Comptes rendus

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Traitement et prophylaxie des thromboembolies veineuses : stratégies en vue d’une intervention plus efficace

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

FRONTIÈRES MÉDICALES - XXIIe Congrès de l’International Society on Thrombosis and Haemostasis

Boston, Massachusetts / 11-16 juillet 2009

Thrombose et cancer

En présence d’un cancer, les facteurs qui contribuent à la thromboembolie veineuse (TEV) sont l’alitement prolongé, les lésions vasculaires résultant d’un envahissement direct de la tumeur dans les vaisseaux et les lésions endothéliales causées par la chimiothérapie, sans oublier l’état d’hypercoagulabilité qui caractérise de nombreux cancers. «Toute chimiothérapie administrée par voie intraveineuse active les facteurs de la coagulation sanguine, et plus un patient reçoit de cycles, plus la situation s’envenime», confirme le Dr Fred Rickles, professeur titulaire de médecine, de pédiatrie, de pharmacologie et de physiologie, The George Washington University, Washington, D.C. Il ressort maintenant de données que la stimulation des voies régissant la coagulabilité sanguine est directement liée à la transformation maligne de la tumeur, puis successivement à l’angiogenèse, à la croissance tumorale et à la dissémination métastatique. La TEV est effectivement un signe de mauvais pronostic dans le cancer et pourrait être le premier signe d’une tumeur occulte, précise-t-il.

Les chercheurs continuent de se demander si la thromboprophylaxie ne prolonge pas la survie des patients cancéreux par des mécanismes autres que la prévention de la TEV. La survenue d’une TEV chez un patient cancéreux s’accompagne d’un taux élevé de mortalité à 30 jours, même lorsqu’elle est traitée : 6 % après une thrombose veineuse profonde (TVP) et 12 % après une embolie pulmonaire (EP). Peu importe le type de tumeur, une TEV symptomatique diminue les chances de survie. Les hommes atteints de cancer de la prostate, du côlon, du cerveau et du poumon sont particulièrement vulnérables aux complications thromboemboliques, tout comme les femmes atteintes de cancer du sein, de l’ovaire ou du poumon.

Comme le souligne le Dr Craig Kessler, Georgetown University Medical Center, Washington D.C., il a été démontré que chez les patients atteints d’un cancer, qu’il soit métastatique ou non, la présence concomitante d’une TEV est associée à des taux de mortalité intrahospitalière presque identiques.

Selon une analyse rétrospective de l’essai CLOT (Randomized Comparison of Low Molecular Weight Heparin Versus Oral Anticoagulant Therapy for the Prevention of Recurrent VTE in Patients with Cancer) présentée au congrès par la Dre Agnes Lee, McMaster University, Hamilton, Ontario, et son équipe, les adénocarcinomes de site primaire indéterminé et le cancer du poumon sont associés à un risque de TEV récidivante 3,5 fois plus élevé que le cancer colorectal, celui-ci étant associé à un risque relatif de 1.

L’essai CLOT – qui a fait date – visait en particulier à déterminer le taux de TEV récidivante chez les patients cancéreux ayant subi une TVP ou une EP aiguë. Quelque 210 jours après la randomisation, le risque de TEV récidivante était 52 % plus faible chez les patients sous daltéparine, une héparine de bas poids moléculaire (HBPM), que chez les patients sous anticoagulant oral, et le risque d’hémorragie majeure n’était que légèrement plus élevé chez les patients du groupe HBPM (5,6 % vs 3,6 %; écart non significatif) (Figure 1). Toujours dans un contexte de cancer, le taux de TEV récidivante était aussi significativement plus faible dans deux autres essais où l’on a comparé soit l’énoxaparine, soit la tinzaparine, avec un anticoagulant oral.

Au vu de ces résultats, l’American College of Chest Physicians propose maintenant comme nouvelle norme de traitement et de prévention secondaire des TEV une HBPM administrée à des doses thérapeutiques pendant au moins trois à six mois. En mai 2007, précise le Dr Kessler, la daltéparine était la seule HBPM homologuée à la fois pour le traitement et la prévention secondaire de la TEV chez un patient cancéreux, et elle devait être suivie d’un traitement anticoagulant oral tant que la maladie demeurait active.

