Comptes rendus

Épidémiologie changeante des infections à gram positif
Prise en charge des trois principales conséquences de l’hypertrophie bénigne de la prostate

L’apport de la baisse des LDL au bénéfice clinique à la lumière des résultats de l’étude ENHANCE

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

LE FORUM CARDIOLOGIE

mai 2008

Commentaire éditorial :

Daniel Gaudet, MD, PhD, Professeur titulaire de médecine, Université de Montréal, Montréal (Québec)

Les résultats de l’étude ENHANCE publiés récemment n’ont pas été à la hauteur des attentes. Cette étude – qui a été réalisée chez des patients atteints d’hypercholestérolémie familiale, prédisposition génétique à l’hypercholestérolémie relativement rare – a révélé que la baisse supplémentaire des taux plasmatiques de LDL résultant de l’ajout de l’ézétimibe, inhibiteur de l’absorption du cholestérol, à une statine, par rapport à une statine seule, ne se traduisait pas par une régression plus marquée de l’épaisseur intima-média des artères carotides et fémorales. Les retombées cliniques de ce résultat ne sont pas claires. Cela dit, cette étude portait sur un marqueur de substitution du bénéfice résultant d’un traitement hypolipidémiant et ne devrait changer en rien les efforts actuellement déployés pour atteindre chez nos patients les taux cibles de C-LDL maintes fois confirmés depuis quelques décennies par des études dont les critères de jugement étaient des événements cliniques.

L’étude ENHANCE (Ezetimibe and Simvastatin in Hypercholesterolemia Enhances Atherosclerosis Regression) n’a pas été conçue pour modifier la prise en charge clinique des dyslipidémies au Canada et n’est d’ailleurs pas dotée de la puissance statistique nécessaire pour le faire. Cette étude visait à évaluer un marqueur de substitution dans un sous-groupe de patients exposés à un risque élevé du fait de leur prédisposition familiale à l’hyperlipidémie, et la majorité des sujets recevaient un traitement hypolipidémiant intensif depuis plusieurs années déjà au moment de leur admission à l’étude. D’un point de vue clinique, il s’agit là d’un progrès encourageant, car on s’emploie activement depuis une trentaine d’années à abaisser énergiquement le taux de C-LDL chez les patients atteints d’hypercholestérolémie familiale en faisant appel à différentes stratégies de traitement, seules ou en association. Au nombre des stratégies figurent un changement rigoureux de l’alimentation et des habitudes de vie, la dérivation iléale, la plasmaphérèse et l’administration d’un chélateur des acides biliaires, d’un fibrate, d’une statine et/ou d’un inhibiteur de l’absorption du cholestérol. Ainsi, comparativement à ce que l’on observait dans les années 1970 et 1980, les patients atteints d’hypercholestérolémie familiale vivent maintenant beaucoup mieux et beaucoup plus longtemps.

Il importe par ailleurs de souligner que l’épaisseur intima-média (EIM) initiale moyenne des carotides chez les sujets de l’étude ENHANCE était plus faible que prévu et que l’EIM généralement observée dans les études réalisées chez des patients atteints d’hypercholestérolémie familiale. Cette particularité pourrait avoir influé sur les résultats de l’étude, mais elle illustre aussi par la bande les bienfaits cliniques du traitement antérieur. Ainsi, bien que des études passées aient mis en évidence un lien entre l’ampleur de la baisse du taux de C-LDL et la variation de divers marqueurs de substitution de la progression de l’athérosclérose, on ne peut pas présumer que l’absence de régression traduise une absence d’effet clinique. Par exemple, diverses études ont déjà établi que l‘instabilité d’une plaque est un prédicteur d’événement thrombotique de loin plus important que la taille de cette même plaque. Les paramètres de substitution sont souvent trompeurs et soulignent l’importance primordiale de mesurer l’effet du traitement évalué sur les événements. Notre expérience auprès des patients atteints d’hypercholestérolémie familiale homozygote, forme d’hypercholestérolémie extrêmement sévère (et plus aiguë que celle dont souffraient les sujets de l’étude ENHANCE), nous a montré que même en présence d’une EIM très élevée et d’athérosclérose très sévère, il est possible de prolonger la survie et de réduire l’incidence des événements coronariens en abaissant le taux de C-LDL de façon continue. Certes, une étude en cours nous permettra d’évaluer l’effet de l’ézétimibe sur les événements cliniques, mais nous avons déjà un vaste corpus de données à l’appui des taux cibles de C-LDL actuellement recommandés, lesquels demeurent d’ailleurs inchangés à la suite de l’étude ENHANCE.

