Comptes rendus

Le déficit cognitif dans la population vieillissante des patients infectés par le VIH
Prise en charge des risques relatifs d’un INTI sans compromis quant au maintien de la maîtrise de l’infection

Résultats et retombées cliniques de l’étude JUPITER : le point de vue du Québec

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

LE FORUM 2009 - Cardiologie

Mars 2009

Commentaire éditorial :

Jacques Genest Jr, MD, FRCPC

Professeur titulaire de médecine, Titulaire de la chaire de médecine Novartis, Université McGill,Montréal (Québec)

Les résultats récemment publiés de l’essai JUPITER (Justification of the Use of statins in Prevention; an Intervention Trial Evaluating Rosuvastatin) ont démontré que la réduction très marquée du taux de C-LDL était bénéfique chez des individus normolipidémiques d’un certain âge et apparemment en bonne santé dont le taux de protéine C-réactive ultrasensible (hsCRP) était élevé. Lors de cet essai multinational, le taux de C-LDL a atteint une médiane de 1,4 mmol/L sous l’effet de la rosuvastatine à 20 mg, et a même chuté sous la barre de 1,0 mmol/L chez une proportion considérable de sujets. Comparativement aux taux inchangés sous placebo, ces taux ont été associés à une réduction relative très nette du risque de survenue du paramètre mixte principal regroupant divers événements cardiovasculaires (CV). Les résultats de JUPITER prouvent que l’hsCRP permet de cerner les individus normolipidémiques qui peuvent bénéficier d’une baisse très marquée du taux de C-LDL. Ils confirment également l’innocuité de cette stratégie, qui s’avère aussi sûre en prévention primaire que secondaire.

Les conclusions de l’essai JUPITER ajoutent une nouvelle dimension à la théorie selon laquelle plus le taux de C-LDL est bas, meilleure est la protection. Cette étude de prévention primaire — dont l’objectif était de vérifier l’hypothèse voulant qu’un traitement hypolipidémiant intensif puisse réduire le risque d’événement CV chez des sujets apparemment en bonne santé et normolipidémiques mais ayant un taux élevé d’hsCRP — apporte des preuves robustes de l’intérêt de cette stratégie dans cette population. En effet, le traitement par la rosuvastatine à 20 mg une fois par jour a été associé à une diminution de 44 % (taux de risque [HR] de 0,56; IC à 95 % : 0,46–0,69; p<0,00001) du risque de survenue des événements compris dans le paramètre mixte principal, c’est-à-dire Commentaire éditorial : les infarctus du myocarde [IM], les AVC, les interventions de revascularisation artérielle, les hospitalisations pour cause d’angine instable ou les décès d’origine CV.

L’essai JUPITER établit que l’hsCRP est un marqueur du risque CV qui peut aider à la décision clinique. Chez les sujets de cette étude, le taux d’hsCRP s’est révélé un marqueur du risque aussi puissant que la présence d’une maladie CV avérée ou d’un diabète à haut risque. Dans cette population traitée sur le seul critère d’un taux élevé d’hsCRP, les bénéfices étaient à ce point marqués que le comité indépendant de surveillance des essais a mis fin à l’étude après seulement 1,9 an alors que le protocole prévoyait une durée totale de cinq ans.

Tableau 1. JUPITER : Caractéristiques cliniques initiales


L’essai regroupait 17 802 sujets (hommes de =50 ans ou femmes de =60 ans) de 26 pays dont le Canada. Le critère principal d’admissibilité était un taux d’hsCRP =2 mg/L. Au nombre des critères d’exclusion figuraient principalement un taux de C-LDL =3,4 mmol/L ainsi que tout antécédent ou signe de maladie CV ou vasculaire cérébrale, à quoi s’ajoutaient les critères suivants : traitement hypolipidémiant présent ou passé, hormonothérapie substitutive en cours, hypertension non maîtrisée, diabète ou dysfonction hépatique ou rénale notable. Les résultats de l’étude ont été publiés récemment (Ridker et al. NEJM 2008;359:2195-207).

