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Traitement adjuvant du cancer du sein : recommandations d’un groupe de travail canadien sur le suivi cardiaque des patientes

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

Symposium national de pharmacie oncologique de 2008

Calgary, Alberta / 17-19 octobre 2008

La surexpression du récepteur HER2 (HER2+) dans les cellules tumorales, qui caractérise 20 à 25 % des cancers du sein, est associée à un risque accru de récidive précoce et à une diminution de la survie globale. Côté thérapeutique, on peut toutefois tirer avantage de cette surexpression en produisant «un anticorps dirigé contre ce récepteur, et c’est d’ailleurs de cette façon que le trastuzumab a vu le jour», expliquait la Dre Susan Dent, médecin oncologue, Centre de cancérologie de l’Hôpital d’Ottawa, Ontario, lorsqu’elle a présenté les recommandations du Groupe de travail canadien sur le trastuzumab (GTCT).

Données cliniques

Au vu des résultats de quatre essais comparatifs d’envergure avec randomisation, le trastuzumab est devenu le traitement de référence dans le cancer du sein HER2+, poursuit la Dre Dent. Ces quatre essais (HERA, BCIRG 006, NCCTG N9831 et NSABP B-31) – dont l’objectif était d’évaluer cet anticorps monoclonal comme traitement adjuvant et qui regroupaient au total plus de 13 000 patientes – ont fourni de nombreux éléments d’information sur l’utilisation du trastuzumab avec les taxanes et les anthracyclines. Notamment, son ajout à la chimiothérapie s’est traduit par une augmentation systématique de la survie sans récidive de même que par une diminution globale d’environ un tiers de la mortalité. Les résultats de ces études ont aussi motivé l’inclusion, dans les recommandations de St-Gall de 2007, d’un traitement adjuvant par le trastuzumab d’une durée de un an pour tous les cancers du sein HER2+. Le National Comprehensive Cancer Network (NCCN) a formulé la même recommandation pour toutes les tumeurs HER2+ de taille supérieure à 1 cm.

Toxicité cardiaque

Les anthracyclines et le trastuzumab sont reconnus pour leur risque de cardiotoxicité, mais il y aurait deux types de cardiotoxicité, précise la Dre Dent. La dysfonction cardiaque liée à la chimiothérapie (DCCT) de type I – qui résulte de fortes doses ou de doses cumulées excessives d’anthracyclines – se manifeste par la mort du myocyte et l’apparition de lésions myocardiques irréversibles. La DCCT de type II – qui se manifesterait par une dysfonction plutôt que par la mort cellulaire – ne serait pas liée aux doses cumulées et serait généralement réversible. La théorie voudrait que la toxicité associée au trastuzumab relève plutôt d’une DCCP de type II.

Il est ressorti des études sur le traitement adjuvant qu’une cardiotoxicité importante était somme toute assez peu fréquente. De plus, on a observé entre les études une certaine variabilité qui pourrait tenir en partie au moment de la randomisation dans le groupe trastuzumab, fait valoir la Dre Dent. Par exemple, les patientes de l’étude HERA, qui ont reçu leurs traitements séquentiellement, étaient randomisées de façon à recevoir du trastuzumab au décours de leur chimiothérapie, si bien que toutes celles qui montraient des signes de cardiotoxicité imputable aux anthracylines étaient exclues de l’étude. Si la fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG) a diminué chez 118 des 1678 sujets de l’étude HERA, elle s’est néanmoins rétablie après un délai d’une durée médiane de 124 jours chez six des 10 femmes dont l’insuffisance cardiaque (IC) était sévère, de 151 jours chez 24 des 36 femmes qui présentaient une IC symptomatique et de 191 jours chez 35 des 51 femmes dont la FEVG avait diminué significativement. C’est donc dire que la myotoxicité du trastuzumab est réversible, ajoute-t-elle.

Selon les données colligées des études nord-américaines (NCCTG N9831 et NSABP B-31), l’incidence cumulative de l’IC sévère se chiffrait à 3,8 % après trois ans et n’avait pas augmenté après cinq ans. Qui plus est, la FEVG s’est rétablie avec le temps dans une large mesure chez les patientes des trois groupes. Lors de l’étude BCIRG 006, en revanche, l’incidence de l’IC sévère n’a atteint que 0,4 % chez celles qui avaient reçu un taxane sans anthracycline.

Recommandations pour le suivi cardiaque

Dans l’optique de trouver remède aux incertitudes du suivi cardiaque qui ont vu le jour avec l’usage croissant du trastuzumab, un certain nombre d’oncologues et de cardiologues de partout au Canada ont formé le GTCT. Ce groupe de travail s’est donné pour mission de formuler des recommandations pour la surveillance et la prise en charge des effets cardiaques indésirables sur la foi des données accumulées pendant les études sur le traitement adjuvant.

Selon ses recommandations, les patientes souffrant d’IC ou présentant une FEVG <50 % (ou inférieure à la norme de l’établissement) ne doivent pas recevoir de trastuzumab. C’est bien beau, enchaîne la Dre Dent, «mais que fait-on de la patiente dont la FEVG est de 49 % et dont le risque de récidive du cancer du sein est très élevé? En pareil cas, il vaut la peine de consulter un cardiologue pour déterminer si l’on peut intervenir pour gérer le risque cardiaque», insiste-t-elle. Les facteurs de risque auxquels on doit prêter une attention particulière sont la maladie cardiaque ischémique ou une atteinte valvulaire importante, une FEVG initiale comprise entre 50 et 55 %, et une FEVG qui chute de plus de 15 % durant le traitement, même si elle demeure supérieure à la limite normale inférieure (LNI).