Il serait pertinent d’explorer les résultats de l’étude ENHANCE plus à fond et de les comparer avec ceux d’autres études de régression réalisées chez des patients atteints d’hypercholestérolémie familiale. Dans le cadre de l’étude ENHANCE, qui regroupait 720 patients atteints de ce trouble, on a eu recours à l’échographie en mode B pour mesurer la variation de l’EIM carotidienne (EIMc) sous l’effet d’un traitement attribué aléatoirement, soit 80 mg de simvastatine en monothérapie, soit l’association de 80 mg de simvastatine et de 10 mg d’ézétimibe (Kastelein et al. N Engl J Med 2008;358[14]:1431-43). Comme pouvaient le laisser prévoir les études antérieures sur l’ézétimibe, qui inhibe l’absorption du cholestérol alimentaire par l’intestin grêle, le traitement d’association a donné lieu à une baisse médiane du taux de LDL de 16,5 % par rapport à la statine en monothérapie (3,65 mmol/L vs 4,98 mmol/L; p<0,01). En outre, on a observé sous l’effet du traitement d’association – par rapport à la statine en monothérapie – une baisse relative supplémentaire de 25,7 % du taux de protéine C-réactive ultrasensible (hs-CRP) et de 6,6 % du taux de triglycérides (p<0,01).

Compte tenu de cette baisse relative substantielle du taux de LDL, on se serait attendu à une régression de l’EIM des artères principales. Une étude similaire menée par la même équipe de chercheurs, qui portait elle aussi sur des patients atteints d’hypercholestérolémie familiale, avait déjà associé des baisses plus marquées du taux de LDL à une réduction de l’EIMc (Smilde et al. Lancet 2001;357[9256]:577-81). Lors de l’étude ASAP (Atorvastatin vs. Simvastatin on Atherosclerosis Progression), l’EIM a effectivement régressé d’une médiane de 0,031 mm par rapport à l’EIM initiale (p=0,0017) dans le groupe atorvastatine à 80 mg alors qu’elle a augmenté d’une médiane de 0,036 mm (p=0,0005) dans le groupe simvastatine à 40 mg. Cependant, cette étude a aussi révélé que l’effet s’estompait avec le temps; en effet, lors de la phase de prolongation, chez les patients qui recevaient le traitement hypolipidémiant énergique, la régression de l’EIM a chuté à 0,005 mm par année après avoir atteint 0,015 mm les deux premières années (van Wissen et al. Am J Cardiol 2005;95[2]:264-6).

Figure 1. ENHANCE : baisses des taux de C-LDL


Plus de 80 % des sujets admis à l’étude ENHANCE avaient déjà reçu une statine. Pendant la période préliminaire de l’étude, tous les patients ont reçu un placebo plutôt que leur traitement hypolipidémiant habituel, et leur taux initial de C-LDL a alors grimpé à plus de 8,0 mmol/L, ce qui a confirmé qu‘ils souffraient d’hypercholestérolémie en l’absence de traitement. Au terme de l’étude, on n’a pas observé de différence significative (p=0,29) entre les deux groupes quant au paramètre principal, qui était la variation de l’EIMc, malgré la baisse plus marquée des taux lipidiques sous l’effet du traitement d’association. S’il est vrai que ce résultat a infirmé l’hypothèse première de l’étude, à savoir qu’une baisse plus marquée des taux lipidiques sous ézétimibe se traduirait par une variation favorable de l’EIM, il importe de souligner que ni l’une ni l’autre des stratégies de traitement ne s’est traduite par une régression. L’étude ENHANCE diffère en cela de l’étude ASAP, lors de laquelle le traitement énergique a permis une régression chez des patients atteints d’hypercholestérolémie familiale.

