touche environ la moitié des personnes qui visitent des pays à revenu faible ou intermédiaire. Elle se résorbe souvent d’elle-même, mais elle incommode jusqu’à la moitié des voyageurs atteints, les obligeant à modifier une partie de leurs activités. Les voyageurs ont intérêt à prendre des mesures d’hygiène pour se protéger de l’eau et des aliments contaminés par les bactéries souvent en cause, mais ils enfreignent généralement ces mesures dans les premières de 24 heures. La DV est souvent causée par une souche d’Escherichia coli entérotoxinogène (ECET), contre laquelle il existe un vaccin offrant une certaine protection. Le lavage des mains et l’administration de multiples doses quotidiennes de sous-salicylate de bismuth sont d’autres stratégies de prévention.

Rédactrice médicale en chef : Dre Léna Coïc, Montréal, Québec

Le risque de contracter la diarrhée du voyageur (DV) varie selon la destination, la durée du séjour, l’âge et la santé du voyageur de même que le type de voyage. Les personnes qui visitent les régions rurales avec un sac à dos et séjournent dans des installations rudimentaires sont plus à risque que les personnes séjournant dans un complexe ou un hôtel bien tenus. Chez l’adulte, les symptômes de la DV apparaissent au début du voyage, en moyenne le 3e ou le 4e jour. Chez les enfants et les jeunes de moins de 20 ans, ils apparaissent plus tard, vers le 8e jour.

La DV résulte principalement de l’ingestion d’aliments et de boissons contaminés par des agents pathogènes. Plus de 80 % des cas de DV sont causés par des bactéries pathogènes, les plus fréquentes étant Escherichia coli, surtout de souche entérotoxinogène (ECET), et Campylobacter, affirme le Comité consultatif de la médecine tropicale et de la médecine des voyages (CCMTMV).

En général, la DV est bénigne et se résorbe d’elle-même, mais 5 à 20 % des voyageurs consultent un médecin, une infirmière ou un pharmacien et 30 à 60 % prennent un médicament quelconque; l’hospitalisation est parfois requise. Selon l’Agence de la santé publique du Canada, plus de la moitié des patients se présentant à une clinique du voyage à leur retour ont une diarrhée aiguë et près de 30 % des cas rapportés de maladie entérique au Canada sont associés à des voyages internationaux. Récemment, Steffen et al. (JAMA 2015; 313:71) ont affirmé que 3 à 17 % des personnes atteintes de DV développaient un syndrome de l’intestin irritable post-infectieux (SII-PI). Plusieurs facteurs sont associés à l’apparition d’un SII-PI : sévérité de la DV, nombre d’épisodes, diarrhée au départ, survenue d’événements stressants de la vie avant le voyage et infection par la bactérie ECET productrice d’entérotoxine thermolabile (TL).

Il y a plusieurs façons de prévenir la DV, surtout pour les voyageurs dont les minutes sont comptées et ceux pour qui la diarrhée est très risquée. C’est presque toujours en consommant des aliments ou des boissons (glaçons y compris) contaminés par des souches entérotoxiques d’E. coli que les voyageurs s’exposent aux bactéries en cause. Le CATMAT exhorte les voyageurs à ne jamais boire d’eau locale et à surveiller ce qu’ils mangent afin de réduire les risques; dans les faits, ces mesures se soldent souvent par un échec.

Il existe une autre solution : Dukoral, vaccin oral constitué de cellules entières tuées et de la sous-unité B recombinante (WC-rBS) et homologué au Canada pour la prévention de la DV causée par l’ECET ou la toxine cholérique. La plupart des souches d’ECET produisent une toxine appelée «entérotoxine TL» identique à la sous-unité B de la toxine cholérique quant à sa structure et à ses effets physiopathologiques et immunologiques. Le vaccin WC-rBS (Dukoral) entraîne la production d’anticorps contre la sous-unité B de la toxine cholérique, protégeant ainsi contre le choléra et l’ECET-TL.

L’ECET est l’agent pathogène causant le plus de cas de DV en Amérique latine, dans les Caraïbes et en Afrique. En Asie du Sud-Est, y compris en Thaïlande, la bactérie Campylobacter est plus fréquente. De nombreux facteurs étant à l’origine d’une DV, l’efficacité de Dukoral contre la DV toutes causes confondues varie selon la prévalence de l’ECET-TL.

 Devrait-on recommander l’utilisation systématique de Dukoral?

Dans sa déclaration de 2015, le CCMTMV suggère aux Canadiens de ne pas avoir recours systématiquement au vaccin WC-rBS (Dukoral) pour prévenir la DV. Cela dit, certaines personnes à risque élevé de complications qui font des voyages de courte durée ou pour qui la DV pourrait être gravement incommodante pourraient y trouver leur compte, le faible risque d’effets indésirables l’emportant sur le fardeau associé au risque. Ainsi, les voyageurs suivants pourraient envisager la vaccination par Dukoral :

  • les personnes ne pouvant être malades, même brièvement (athlètes de haut niveau, certains hommes d’affaires, politiciens);
  • les personnes particulièrement sensibles à la DV (p. ex., achlorhydrie, gastrectomie, épisodes répétitifs de DV sévère, enfants de > 2 ans);
  • les personnes immunodéprimées (infection par le VIH avec faible taux de CD4 ou autre type d’immunosuppression);
  • les malades chroniques à risque élevé chez qui la DV pourrait avoir de graves séquelles (p. ex., insuffisance rénale chronique, insuffisance cardiaque congestive, diabète insulinodépendant, maladie inflammatoire de l’intestin).