Figure 1. Essai CLOT : diminution des TEV récidivantes


Thromboprophylaxie chez les patients cancéreux hospitalisés et opérés

En vertu des plus récentes recommandations de l’American Society of Clinical Oncology (ASCO), la thromboprophylaxie doit être envisagée chez tout patient cancéreux hospitalisé en l’absence d’hémorragies ou d’autres contre-indications. Toujours selon ces recommandations, la thromboprophylaxie doit également être envisagée chez tout patient cancéreux qui subit une intervention majeure, ou encore, une laparotomie, une laparoscopie ou une thoracotomie d’une durée supérieure à 30 minutes. La prophylaxie doit se poursuivre pendant au moins sept à 10 jours après l’intervention et on pourrait même envisager de la prolonger jusqu’à quatre semaines chez un patient à risque élevé.

Tant pour la prophylaxie que pour le traitement de la maladie thromboembolique, les options actuellement à notre disposition sont notamment l’héparine non fractionnée (HNF), les HBPM et le fondaparinux. Les inhibiteurs du facteur Xa, qui sont de nouveaux anticoagulants oraux, pourraient aussi avoir un rôle à jouer. Les résultats d’études sur la prophylaxie de la TEV montrent systématiquement une diminution d’environ 50 % (de 44 à 63 %) du risque relatif sous l’effet d’une HBPM ou du fondaparinux chez les patients non opérés. Lors de l’étude canadienne sur la prophylaxie de la TVP dans le cancer colorectal, le taux de TEV était moins élevé dans le groupe HBPM que dans le groupe HNF (13,9 % vs 16,9 %), et les taux d’hémorragies sont demeurés faibles. Dans le cadre de l’étude FAME, où la daltéparine a été administrée pendant sept ou 28 jours après une intervention majeure à l’abdomen, l’incidence cumulative des TEV était là encore moins élevée sous l’effet de la thromboprophylaxie prolongée : 7,3 % (vs 16,3 % pour la thromboprophylaxie à court terme), d’où une réduction du risque relatif de 55 % en faveur du schéma de quatre semaines. On n’a observé aucune augmentation du risque hémorragique dans le groupe qui a reçu la prophylaxie prolongée.

L’ASCO ne recommande pas systématiquement la prophylaxie des TEV chez les patients cancéreux ambulatoires. Le Dr Kessler précise à ce sujet que le risque de TEV est très variable chez les patients atteints de cancer et qu’il découle souvent du traitement administré. Chez les patients atteints de myélome multiple sous chimiothérapie, par exemple, l’administration de la thalidomide augmente l’incidence des TEV de 28 % alors que celle du bevacizumab augmente le risque de TEV symptomatique de 33 %, si l’on en juge par une méta-analyse (JAMA 2008;300:274-6). Certaines données semblent aussi indiquer que les HBPM exercent des effets antitumoraux, à en juger par la probabilité de survie plus élevée à un an chez les sujets de l’essai CLOT atteints de cancer non métastatique sous daltéparine, par comparaison aux sujets sous anticoagulant oral (Figure 2).

Figure 2. Essai CLOT : effets an
mortalité à 12 mois)

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Lors d’une étude qui portait sur 84 patients atteints de cancer du poumon à petites cellules, Altinbas et al. (J Thromb Haemost 2004;2[8]:1266-71) ont démontré qu’après un an, 51,3 % des patients sous chimiothérapie plus daltéparine étaient toujours en vie vs 29,5 % sous chimiothérapie seule, la médiane de survie ayant atteint 13 mois vs huit mois, respectivement.

Prophylaxie des TEV : une priorité pour la protection du patient

D’abondantes données étayent l’importance d’une thromboprophylaxie chez la plupart des patients hospitalisés, notamment les patients atteints de cancer et ceux devant être opérés pour un cancer. Pourtant, la prophylaxie des TEV demeure largement sous-utilisée chez les patients à risque. Comme le soulignait le Dr William Geerts, professeur titulaire de médecine, University of Toronto, Ontario, un sondage FRONTLINE réalisé en 2003 a révélé que 52 % des patients cancéreux subissant une intervention chirurgicale, par comparaison à seulement 5 % des patients cancéreux recevant un traitement médicamenteux, avaient reçu une prophylaxie appropriée. Il est ressorti d’une étude canadienne regroupant 29 hôpitaux que 90 % des patients sous traitement médicamenteux hospitalisés consécutivement répondaient aux critères de la prophylaxie, mais que 23 % avaient reçu une forme quelconque de prophylaxie et que seulement 16 % avaient reçu la prophylaxie
-il (Figure 3).

