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TDAH de l’enfance à l’âge adulte : points de vue cliniques

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

Conférence annuelle 2006 de l’Association des psychiatres du Canada

Toronto, Ontario / 9-12 novembre 2006

Le trouble déficit de l’attention/hyperactivité (TDAH) n’est pas un phénomène qui se limite à l’Amérique du Nord. Au contraire, on le rencontre partout ou presque, affirme la Dre Lily Hechtman, professeure titulaire de psychiatrie et de pédiatrie, Université McGill, Montréal, Québec. Si les Pays-Bas et l’Irlande ont les taux les plus faibles (3 % environ), l’Ukraine et l’Inde – dont les taux sont respectivement de 20 % et de 15 % – comptent parmi les pays dont les taux sont les plus élevés.

Le TDAH frappe environ 6 % à 8 % des enfants, 6 % des adolescents et 4 % des adultes, poursuit la Dre Hechtman. Cependant, l’expression clinique de ce trouble évolue avec l’âge. Lorsque la personne souffrant du TDAH atteint l’âge adulte, ses symptômes peuvent devenir plus difficiles à déceler, car elle apprend à les compenser ou à les cacher.

Le TDAH, qui se caractérise par l’inattention, la distractibilité et l’impulsivité, est reconnu depuis longtemps comme étant un trouble de l’enfance, mais plusieurs études prospectives à long terme ont montré que le syndrome du TDAH persiste à l’âge adulte chez environ les deux tiers des sujets, indique la Dre Hechtman. Si le TDAH passe inaperçu et n’est pas traité à un jeune âge, l’enfant deviendra un adulte socialement mésadapté et extrêmement perturbé dont la vie sera parsemée de difficultés relationnelles, d’abus d’alcool ou d’autres drogues, et d’actes criminels se soldant par l’incarcération, précise-t-elle.

Le diagnostic, un réel défi

Seule une petite proportion d’enfants souffrant du TDAH reçoivent un traitement médicamenteux. «Nous sommes loin de repérer et de traiter tous les enfants qui en souffrent. Cela est certainement plus vrai chez les filles que chez les garçons», ajoute-t-elle. Chez les filles, le TDAH passe souvent inaperçu parce que c’est la composante inattention du syndrome qui prédomine. «Elles rêvassent, tranquilles dans leur coin, sans déranger qui que ce soit. Trop souvent, le problème passe inaperçu pendant de nombreuses années, ce qui est bien malheureux pour elles», estime la Dre Hechtman.

L’établissement d’un diagnostic approprié nécessite une démarche minutieuse, prévient-elle. Les symptômes du TDAH doivent être omniprésents et se manifester dans de nombreux contextes; ils doivent en outre apparaître avant l’âge de sept ans, être persistants et dater d’au moins six mois. Il importe par ailleurs de souligner que les symptômes doivent être assez sévères pour nuire au fonctionnement de l’enfant à l’école et causer une gêne fonctionnelle et clinique importante dans l’accomplissement des activités sociales, scolaires et professionnelles. «Les mots clés sont ici “gêne fonctionnelle et clinique importante”», souligne-t-elle. Il est parfois bien difficile de diagnostiquer le TDAH. Un diagnostic différentiel revêt donc une grande importance, car de nombreuses affections s’apparentent ou sont associées à l’inattention, à l’hyperactivité ou à l’impulsivité. Les troubles psychiatriques qui ressemblent au TDAH comprennent l’anxiété, les troubles de l’humeur et de l’adaptation, les déficits de l’apprentissage et du langage, les troubles psychotiques et le stress. Les troubles somatiques qui peuvent simuler le TDAH sont les troubles du développement, l’utilisation de médicaments comme les antiasthmatiques, l’abus d’alcool ou d’autres drogues, les absences épileptiques ou d’autres troubles convulsifs, les apnées du sommeil, les troubles auditifs et visuels, les troubles thyroïdiens ou l’hypoglycémie.

