Comptes rendus

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Allaitement maternel et sevrage

Stratégies pour l’amélioration et le maintien de l’équilibre de la flore intestinale : le rôle des prébiotiques et des probiotiques

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

INFO-RESSOURCES - Nutrition

Juin 2010

«On a tendance à associer malnutrition et maigreur et à croire que son diagnostic est facile», faisait observer Annalynn Skipper, PhD, Annalynn Skipper and Associates, Oak Park, Illinois, au cours d’une entrevue. Or, corrige cette dernière, en contexte hospitalier en particulier, ce trouble peut toucher des patients obèses, par exemple, quelqu’un qui pèse 200 lb et mesure seulement 5 pi. «Si cette personne pesait 300 lb six mois plus tôt, elle souffre de malnutrition», expliquet- elle.

L’inflammation peut aussi compliquer les choses. La présence d’une infection ou d’inflammation en réponse à une blessure est fréquente chez les patients hospitalisés. «On aura beau alimenter ces patients, l’intervention restera sans effet sur les indicateurs de malnutrition», note-t-elle.

Par ailleurs, enchaîne-t-elle, on ne peut pas se fier aux indicateurs de l’état nutritionnel traditionnels pour poser un diagnostic de malnutrition. Les premiers professionnels de la santé à diagnostiquer la malnutrition, vers la fin des années 1970, avaient recours au dosage sérique de l’albumine et de la préalbumine. Les taux d’albumine et de préalbumine sont des indicateurs du capital protéique viscéral et d’affections habituellement associées à la malnutrition protéinoénergétique, comme le cancer, les maladies chroniques, la pancréatite et les brûlures touchant plus de 30 % de la surface corporelle. Toutefois, ayant fait une revue de la littérature, la Dre Skipper a constaté l’absence de corrélation entre le taux sérique d’albumine et la perte de poids chez les patients atteints d’anorexie mentale. C’était aussi le cas des patients ayant subi une chirurgie bariatrique purement restrictive (c.-à-d. sans dérivation gastrique en vue de provoquer une malabsorption intestinale) ou de ceux ayant volontairement perdu du poids au moyen d’un régime hypocalorique. «Dans aucun des quatre modèles de restriction protéino-énergétique prolongée examinés, nous n’avons observé de corrélation entre l’albuminémie et la perte de poids», indiquet- elle.

De même, l’examen des études sur le taux sérique de préalbumine n’a fait ressortir aucune corrélation entre ce taux et la perte de poids dans le contexte de l’anorexie, d’une démarche volontaire d’amaigrissement ou de la privation de nourriture.

Outils de dépistage de la malnutrition

Afin d’évaluer la fiabilité et la validité des outils de dépistage actuels, la Dre Skipper et ses collègues du Nutrition Screening Workgroup ont comparé leur sensibilité et leur spécificité pour le dépistage de la malnutrition (Tableau 1). «Nous avons décidé que les critères les plus importants étaient la variation pondérale en fonction du temps — autrement dit, la vitesse de la perte de poids — et la prise alimentaire», précise-t-elle.

Ces critères aident à discerner la malnutrition liée à une maladie de la malnutrition causée par une carence des apports alimentaires. Ces distinctions sont importantes, souligne la Dre Skipper; si une affection est en cause, «les patients ne prendront pas de mieux tant qu’on ne maîtrisera pas la maladie, peu importe l’intervention nutritionnelle mise en place». On doit aussi faire la distinction entre les patients qui s’alimentent encore et sont quand même mal portants et ceux qui se portent mal parce qu’ils ne s’alimentent plus.

Tableau 1.


«La pertinence d’un supplément nutritionnel oral [SNO] dépend de la situation clinique», indique la Dre Skipper. Un SNO comme Ensure est indiqué chez les patients qui ont besoin de reprendre le poids perdu et de maintenir un poids santé par une amélioration de leur état nutritionnel général. Les patients cancéreux qui ont des nausées causées par la chimiothérapie pourraient également en bénéficier.