Outre son effet favorable sur le paramètre mixte principal, la rosuvastatine à 20 mg une fois par jour a réduit significativement le risque de survenue de ses composantes majeures, réduction qui s’est notamment chiffrée à 54 % (p=0,0002) pour les IM, à 48 % (p=0,002) pour les AVC et à 56 % (p<0,0001) pour les gestes de revascularisation artérielle. La mortalité toutes causes confondues — qui ne faisait pas partie du paramètre mixte principal mais constitue peut-être la preuve ultime d’un bénéfice clinique — a diminué de 20 % (HR de 0,80; IC à 95 % : 0,67-0,97; p=0,02) malgré la cessation prématurée de l’étude.

La réduction de la mortalité toutes causes confondues est révélatrice du rapport bénéfice/risque global de cette stratégie intensive qui n’a par ailleurs été associée à aucun problème d’innocuité majeur dans une population apparemment en bonne santé. Bien que l’innocuité des statines soit amplement étayée, les résultats de JUPITER corroborent particulièrement l’innocuité de la rosuvastatine — qui, administrée à une dose plutôt modeste de 20 mg une fois par jour, a abaissé le taux de C-LDL de 50 % (médiane) — et de l’innocuité de très faibles taux de C-LDL, avec ou sans antécédents de maladie CV. Si des cas de rhabdomyolyse et de faiblesse musculaire ont initialement été signalés lorsque les statines ont été commercialisées, il est maintenant attesté par de nombreuses données que ces effets ne surviennent essentiellement qu’à de fortes doses. À faible dose, par exemple 20 mg de rosuvastatine, ces manifestations semblent rares. On n’a d’ailleurs observé aucune association entre la rosuvastatine et la survenue d’une faiblesse musculaire, d’une myopathie, d’une rhabdomyolyse ou de n’importe quel effet indésirable grave chez les sujets de l’étude JUPITER, dont l’effectif était suffis amment important pour qu’on puisse déceler des effets indésirables assez rares.

Figure 1. Paramètre principal de l’essai JUPITER : IM, AVC, angine instable/interventio
, décès d’origine CV

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Par ailleurs, on n’a relevé aucun s igne d’accroissement du risque de cancer associé au traitement par statine, autre crainte qui persiste malgré l’absence de données solides à l’appui d’une telle association. La mortalité par cancer était même significativement plus faible dans le groupe rosuvastatine (0,4 vs 0,7; p=0,02), ce qui est toutefois très probablement imputable à une anomalie statistique, comme dans le cas de la prétendue association déjà signalée entre cancer et statines. L’un et l’autre résultat sont hautement improbables du fait de la lente progression d’un cancer. Lors de l’étude JUPITER, le traitement actif a été associé à une légère augmentation, bien que statistiquement significative, du taux d’HbA<sub>1C</sub> (5,9 % vs 5,8 %; p=0,001) et du nombre de nouveaux cas de diabète signalés par les médecins (3,0 % vs 2,4 %; p=0,01); ce résultat est cependant conforme aux observations déjà faites dans un grand nombre d’essais sur d’autres statines (proportion similaire de nouveaux cas de diabète signalés par les médecins dans les essais PROVE-IT, HPS, ASCOT-LLA et PROSPER).

L’avantage systématique conféré par le traitement hypolipidémiant intensif instauré sur le seul critère d’un taux élevé d’hsCRP est l’un des plus remarquables

Tableau 2. JUPITER : Données sur la tolérabilité et l’innocuité

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Lorsqu’on a évalué l’avantage associé à la rosuvastatine vs le placebo en fonction d’une vaste panoplie de caractéristiques et de facteurs de risque, son ampleur est demeurée importante dans tous les sous-groupes. On n’a constaté aucune interaction statistique du taux d’hsCRP avec ces caractéristiques, à l’exception peut-être des antécédents familiaux de maladie coronarienne. En présence de tels antécédents, la rosuvastatine a réduit le risque de plus de 60 % comparativement à 40 % en l’absence de ce facteur (p=0,07). L’essai JUPITER — pour lequel on a recruté 6801 femmes (38 %) et 11 001 hommes en vue de corriger la sous-représentation des femmes qui a caractérisé jusqu’ici de nombreux essais sur les statines — a par ailleurs mis en évidence un bénéfice légèrement plus marqué chez les femmes que chez les hommes, sans que cet écart ne soit toutefois significatif. On n’a pas observé non plus d’écart significatif entre les non-Caucasiens, qui étaient également bien représentés dans cette étude, et les Caucasiens. Si on poursuit cette comparaison des résultats du traitement intensif en fonction de diverses caractéristiques, on note une protection d’importance similaire sans égard à l’âge (supérieur ou inférieur à 65 ans), à la présence ou à l’absence d’hypertension ou à la présence ou à l’absence de facteurs de risque qui pourraient être associés en propre à un état proinfllammatoire — comme le tabagisme, le syndrome métabolique ou un indice de masse corporelle élevé. L’effet bénéfique de la rosuvastatine était également indépendant du score de risque de Framingham. Ainsi, la réduction relative du risque d’événement CV était exactement la même que le risque d’événement calculé sur 10 ans soit supérieur ou inférieur à 10 %.