Comme ENHANCE n’était pas une étude dotée de paramètres cliniques, on ignore si ses résultats ont des retombées sur la prévention d’événements cliniques. De nombreuses données semblent indiquer qu’il est plus important de stabiliser les plaques que d’en stopper l’expansion. Bien qu’une corrélation ait été établie entre, d’une part, les doses du traitement hypolipidémiant ayant permis de stabiliser ou de faire régresser les plaques d’athérosclérose lors d’études reposant sur l’échographie en mode B et l’échographie endovasculaire et, d’autre part, un bénéfice lors d’études visant à quantifier les événements cliniques, le lien pourrait être plus complexe qu’on le pensait. Par exemple, la régression – qui représente néanmoins un critère initial de stabilisation des plaques – pourrait perdre de sa pertinence chez les patients traités plus énergiquement lorsque les composantes de la plaque, comme la chape fibreuse, ont un contenu lipidique moindre et ont moins de chances de régresser sous l’effet d’un traitement hypolipidémiant. Comme l’avaient laissé entrevoir la prolongation de l’étude ASAP et d’autres études, les possibilités de régression des plaques pourraient être limitées.

Figu
s des taux de hs-CRP

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Plusieurs hypothèses ont vu le jour après la publication des résultats des études ENHANCE, ASAP, RADIANCE-1 (Rating Atherosclerotic Disease Change by Imaging with a New CETP Inhibitor trial) et d’autres études encore où l’on s’est servi de techniques d‘imagerie pour évaluer l’effet du traitement hypolipidémiant sur l’athérosclérose chez des sujets atteints d’hypercholestérolémie familiale. Ces études nous ont aidés à comprendre les mécanismes de la maladie, mais elles ne peuvent pas se substituer à des études où l’on compare des stratégies de traitement quant à leur effet sur l’issue clinique. C’est sur la foi de telles études avec paramètres cliniques que sont rédigées les lignes directrices factuelles. Des données issues de vastes études cumulées sur plus de 25 ans ont ainsi permis de redéfinir les taux cibles de C-LDL en prévention secondaire et primaire. Au Canada, on recommande actuellement un taux cible de C-LDL <2,0 mmol/L chez les patients à risque élevé, c’est-à-dire les patients souffrant d’athérosclérose (ou de diabète) ou ayant un risque de maladie coronarienne sur 10 ans qui se chiffre à plus de 20 %.

Les résultats de l’étude ENHANCE n’ont en rien modifié les taux cibles ou les stratégies préconisées pour les atteindre. Au Canada, les statines ont été et demeurent le traitement médicamenteux de premier recours chez les patients qui ne peuvent pas atteindre ces taux cibles en modifiant leurs habitudes de vie. Dans les cas où la dose maximale tolérée d’une statine ne permet pas non plus d’atteindre le taux cible, un traitement d’appoint – y compris l’ézétimibe – est approprié. Bien que nous n’ayons pas encore les données nécessaires pour confirmer que l’ézétimibe réduit le risque d’événement lorsqu’on l’ajoute à une statine pour abaisser davantage le taux de C-LDL, d’abondantes données étayent la pertinence des taux cibles de C-LDL. En effet, on n’a toujours pas atteint le taux de C-LDL en deçà duquel on n’observe aucun bénéfice clinique supplémentaire chez les patients à risque élevé, mais il semble que ce taux soit inférieur au taux actuellement recommandé.