La Dre Hechtman conseille aussi aux cliniciens de consulter l’enseignant de l’enfant pour le diagnostic et la prise en charge du TDAH. L’enseignant peut grandement aider les parents et le médecin à prendre conscience du TDAH, dit-elle. «Interrogez non seulement les parents, mais aussi les enseignants, pour confirmer les symptômes. Remettez les formulaires aux parents pour qu’ils obtiennent l’évaluation de l’enseignant et demandez-leur de vous les rapporter.» Les enseignants sont de bons évaluateurs parce qu’ils ont beaucoup d’expérience avec les jeunes enfants et peuvent reconnaître les symptômes du TDAH, ajoute-t-elle. «Ils voient l’enfant cinq jours par semaine dans une situation où il doit répondre à certaines exigences et peuvent le comparer à 30 autres enfants. On ne saurait trouver meilleur contexte d’observation. Il est donc important de consulter l’enseignant», d’enchaîner la Dre Hechtman.

Si complexe que soit le diagnostic du TDAH chez l’enfant, il est encore plus difficile à poser chez l’adulte. «Chez un enfant, le problème se limite au TDAH. Chez un adolescent ou un adulte, en revanche, le TDAH est masqué par tous les autres problèmes qui ont surgi. Avant l’âge scolaire, on observe une activité marquée. Une fois l’enfant à l’école élémentaire, l’hyperactivité et l’inattention entrent en jeu et, en outre, l’enfant éprouve des problèmes scolaires et sociaux et a une piètre estime de soi. Ces problèmes persistent à l’adolescence, et les enfants atteints du TDAH gravitent souvent autour d’un groupe de pairs néfastes et commencent à faire usage de drogues et d’alcool.» Chez les adolescents souffrant du TDAH, les probabilités d’accident de la route, de comportements sexuels impulsifs et risqués, de grossesses non désirées, d’infections transmissibles sexuellement et d’échecs scolaires sont plus élevées. Cette spirale finit par atteindre l’estime de soi de l’adolescent, et peuvent alors apparaître anxiété, dépression ou autres troubles de l’humeur secondaires, souligne la Dre Hechtman.

Lorsque l’adolescent atteint l’âge adulte, des problèmes surgissent au travail, avec la famille et avec la justice. «Il est facile de comprendre pourquoi les facteurs de comorbidité s’accentuent avec l’âge chez les personnes souffrant du TDAH. En fait, plus la personne est âgée, plus le TDAH sous-jacent risque d’être bien camouflé», précise-t-elle. Les antécédents de travail sont parfois évocateurs chez un adulte souffrant du TDAH. Ces adultes changent d’emploi beaucoup plus souvent que les adultes qui n’en souffrent pas. Certains quittent leur emploi de façon impulsive après une querelle avec leur supérieur ou un collègue; d’autres encore sont congédiés parce qu’il est difficile de s’entendre avec eux ou parce qu’ils ne prêtent pas attention aux exigences du poste, mentionne la Dre Hechtman. «Selon une étude de Biederman [J Clin Psychiatry 2006;67[4]:524-40], les personnes souffrant du TDAH avaient eu 5,4 emplois au cours des 10 années précédentes, par comparaison à 3,4 emplois en l’absence du TDAH (p£ 0,001). Au sein d’un groupe d’adultes souffrant du TDAH qui avaient eu plus d’un emploi au cours des 10 années précédentes, 43 % ont affirmé que leur départ était relié aux symptômes du TDAH», rapporte-t-elle.

De l’avis de la Dre Hechtman, il ne fait aucun doute que la pharmacothérapie est un volet essentiel de la prise en charge du TDAH. Cependant, rappelle-t-elle, les médicaments ne suffisent pas. «C’est là un point important à retenir. Dans notre étude qui portait sur près de 600 enfants, seulement 31 % souffraient uniquement du TDAH, et ce sous-groupe était formé des sujets les plus jeunes, plus précisément de sept à neuf ans. Les autres présentaient au moins un facteur de comorbidité psychiatrique. Chez les enfants qui présentent de nombreuses autres affections concomitantes, le traitement médicamenteux ne suffit pas.»