La réduction du taux d’hsCRP a-t-elle contribué aux résultats observés? L’étude JUPITER ne permet pas de trancher. Bien que la rosuvastatine se soit déjà montrée extrêmement puissante pour abaisser à la fois le taux du C-LDL et le taux d’hsCRP à des doses modestes, on ne sait pas vraiment si l’hsCRP est un marqueur ou un médiateur de l’inflammation que l’on pourrait cibler en soi. Les études antérieures montrent que les taux de C-LDL et d’hsCRP ne sont pas bien corrélés. Si la question de l’éventuelle contribution indépendante de la réduction du taux d’hsCRP reste entière, l’essai JUPITER accrédite néanmoins de manière décisive le principe selon lequel plus le taux de C-LDL est bas, meilleure est la protection, aucun plateau en deçà duquel il n’y aurait plus de bénéfice n’ayant encore été atteint. Le taux médian de C-LDL atteint lors de l’essai JUPITER marque un record dans les essais majeurs sur les statines. Environ 25 % des patients ont atteint un taux de C-LDL <1,0 mmol/L sans présenter d’effets indésirables apparents.

Au Canada comme ailleurs, un grand nombre d’événements CV surviennent en l’absence d’hyperlipidémie. Lors de l’essai JUPITER, la réduction relative du risque obtenue sous l’effet de la rosuvastatine à 20 mg était d’ampleur similaire chez les patients dont le seul facteur de risque était un taux élevé d’hsCRP et chez ceux qui présentaient de multiples facteurs de risque, bien que le nombre absolu d’événements ait été plus faible chez les sujets présentant moins de facteurs de risque. Les résultats de JUPITER donnent tout lieu de croire qu’il est maintenant possible de protéger une partie de ces patients exposés à un risque CV élevé mais qui échappaient aux autres marqueurs du risque.

Selon toutes probabilités, les résultats de JUPITER mèneront à une réactualisation des recommandations thérapeutiques. L’utilisation efficiente de ce marqueur est une question primordiale qui reste à définir. Il ne faut pas oublier que l’étude JUPITER a été menée chez des sujets déjà exposés à un risque CV élevé du seul fait de leur âge. Le dosage de l’hsCRP n’a vraisemblablement pas sa place en présence d’autres facteurs de risque qui justifient déjà la recommandation d’un traitement hypolipidémiant intensif. Bien qu’il ne soit pas approprié d’extrapoler les données de JUPITER à des groupes de sujets plus jeunes, le dosage de l’hsCRP pourrait — compte tenu de la puissance de ce marqueur de risque — guider utilement la conduite du traitement dans le cas de patients jeunes au profil de risque limite; en effet, la présence d’un taux élevé d’hsCRP pourrait alors faire pencher la décision du clinicien en faveur de l’instauration du traitement par une statine.

Résumé

L’élévation du taux plasmatique d’hsCRP permet de détecter un risque CV chez des patients par ailleurs en bonne santé qu’un traitement hypolipidémiant intensif par la rosuvastatine peut protéger. Les bénéfices associés à la rosuvastatine administrée à une dose de 20 mg, traitement qui a abaissé le taux de C-LDL de 50 %, ont été observés en l’absence d’hyperlipidémie et de maladie CV. La forte réduction du risque autorisée par cette stratégie de prévention primaire, qui s’est avérée sûre et bien tolérée, inspirera certainement de nouvelles recommandations de traitement. Il est probable que l’on recommande le dosage de l’hsCRP chez les patients de même type que les sujets recrutés pour l’étude JUPITER. Le rôle de l’hsCRP comme marqueur du risque CV chez d’autres types de sujets reste à définir.

questions et réponses

Groupe d’experts

Jean Bergeron, MD, Université Laval

Robert Dufour, MD, Université de Montréal

Steven A. Grover, MD, Université McGill

George Honos, MD, Université de Montréal

Serge Lepage, MD, Université de Sherbrooke

L’étude JUPITER a-t-elle généré de nouveaux éléments d’information sur l’évaluation du risque cardiovasculaire?