Il importe ici de souligner que l’étude IMPROVEIT (Improved Reduction of Outcomes: Vytorin Efficacy International Trial) a été conçue pour générer les données dont on a besoin pour confirmer que le traitement par l’ézétimibe se traduit par un bénéfice clinique proportionnel à la baisse supplémentaire du taux de C-LDL qu’il autorise. Dans le cadre de cette étude multicentrique, 18 000 sujets à risque élevé ont été randomisés de façon à recevoir soit 10 mg d’ézétimibe plus 40 mg de simvastatine, soit 40 mg de simvastatine seulement. Plus de la moitié de l’effectif visé a été recrutée à ce jour. Le paramètre principal mixte regroupe la mort, l’infarctus du myocarde, la réhospitalisation pour un syndrome coronarien aigu ou une intervention de revascularisation (dans un délai d’au moins 30 jours après l’événement de référence).

D’ici à ce que l’étude IMPROVE-IT soit terminée, les données sur l’apport d‘une baisse du taux de C-LDL à la réduction du risque étayent majoritairement l’utilisation de l’ézétimibe comme traitement d’appoint lorsqu’une statine ne permet pas à elle seule d’atteindre les taux cibles actuels. L’ézétimibe s’est révélé efficace pour abaisser à la fois le taux de LDL et le taux de hs-CRP, marqueur de l’inflammation que l’on évalue à titre de facteur de risque cardiovasculaire potentiellement modifiable. Fait peut-être encore plus important, l’inhibiteur de l’absorption du cholestérol est capable d’augmenter la proportion de patients atteignant leur taux cible par comparaison à une statine administrée seule. En outre, il est bien toléré, ce qui constitue une variable critique dans une équation où l’on soupèse le bénéfice éventuel en regard du risque éventuel. C’est donc dire que, dans un contexte où l’hypothèse des lipides est solidement étoffée, le bénéfice substantiel éventuel de l’ézétimibe n’est pas amoindri considérablement par une mauvaise tolérabilité.

Les résultats de l’étude ENHANCE n’ont pas de retombées cliniques immédiates au Canada, car les lignes directrices précisent clairement l’importance d’optimiser le traitement par une statine avant de songer à un traitement d’appoint pour atteindre le taux cible de C-LDL. Ils ont par contre de profondes répercussions aux États-Unis, où les cliniciens prescrivent souvent de l’ézétimibe pour éviter la dose maximale d’une statine. Une étude sur les tendances de l’utilisation de l’ézétimibe a révélé que le taux de prescription d’une statine en association avec l’ézétimibe – ajusté en fonction de la population – était en 2006 près de cinq fois plus élevé aux États- Unis qu’au Canada (15,2 % vs 3,4 %) (Jackevicius et al. N Engl J Med 2008;358[17]:1819-28). Cette différence entre les deux pays tient probablement à la commercialisation aux États-Unis d’un comprimé qui renferme à la fois une statine à dose relativement faible et de l’ézétimibe et qui encourage cette pratique. Ce comprimé « deux en un » n’est pas commercialisé au Canada.

Le caractère imprévisible des essais cliniques souligne l’importance de la médecine factuelle. Même si les résultats de l’étude ENHANCE en ont surpris plus d’un, il ne faut pas les interpréter à outrance. ENHANCE était une étude d’assez petite envergure qui a été réalisée dans un sous-groupe bien circonscrit de patients hypercholestérolémiques, et elle ne réfute pas l’imposant corpus de données confirmant l’importance d’un traitement hypolipidémiant énergique chez les patients à risque élevé. Il faudra bien sûr prouver que l’ézétimibe améliore l’issue clinique dans cette population, mais l’étude ENHANCE ne modifie pas pour autant les objectifs du traitement.

Résumé

En tant que paramètre de substitution, la régression de l’EIM est une preuve valable de l’activité des hypolipidémiants. Lors de l’étude ENHANCE, le traitement hypolipidémiant énergique – qui était comparé à un traitement hypolipidémiant moins énergique – n’a pas réussi à modifier ce paramètre de substitution. Si ce résultat est venu ajouter à nos connaissances un élément d’information potentiellement important sur la dynamique de l’athérosclérose, on ignore toujours s’il a des retombées cliniques. Depuis la fin des années 1970, le corpus grandissant de données a fait la preuve des avantages d’une baisse du taux de C-LDL pour la prise en charge du risque et l’issue clinique. Il n’est pas raisonnable de conclure que la baisse supplémentaire des taux lipidiques observée dans cette étude ne se traduit pas par un bénéfice clinique du fait que ce marqueur de substitution n’a pas varié. Des essais dotés de paramètres cliniques s’imposent. Les résultats de l’étude ENHANCE ne modifient en rien les lignes directrices ou les stratégies actuellement recommandées.