Risque d’abus

Les parents demandent souvent si l’administration d’un stimulant à leur enfant pour traiter le TDAH ne l’exposera pas ultérieurement à l’abus de drogues. Au contraire, lance la Dre Hechtman. «Rassurez les parents. Lors d’une étude [Biederman et al. Pediatrics 1999;104(2):E20], le taux global d’abus d’alcool ou d’autres drogues était significativement plus faible chez des adolescents atteints du TDAH qui étaient traités que chez ceux qui ne l’étaient pas. La médication a en fait permis de prévenir l’abus de drogues parce que les adolescents traités avaient une meilleure opinion d’eux-mêmes et fonctionnaient mieux en milieu scolaire.»

Au dire du Dr Samuel Chang, professeur agrégé de clinique en psychiatrie, University of Calgary, Alberta, l’utilisation de préparations à longue durée d’action est une façon importante de limiter l’abus d’alcool ou d’autres drogues au sein de cette population vulnérable. Les préparations à longue durée d’action ou à libération prolongée font rarement l’objet d’abus, car il est trop compliqué pour le patient d’en extraire le principe actif qui entraînerait l’euphorie, par comparaison aux stimulants à courte durée d’action.

«Les préparations à longue durée d’action ou à libération prolongée, comme les sels mixtes d’amphétamine, libèrent le principe actif de façon à favoriser un état d’équilibre et à éviter les pics et les creux qui résultent des préparations à courte durée d’action», explique-t-il.

Le Dr Chang souligne que les stimulants à courte durée d’action sont contre-indiqués chez ses patients qui abusent d’alcool ou d’autres drogues, et il ne les prescrit pour aucune considération en raison du risque d’abus qui leur est associé.

L’utilisation détournée du médicament est une bien plus grande source d’inquiétude que l’abus de médicaments chez les personnes atteintes du TDAH. «Les trois quarts des utilisateurs s’approvisionnent à partir de l’ordonnance d’un frère, d’une sœur ou d’un ami. Nous devons donc sensibiliser les parents au risque d’abus des stimulants prescrits et exercer un plus grand contrôle à l’étape de l’exécution de l’ordonnance, ajoute le Dr Chang. Les stimulants à courte durée d’action sont aussi plus stigmatisants pour l’enfant qui doit prendre un comprimé à l’école, et c’est une autre raison pourquoi je préfère ne pas les prescrire.» Peu importe le médicament que prend l’enfant, les parents doivent toujours avoir la situation en main. «Je dis aux parents de mettre le médicament sous clé ou de l’avoir avec eux quand ils sont au travail. Il est impossible pour l’enfant d’en faire un autre usage si le parent est maître de la situation.»

Composante génétique

La prédisposition génétique au TDAH pèse très lourd dans la balance. Au dire de la Dre Hechtman, il est très probable qu’un parent chez qui le TDAH n’a jamais été diagnostiqué se rende compte qu’il en souffre après que le diagnostic a été établi chez son enfant. «C’est souvent ce qui se passe. Une fois le TDAH diagnostiqué chez l’enfant, le parent vient me voir et me dit qu’il pense aussi en souffrir parce qu’il se souvient d’avoir eu des difficultés à l’école, de s’être senti très irritable ou, à tout le moins, d’avoir eu l’impression que quelque chose clochait», indique-t-elle. On sait maintenant que le TDAH est un trouble comportemental hétérogène possiblement causé par de multiples facteurs. À la prédisposition génétique s’ajoutent les facteurs environnementaux et toute attaque du SNC. Par exemple, l’incidence du TDAH est élevée chez les enfants qui souffrent du syndrome d’alcoolisme fœtal ou dont la mère a fumé pendant la grossesse.

