Comptes rendus

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Rémission avec cicatrisation complète de la muqueuse : nouvel objectif du traitement de la colite ulcéreuse et de la maladie de Crohn

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

FRONTIÈRES MÉDICALES - 2011 Advances in Inflammatory Bowel Diseases Crohn’s and Colitis Foundation (CCF) Clinical & Research Conference

Hollywood, Floride / 1er-3 décembre 2011

Hollywood - Les patients aux prises avec une maladie inflammatoire de l’intestin (MII), qu’il s’agisse de la colite ulcéreuse ou de la maladie de Crohn, se tirent mieux d’affaire lorsqu’ils parviennent à une rémission avec cicatrisation de la muqueuse. Les données sont tellement convaincantes que l’on explore maintenant le concept de rémission avec cicatrisation complète de la muqueuse, c’est-à-dire le retour de la muqueuse à une histologie normale ou presque, le principe sous-jacent étant qu’une quiescence plus profonde de la maladie protège mieux le patient contre la rechute. Comparativement à une résolution partielle de l’activité inflammatoire dans les MII, qui semble plus volontiers associée à des poussées cliniques périodiques, une maîtrise profonde de la maladie semble diminuer à la fois le risque de mise en branle de la cascade de signaux inflammatoires et de réapparition de l’activité de la maladie. Le traitement des MII était naguère dicté par le soulagement des symptômes, mais la corrélation entre soulagement des symptômes et cicatrisation de la muqueuse est limitée. Les MII étant chroniques, l’optimisation de l’issue clinique à long terme est un objectif important qui passe par la cicatrisation de la muqueuse, quel que soit le schéma de traitement.

Rédactrice médicale en chef : Dre Léna Coïc, Montréal, Québec

Le concept de cicatrisation de la muqueuse – que la Food and Drug Administration envisage maintenant comme objectif du traitement pour évaluer l’efficacité dans les maladies inflammatoires de l’intestin (MII) – veut que le risque de rechute diminue parallèlement à la résolution de l’activité inflammatoire. À l’heure actuelle, la cicatrisation de la muqueuse est le meilleur signe de maîtrise de l’inflammation, quoique d’autres marqueurs – notamment le dosage sérique de médiateurs de l’inflammation ou le retour à une histologie normale ou quasi normale, pourraient être utiles. Toutes les stratégies ont un objectif commun : l’obtention d’une quiescence suffisamment profonde pour faire obstacle à la rechute.

«Nous devons nous demander comment prévenir à long terme la progression vers l’hospitalisation et la colectomie», explique le Dr David T. Rubin, University of Chicago, Illinois. Pour y arriver, nous pouvons cibler des paramètres objectifs plutôt qu’un simple soulagement des symptômes ou encore, penser long terme plutôt que court terme.»

 Données à l’appui

Le Dr Rubin – dont la communication portait exclusivement sur la colite ulcéreuse (CU) – insiste sur l’importance de la cicatrisation de la muqueuse comme objectif du traitement lors d’une poussée aiguë. Il s’appuie en cela sur des données montrant que l’atteinte de paramètres moins stricts est associée à un risque accru de rechute et de complications graves en cas de progression de la maladie, comme l’hospitalisation et la chirurgie. Il importe ici de souligner que les symptômes peuvent être soulagés sans que la muqueuse n’ait cicatrisé et que la muqueuse peut avoir cicatrisé sans que tous les symptômes n’aient disparu. Lors des études de phase III ACT sur l’infliximab dans la CU, la cicatrisation de la muqueuse à 8 semaines était près de 2 fois plus fréquente sous anti-TNF que sous placebo (62 % vs 34 %; p<0,001); au sein du groupe infliximab, par contre, la proportion de patients cicatrisés était 50 % plus élevée que la proportion de patients totalement soulagés (62 % vs 39 %; p<0,001). C’est donc dire que le soulagement des symptômes et une mesure particulièrement imprécise de la réussite du traitement.