Figure 3. Type de thromboprophylaxie utilisée

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En se concentrant sur les patients qui avaient été réhospitalisés après avoir été hospitalisés une première fois au cours du mois précédent, des chercheurs suisses ont constaté que moins de la moitié des patients réhospitalisés pour une TEV symptomatique avaient reçu une prophylaxie. Même une prophylaxie partielle était associée à de moins bons résultats.

En analysant 83 794 sorties d’hôpital (Amin et al. J Oncol Pract 2009;5[4]:159-64), des chercheurs ont découvert que seulement 16 % des sujets de la cohorte avaient reçu une prophylaxie appropriée et qu’une prophylaxie partielle exposait les patients à un risque significativement plus élevé de TEV nosocomiale, de mortalité intrahospitalière et de réhospitalisation pour TEV dans un délai de 30 jours. «Nous ratons de belles occasions de prévenir des complications, fait remarquer le Dr Geerts, et nous devons nous demander ce que [nous] pouvons faire pour tenter d’améliorer l’adhésion à la prophylaxie.»

Des recommandations de qualité représentent «un grand pas en avant», note le Dr Geerts, et facilitent grandement les décisions au sujet de la prophylaxie. L’aval d’un organisme national comme l’ASCO et la Society of Hospital Medicine est un autre «pas de géant» dans la mise en application de la prophylaxie appropriée, ajoute-t-il. Au nombre des autres stratégies qui pourraient être utiles à l’échelle nationale figure la déclaration publique de la qualité des soins dans le cadre du Surgical Care Improvement Project; depuis le début de cette initiative, c’est-à-dire depuis qu’on encourage les hôpitaux à administrer la prophylaxie recommandée à la vaste majorité des patients opérés aux États-Unis, «les taux d’adhésion ne cessent d’augmenter», renchérit le Dr Geerts.

Le Canada a adopté la Liste de contrôle de la sécurité chirurgicale de l’Organisation mondiale de la Santé, en vertu de laquelle les travailleurs de la santé doivent indiquer dans le dossier si la prophylaxie des TVP est indiquée, si elle a été demandée et si elle a été administrée. Encore là, il s’agit d’un «progrès énorme au chapitre de la sécurité du patient», poursuit le Dr Geerts. Les stratégies locales sont aussi utiles, par exemple la politique écrite d’un hôpital sur la prophylaxie. L’inclusion des recommandations sur la prophylaxie dans les algorithmes d’hospitalisation ou de soins postopératoires est «en soi la stratégie la plus efficace» pour améliorer les taux de prophylaxie. Cette stratégie économise du temps, s’applique à tous les groupes de patients et peut servir à la vérification de l’observance des recommandations de prophylaxie.

«Les décisions au sujet de la prophylaxie doivent aussi être obligatoires. Je ne dis pas qu’il faut opter pour la prophylaxie chez tous les patients, mais on doit soupeser la décision en connaissance de cause et déterminer chez chaque patient si la prophylaxie de la TVP s’impose, fait valoir le Dr Geerts, et jamais je n’insisterai assez sur l’importance de recueillir des données et de redonner de l’information aux hôpitaux.» Dans l’établissement où il exerce, par exemple, les administrateurs ont adopté la politique «un médicament, une dose» pour toutes les personnes à risque de thrombose, sauf quand le risque hémorragique est élevé; en pareils cas, «nous optons pour une prophylaxie mécanique rigoureuse et nous réévaluons au quotidien la possibilité d’une prophylaxie en fonction des données publiées», relate le Dr Geerts. Depuis sa mise en application d’une politique d’audits, l’hôpital a récemment constaté que 87 % des patients opérés recevaient la prophylaxie appropriée ou recommandée, par comparaison à 77 % des patients sous traitement médicamenteux et 97 % des patients hospitalisés au service des soins intensifs.

«La thromboprophylaxie est l’intervention la plus importante en termes de protection des patients hospitalisés, affirme le Dr Geerts, mais c’est uniquement quand elle sera intégrée aux soins usuels que chaque patient hospitalisé recevra une thromboprophylaxie adaptée à son risque de thromboembolie et d’hémorragie.»

HBPM et populations particulières

De l’avis d’Edith Nutescu, PharmD, professeure de clinique en pratique pharmaceutique, University of Illinois College of Pharmacy, Chicago, il serait imprudent de considérer que toutes les HBPM sont identiques du fait qu’elles font partie de la même classe. Elle a présenté une analyse d’essais cliniques récents qui a mis en évidence des différences entre les HBPM quant à la tendance à la bioaccumulation en présence d’insuffisance rénale. Tincani et al. (Haematologica 2006;91:976-9) n’ont noté aucune bioaccumulation après six jours de traitement par la daltéparine, peu importe la fonction rénale. Il n’y avait pas non plus de corrélation entre la sévérité de l’insuffisance rénale et la concentration maximale d’anti-Xa le 6e jour.