 Recommandations fondées sur des preuves

Dans sa déclaration de 2015, le CCMTMV recommande d’autres mesures de prévention. Il recommande par exemple que les voyageurs d’âge adulte à risque élevé envisagent le sous-salicylate de bismuth (Pepto-Bismol), pour autant qu’ils soient disposés à prendre plusieurs doses par jour – de 2,1 à 4,2 g/jour fractionnés en 4 doses. Le CCMTMV estime que l’ingestion de sous-salicylate de bismuth permet d’éviter 250 cas de DV pour 1000 voyageurs traités. En général, on évitera une antibiothérapie prophylactique en raison de ses effets indésirables et de l’augmentation des souches résistantes. Le CCMTMV reconnaît toutefois l’utilité d’une antibiothérapie (p. ex. fluoroquinolones et rifaximine) pour la prévention de la DV dans certains groupes de personnes à risque élevé pour un voyage de courte durée où la chimioprophylaxie est considérée comme essentielle.

Autres pratiques recommandées

La consommation d’aliments et de boissons appropriés peut réduire le risque de DV. Sont à éviter les viandes insuffisamment cuites ou crues, y compris les mollusques et crustacés, ainsi que les fruits et légumes difficiles à laver ou à peler. Les aliments préparés, conservés ou servis dans des conditions non salubres doivent être évités. Le lavage fréquent des mains peut aussi réduire le nombre d’épisodes diarrhéiques. Il faut se laver la main au savon et à l’eau avant de préparer un repas et de manger ainsi qu’après avoir uriné ou être allé à la selle. À défaut de savon et d’eau facilement accessibles, un désinfectant pour les mains à base d’alcool pourrait être utile pour réduire le risque de DV.

Questions et réponses

Voici les réponses de Darin Cherniwchan, directeur médical, Fraser Valley Travel Clinic, Abbotsford (C.-B.), à une série de questions. 

Q : Que conseillez-vous à vos patients pour qu’ils ne souffrent pas de DV?

R : C’est simple : bouilli, cuit, pelé, ou on oublie ça! Plus facile à dire qu’à faire, toutefois. Des études ont montré que plus de 95 % des voyageurs enfreignent une règle de prévention de la DV relative aux aliments et boissons dans les 24 heures suivant leur arrivée. Cela dit, il importe de suivre les règles d’usage pour réduire la quantité d’agents pathogènes ingérés et le risque d’ingestion d’aliments impropres à la consommation ou contaminés. En cas de «remords alimentaires» (le voyageur se rend compte du goût altéré ou de la cuisson insuffisante après quelques bouchées), je recommande de prendre immédiatement deux comprimés de Pepto-Bismol à mâcher. Une antibiothérapie prophylactique est rarement utilisée, mais pourrait être envisagée chez les personnes les plus à risque de conséquences délétères de la DV.

Q: Le CCMTMV ne recommande pas le recours systématique à Dukoral. Dans votre pratique, quels patients tirent vraiment profit de ce vaccin? 

R : Malheureusement, le CCMTMV ne tient pas compte de la destination. Dukoral est surtout bénéfique pour les voyages dans des pays où le taux d’ECET est très élevé, p. ex. au Mexique, en Amérique centrale et dans le nord-ouest de l’Amérique du Sud. Dans certains pays d’Afrique comme la Tanzanie et en Indonésie où le taux d’ECET est faible, Dukoral n’est pas aussi bénéfique. Les voyageurs ayant de «grandes attentes», p. ex. les nouveaux mariés, les gens d’affaires, les athlètes et les personnes ayant peu voyagé dans les pays à risque auraient tous intérêt à prendre Dukoral. Les personnes se rendant dans des zones à risque de choléra comme Haïti devraient aussi envisager Dukoral avant le départ. 

Q : Vos patients vous ont-ils fait des commentaires positifs (ou négatifs) au sujet du vaccin?

R : Je ne sais combien de patients m’ont remercié, en particulier des patients ayant été témoins de nombreux cas de DV parmi leurs pairs américains (Dukoral n’est pas homologué aux États-Unis) : en effet, Canadiens et Américains avaient tous ingéré les mêmes aliments et boissons, et seuls les Américains avaient été malades. Si le voyageur peut se permettre de payer environ 45 $ la dose de Dukoral, la décision est facile à prendre, à plus forte raison si le vaccin est couvert par son régime d’assurances. La prévention par le vaccin est préférable à l’antibiothérapie.

Q : Que peuvent faire les parents pour protéger leurs enfants?

R : Voyager avec des enfants, c’est merveilleux, mais pas toujours évident. Je recommande aux parents de goûter les aliments d’abord, les enfants étant moins susceptibles d’avoir des remords alimentaires et des comprimés de Pepto-Bismol à portée de la main.

Q : En cas de DV, que recommandez-vous pour atténuer les symptômes? 

R : La clé, c’est l’hydratation au moyen de sels de réhydratation orale et d’eau potable. Les agents antimotilité comme le lopéramide contribuent à réduire la fréquence de la diarrhée et le risque de déshydratation. Il a aussi été démontré qu’un bref traitement à base de fluoroquinolone ou d’azithromycine abrégeait l’épisode chez la plupart des voyageurs. La diarrhée dont on ne peut retracer clairement le moment de l’apparition lors d’un voyage de longue durée risque davantage d’être causée par une infection parasitaire, laquelle nécessitera un traitement antimicrobien fort différent.   

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