Rôle des prébiotiques

Le tube digestif héberge une multitude de microbes, dont certains sont salutaires et d’autres nocifs pour la santé, indique Gail Cresci, PhD, directrice, Surgical Nutrition Service, Medical College of Georgia, Augusta. «Peu importe ce que l’hôte ingère, les bactéries survivent, mais pas nécessairement d’une façon qui lui est bénéfique», expliquaitelle au cours d’une entrevue.

Par exemple, des études menées sur des animaux obèses indiquent que la composition de leur flore gastro-intestinale diffère de celle d’animaux minces. «Ces études ont été réalisées chez des souris, poursuit la Dre Cresci; lorsque les chercheurs ont fait passer ces animaux à un régime pauvre en graisses et en glucides et riche en fibres, les souris obèses ont non seulement perdu du poids, mais elles ont également recouvré le profil de la flore bactérienne qu’ont les animaux minces.»

Tant les prébiotiques que les probiotiques exercent, chacun à leur manière, une influence favorable sur la flore intestinale. Comme l’indique la Dre Cresci, le terme «prébiotiques» désigne des ingrédients alimentaires non digestibles qui ont un effet bénéfique sur la santé de l’hôte en stimulant de manière sélective la croissance et l’activité d’un nombre limité de genres bactériens dans le côlon, notamment, les bifidobactéries et les lactobacilles.

Les fructo-oligosaccharides (FOS) en sont un exemple. On en trouve à l’état naturel dans l’oignon, l’ail, l’asperge, la banane et l’artichaut, mais ils peuvent aussi se prendre sous forme de suppléments, comme Ensure Prébiotiques; chaque bouteille de 235 mL de ce supplément fournit 3 g de fructo-oligosaccharides à chaîne courte (FOScc) NutraFlora. Les principaux produits de la fermentation des prébiotiques dans le gros intestin sont les acides gras à chaîne courte (AGCC), lesquels exercent divers effets sur la morphologie et la fonction du côlon. En tant que prébiotiques, les FOS stimulent sélectivement la prolifération des bifidobactéries dans le côlon, alors que les fibres alimentaires fournissent un substrat pour la fermentation et la production d’AGCC. «Les prébiotiques servent de nourriture aux probiotiques», leur présence stimule la multiplication des souches probiotiques, confirme la Dre Cresci.

Certains prébiotiques ont également montré une activité contre des micro-organismes pathogènes, dont ils peuvent empêcher l’adhésion à des récepteurs spécifiques des cellules à mucus, inhibant de cette façon la première étape du processus de colonisation pathogène. Autre fait important, près de 80 % des cellules du système immunitaire se concentrent dans l’intestin, où se trouve leur première source de nourriture : les produits de la fermentation des prébiotiques par les bonnes bactéries. Ainsi, en maintenant l’équilibre de la flore intestinale, les prébiotiques soutiennent le système immunitaire.

Qui plus est, la fermentation des prébiotiques crée un milieu acide qui est essentiel pour que les molécules de calcium puissent se libérer de complexes alimentaires tels que les phytates : l’ingestion de prébiotiques naturels ou en suppléments facilite donc l’absorption du calcium alimentaire, nécessaire au maintien de la densité minérale osseuse.

Ce dernier effet a été objectivé dans une étude menée par des investigateurs japonais, selon laquelle la consommation d’une boisson contenant 3 g de FOS par 100 mL avait amélioré la biodisponibilité du calcium sans entraîner d’effets indésirables. Les sujets, des étudiants universitaires en bonne santé, ont ingéré une boisson maltée contenant des FOS, puis une boisson témoin sans FOS. Six à 12 heures après l’ingestion de la boisson additionnée de FOS, la quantité cumulative totale de calcium dans les urines était significativement plus élevée qu’elle ne l’était après l’ingestion de la boisson témoin. Au cours d’une étude ultérieure, la même boisson administrée à des sujets âgés de deux à 40 ans durant 13 semaines s’est avérée bien t
jets.

Tableau 2.

