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Évolution rapide des critères du traitement antiplaquettaire optimal dans les syndromes coronariens aigus

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

FRONTIÈRES MÉDICALES - Congrès Transcatheter Cardiovascular Therapeutics 2009

San Francisco, Californie / 22-25 septembre 2009

L’afflux de nouvelles données appelle une redéfinition des stratégies antiplaquettaires optimales recommandées pour la prise en charge des syndromes coronariens aigus (SCA). Toutes les stratégies les plus récentes, y compris le doublement de la dose de clopidogrel, l’utilisation du prasugrel, dernier-né des thiénopyridines, et celle du ticagrelor, antagoniste réversible du récepteur P2Y12 de troisième génération, indiquent que l’intensification de l’activité antiplaquettaire accroît la protection clinique. Les données prospectives les plus récentes nous proviennent d’une analyse secondaire de l’étude PLATO (PLatelet inhibition And PaTient Outcomes) dans le sous-groupe des patients devant subir une intervention coronarienne percutanée (ICP). Comme dans l’analyse principale qui portait sur la population totale de sujets victimes d’un SCA et dont on avait rapporté les résultats un mois plus tôt, le ticagrelor a davantage réduit la mortalité que le clopidogrel. Ce domaine thérapeutique est en plein essor, comme l’attestent une série d’études.

«De nouvelles stratégies permettent un taux d’inhibition plaquettaire encore jamais obtenu et, bien qu’un effet antiplaquettaire plus marqué soit depuis longtemps associé à un risque accru d’hémorragie, nous voyons cette corrélation se démentir avec les nouveaux agents, affirme le Dr George Dangas, directeur, Pharmacologie expérimentale, Cardiovascular Research Foundation, Columbia University, New York. Cela dit, un risque hémorragique accru peut être acceptable en présence d’un SCA lorsque les résultats nets du traitement sont favorables, fait-il remarquer, citant à l’appui de nouvelles données sur la stratégie de doublement de la dose de clopidogrel ainsi que les données d’une analyse récente de l’étude de phase III sur le prasugrel.

Nouvelles données de l’essai PLATO

Les nouvelles données de l’essai PLATO proviennent d’une analyse secondaire prévue au protocole de cette étude de phase III. Premier antagoniste réversible du récepteur P2Y12, le ticagrelor a été comparé au clopidogrel chez des patients hospitalisés pour un SCA avec ou sans sus-décalage du segment ST. Le paramètre principal regroupait les décès d’origine vasculaire, les infarctus du myocarde (IM) et les accidents vasculaires cérébraux (AVC). La nouvelle analyse ciblait uniquement les patients sélectionnés pour une intervention invasive avant la randomisation.

Chez l’ensemble des sujets (n=18 624), le ticagrelor a été associé à une diminution de 16 % du taux de survenue du paramètre principal (taux de risque [HR, pour hazard ratio] de 0,84; IC à 95 % : 0,77-0,92; p<0,001), comparativement au clopidogrel. Chez les 13 408 patients (72 %) qui ont subi une intervention invasive prévue avant la randomisation, on a aussi enregistré une réduction relative de 16 % du taux de survenue du paramètre principal en faveur du nouveau composé (HR de 0,84; IC à 95 % : 0,74-0,94; p<0,0025). Comme dans la population totale de l’étude, cette protection accrue contre des événements vasculaires majeurs ne s’est accompagnée d’aucune augmentation relative des hémorragies importantes.

«Ces résultats montrent que le ticagrelor, un antagoniste des récepteurs P2Y12 plus puissant que le clopidogrel mais réversible, est plus efficace pour la prévention continue des événements ischémiques, des thromboses sur tuteur et de la mortalité sur un an, et ce, sans augmentation des hémorragies majeures», rapporte le Dr Christopher Cannon, Brigham and Women’s Hospital, Harvard Medical School, Boston, Massachusetts. Il s’agit en soi d’un progrès important dans la réduction du risque d’événement thrombotique chez les victimes d’un SCA, mais les résultats les plus impressionnants ont été les réductions de 18 % (p=0,025) de la mortalité cardiovasculaire (CV) et de 19 % de la mortalité totale (p=0,01) (Figure 1). Cela surpasse même d’autres stratégies antiplaquettaires qui se sont révélées plus efficaces que le clopidogrel administré selon un schéma standard.

