Comptes rendus

Progrès et obstacles dans la détection des erreurs innées du métabolisme se manifestant par des symptômes neuropsychiatriques
Le bon médicament au bon moment chez le bon patient : le recours systématique aux analyses moléculaires dans le CPNPC devrait devenir une stratégie nationale

Tumeurs neuro-endocrines : Stratégies revisitées à la lumière des résultats de nouveaux essais cliniques

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

PERSPECTIVE PROFESSIONNELLE - Point de vue sur les communications du European Cancer Congress (ECC)

Vienne, Autriche / 25-29 septembre 2015

Sous la direction de :

 

Simron Singh, MD, MPH
Oncologue
Professeur adjoint, University of Toronto
Sunnybrook Health Sciences Centre
Toronto (Ontario)

 

Introduction

Les tumeurs neuro-endocrines (TNE) forment un groupe génétiquement hétérogène de tumeurs solides prenant naissance dans les cellules sécrétantes du système neuro-endocrinien. Leur incidence et leur prévalence sont en hausse depuis quelques décennies, possiblement en raison d’une surveillance accrue. Au Canada, leur incidence est passée à environ 6 pour 100 000 personnes (Hallet J et al. Cancer 2015;121:589-97). Le plus souvent, les TNE se développent dans l’appareil digestif, mais elles peuvent aussi prendre naissance dans d’autres tissus, tels le pancréas et le poumon. L’incidence des TNE localisées dans l’appareil digestif est plus élevée que l’incidence de toutes les tumeurs de l’estomac et de l’œsophage (Yao JC et al. J Clin Oncol 2008;3063-72). Grâce à de nouveaux essais cliniques, l’arsenal thérapeutique des TNE s’élargit.

 

Les résultats divulgués récemment de trois essais de phase III comparatifs avec randomisation sur le traitement des tumeurs neuro-endocrines (TNE) nous amènent à réévaluer la prise en charge optimale de ces cancers. Ces trois essais ont été présentés au plus récent congrès européen d’oncologie qui se tenait à Vienne, en Autriche, du 25 au 29 septembre 2015. Dans le premier essai, RADIANT-4, il a été démontré que l’évérolimus prolongeait la survie sans progression (SSP) chez les patients porteurs d’une TNE pulmonaire ou digestive non fonctionnelle. Le deuxième essai, NETTER-1, a permis de constater qu’un analogue de la somatostatine (ASS) radiomarqué était efficace dans les TNE de l’intestin moyen comparativement à une intensification de la dose de l’ASS chez les patients dont la tumeur avait progressé sous ASS à la dose usuelle. Dans le troisième essai, TELESTAR, un traitement novateur s’est révélé efficace contre la diarrhée causée par le syndrome carcinoïde associé à une TNE, et cet essai aboutira probablement à l’homologation d’un nouveau produit.

Premier essai de phase III sur les TNE pulmonaires

L’évérolimus, inhibiteur de mTOR administré par voie orale, est l’un des traitements actuellement homologués pour les TNE du pancréas. L’essai RADIANT-4 (Yao JC et al. Résumé LBA5) visait à comparer l’évérolimus à un placebo chez des patients porteurs d’une TNE métastatique évolutive du poumon ou de l’appareil digestif. Comparativement à un placebo, l’évérolimus a été associé à un gain significatif de SSP (paramètre principal). Ce gain s’est accompagné d’une augmentation encourageante de la survie globale (SG), quoique pas encore significative sur le plan statistique. Les résultats de RADIANT-4 donnent à penser que les indications de l’évérolimus devraient non seulement comprendre les TNE du pancréas, mais aussi celles du poumon et de l’appareil digestif. Fait digne de mention, cette étude a été la première à établir qu’un traitement était efficace contre les TNE pulmonaires.