Dr Bergeron : JUPITER confirme l’intérêt de l’hsCRP en tant qu’outil clinique. Nous savons maintenant que les patients hyperlipidémiques ne sont pas les seuls à pouvoir bénéficier d’une baisse du taux de C-LDL. Ce marqueur nous donne un nouveau moyen d’évaluer le risque CV et de repérer quelques-uns des patients susceptibles de mourir d’une crise cardiaque sans pour autant souffrir d’hyperlipidémie.

Dr Dufour : JUPITER montre que chez une proportion substantielle d’hommes de plus de 50 ans et de femmes de plus de 60 ans exposés à un risque modéré et qui ne souffrent pas de diabète ni d’hyperlipidémie, un traitement hypolipidémiant intensif pourrait tout de même diminuer le risque CV de façon marquée. Cette étude est d’autant plus impressionnante qu’elle a été réalisée dans un contexte de prévention primaire. À l’heure actuelle, nous n’avons aucun indice à part l’hsCRP pour repérer ce groupe d’individus.

Dr Honos : L’étude INTERHEART a démontré que neuf paramètres cliniques faciles à évaluer étaient prédictifs de 90 % des IM dans toutes les populations étudiées à l’échelle mondiale. Le dosage de l’hsCRP pourrait nous aider à évaluer le risque de maladie CV avec plus de précision dans un sous-groupe de patients dont le risque est considéré comme modéré selon les méthodes usuelles d’évaluation du risque telles que l’équation de Framingham. Cependant, ce test est coûteux pour l’instant (environ 200 fois le coût du dosage sérique de la créatinine ou du glucose) et nécessite des appareils de mesure spécialisés qui ne sont pas encore d’usage répandu au Canada. Des dosages réalisés en série ont fait ressortir une variabilité non négligeable du taux d’hsCRP et cette variabilité se traduit par un changement subséquent de catégorie de risque chez 30 à 40 % des patients. De plus, de nombreux facteurs coexistants, comme l’usage du tabac, la MPOC, l’hormonothérapie substitutive, l’exercice et la perte de poids, ainsi que l’usage de médicaments prescrits couramment comme les glitazones et les statines, ont un effet sur le taux d’hsCRP. Pour toutes ces raisons, je prédis que le dosage de l’hsCRP sera difficile à intégrer dans les algorithmes d’évaluation du risque de maladie CV couramment utilisés.

Dr Grover : C’est une étude extraordinaire qui a montré sans équivoque que l’utilisation de la rosuvastatine en prévention primaire est bénéfique chez les patients qui présentent un taux élevé d’hsCRP. Dans la pratique clinique, cependant, le rôle de ce marqueur est plus compliqué à définir. Pour l’instant, les données sont contradictoires et il n’est pas clair que l’ajout d’un taux élevé d’hsCRP aux facteurs de risque traditionnels pris en compte dans l’équation de Framingham permette de mieux stratifier le risque. Une étude récente sur le calculateur de risque de Reynolds pour l’homme – mis au point par le Dr Ridker et son équipe – a révélé que l’ajout du taux d’hsCRP et des antécédents parentaux de maladie coronarienne prématurée aux facteurs de risque traditionnels avait amélioré légèrement, quoique significativement, la prédiction du risque. Cependant, la contribution indépendante de l’hsCRP, sans les antécédents familiaux, n’a pas été analysée. Par contre, il ressort d’études publiées par le groupe de Framingham que l’ajout de l’hsCRP aux facteurs de risque traditionnels n’apporte pas grand-chose de plus alors que les antécédents familiaux semblent au contraire améliorer la prédiction du risque. Comparativement au dosage de l’hsCRP, il est peu coûteux d’interroger le patient sur ses antécédents familiaux, et l’interprétation de cette donnée n’est pas faussée par d’autres causes d’inflammation aiguë.

Figure 2. JUPITER: Effe
DL, de C-HDL et de TG et à 12 mois (variation en pourcentage : comparaison entre la rosuvastatine et le placebo)

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L’hsCRP n’étant pas spécifique de la maladie coronarienne, il nous reste donc à déterminer si, en tant que facteur de risque supplémentaire, un taux élevé d’hsCRP est plus révélateur que les antécédents familiaux du patient.