Chez des patients gravement malades dont la clairance de la créatinine (ClCr) était <30 mL/min, Douketis et al. (Arch Intern Med 2008;168:1805-12) n’ont constaté aucun signe de bioaccumulation de daltéparine lorsque la concentration minimale d’anti-Xa était <u>></u>1. En revanche, Mahe et al. (Drugs Aging 2007;24:63-71) ont remarqué que la concentration d’énoxaparine augmentait significativement chez des patients âgés dont la ClCr était comprise entre 20 et 50 mL/min, contrairement à la tinzaparine. «De toute évidence, si un médicament s’accumule et que l’on n’ajuste pas la posologie, le risque hémorragique augmente, et la sécurité du patient s’en trouve compromise, affirme Mme Nutescu. Il est donc important de reconnaître l’existence de différences entre ces agents et de bien ajuster la dose des médicaments qui s’accumulent.»

Des chercheurs du Royaume-Uni sous la direction de la Dre Victoria M.A. Simpson, University College London Hospitals, ont repéré 16 femmes, âgées en moyenne de 32 ans, qui avaient eu une TEV aiguë durant la grossesse et neuf autres femmes qui recevaient un traitement anticoagulant au long cours. Pour assurer le maintien de concentrations moyennes d’anti-Xa, les chercheurs se sont rendu compte au troisième trimestre qu’il était nécessaire d’augmenter la dose de daltéparine, en moyenne de 20 % de plus que la dose quotidienne initiale. «L’augmentation requise de la dose ne tenait pas uniquement à la prise de poids, car la dose par kilogramme a aussi augmenté», précisent les chercheurs. La dose quotidienne moyenne requise pour maintenir une concentration thérapeutique d’anti-Xa durant le troisième trimestre était significativement plus élevée que la dose quotidienne de 200 U/kg, ce qui donne à penser que les concentrations d’anti-Xa doivent être surveillées chez les femmes ayant besoin d’une prophylaxie ou d’un traitement de TEV durant la grossesse.

Questions et réponses

La section qui suit est tirée d’entretiens avec Edith Nutescu, PharmD, professeure de clinique en pratique pharmaceutique, University of Illinois College of Pharmacy, Chicago, et le Dr William Geerts, professeur titulaire de médecine, University of Toronto, Ontario, durant les séances scientifiques du XXIIe Congrès de l’International Society on Thrombosis and Haemostasis.

Q : Comment expliquer la différence entre la daltéparine et la tinzaparine qui ne semblent pas s’accumuler dans l’organisme, et l’énoxaparine qui, elle, s’accumule?

Mme Nutescu : Je pense que l’explication réside dans les différences entre les profils pharmacocinétiques et pharmacodynamiques de ces agents. Les poids moléculaires varient légèrement, tout comme les rapports anti-Xa:anti-IIa, et il semble que les agents ayant un rapport anti-Xa:anti-IIa plus élevé, comme l’énoxaparine, aient tendance à plus s’accumuler que la daltéparine et la tinzaparine, qui agissent davantage sur le facteur IIa et qui ont moins tendance à s’accumuler, voire qui ne s’accumulent pas du tout.

Q : La plupart des patients hospitalisés présentent une affection aiguë. Quelle est la proportion de patients hospitalisés qui ne répondent pas aux critères de la thromboprophylaxie?

Dr Geerts : Dans notre établissement, seulement 15 % environ des patients sont considérés comme étant à faible risque, ce qui revient à dire que 85 % répondraient aux critères de la thromboprophylaxie. Or, vaut-il vraiment la peine d’essayer de repérer ces patients dont le risque est trop faible pour justifier une prophylaxie? Le concept même de la prévention repose sur le principe que la mesure préconisée doit être universelle, qu’il s’agisse de la vaccination ou du port de la ceinture, pour que les individus les plus vulnérables soient protégés contre les complications. Le processus de sélection s’en trouverait grandement simplifié.

Nota : Au moment de la mise sous presse, au Canada, les HBPM n’étaient pas indiquées pour le traitement ou la prévention des TEV durant la grossesse ni pour la thromboprophylaxie primaire chez les patients cancéreux ambulatoires.

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