Figure 1. PLATO : Mortalité totale


«La diminution de la mortalité est un effet profond qu’on n’avait encore jamais observé avec les traitements antiplaquettaires [chez les patients victimes d’un SCA]», note le Dr Stephen D. Wiviott, Brigham and Women’s Hospital. Auteur principal d’une étude majeure dans laquelle le prasugrel a été associé à une protection accrue contre le risque de survenue du même paramètre principal que dans l’essai PLATO, le Dr Wiviott a qualifié ces résultats de «fantastiques» compte tenu de ces réductions probantes de la mortalité.

L’essai TRITON-TIMI 38

Lors de l’essai TRITON-TIMI 38 (Trial to Assess Improvement in Therapeutic Outcomes by Optimizing Platelet Inhibition with Prasugrel - Thrombolysis in Myocardial Infarction 38), le prasugrel a réduit le taux de survenue du paramètre principal de 19 % (HR de 0,81; IC à 95 % : 0,73-0,90; p<0,001) par rapport au clopidogrel, mais le taux d’hémorragies majeures a augmenté et on n’a pas constaté de réduction significative de la mortalité CV ou totale lorsque ces paramètres étaient considérés séparément.

En présentant les données, le Dr Cannon a souligné que la force de l’essai PLATO résidait dans la composition de son effectif, représentatif de la population réelle. Contrairement à l’essai TRITON-TIMI 38 qui regroupait des patients devant subir une ICP, l’étude PLATO était ouverte à pratiquement tous les patients hospitalisés pour un SCA probable. Le délai moyen entre l’apparition des symptômes et la randomisation était de 9 heures pour l’ensemble de la population aussi bien que pour les patients chez qui une intervention invasive était prévue. Les patients étaient admissibles même s’ils avaient déjà reçu du clopidogrel. En fait, 7 % des patients avaient reçu un traitement au long cours par le clopidogrel et 49 % avaient reçu une dose d’attaque d’au moins 300 mg – 600 mg pour le tiers d’entre eux – avant la randomisation.

«Même si cette étude a été conçue il y a plus de quatre ans, un nombre considérable de patients ont reçu 600 mg de clopidogrel, ce qui reflète la pratique actuelle dans de nombreux établissements», indique le Dr Cannon. Lorsqu’on a stratifié les patients en fonction de la dose de clopidogrel déjà reçue, l’avantage relatif associé au ticagrelor est resté constant, que les patients aient reçu 300 ou 600 mg comme dose d’attaque. Bien que l’avantage conféré par le composé novateur soit demeuré en deçà du seuil de significativité statistique pour la dose la plus élevée en raison d’un intervalle de confiance plus grand, la réduction relative du taux de survenue du paramètre principal qu’il a autorisée en comparaison du clopidogrel était de 17 % pour la dose d’attaque de 600 mg de clopidogrel et de 15 % pour la dose de 300 mg (Figure 2).

Figure 2. PLATO : Paramètre d’efficacité principal selon
de clopidogrel reçue

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Parmi les patients de l’essai PLATO chez qui une intervention invasive était prévue, 97 % ont subi une coronarographie et 77 % ont subi l’ICP durant l’hospitalisation de référence. À peu près les deux tiers des patients devant subir une intervention invasive présentaient un IM avec sus-décalage du segment ST (IM ST+) au moment de l’admission, comparativement à environ le tiers de la population totale. Le taux d’ICP était plus élevé en présence d’un sus-décalage du segment ST qu’en l’absence de cette variable (83,2 % vs 63,8 %), bien que la majorité des patients aient subi une ICP dans les deux groupes. Chez les patients soumis à une ICP, le ticagrelor a réduit le taux de thromboses sur tuteur; plus précisément, la réduction s’établissait de la façon suivante selon la stratification des thromboses : 38 % (p=0,003) pour les thromboses prouvées, 28 % (p=0,01) pour les thromboses prouvées ou probables et 28 % (p=0,003) pour les thromboses prouvées, probables ou possibles. Concernant ce résultat de même que les résultats relatifs au paramètre principal, il est remarquable que les courbes en faveur du ticagrelor aient continué de diverger durant les 12 mois du suivi, ce qui témoigne d’un avantage persistant et précoce.