Dr Lepage : Dans les lignes directrices en vigueur au Canada, on recommande déjà de mesurer l’hsCRP pour mieux définir le risque CV. L’apport de JUPITER a été de démontrer que l’hsCRP est en soi un outil efficace pour la sélection des patients qui pourraient bénéficier d’un traitement hypolipidémiant intensif.

À votre avis, les résultats de l’essai JUPITER amèneront-ils une mise à jour des lignes directrices sur le traitement de l’hypercholestérolémie?

Dr Lepage : Je suis convaincu que les recommandations seront actualisées sur la foi des résultats de JUPITER. Il est établi depuis longtemps déjà qu’un pourcentage élevé d’événements CV survient chez des patients qui ne présentent aucun facteur de risque ou qui en présentent peu, et JUPITER a permis de cerner une nouvelle population que l’on peut cibler. Les réductions du risque relatif observées chez les sujets de JUPITER ont été très significatives.

Dr Dufour : Je m’attends à un remaniement des lignes directrices. Je soupçonne que le dosage systématique de l’hsCRP sera recommandé chez les patients à risque modéré, surtout ceux des groupes d’âge visés par l’étude JUPITER. Il a été démontré que cette donnée contribue à aiguiller le traitement.

Dr Grover : Je ne serais pas étonné que les résultats de JUPITER soient pris en compte dans les recommandations. Les patients nous demanderont sans doute de mesurer leur taux d’hsCRP, et je crois que les cliniciens seront plus nombreux à vouloir mesurer l’hsCRP lorsqu’ils n’arriveront pas à déterminer s’ils doivent traiter un patient ou non. Néanmoins, je ne pense pas que nous sachions encore comment intégrer ces résultats dans les lignes directrices actuelles. Les analyses secondaires des données de JUPITER pourraient nous apporter d’autres éléments de réponse.

Dr Bergeron : À en juger par JUPITER, l’hsCRP semble surtout aider à orienter le traitement du patient dont le risque CV est modéré. J’ai l’impression que les lignes directrices seront mises à jour et que les révisions porteront principalement sur la prise en charge de ces patients.

Dr Honos : Les résultats de JUPITER élargiront peut-être le cercle de patients qui pourraient bénéficier d’un traitement à long terme par une statine en prévention primaire. En outre, le taux cible de C-LDL sera probablement abaissé pour certains patients à risque élevé en prévention primaire, puisque l’ampleur de la diminution du risque de maladie CV mise en évidence dans les essais de prévention primaire sur les statines semble corrélée avec l’ampleur de la baisse du taux de C-LDL et que l’administration d’une statine à forte dose ne semble pas risquée.

Dix huit mille patients viennent d’être ajoutés à la base de données sur l’innocuité des statines. Êtes-vous maintenant convaincus de la bonne tolérabilité et de l’innocuité d’un traitement hypolipidémiant énergique?

Dr Dufour : Les taux très faibles de C-LDL ne m’inquiétaient pas particulièrement avant la tenue de l’étude JUPITER, mais il est toujours rassurant d’avoir plus de données. Les risques associés à de très faibles taux de C-LDL – comme la possibilité d’un risque accru d’AVC hémorragique – ont à ce jour soulevé plusieurs craintes. Nous avons d’autres données pour apaiser ces craintes, mais une étude de cette envergure plaide fortement en faveur d’une bonne innocuité.

Dr Grover : Les statines semblent effectivement très sûres, surtout quand on les administre à des patients en assez bonne santé comme les sujets de JUPITER. Chez ces patients, les taux très faibles de C-LDL ont aussi été très bien tolérés. Cependant, on a mis fin à l’étude après un suivi d’une durée médiane de deux ans, ce qui est plutôt bref pour l’évaluation d’un traitement qui doit se poursuivre indéfiniment. Je suis encore réticent à prescrire un traitement à un patient dont le risque global de maladie CV est faible, car le risque absolu ne peut pas être abaissé de façon appréciable. Par exemple, même une réduction de 50 % ne veut pas dire grand-chose si le risque du patient avant le traitement n’est que de 2 % sur 10 ans.