Le deuxième essai, NETTER-1 (Ruszniewski P et al. Résumé LBA6) a, comme RADIANT-4, été l’un des faits saillants du congrès. L’agent à l’étude était un ASS radiomarqué au lutétium-177. Cet agent, connu sous le nom de 177Lu-DOTATATE (Lutathera), est une forme de radiothérapie interne sélective (PRRT : peptide receptor radionuclide therapy). À ce jour, la PRRT n’a fait l’objet d’aucun essai avec randomisation, toutes les données provenant de séries rétrospectives. Des patients porteurs d’une TNE de l’intestin moyen métastatique qui avait progressé pendant un traitement par un ASS à la dose usuelle ont été randomisés de façon à recevoir 177Lu-DOTATATE en concomitance avec de l’octréotide LAR (pour suspension injectable) à raison de 30 mg tous les 28 jours ou une dose croissante d’octréotide LAR pouvant atteindre un maximum de 60 mg tous les 28 jours. La combinaison de la PRRT avec l’octréotide à la dose usuelle a été associée à une SSP supérieure, mais on a tout de même enregistré une SSP de 8,6 mois dans le groupe recevant la dose croissante. Là encore, comme l’évérolimus dans RADIANT-4, le 177Lu-DOTATATE a été associé à une augmentation de la SG qui s’annonce prometteuse, quoique pas encore statistiquement significative.

Les deux essais ont généré de précieuses données qui guident le choix du traitement dans les TNE, et peut-être aurions-nous intérêt à considérer ces données comme un complément d’information fondé sur des preuves. Chez les patients porteurs d’une TNE de l’intestin moyen – lesquels formaient un sous-groupe de la population de RADIANT-4 –, nous pourrions un jour avoir besoin de l’évérolimus et du 177Lu-DOTATATE pour prolonger la maîtrise de la maladie. Cela dit, il importe de cerner les différences entre ces traitements quant au mode d’administration et de voir en quoi ils se sont révélés bénéfiques.

RADIANT-4 : Plan et résultats

Lors de l’essai RADIANT-4, 302 patients porteurs d’une TNE pulmonaire ou digestive non fonctionnelle et avancée ont été recrutés dans une vingtaine de pays. Sept centres étaient situés au Canada, faisant ainsi du Canada l’un des principaux recruteurs de l’essai. Les patients ont été randomisés de façon à recevoir selon un ratio 2:1 soit de l’évérolimus, qui inhibe mTOR, voie moléculaire connue de la progression des TNE, soit un placebo. L’évérolimus était administré par voie orale à raison d’une dose par jour de 10 mg. La tumeur primitive était localisée dans le poumon (31 %), l’iléon (23 %) et le rectum (12 %); le jéjunum, l’estomac, le duodénum et le côlon étaient au nombre des autres localisations primitives. Un peu plus de la moitié des patients (53 %) avaient déjà reçu un ASS et un peu plus du quart (26 %) avaient déjà reçu une chimiothérapie. 

La SSP médiane a atteint 11,0 mois pour l’évérolimus vs 3,9 mois pour le placebo, d’où un rapport des risques instantanés (RRI) de 0,48 (p<0,00001), ce qui revient à une réduction de 52 % du risque relatif de progression ou de décès. Ce gain important de SSP demeurait constant, que les patients aient déjà reçu ou non un traitement antérieur par un ASS, que la tumeur primitive ait été localisée dans le poumon ou l’appareil digestif ou que le pronostic ait été bon ou mauvais selon la localisation de la tumeur primitive (strates A et B, respectivement) (Figure 1).

 

La SSP était l’un des critères d’évaluation de l’essai RADIANT-4. L’analyse intermédiaire de la SG a donné un résultat encourageant (RRI de 0,64), mais la valeur de p pour la supériorité de l’évérolimus sur le placebo (p=0,037) n’avait pas atteint le seuil prédéterminé de la significativité statistique au moment de l’analyse (Figure 2). La prochaine analyse intermédiaire de la SG est prévue pour 2016. La tumeur a régressé dans une certaine mesure chez 64 % des patients sous évérolimus, comparativement à 26 % des patients sous placebo. La maladie a été maîtrisée chez 82,4 % des patients sous évérolimus.

 

Effets indésirables dans RADIANT-4

L’évérolimus a été généralement bien toléré dans l’essai RADIANT-4. Bien que les effets indésirables (EI) de grade 3 ou 4 aient été plus fréquents dans le groupe recevant l’inhibiteur de mTOR que dans le groupe placebo, les seuls EI de ce degré de sévérité survenus chez 5 % ou plus des patients ont été la stomatite (9 % vs 0 %), la diarrhée (7 % vs 2 %) et les infections (7 % vs 0 %). Parmi les EI de grade moindre, les plus fréquents ont été la fatigue (31 % vs 24 %), les œdèmes périphériques (26 % vs 4 %) et les éruptions cutanées (27 % vs 8 %).