La dyspnée était l’effet indésirable le plus important : elle a été signalée par 15,4 % des patients sous ticagrelor vs 10,4 % (p<0,001) des patients sous clopidogrel. Cependant, les abandons motivés par cet effet indésirable ont été rares dans les deux groupes (0,9 % vs 0,3 %; p<0,001). Le taux d’hémorragies majeures était soit identique dans les deux groupes (8 %), soit inférieur dans le groupe traité par le nouvel antagoniste du récepteur P2Y12 (11,5 % vs 11,6 %), selon que l’analyse de ce paramètre était fondée sur les critères TIMI ou sur la définition prévue au protocole. La différence entre les deux groupes était également négligeable quant aux taux de transfusions d’érythrocytes (8,9 % vs 8,8 %), d’hémorragies potentiellement mortelles ou mortelles (6,0 % vs 5,9 %) et d’hémorragies mortelles (0,2 % vs 0,3 %) (Figure 3). Après stratification des hémorragies selon le siège anatomique, le taux d’hémorragies majeures reliées à un pontage aorto-coronarien est apparu plus élevé sous clopidogrel (7,5 % vs 6,8 %), mais le taux d’hémorragies majeures non reliées à un pontage aorto-coronarien était à l’inverse plus élevé sous ticagrelor (4,7 % vs 4,1 %), si bien qu’on ne notait aucune différence pou
ragies majeures.

Figure 3. PLATO : Hémorragies majeures totales

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La principale différence entre l’antagoniste du récepteur P2Y12 dans l’essai PLATO et le prasugrel dans l’essai TRITON-TIMI 38 tenait au risque d’hémorragie. Comparativement au clopidogrel administré à la posologie standard (300/75 mg), le prasugrel était associé à des taux plus élevés d’hémorragies majeures (2,4 % vs 1,8 %; p=0,03), d’hémorragies menaçant le pronostic vital (1,4 % vs 0,9 %; p=0,01) et d’hémorragies mortelles (0,4 % vs 0,1 %; p=0,002). Cela dit, des données récentes corroborent la conclusion initiale des investigateurs selon laquelle l’exposition du patient à un risque accru d’hémorragie est justifiée par la réduction des événements, en particulier si on exclut les patients moins susceptibles de bénéficier du traitement, par exemple ceux qui pèsent moins de 60 kg, sont âgés de plus de 75 ans ou ont déjà eu un AVC.

Une nouvelle analyse a démontré l’efficience du prasugrel même lorsque les calculs tenaient compte de l’arrivée d’une préparation générique du clopidogrel (prévue pour 2011). «Comparé au clopidogrel, le prasugrel présente un très bon rapport coût-efficacité et s’avère même plus économique chez certains patients. La comparaison avec le clopidogrel générique [à un coût prévisionnel de 1 $US/jour] faisait ressortir des économies de coût durant les 30 premiers jours. Même si les coûts devenaient plus élevés par la suite, le prasugrel continuait de présenter un rapport coût-efficacité raisonnable», signale le Dr David Cohen, Mid-America Cardiovascular Institute, St. Luke’s Hospital, Kansas City, Missouri. Les économies étaient surtout attribuables à la réduction du nombre de nouvelles hospitalisations et de nouvelles ICP associée au prasugrel par rapport au clopidogrel lors de l’étude TRITON-TIMI 38, précise-t-il.

L’essai CURRENT OASIS 7

Un problème pratique – à savoir la sélection des patients au moment de l’hospitalisation – entache cependant les résultats favorables du traitement par le prasugrel et par le clopidogrel à double dose, stratégie également associée, dans un essai randomisé, à des avantages relatifs par rapport au clopidogrel à dose standard.

Les nouvelles données issues de l’étude CURRENT OASIS 7 (Clopidogrel Optimal Loading Dose Usage to Reduce Recurrent Events/Optimal Antiplatelet Strategy for Interventions) et présentées au congrès indiquent que l’avantage associé au doublement de la dose de clopidogrel (dose d’attaque de 600 mg suivie d’une dose d’entretien de 150 mg) par rapport à l’utilisation de la dose standard (dose d’attaque de 300 mg suivie d’une dose d’entretien de 75 mg) au cours des 7 premiers jours se limitait aux IM ST+. Ainsi, dans la cohorte totale (n=25 087), le doublement de la dose n’a pas diminué le taux de survenue du paramètre principal regroupant les décès, les IM et les AVC, bien qu’on doive par ailleurs souligner que ce schéma n’a pas augmenté le nombre d’hémorragies. La nouvelle analyse qui cible uniquement les patients ayant subi une ICP montre, elle, une réduction relative de 13 % (p=0,036) du taux de survenue du paramètre principal et une réduction relative de 46 % (p=0,006) du taux de thromboses sur tuteur en faveur du clopidogrel à double dose.