Dr Bergeron : JUPITER était très vaste, ce qui a permis de déceler des effets indésirables relativement rares. J’ai trouvé les résultats rassurants, car aucun problème d’innocuité n’a été mis au jour, pas même les problèmes attribués aux statines par le passé. Par exemple, les effets indésirables d’ordre musculaire n’ont pas été exacerbés dans le groupe de traitement actif, et les auteurs ont rapporté un seul cas de myopathie qui n’était peut-être pas lié au traitement. Si la rosuvastatine ou de très faibles taux de C-LDL avaient fait courir des risques importants, la très grande taille de l’étude JUPITER aurait permis de les découvrir, du moins à court terme.

Dr Honos : Le nombre de participants aux essais sur l’atorvastatine « à forte dose » (80 mg) qui ont précédé JUPITER dépassait 18 000, et ces essais avaient prouvé l’innocuité et l’efficacité d’un tel traitement énergique. J’étais donc déjà rassuré! JUPITER a toutefois confirmé qu’un taux médian de C-LDL de 1,4 mmol/L est bien toléré pendant un suivi d’une durée médiane de deux ans, ce qui devrait rassurer les médecins que des taux aussi faibles de C-LDL rendaient mal à l’aise.

Dr Lepage : Comme nous avions déjà vu des taux très faibles de C-LDL chez une proportion substantielle de sujets de l’essai TNT [Treatment to New Targets], nous savions déjà que de tels taux étaient sûrs. L’étude JUPITER a toutefois pris fin après deux ans, de sorte qu’on ne peut pas affirmer sans réserve que le traitement sera sûr la vie durant.
sur l’innocuité de faibles taux de C-LDL et de la rosuvastatine à 20 mg une fois par jour sont rassurantes.

Figure 3. JUPITER : Analyse des sous-groupes

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Bien que l ’étude ait pris fin prématurément, on a observé une réduction de près de 50 % du paramètre principal et une réduction de 20 % de la mortalité toutes causes confondues. Un bénéfice de cette ampleur est-il surprenant?

Dr Lepage : Personnellement, j’ai trouvé les résultats très étonnants. Comme c’était une étude de prévention primaire, je ne m’attendais pas à une diminution aussi marquée du risque relatif. Le résultat probablement le plus impressionnant a été la diminution globale de la mortalité, ce qui n’est même pas ressorti d’un grand nombre d’études de prévention secondaire.

Dr Dufour : Je prévoyais une diminution d’environ 20 à 30 % du paramètre principal mixte, principalement en raison du taux initial de C-LDL et de l’intensité du traitement hypolipidémiant. Les bénéfices très marqués pourraient être attribuables à la fois à la diminution du taux d’hsCRP et à celle du taux de C-LDL, mais cela reste à prouver. Les résultats sont peut-être surprenants, mais ils sont aussi très encourageants.

Dr Grover : La réduction du risque relatif était substantielle, mais des études antérieures avaient déjà objectivé une réduction du risque d’environ 1 % pour chaque baisse de 1 % du taux de C-LDL. Comme le taux de C-LDL a baissé en moyenne de près de 50 % dans le cadre de cette étude, la diminution du risque relatif qu’on a obtenue était prévisible. Par contre, je m’attendais à voir une relation plutôt curviligne en présence de très faibles taux de C-LDL, de sorte que l’ampleur de la diminution du risque m’a un peu surpris. Dr Honos : À en juger par les essais de prévention primaire sur les statines (WOSCOPS, AFCAPS/TEXCAPS, ASCOT-LLA et JUPITER), la diminution du risque relatif d’événement CV est proportionnelle à la baisse du taux de C-LDL, ce qui renforce la relation linéaire décrite précédemment entre la baisse du taux de C-LDL et la diminution du risque de maladie CV et pourrait justifier la baisse du taux cible de C-LDL en prévention primaire dans les lignes directrices. La diminution du risque absolu demeure toutefois très faible chez ces patients, et je crois qu’une sélection rigoureuse des patients continuera de s’imposer pour que le traitement demeure efficient.

Dr Bergeron : L’ampleur du bénéfice relatif m’a beaucoup surpris. Par comparaison à un grand nombre de participants aux essais de prévention secondaire ou primaire antérieurs, la population de JUPITER était exposée à un risque absolu beaucoup plus faible, de sorte que je ne m’attendais pas à une diminution aussi marquée du risque relatif. En particulier, j’ai été étonné de constater une diminution significative de la mortalité toutes causes confondues dans une telle population, dont le risque serait normalement considéré comme plutôt faible sur une période aussi brève.