Effets de certains schémas

Le GTCT manque de données probantes pour se prononcer sur le risque cardiaque associé à l’administration séquentielle, vs concomitante, du trastuzumab à l’étape de la chimiothérapie reposant sur un taxane. Lors de l’essai NCCTG N9831, l’incidence de l’IC de grade 3 ou 4 était de 3,3 % pour le traitement concomitant vs 2,8 % pour le traitement séquentiel. Au Canada, les cliniques optent souvent pour un compromis à mi-chemin entre les méthodes européenne et américaine, en introduisant le trastuzumab uniquement après avoir donné un cycle de taxane seul, lui-même administré au décours du traitement par une anthracycline, rappelle la Dre Dent. Face à un risque élevé de récidive, par contre, elle estime qu’il vaut mieux «administrer du trastuzumab dès le premier cycle de taxane si possible».

La comparaison des schémas avec ou sans anthracycline dans le cadre de l’essai BCIRG 006 a révélé que le traitement sans anthracycline divisait par un facteur de cinq le risque de cardiotoxicité sévère (0,4 % pour le schéma docetaxel/carboplatine/trastuzumab vs 1,9 % pour le schéma doxorubicine/cyclophosphamide/docetaxel/trastuzumab). Le GTCT privilégie le premier schéma en présence de facteurs de risque cardiaque préexistants.

En présence d’une tumeur de taille supérieure à 1 cm, avec ou sans atteinte ganglionnaire, le trastuzumab est le traitement de référence. Des chercheurs tentent actuellement de quantifier son efficacité réelle quand il est administré à plus court terme, mais d’ici à ce qu’il dispose de nouvelles données, le GTCT recommande un traitement de un an, comme ce fut le cas lors des essais sur le traitement adjuvant, précise la Dre Dent.

Surveillance

La FEVG initiale doit toujours être connue, insiste la Dre Dent. On doit la mesurer avant le début du traitement par le trastuzumab (après la chimiothérapie dans un schéma séquentiel), puis tous les trois mois. Pour ce faire, on peut avoir recours à l’échocardiographie (méthode de Simpson de préférence) ou à la scintigraphie cardiaque (MUGA), mais quelle que soit la méthode choisie, elle devra être utilisée fois après fois. Les patientes qui présentent des facteurs de risque ou chez qui le traitement est cardiotoxique auront peut-être besoin d’un suivi plus étroit.

Prise en charge de la cardiotoxicité

La prise en charge de la toxicité comporte deux volets, d’abord le retrait du trastuzumab pendant un certain temps, puis le traitement de la dysfonction cardiaque, explique la Dre Dent. Le protocole recommandé pour le retrait temporaire ou permanent du traitement par le trastuzumab est une version modifiée du protocole utilisé dans l’étude NSABP B-31.

Si la baisse de la FEVG n’est pas excessive, la surveillance continue ou le retrait temporaire du trastuzumab pourrait suffire. Par contre, dans les cas où la FEVG diminue de <u>></u>15 % ou de <u>></u>6 % par rapport à la LNI, la patiente pourrait aussi avoir besoin d’un inhibiteur de l’ECA et d’un autre traitement, ajoute la Dre Dent, qui insiste sur l’importance de consulter un cardiologue sans délai lorsque la cardiotoxicité devient évidente. Dans les cas où le traitement par le trastuzumab est interrompu conformément aux recommandations, le traitement peut être repris à la posologie initiale une fois la FEVG normalisée.

Le GTCT propose un certain nombre d’agents cardiaques pour remédier à la diminution de la FEVG, conformément aux recommandations de la Société canadienne de cardiologie, et insiste sur l’importance d’augmenter la dose plus rapidement, disons à intervalles de une ou deux fois par semaine, afin d’optimiser l’effet thérapeutique le plus rapidement possible. La durée du traitement doit être individualisée, en fonction de la réponse. Là encore, il serait sage de consulter un cardiologue. «En ma qualité d’oncologue, je ne me sens pas à l’aise d’augmenter la posologie d’un agent cardiaque ni de déterminer comment en arrêter l’administration progressivement», fait-elle valoir.

La durée totale de l’administration du trastuzumab interrompue en cours de traitement soulève des doutes. En Ontario, par exemple, le trastuzumab ne peut pas être administré pendant plus de 14 mois, si bien que les cycles ne seront pas forcément tous administrés en cas d’interruption.

Le trastuzumab n’étant pas un agent cytotoxique, rappelle la Dre Dent, il n’est pas nécessaire d’en arrêter l’administration pour d’autres raisons (p. ex. intervention non urgente), puisqu’il n’a pas d’effet sur la formule sanguine ni sur la cicatrisation des plaies. De même, rien n’indique que l’on doive suspendre le traitement par le trastuzumab pendant la radiothérapie adjuvante, puisque l’innocuité du traitement ne soulève aucun problème, si l’on en juge par plus de 13 000 patientes qui ont continué de recevoir du trastuzumab pendant la radiothérapie.

Résumé

Dans le traitement du cancer du sein HER2+ précoce, l’ajout du trastuzumab s’est révélé fort utile, le risque de récidive à trois ans ayant diminué de moitié ou presque et le risque de mortalité, diminué du tiers. En suivant les recommandations du GTCT, le clinicien s’assure de maximiser l’effet bénéfique du traitement tout en réduisant son risque au minimum.

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