Figure 1. Causes possibles du TDAH


Analyses par IRM

Les réseaux neuronaux qui sous-tendent l’attention – le cortex préfrontal, le cortex pariétal, le gyrus cingulaire, les structures limbiques, les noyaux gris centraux, le thalamus, le tronc cérébral et le cervelet – sont tous affectés par le TDAH, explique la Dre Hechtman. Des études reposant sur l’IRM ont révélé que les lobes frontaux, qui sont riches en récepteurs dopaminergiques, les noyaux gris centraux et le cervelet étaient tous de plus petite taille chez les personnes souffrant du TDAH que chez les témoins. Des clichés IRM ont mis en évidence une différence de 10 % dans la taille des régions touchées par le TDAH. Des études d’imagerie fonctionnelle ont aussi mis en évidence une perfusion moindre des corps striés en présence du TDAH (Swanson et al. Lancet 1998; 351:429-33; Castellanos et al. Arch Gen Psychiatry 2001; 58:289-95). Les stimulants augmentent la perfusion sanguine de ces parties du cerveau et en augmentent le volume, poursuit la Dre Hechtman. Ce phénomène pourrait refléter le mode d’action de ces agents dans le TDAH.

Bien que des clichés IRM aient montré de quelle façon certaines structures du cerveau participent au TDAH, l’IRM n’est pas un outil diagnostique, souligne-t-elle. Malheureusement, «certaines personnes préconisent l’IRM pour le diagnostic du TDAH. Dites à vos patients que nous ne sommes pas encore rendus là. L’IRM n’est pas la technique de pointe par excellence pour le diagnostic du TDAH.»

Conseils pratiques

Le Dr Clive J. Schwartz, professeur adjoint de pédiatrie, University of Toronto, Ontario, y est allé de quelques conseils pratiques sur la façon d’aborder la question du TDAH avec les enfants et leur famille lorsque celui-ci est diagnostiqué ou soupçonné.

L’un des plus grands obstacles auxquels il se heurte est de convaincre les parents que les stimulants sont «une bonne chose». Il est difficile pour eux de comprendre comment un stimulant peut aider un enfant agité et inattentif. Le médecin a donc intérêt à présenter le concept sous forme d’image que l’enfant et les parents peuvent saisir.

Le Dr Schwartz a donné l’exemple du lien entre le médicament et les lunettes. Les enfants «ont besoin d’un outil qui leur donnera un coup de pouce supplémentaire à l’école. Je leur dis “Pense à tous tes compagnons de classe qui portent des lunettes. Les lunettes leur permettent de mieux répondre aux exigences scolaires. Le médicament fait la même chose qu’une paire de lunettes, sauf qu’il n’est pas visible. Dans notre monde actuel, la pensée éparpillée n’a pas sa place; il faut donc apprendre à se concentrer sur une chose à la fois, et pour toi, c’est difficile. Nous allons donc utiliser un truc qui va t’aider à y arriver.”»

«Si vous parlez de cette façon à l’enfant, il se sentira beaucoup moins anormal d’avoir à prendre un médicament. Dès qu’il commence à mieux performer à l’école, son estime de soi remonte la pente et ses aptitudes sociales s’améliorent», rappelle le Dr Schwartz.

Résumé

Le diagnostic du TDAH est un défi. Pour poser un diagnostic approprié et instaurer le bon traitement, il est essentiel de différencier le TDAH d’autres affections somatiques et psychiatriques. Ce trouble neurocomportemental à forte composante génétique persiste à l’adolescence et à l’âge adulte dans un pourcentage élevé de cas. Des experts présents au congrès ont confirmé que, quand vient le moment de choisir une option de traitement, ils considèrent les préparations à longue durée d’action comme une stratégie optimale, car celles-ci libèrent une quantité constante de principe actif dans la circulation sanguine et causent moins de rebonds, sans oublier qu’elles risquent moins d’être utilisées à mauvais escient. D’abord et avant tout, par contre, le traitement approprié peut aider l’enfant à devenir un adulte bien adapté et à s’épanouir pleinement.

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