«Nous avons maintenant beaucoup de données confirmant que la cicatrisation de la muqueuse à l’endoscopie devrait être l’objectif du traitement de la CU à court terme. Les essais ont objectivé les bénéfices associés à la cicatrisation de la muqueuse et le retour à une histologie normale dans la CU – notamment une diminution des hospitalisations, des interventions chirurgicales et des cancers –, alors, oui, c’est notre objectif ultime», affirme le Dr Stephen B. Hanauer, University of Chicago. Dans une étude qu’il a citée, le taux de rechute à 1 an s’élevait à 80 % lorsque la rémission clinique était définie par la présence ou l’absence de symptômes, alors qu’il était de 23 % (p<0,0001) lorsqu’elle était définie par des critères à la fois cliniques et endoscopiques. Lors d’une autre étude dont les sujets ont été suivis leur vie durant, le taux de colectomie se chiffrait à 19 % vs 81 % (p<0,02) selon que la muqueuse avait cicatrisé ou non 1 an après le traitement initial. (Figures 1 et 2)

Figure 1.  Significativement moins de rechutes chez les patients parvenus à une rémission endoscopique

 

 

Cicatrisation de la muqueuse et risque moindre de rechute

 

L’obtention de meilleurs résultats chez les patients cicatrisés ne dépend pas du traitement administré, quoique la probabilité de cicatrisation chez les patients dont la maladie est sévère soit intimement liée à l’utilisation des traitements les plus efficaces. Dans la CU légère ou modérée, la cicatrisation complète de la muqueuse – que l’on obtient chez jusqu’à 32 % des patients à 8 semaines avec des agents à libération contrôlée – est prédictive d’un taux moindre de rechute à 1 an comparativement à la cicatrisation partielle. Dans les cas où la muqueuse ne cicatrise pas sous l’effet du traitement de première intention, le Dr Hanauer incite les médecins à passer rapidement au traitement de deuxième intention, à savoir : azathioprine (AZA), 6-mercaptopurine, corticostéroïde ou anti-TNF.  Le lien entre cicatrisation et issue favorable est le même, quel que soit le traitement administré dans la CU, souligne le Dr Hanauer, qui a d’ailleurs cité une étude sur les corticostéroïdes lors de laquelle 49 % des patients totalement cicatrisés n’avaient pas rechuté à 1 an. En revanche, les réponses prolongées chez les patients en rémission partielle étaient peu fréquentes et, dans 22 % des cas, elles étaient corticodépendantes après 1 an. Chez les patients qui n’avaient pas répondu aux corticostéroïdes à 1 mois, 29 % avaient été opérés à 1 an.

Figure 2.  Moins de colectomies après 1 an chez les patients cicatrisés

 

«La démarche thérapeutique évolue du fait que nous comprenons de mieux en mieux les retombées de la cicatrisation de la muqueuse dans la CU,  et nous envisageons maintenant plus tôt l’intensification thérapeutique, notamment par les agents biologiques», poursuit le Dr Hanauer.

Résultats de l’étude SUCCESS

Dans la CU modérée ou sévère, la mésalamine n’est pas un traitement de première intention approprié. La pertinence d’un immunosuppresseur comme l’AZA, d’un agent biologique ou de leur association dans le traitement de première intention de la CU a fait l’objet d’une étude importante intitulée UC SUCCESS, dont les résultats ont été présentés au congrès 2011 de l’ECCO (European Crohn’s and Colitis Organization) (Panaccione et al. J Crohn’s Colitis 2011;5:S80, résumé 13). Cet essai de 16 semaines mené à double insu regroupait 231 patients n’ayant jamais reçu d’agent biologique et dont le score Mayo était d’au moins 6. Au nombre des critères d’inclusion figuraient l’échec de la corticothérapie et la non-exposition à l’AZA ou l’arrêt de l’AZA au moins 3 mois avant l’admission. Les sujets étaient randomisés de façon à recevoir 2,5 mg/kg d’AZA en plus d’un placebo, 5 mg/kg d’infliximab en plus d’un placebo ou l’association de 5 mg/kg d’infliximab et de 2,5 mg/kg d’AZA. À 8 semaines, les non-répondeurs (diminution du score Mayo <1 point) du groupe AZA étaient autorisés à recevoir de l’infliximab.

Le taux de cicatrisation à 16 semaines était beaucoup plus élevé chez les patients sous infliximab que chez les patients sous AZA (55 % vs 37 %; p=0,028), et il était encore plus élevé chez les patients qui recevaient l’association des deux agents actifs que chez les patients qui recevaient l’infliximab seul (63 % vs 55 %; p=0,295). Bien que ce dernier écart n’ait pas atteint le seuil de significativité statistique, l’amélioration progressive des résultats associée à l’intensification du traitement justifierait le passage rapide à un traitement plus énergique chez les patients atteints de CU modérée ou sévère, précise le Dr Hanauer.