Les résultats de JUPITER pourraient-ils être appliqués à la pratique clinique dès maintenant?

Dr Dufour : JUPITER était une étude d’assez grande envergure pour que ses résultats soient fiables. Nous n’avons pas besoin d’un autre essai pour appliquer les résultats à la pratique clinique. Des recommandations précises nous seraient utiles pour déterminer quels patients on doit traiter, mais je pense que de nombreux médecins auront davantage le réflexe de mesurer le taux d’hsCRP.

Dr Lepage : JUPITER a établi l’importance de l’hsCRP en tant que marqueur du risque, mais je ne suis pas certain que nous ayons suffisamment d’information pour déterminer quand un dosage s’impose ni pour nous prononcer sur la qualité des tests actuels. J’aimerais avoir plus d’information sur la façon d’intégrer le dosage de l’hsCRP dans la pratique, mais je soupçonne que des recommandations suivront sous peu.

Dr Bergeron : Dans les lignes directrices canadiennes, on recommande déjà de mesurer le taux d’hsCRP chez les patients exposés à un risque modéré, et je pense que JUPITER confirme le bien-fondé de cette approche. Je suis convaincu que de plus en plus de médecins mesureront le taux d’hsCRP maintenant que JUPITER nous a donné une meilleure idée de l’ampleur de la réduction du risque relatif à laquelle nous pouvons nous attendre en administrant un traitement hypolipidémiant intensif à des patients dont le taux d’hsCRP est élevé. À mon avis, les conclusions fondamentales de JUPITER peuvent être mises en pratique progressivement.

Dr Honos : La prévalence d’un taux élevé d’hsCRP dans une population par ailleurs exposée à un faible risque de maladie CV et ayant un faible taux de C-LDL ne dépasse probablement pas 10 %, comme en fait foi le nombre élevé de patients qu’on a dû présélectionner pour atteindre l’effectif visé dans l’étude JUPITER. L’absence d’un groupe témoin ayant un faible taux d’hsCRP complique vraiment l’interprétation de la contribution – si contribution il y a – de ce marqueur de l’inflammation à la sélection des patients ayant intérêt à recevoir une statine à forte dose en prévention primaire. De plus, on ne peut pas savoir à la lumière de JUPITER si l’hsCRP est un simple marqueur du risque de maladie CV ou s’il participe à la physiopathologie des plaques athéromateuses inflammatoires vulnérables. Enfin, toutes les statines abaissent le taux d’hsCRP proportionnellement à l’ampleur de leur effet sur le taux de C-LDL. Pour toutes ces raisons, il est difficile d’appliquer dès maintenant les résultats de JUPITER à la pratique clinique. Nous devons attendre la mise à jour des lignes directrices.

Dr Grover : JUPITER est un essai de très grande envergure qui a été conduit rigoureusement et qui a démontré que, chez des patients présentant un taux élevé d’hsCRP, le bénéfice associé à un traitement hypolipidémiant intensif l’emporte sur le risque. Le bénéfice absolu, par contre, a été modeste vu le faible taux d’événements rapporté, même dans le groupe placebo (<3 % sur une période de deux ans). Je pense que nous devons tenir compte d’autres facteurs chez les sujets exposés à un très faible risque qui participaient à JUPITER avant d’appliquer les résultats à l’ensemble des patients. L’un d’eux, et non le moindre, est le surcoût, tant en dollars qu’en main-d’oeuvre, qui résulte de la prise en charge de tous les patients qui auraient intérêt à recevoir un traitement hypolipidémiant intensif sur la foi des données de JUPITER. Compte tenu de la grave pénurie de médecins de premier recours et des longs délais d’attente pour la consultation d’un médecin au Canada, ce sont là des facteurs importants.

L’étude JUPITER portait sur un grand nombre de femmes et de minorités ethniques. Estimez-vous rassurant que les résultats s’appliquent à toutes les populations dans les groupes d’âge évalués?

Dr Honos : JUPITER a confirmé que les femmes bénéficient bel et bien d’un traitement par statine dans un contexte de prévention primaire, et c’est peut-être l’enseignement le plus important qui se dégage des résultats de l’étude JUPITER. Cette conclusion devrait enfin clore le bec aux récalcitrants et convaincre les médecins de famille que tous les patients à risque élevé qui auront fait l’objet d’une sélection rigoureuse, hommes ou femmes, bénéficient d’une diminution énergique du taux de C-LDL.