questions et réponses

Groupe d’experts

David Fitchett, MD, FRCPC, Division de cardiologie, St. Michael’s Hospital

Jean Grégoire, MD, CSPQ, FRCPC, Responsable de la clinique externe, Institut de cardiologie de Montréal

Eva M. Lonn, MD, FRCPC, FACC, Division de cardiologie préventive, Hamilton Health Sciences Centre

G.B. John Mancini, MD, FRCPC, FACC, Division de cardiologie, Vancouver Hospital & Health Sciences Centre

L’épaisseur intima-média carotidienne (EIMc) est-elle un critère de jugement approprié pour une étude? S’agit-il d’un critère de substitution valable pour juger de l’efficacité clinique d’un agent?

Dr Grégoire : Les études axées sur la mesure de l’EIMc nous ont permis de comprendre le mécanisme des hypolipidémiants, mais elles ne peuvent pas se substituer aux essais cliniques dans lesquels on mesure l’effet du traitement sur l’issue clinique. Il y a quelques années, les auteurs de l’étude ENHANCE (Ezetimibe and Simvastatin in Hypercholesterolemia Enhances Atherosclerosis Regression) ont publié les résultats d’une étude similaire intitulée ASAP (Atorvastatin vs. Simvastatin on Atherosclerosis Progression), et le traitement hypolipidémiant à forte dose a été associé à une diminution de l’EIMc, mais cette étude n’est pas plus pertinente d’un point de vue clinique pour autant. La mesure de l‘EIMc peut contribuer à expliquer les résultats cliniques ou justifier la tenue d’un essai clinique, mais elle ne peut pas en soi dicter les décisions cliniques.

Dr Mancini : Les études axées sur la mesure de l’EIMc montrant qu’un traitement médicamenteux peut modifier la progression de l’athérosclérose sont évidemment très rassurantes, mais c’est un outil dont on se sert pour évaluer le mécanisme qui sous-tend l’effet bénéfique d’un médicament. Ce n’est pas la preuve irréfutable d’un bénéfice clinique. L‘EIMc est un critère de substitution valable, mais ce n’est qu’un critère de substitution et elle ne témoigne pas d’une évolution de l’issue clinique.

Dr Fitchett : L’EIMc, le taux de C-LDL et la tension artérielle sont imbriqués. Les essais cliniques qui visaient à abaisser le taux de C-LDL ont mis en évidence une régression ou une progression moindre de l’EIMc par rapport à un placebo ou à une diminution moins marquée du taux de C-LDL. Cela dit, aucun essai clinique n’a établi de lien direct entre une diminution de l’EIMc et une diminution des événements cliniques. Il importe de reconnaître que l’EIMc est un paramètre de substitution de l’athérosclérose. Par conséquent, les études qui visent à déterminer l’effet d‘un traitement médicamenteux sur l’EIMc ne doivent pas nous amener à utiliser ce traitement différemment pour modifier des paramètres cliniques clés.

Dre Lonn : L’EIMc est un paramètre intermédiaire. Bien qu’elle ait été validée à maintes reprises, son rôle consiste à mesurer les effets biologiques des nouveaux agents. Rien ne peut remplacer les paramètres cliniques pour confirmer le bénéfice du traitement. La mesure de l’EIMc ne peut pas se substituer aux études d’efficacité dont l’objectif est de déterminer si un médicament est utile pour prévenir un événement.

Pourquoi, à votre avis, l’étude ENHANCE n’a-t-elle pas objectivé de variation significative de l’EIMc entre le début et la fin de l’étude et entre les deux groupes de traitement? Et comment peut-on expliquer que les résultats de l’étude ENHANCE diffèrent de ceux des études ASAP et METEOR?