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Bénéfice thérapeutique

Consommés en quantités adéquates, les AGCC, les prébiotiques et les probiotiques peuvent être bénéfiques pour la santé et ont été associés à un bénéfice thérapeutique dans divers contextes cliniques. Selon une étude qu’ont menée Patz et al. (Am J Gastroenterol 1996;91[4]:731-4) chez des patients atteints d’une colite ulcéreuse distale réfractaire à un traitement oral ou rectal par l’acide 5-aminosalicylique et un corticostéroïde, le traitement par des lavements d’AGCC, administré deux fois par jour durant six semaines, a autorisé une diminution des saignements et des ténesmes de même qu’une amélioration du score endoscopique chez cinq patients sur 10.

De façon similaire, un certain nombre d’autres études sur la colite ulcéreuse menées auprès de petits groupes de patients traités par des lavements d’AGCC ont mis en évidence une amélioration des paramètres à la fois cliniques et endoscopiques dans la majorité des cas après deux à six semaines de traitement.

Quant aux prébiotiques, ils ont notamment été étudiés par Whelan et al. chez des sujets randomisés en vue de recevoir, dans un contexte d’alimentation entérale exclusive, une préparation contenant des FOS et des fibres pendant 14 jours, puis, après une période d’élimination de six semaines, une préparation pour la voie entérale standard (J Nutr 2005;135:1896-902). Les investigateurs ont noté une réduction significative du nombre total de bactéries fécales durant les deux phases d’alimentation entérale. Cela dit, lorsqu’on comparait les deux phases, ce nombre était significativement plus élevé avec la préparation FOS/ fibres. En outre, la comparaison des deux préparations a fait ressortir, à l’avantage de la préparation FOS/fibres, une augmentation du nombre de bifidobactéries et une diminution du nombre de bactéries du genre Clostridium, toutes deux significatives, de même qu’une augmentation des concentrations d’AGCC.

Comme les auteurs le notent, les modifications associées à l’alimentation entérale sont susceptibles de diminuer la résistance à la colonisation et de réduire l’absorption de l’eau dans la lumière colique, deux effets qui participent à la pathogenèse de la diarrhée chez les patients devant être alimentés par sonde et que l’on pourrait en partie prévenir par l’utilisation de préparations pour l’alimentation entérale additionnées de FOS et de fibres. De plus, comme les AGCC, produits par la fermentation des FOScc, augmentent en fait l’absorption de l’eau par le côlon, ils peuvent diminuer le volume hydrique dans la lumière colique.

Il est important de noter qu’à la fois les fibres et les prébiotiques sont habituellement non digestibles et sont fermentés par les bactéries intestinales. Toutefois, à la différence des fibres, les prébiotiques devraient idéalement favoriser la prolifération de seulement quelques bactéries. Des investigateurs ont montré que les prébiotiques, ajoutés aux produits alimentaires et aux préparations pour nourrissons, stimulaient la croissance de la microflore intestinale non pathogène; administrés à une dose de 4 à 15 g/jour, ces composés ont également été associés à une atténuation de la constipation (J Physiol Biochem 2009;65[3]:315-28).

Dans une autre étude (Nahrung 1987;31:427-36), on a objectivé une amélioration de la microflore fécale chez 23 sujets à qui l’on avait administré une boisson additionnée de FOS (8 g/jour) pendant deux semaines. Ainsi, par rapport aux valeurs initiales, les concentrations fécales de bifidobactéries ont à peu près décuplé et le pH moyen a baissé de 0,3. Ces résultats indiquent que les SNO contenant des FOS pourraient favoriser la constitution d’un milieu intestinal hostile à la microflore pathogène.

Des études plus récentes ont établi à 10 mg/jour la dose optimale de FOScc pour augmenter les concentrations fécales de bifidobactéries.

Les probiotiques et la microflore intestinale

Les probiotiques sont des micro-organismes qui agissent eux aussi favorablement sur la microflore intestinale, notamment sur les bactéries des genres Lactobacillus et Bifidobacterium. «De nombreuses bactéries pathogènes adhèrent aux cellules épithéliales de l’intestin, qu’elles colonisent ou agressent par la sécrétion de toxines, explique la Dre Cresci, et l’on pense que c’est par inhibition compétitive que les probiotiques limitent la capacité de ces bactéries d’adhérer à l’épithélium.» Les probiotiques pourraient également sécréter des protéines antimicrobiennes dans la lumière intestinale et modifier son pH, la lumière intestinale devenant ainsi un milieu moins favorable aux bactéries pathogènes.