Les résultats de RADIANT-4 concordent avec de nombreuses données montrant que l’activation de la voie de mTOR intervient dans la pathogenèse des TNE (Chan J et Kulke M. Curr Treat Options Oncol 2015;15:365-79). Par exemple, dans l’essai de phase III RADIANT-2 mené à double insu, dont tous les patients recevaient de l’octréotide, l’évérolimus a été comparé à un placebo en présence d’une TNE avancée associée à un syndrome carcinoïde (Pavel ME et al. Lancet 2011;378:2005-12). L’ajout de l’évérolimus a été associé à une prolongation de 5 mois de la SSP médiane (16,4 vs 11,3 mois; p=0,026). Dans l’essai RADIANT-3, l’essai pivot qui a établi l’avantage de l’évérolimus dans les TNE pancréatiques (Yao JC et al. N Engl J Med 2011;364:514-23), l’évérolimus a plus que doublé la SSP par rapport au placebo.

NETTER-1 : Plan et résultats

L’essai NETTER-1 regroupait 229 patients atteints d’une TNE de l’intestin moyen évolutive, fonctionnelle ou non, bien différenciée, métastatique et inopérable qui avait progressé pendant un traitement par un ASS à la dose usuelle. Les patients, qui provenaient de 11 pays, principalement d’Europe, ont été randomisés de façon à recevoir soit quatre injections de 177Lu-DOTATATE toutes les 8 semaines et 30 mg d’octréotide LAR (n=116), soit une dose croissante d’octréotide pouvant atteindre 60 mg toutes les 4 semaines (groupe témoin). Plus de 80 % des patients avaient des métastases au niveau du foie et plus de 60 %, des métastases au niveau des ganglions lymphatiques. Des métastases osseuses étaient présentes chez environ 10 % et des métastases pulmonaires, également chez 10 % des patients.

La SSP médiane n’a pas encore été atteinte dans le groupe sous 177Lu-DOTATATE alors qu’elle a été de 8,4 mois dans le groupe sous octréotide à forte dose. Il en est résulté un RRI de 0,209 (p<0,0001), ce qui revient à une réduction de près de 80 % du risque de progression ou de décès. À en juger par les premiers calculs, la SSP médiane sous 177Lu-DOTATATE pourrait avoisiner 3 ans. L’avantage relatif s’est reflété dans le taux de réponse tumorale objective, qui a atteint 19 % et qui comprenait 1 réponse complète (RC) sous 177Lu-DOTATATE, comparativement à 3 % (p<0,0004) sous octréotide seul. La maladie a progressé chez 4 % des patients sous 177Lu-DOTATATE vs 24 % des patients sous octréotide à forte dose.

Dans NETTER-1, tout comme dans RADIANT-4, l’analyse intermédiaire de la SG a donné des résultats encourageants. Les courbes se sont mises à diverger quelques mois après le début du traitement (Figure 3). Comme dans RADIANT-4, cependant, la valeur de p pour la différence (p<0,0186) n’avait pas atteint le seuil de significativité prédéterminé au moment de l’analyse. Il importe ici de souligner que des 35 décès survenus à ce jour dans NETTER-1, 22 ont été enregistrés dans le groupe octréotide à forte dose, comparativement à 13 dans le groupe 177Lu-DOTATATE. Autre fait digne de mention, l’essai NETTER-1 regroupait uniquement des patients atteints d’une TNE de l’intestin moyen alors que l’essai RADIANT-4 regroupait des patients atteints de plusieurs types de TNE digestive et pulmonaire.

 

Effets indésirables dans NETTER-1

Le taux d’EI liés au traitement était plus élevé dans le groupe 177Lu-DOTATATE (86 % vs 31 %), tout comme le taux d’EI graves liés au traitement (9 % vs 1 %). Des EI ont motivé l’abandon du traitement chez 5 % des patients sous 177Lu-DOTATATE. La plupart des EI graves étaient de nature hématologique : 3 cas de lymphopénie, 1 cas de thrombopénie, 1 cas de neutropénie et 1 cas de pancytopénie. On a aussi enregistré 1 cas d’insuffisance rénale, 2 cas de lésions rénales aiguës et 1 cas d’hypertension portale.