Dr Fitchett : Trois phénomènes pourraient expliquer que l’étude ENHANCE n’ait pas réussi à objectiver de diminution de l’EIMc sous l’effet de l’ézétimibe malgré la baisse plus marquée du taux de LDL. En premier lieu, la méthode n’était pas suffisamment sensible pour que de légères variations de l’EIMc puissent être mises en évidence. Cela dit, comme l’écart-type de l’imagerie numérique dans l’étude ENHANCE était le quart de celui des études antérieures comme ASAP, cette explication est peu probable. En deuxième lieu, il se pourrait que l’ajout de l’ézétimibe n’exerce pas d’effet antiathérogène. En troisième lieu, les sujets de l’étude ENHANCE avaient déjà reçu une statine à forte dose avant d’être admis à l’étude, si bien que leur EIMc avait déjà été réduite au maximum. Lors de l’étude ASAP, dont les sujets présentaient aussi une hypercholestérolémie familiale, la médiane initiale de l’EIMc se chiffrait à 0,93 mm vs 0,68 mm pour l’étude ENHANCE. Lors de l’étude METEOR (Measuring Effects on intima media Thickness: an Evaluation of Rosuvastatin), les sujets devaient présenter une EIMc initiale >1,2 mm. Peut-être les sujets de l’étude ENHANCE présentaient-ils déjà une EIMc réduite au maximum au moment de leur admission. La prolongation de l’étude ASAP a déjà confirmé cette théorie, le traitement hypolipidémiant énergique n’ayant donné lieu à aucune régression supplémentaire après les deux premières années.

Dr Mancini : L’absence de diminution tient probablement à une combinaison de facteurs, mais je ne pense pas, comme d’autres l’ont laissé entendre, que la technique de mesure de l’EIMc du laboratoire soit en cause. Il me semble toutefois important que la majorité des sujets de l’étude ENHANCE recevaient déjà une statine à forte dose avant leur admission à l’étude. La probabilité d’une régression supplémentaire était peutêtre moindre. De plus, même si l’ézétimibe a donné lieu à une baisse supplémentaire de 16,5 % du taux de LDL, ce qui était prévisible compte tenu de la dose administrée, c’est beaucoup moins que la baisse de 40 % ou plus observée sous l’effet d’un traitement initial par une statine à forte dose. On ne devrait pas s’attendre pas à une amélioration de même ampleur que dans les études de régression où une statine à forte dose est administrée à des patients qui n’ont encore jamais été traités.

Dre Lonn : L’argument le plus plausible est que 80 % des sujets de l’étude ENHANCE avaient déjà reçu une statine. On ne sait pas quels étaient vraiment leurs taux initiaux de cholestérol. Dans leur publication, les auteurs présentent les taux de cholestérol enregistrés après un court congé thérapeutique. Le congé thérapeutique a été de durée suffisante pour faire augmenter temporairement les taux lipidiques, mais pas pour altérer la paroi vasculaire. Cela explique que l’EIMc initiale ait été plus faible que ce à quoi on s’attendait. Il aurait fallu que le congé thérapeutique dure au moins deux ans pour que l’EIMc revienne à ce qu’elle était avant le début du traitement par une statine. Compte tenu de la légère anomalie de l’EIMc au départ, l’étude n’avait pas la puissance statistique nécessaire pour mettre une différence au jour. Cela n’exclut pas la possibilité que l’ézétimibe ait été inefficace pour faire régresser l’EIMc malgré la baisse du taux de LDL, mais on ne peut pas juger des effets de l’ézétimibe à partir de l’étude ENHANCE.

Dr Grégoire : Je crois que la comparaison des études ENHANCE et ASAP est fort appropriée, parce qu’elles ont toutes deux été réalisées par la même équipe de chercheurs et qu’elles portaient toutes deux sur la même population particulière de patients. La principale différence est que l’EIMc initiale des sujets de l’étude ENHANCE n’était pas très anormale alors que celle des sujets de l’étude ASAP l’était. Il était dès lors difficile de faire ressortir quelque régression que ce soit. Dans l’étude METEOR, pour prendre un autre exemple, les sujets devaient présenter une EIMc initiale plus élevée, ce qui augmentait la probabilité d’une régression plus marquée.