Un bénéfice thérapeutique a été associé aux probiotiques dans un certain nombre d’essais cliniques menés au sein de divers groupes de patients. Comme l’ont observé de nombreux investigateurs, les antibiotiques perturbent l’équilibre microbien dans le tube digestif et, de ce fait, expose le patient à un risque de diarrhée. Johnston et al. (Evidence-based Child Health—A Cochrane Review Journal 2008;392:280-315) ont effectué une revue d’études menées chez des enfants ayant reçu des probiotiques pendant une antibiothérapie. Selon les analyses per protocol, neuf études sur 10 ont montré que, comparativement aux témoins, l’incidence des diarrhées post-antibiotiques était réduite d’au moins 50 % dans le groupe probiotiques. Selon cette revue, les données les plus prometteuses concernaient les souches probiotiques Lactobacillus GG, L. sporogenes et Saccharomyces boulardii (5 à 40 milliards d’unités formant colonie/jour).

Lors d’une étude menée à double insu avec randomisation et placebo, Hickson et al. (BMJ 2007;335[7610]:80-3) ont rapporté que seulement 12 % des sujets âgés ayant pris un supplément (boisson) contenant L. casei, L. bulgaricus et Streptococcus thermophilus durant une semaine après une antibiothérapie avaient eu une diarrhée postantibiotiques, comparativement à 34 % des témoins. Lors de la même étude, aucun des patients sous probiotiques n’a eu de diarrhée causée par C. difficile, contre 17 % des patients sous placebo. De l’avis des auteurs, il serait possible de diminuer la morbidité, les coûts des soins de santé et la mortalité si la prise d’une boisson probiotique contenant L. casei, L. bulgaricus et S. thermophilus était prescrite systématiquement aux patients de plus de 50 ans traités par des antibiotiques.

Pour leur part, Manley et al. (MJA 2007;186[9]:454-70) ont randomisé 27 patients atteints d’une affection rénale et colonisés par des entérocoques résistants à la vancomycine (ERV) en vue de leur administrer, pendant quatre semaines, un traitement par une boisson au yogourt contenant L. rhamnosus GG (LGG) ou par une boisson au yogourt standard. Après quatre semaines, les patients du groupe yogourt standard qui n’avaient pas réussi à éliminer les ERV sont passés à la préparation à base de LGG pour un traitement de quatre autres semaines.

Tous les patients du groupe LGG qui ont terminé l’étude se sont débarrassés des ERV, indiquent les auteurs. Dans le groupe yogourt standard, en revanche, un seul des 12 patients y était parvenu au terme de l’étude; le traitement a également réussi chez les huit patients qui étaient passés à la préparation à base de LGG après quatre semaines.

États morbides

Comme le souligne la Dre Cresci, dans un premier temps, les cliniciens doivent discerner les états morbides pour lesquels les prébiotiques et les probiotiques ont été associés à un bénéfice thérapeutique. Différentes souches de même genre ou de même espèce ne sont pas nécessairement identiques, c’est pourquoi il est important que le clinicien connaisse exactement les paramètres des études considérées, tels la souche utilisée, le contexte clinique et la population de patients, avant de recommander un traitement à ses propres patients. De leur côté, les patients doivent savoir que, après un traitement à court terme, ils devront peut-être continuer à prendre le même produit pour en prolonger les bienfaits; une consommation à une fréquence réduite, par exemple trois ou quatre fois par semaine, devrait alors suffire.

Le domaine des prébiotiques et probiotiques suscite un intérêt grandissant. Grâce aux nouvelles connaissances acquises, les cliniciens pourront sans doute bientôt recommander une panoplie de stratégies aptes à améliorer et à maintenir l’équilibre de la flore intestinale et à favoriser la santé chez un large éventail de patients.

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