Dr Grover : La possibilité d’une différence entre les hommes et les femmes ou dans certains groupes ethniques ne m’a jamais inquiété. Néanmoins, il est toujours rassurant d’avoir en main des données qui confirment les premiers résultats.

Dr Lepage : C’est une bonne chose que nous ayons une étude – et surtout une étude de prévention primaire – qui porte sur un grand nombre de femmes, parce que les événements surviennent généralement à un âge plus avancé chez les femmes. La prévention primaire pourrait donc être encore plus pertinente.

Dr Dufour : Je n’avais pas besoin d’être rassuré. J’ai toujours été convaincu que le traitement hypolipidémiant était aussi bénéfique pour les femmes que pour les hommes. Le grand nombre de participantes à l’étude JUPITER nous facilitera peut-être la tâche pour convaincre les sceptiques.

Dr Bergeron : La constance de l’effet bénéfique dans les deux sexes et dans tous les groupes ethniques est très probante. Je pense que nous pouvons affirmer, sans risquer de nous tromper, que les bénéfices sont comparables chez tous les individus ayant des habitudes de vie occidentales. Dans les pays asiatiques, où les individus ont d’emblée des taux de C-LDL et d’hsCRP beaucoup plus faibles, il n’est peutêtre pas nécessaire d’obtenir les réductions du risque absolu qu’on a observées dans JUPITER. Au Canada, par contre, JUPITER confirme que les bénéfices sont assez uniformes.

L’hsCRP est-elle un marqueur fiable et constant, ou est-elle influencée par les rythmes circadiens, certains aliments ou d’autres facteurs? Autrement dit, l’hsCRP est-elle un outil clinique facile à utiliser?

Dr Grover : Dans les laboratoires où l’on mesure souvent l’hsCRP, les dosages sont assez fiables. Cependant, les laboratoires du Canada ne sont pas tous aussi expérimentés les uns que les autres pour faire ce test. En outre, la possibilité de faux positifs en présence d’une affection inflammatoire aiguë ou chronique en inquiète plus d’un, de sorte que les cliniciens doivent bien connaître les autres facteurs qui peuvent fausser l’interprétation d’un taux élevé.

Dr Lepage : Il semble y avoir une certaine variabilité interindividuelle, sans compter que la reproductibilité du dosage de l’hsCRP n’est pas encore parfaite, mais notre expérience grandissante devrait nous permettre d’aplanir les difficultés avec le temps.

Dr Dufour : À notre centre, on mesure l’hsCRP depuis trois ou quatre ans. Je peux donc affirmer que c’est un test facile à exécuter et que les résultats sont généralement faciles à interpréter. On observe une certaine variabilité biologique chez un même sujet au fil du temps. En présence d’une valeur élevée, un diagnostic éventuel de maladie infectieuse ou inflammatoire doit être exclu, mais on doit bien sûr toujours tenir compte du contexte, peu importe le test effectué. Deux valeurs consécutives inférieures à 2 mg/L sont assez rassurantes quant au risque CV.

Dr Honos : Comme on l’a déjà dit, le dosage de l’hsCRP est un test assez coûteux et, pour l’instant du moins, ce marqueur de l’inflammation n’est pas accessible partout et le dosage n’est pas parfaitement reproductible. Ce ne sera donc pas un outil clinique facile à utiliser pour les médecins. Nous assisterons fort probablement à l’émergence de marqueurs de l’inflammation plus spécifiques et dont les dosages seront plus reproductibles dans les années à venir.

Dr Bergeron : La précision des tests à notre disposition est assez fiable, mais j’estime néanmoins important de faire deux mesures du taux d’hsCRP, à deux ou trois semaines d’intervalle. À notre centre, nous avons fait au moins deux dosages de l’hsCRP chez plus d’un millier de patients au cours des deux dernières années, et nous remarquons une certaine variabilité lorsque les mesures sont faites à six mois d’intervalle si on ne tient pas compte des facteurs de confusion comme le tabagisme ou une affection aiguë. Le clinicien doit [aussi] interroger son patient sur ses infections récentes ou d’autres facteurs qui peuvent fausser l’interprétation des résultats.

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