Certaines données montrent effectivement que le délai de suppression de l’inflammation est un facteur pronostique. Dans le cadre d’un essai comparatif avec placebo sur l’adalimumab dans la CU, 71 % des patients sous anti-TNF dont la muqueuse avait cicatrisé à 8 semaines vs 38 % des témoins sous placebo étaient en rémission à 1 an. Bien que l’étude n’ait pas comporté un deuxième groupe de traitement actif et qu’elle n’ait pas pu, en conséquence, démontrer qu’une cicatrisation plus rapide augmentait le taux de rémission à long terme, elle a permis de constater que la suppression rapide de l’activité inflammatoire était un important facteur pronostique.

«Les résultats de cette étude et d’autres études donnent tout lieu de croire que la probabilité de maintien de la rémission à long terme est beaucoup plus forte avec les traitements qui peuvent induire une cicatrisation de la muqueuse à court terme», affirme le Dr Edward V. Loftus, Mayo Clinic, Rochester, Minnesota. Ces données semblent indiquer qu’il est important de reconnaître le caractère agressif de la maladie et d’opter pour une stratégie de traitement susceptible d’induire et de maintenir la cicatrisation de la muqueuse. Au nombre des facteurs de mauvais pronostic figurent la résistance à des traitements antérieurs, la présence de lésions profondes à l’endoscopie et le taux de certains biomarqueurs, comme un faible taux d’albumine ou un taux élevé de protéine C-réactive (CRP).

Ces biomarqueurs de la sévérité de la maladie nous permettront peut-être un jour d’individualiser le traitement. Il n’y a pas encore de données concluantes permettant d’affirmer que les biomarqueurs peuvent déterminer le traitement dans la CU, mais le Dr Hanauer a cité les résultats d’une étude sur la maladie de Crohn (MC) ayant objectivé le potentiel discriminant du taux de CRP quant à la pertinence de doses plus fréquentes. 

Essais ACT

Dans le contexte de la CU, les essais ACT sont peut-être ceux qui ont le plus encouragé l’utilisation précoce des traitements les plus efficaces dans la CU. Dans ces essais publiés il y a 6 ans (Rutgeerts et al. N Engl J Med 2005;353:2462-76), des patients atteints de CU active modérée ou sévère malgré la médication ont été randomisés de façon à recevoir un placebo ou de l’infliximab à raison de 5 ou 10 mg/kg les semaines 0, 2 et 6, puis toutes les 8 semaines. Les sujets de l’essai ACT 1 – qui ont été traités pendant 46 semaines – ont été suivis durant 54 semaines et les sujets de l’essai ACT 2 – qui ont été traités pendant 22 semaines – ont été suivis durant 30 semaines. Dans une étude comme dans l’autre, environ 60 % des sujets sous infliximab, peu importe la dose, étaient parvenus à la cicatrisation de la muqueuse à 8 semaines (Figure 3). Ce taux de cicatrisation était environ deux fois plus élevé que dans le groupe placebo, et c’était le taux le plus élevé jamais enregistré dans une étude sur la CU.

«Le résultat peut-être le plus important est la différence entre les groupes après 54 semaines quant au taux cumulatif de colectomie, qui était presque deux fois plus élevé dans le groupe placebo [17 % vs 10 %; p=0,02]», souligne le Dr Hanauer. Cette étude a largement contribué à l’évolution des objectifs du traitement dans la CU, surtout au chapitre des stratégies qui réduisent les complications à long terme de cette maladie connue pour ses récidives fréquentes et sa tendance à progresser.

L’absence de corrélation entre cicatrisation et soulagement des symptômes dans les essais ACT explique la nécessité de paramètres objectifs pour l’évaluation de la réponse. Certaines études sur la mésalamine dans la CU légère ou modérée semblent indiquer un soulagement adéquat des symptômes en l’absence de cicatrisation complète de la muqueuse, mais le taux plus élevé de patients cicatrisés que de patients soulagés parmi les patients sous anti-TNF est tout de même prédictif d’un risque moindre de complications. La maîtrise des symptômes contribue étroitement à la qualité de vie, mais la cicatrisation est importante du fait qu’elle réduit le risque d’intervention chirurgicale subséquente.

«Environ 20 % des patients présentent les symptômes d’un intestin irritable en plus de leurs symptômes de MII. Par conséquent, nombreux sont les patients atteints de MC ou de CU qui ont des symptômes résiduels malgré une cicatrisation à l’endoscopie, mais ces symptômes ne sont pas forcément de nature inflammatoire», explique le Dr Hanauer. Il s’agit là d’un concept important parce que, dans un contexte où la cicatrisation de la muqueuse est associée à de meilleurs résultats, il établit que la cicatrisation de la muqueuse à l’endoscopie est un objectif indépendant.