«Chez les patients IM ST+ traités par une ICP, le clopidogrel administré à double dose pendant 7 jours a systématiquement réduit les événements ischémiques et les thromboses sur tuteur sans accroître le risque d’hémorragie sévère ou majeure», note le Dr Shamir Mehta, Département de cardiologie, McMaster University, Hamilton, Ontario. Il ajoute que cet avantage a été observé sans égard au type de tuteur employé, pharmacoactif ou inerte.

Néanmoins, au moment de l’hospitalisation, il n’est pas toujours clair si, oui ou non, le patient devra subir une ICP. S’il n’y a apparemment pas d’inconvénient à doubler la dose de clopidogrel mis à part une modeste augmentation des coûts lorsque le patient ne subit pas d’ICP, le risque accru d’hémorragie associé au prasugrel en fait un choix plus problématique. Plusieurs experts, dont les Drs Martin Leon, directeur associé, Cardiovascular Research Foundation, Columbia University, New York, et Marc Sabatine, Brigham and Women’s Hospital, ont fait état de la difficulté, dans leur établissement, d’en arriver à un consensus sur la façon dont on devrait intégrer le prasugrel dans la prise en charge des SCA.

«Dans le contexte de la prise en charge d’un SCA peu après l’arrivée du patient à l’hôpital et des décisions rapides que cela implique, il est fréquent que les antécédents d’AVC ne soient pas bien connus, sans compter qu’il est souvent difficile de décider d’amorcer un traitement par le prasugrel lorsqu’on ne sait pas encore si une ICP sera pratiquée», explique le Dr Leon.

Bien que de nombreux experts, dont le Dr Cannon, s’accordent à dire que l’individualisation du traitement antiplaquettaire s’accentuera sans doute à mesure que les options se multiplieront, il demeurera important de concevoir des protocoles relativement simples afin d’accélérer la mise en route de traitements efficaces. De tels protocoles seront essentiels à l’application pratique des thérapeutiques plus nombreuses qui s’offriront au clinicien pour la prévention des événements thrombotiques.

Traitement concomitant par un IPP

Dans un autre ordre d’idées, la question de l’interaction avec les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) est désormais résolue. Faisant suite à une série d’études rétrospectives et de tests d’agrégation plaquettaire ex vivo dont les données laissaient supposer une association entre l’utilisation d’un IPP et une diminution de l’efficacité du clopidogrel et peut-être d’autres thiénopyridines, une étude prospective randomisée a montré l’équivalence des courbes de survie chez les patients sous IPP et clopidogrel et les patients sous placebo et clopidogrel. Comme l’indique l’investigateur principal, le Dr Deepak Bhatt, Brigham and Women’s Hospital, le taux de risque d’événement était légèrement plus élevé dans le groupe placebo que dans le groupe IPP, mais cet écart n’était pas significatif sur le plan statistique (HR de 1,02; IC à 95 % : 0,70-1,51).

«Ces données illustrent une fois de plus l’importance cruciale des essais prospectifs randomisés», confirme le Dr Cannon, ajoutant que ces résultats invalident et annulent la preuve antérieure d’une diminution de l’effet bénéfique des antiplaquettaires chez les patients sous IPP.

Résumé

La norme en matière de traitement antiplaquettaire lors d’un SCA connaît une évolution rapide sous l’impulsion de nouvelles données. Globalement, les données montrent que la posologie standard du clopidogrel – établie à 300 mg pour la dose d’attaque et à 75 mg pour la dose d’entretien – n’est pas optimale pour la réduction du risque d’événement CV chez les patients hospitalisés pour un SCA, en particulier chez ceux qui sont traités par une ICP. Dans des populations légèrement différentes de patients victimes d’un SCA, cette norme a été moins efficace que le clopidogrel à double dose, que le prasugrel, nouvelle thiénopyridine, et que le ticagrelor, antagoniste du récepteur P2Y12 de troisième génération. Qui plus est, ces nouvelles options n’ont pas toutes augmenté le risque d’hémorragie, ce qui dénote une corrélation imparfaite entre effet antithrombotique et risque hémorragique. Ces études récentes auront des retombées certaines sur les recommandations de pratique clinique.

Nota: Au moment de la mise sous presse, le prasugrel et le ticagrelor n’étaient pas commercialisés au Canada.

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