Au Canada, seuls quelques centres ont la capacité d’administrer la PRRT. Pour un patient qui ne vit pas à proximité de l’un de ces centres, la nécessité de multiples cycles pourrait être un fardeau. Bien qu’il ne soit pas clair quel agent on devrait envisager dans le traitement de première intention d’une TNE de l’intestin moyen métastatique, les modes d’action très différents de l’évérolimus et de 177Lu-DOTATATE soulèvent la possibilité d’employer ces traitements successivement.

Essai sur les TNE avec syndrome carcinoïde

Un essai de phase III sur le télotristat étiprate (TE), traitement novateur qui inhibe la trytophane hydroxylase (TPH), a mis en lumière une troisième avancée dans la prise en charge des TNE. La TPH est une enzyme limitante qui transforme le tryptophane en sérotonine dans la cellule d’une TNE. La surproduction de sérotonine est le principal mécanisme du syndrome carcinoïde associé à une TNE. Dans cet essai, intitulé TELESTAR (Kulke M et al. Résumé LBA37), l’objectif principal était de réduire la fréquence élevée des selles, complication qui s’ajoute à la diarrhée, aux bouffées vasomotrices, aux douleurs abdominales et aux valvulopathies, autant de signes caractéristiques du syndrome carcinoïde.

Dans cet essai, 135 patients atteints d’une TNE métastatique qui avaient au moins 4 selles par jour malgré une dose stable d’ASS ont été randomisés de façon à recevoir 3 fois par jour 250 mg de TE, 500 mg de TE ou un placebo, pendant que le traitement par l’ASS se poursuivait. L’essai à double insu s’est déroulé sur 12 semaines. Parmi les objectifs secondaires figuraient la diminution du nombre de bouffées vasomotrices et des douleurs abdominales ainsi que la diminution de l’excrétion urinaire du métabolite de la sérotonine, l’acide 5-hydroxyindolacétique (5-HIAA).

À 12 semaines, la diminution du nombre moyen de selles se chiffrait à 17 % sous placebo, à 29 % sous TE à 250 mg et à 35 % sous TE à 500 mg. La diminution du nombre de selles s’est maintenue durant l’étude (Figure 4). La proportion de patients ayant atteint une diminution du nombre de selles d’au moins 30 % pendant au moins 50 % de la durée de l’étude s’élevait respectivement à 20 %, 44 % et 42 %. La diminution du nombre de selles a été associée à une diminution de l’excrétion de 5-HIAA, le taux médian étant passé de 87,6 mg/24 heures au départ à environ 30 mg/24 heures sous TE, peu importe la dose (p<0,001). On n’a pas observé de diminution significative des bouffées vasomotrices ou des douleurs abdominales, mais ces symptômes étaient marqués chez moins de 40 % des patients au début de l’étude.

 

Effets indésirables dans TELOSTAR

Si la proportion de patients présentant des EI liés au traitement sous TE était plus élevée parmi ceux qui recevaient la dose la plus forte (68,9 %) que parmi ceux qui recevaient la dose moindre (33,3 %) ou un placebo (26,7 %), il reste que les EI graves liés au traitement ont été rares dans tous les groupes. Le nombre d’abandons motivés par un EI était en fait plus faible sous TE, peu importe la dose, que sous placebo (6,7 % pour les deux groupes TE vs 13,3 % sous placebo).

Ces données plaident en faveur du TE dans la prise en charge du syndrome carcinoïde associé à une TNE. Elles devraient d’ailleurs être présentées aux autorités réglementaires aux fins d’homologation du TE.

Conclusion

Les essais RADIANT-4 et NETTER-1 nous présentent tous deux d’intéressantes options de traitement pour les TNE et viennent d’emblée étoffer les données concluantes dont nous disposons sur la prise en charge des TNE. Comme nous l’avons précisé plus haut, l’essai RADIANT-4 est le premier essai à avoir montré qu’un traitement pouvait être efficace contre les TNE pulmonaires. En matière de TNE, 2015 aura été une année porteuse d’espoir. 

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