Figure 3. ACT 1 et ACT 2 : Cicatrisation de la muqueuse

 

 

Intensification du traitement

Les médecins sont encore plus réticents à intensifier le traitement chez leurs patients atteints de CU que chez leurs patients atteints de MC. Cela dit, la nature de la cascade inflammatoire est similaire dans les deux maladies, et les principes de la prise en charge sont les mêmes : supprimer les médiateurs sous-jacents à la maladie afin d’améliorer l’issue clinique à long terme. Une proportion substantielle de patients atteints de CU légère ou modérée répond à la mésalamine, laquelle est bien tolérée et est associée à un risque moindre de cancer du côlon dans les études épidémiologiques. Les corticostéroïdes sont efficaces pour soulager les symptômes, mais plusieurs chercheurs, dont le Dr William J. Sandborn, University of California, San Diego, estiment que nous aurions plutôt intérêt à les utiliser comme agents inducteurs compte tenu des taux de cicatrisation relativement faibles enregistrés lors des essais comparatifs.

«Le budésonide à libération contrôlée, qui semble associé à moins d’effets toxiques graves que les corticostéroïdes classiques, suscite de plus en plus d’intérêt. Cet agent est modérément efficace comme traitement d’entretien dans la CU, mais il s’est révélé efficace comme agent inducteur de la rémission clinique», explique le Dr Sandborn. Le budésonide pourrait être utilisé pour augmenter le taux de réponse à la mésalamine ou à un immunosuppresseur avant le recours à un agent biologique.

Dépistage de l’infection à C. difficile

Quel que soit le traitement administré, le dépistage et le traitement de l’infection à Clostridium difficile est une étape clé dans la prise en charge de la CU. Bien que la CU soit rarement mortelle, note le Dr Sandborn, des décès surviennent en association avec une infection à C. difficile, laquelle peut exacerber la maladie et faire obstacle à la cicatrisation même lorsque le patient reçoit un traitement normalement efficace. Après avoir colligé les données de trois essais réalisés entre 1997 et 2007, il a constaté que la mortalité intrahospitalière était environ 4 fois plus élevée chez les patients infectés par C. difficile. Les taux de colectomie étaient aussi plus élevés chez ces patients, mais l’écart n’était pas significatif.

«Même chez un patient à j’ai déjà fait passer le test de dépistage d’infection à C. difficile, j’envisagerais de refaire le test advenant un changement dans sa réponse au traitement d’entretien», précise le Dr Sandborn.

Attentes des patients et des médecins face à la cicatrisation

Il devrait maintenant être admis que le soulagement des symptômes – jadis utilisé comme baromètre de l’efficacité du traitement – doit faire place à des paramètres objectifs, la cicatrisation en particulier. Il est tout aussi important de reconnaître que la maladie peut évoluer de façon variable d’un patient à l’autre. Les patients comme les médecins doivent reconnaître qu’une maîtrise plus rigoureuse de la cascade inflammatoire est essentielle à l’obtention de bons résultats à long terme. Dans le cadre d’un sondage réalisé auprès de 451 patients atteints de CU, 80 % des patients estimaient qu’il est normal d’avoir des poussées, souligne le Dr Rubin, qui ajoute qu’à son avis, beaucoup de patients qui font état d’une bonne maîtrise de la maladie lors de leurs visites ne mentionnent pas forcément les poussées qui surviennent entre les visites et qui pourraient témoigner d’une détérioration de la maîtrise de la maladie.

«On observe une importante disparité entre les attentes des professionnels de la santé et celles des patients. Nous, les médecins, ne demandons pas toujours suffisamment d’information sur l’activité de la maladie», déplore le Dr Rubin. Compte tendu de l’importance d’une régulation à la baisse de l’activité inflammatoire, une définition plus rigoureuse de la réussite du traitement a des retombées sur l’issue à long terme.

Résumé

Dans la CU comme dans la MC, les critères d’efficacité d’un traitement lors d’une poussée aiguë sont de plus en plus stricts, les données montrant que la maîtrise de l’activité inflammatoire est prédictive d’un risque moindre de complications à long terme, y compris l’hospitalisation et la colectomie. La cicatrisation de la muqueuse semble être un important facteur prédictif de l’issue clinique, quel que soit le traitement utilisé. Cette observation est compatible avec le concept voulant que la cascade inflammatoire risque moins d’être réactivée en présence d’une quiescence relativement plus profonde, et ce concept est essentiel dans les algorithmes ayant pour objectif la prévention des complications à long terme.  

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