L’arrêt prématuré récent de l’essai JUPITER montre pour la première fois qu’il est également important d’abaisser le taux de protéine C-réactive ultrasensible (hs-CRP). La baisse du taux de hs-CRP associée à l’ézétimibe est-elle rassurante quant à l’effet bénéfique éventuel d’un traitement d’association hypolipidémiant intensif comportant de l’ézétimibe?

Dr Mancini : Selon les données cumulées à ce jour, la hs-CRP est une cible extrêmement intéressante. L’essai JUPITER semble démontrer qu’un traitement abaissant le taux de hs-CRP réduit aussi le risque d’événement clinique, mais comme l’étude n’est pas encore publiée, on ne peut pas encore tirer de conclusions. Les données prouvant que l’ézétimibe abaisse le taux de hs-CRP semblent indiquer qu‘un autre mécanisme pourrait sous-tendre le bénéfice clinique, mais le taux de hs-CRP est un marqueur de substitution de l’inflammation. Nous avons encore un peu de chemin à parcourir avant d‘affirmer qu’une baisse du taux de hs-CRP se traduit directement par une diminution du risque clinique.

Dre Lonn : Il serait prématuré de se perdre en conjectures au sujet de l’essai JUPITER avant la publication de ses résultats. Pour l’instant, à l’exception peut-être des syndromes coronariens aigus, on dispose de peu de données montrant qu’une baisse du taux de hs-CRP annonce une diminution des événements cliniques. JUPITER pourrait changer la donne, mais nous devons attendre l’analyse complète des données avant de nous prononcer.

Dr Fitchett : Les sujets de l’essai JUPITER – qui étaient exposés à un risque intermédiaire d‘événement cardiovasculaire (CV) et qui présentaient un taux élevé de hs-CRP – ont reçu de la rosuvastatine ou un placebo. L’essai a pris fin prématurément en raison des bienfaits du traitement actif. Il faut toutefois attendre la publication des résultats avant de les commenter davantage. Une méta-analyse a récemment révélé que, chez les patients traités, la baisse du taux de hs-CRP est liée à la baisse du taux de C-LDL et non à un effet pléiotrope des statines. L’étude ENHANCE appuie cette conclusion en montrant que les statines ne sont pas seules à abaisser le taux de hs-CRP. Lors de l’étude ENHANCE, l’association de l’ézétimibe et de la simvastatine a réduit le taux de hs-CRP de 25,7 % par rapport à la statine en monothérapie.

Dr Grégoire : La hs-CRP étant un marqueur non spécifique de l’inflammation, nous devons analyser avec beaucoup de prudence l’effet du taux de hs-CRP sur la probabilité d’événements cliniques. Nous avons besoin de plus de données pour distinguer l’effet sur le taux de hs-CRP d’avec l’effet sur le taux de LDL. Bien que les résultats de l’essai JUPITER semblent favorables, il est essentiel que nous attendions leur publication afin de mieux cerner le rôle de la hs-CRP en prévention primaire. Nous envisageons avec enthousiasme la possibilité que des médicaments qui abaissent les taux de hs-CRP et de LDL confèrent une plus grande protection que les médicaments abaissant uniquement le taux de LDL. Cela dit, je ne pense pas que nous en ayons la preuve pour l’instant.

Les résultats de l’étude ENHANCE remettent-ils en question l’importance d’abaisser le taux de C-LDL? Devrions-nous continuer de viser un taux <2,0 mmol/L chez les patients à risque élevé? Croyezvous que la façon dont le taux de C-LDL est abaissé fasse une différence?

Dre Lonn : L’étude ENHANCE n’a absolument aucun retentissement sur l’hypothèse des LDL. Elle consistait notamment à mesurer un paramètre intermédiaire chez 720 patients atteints d’hypercholestérolémie familiale. L’hypothèse des LDL est fondée sur des milliers de sujets de multiples essais qui remontent à plus de 10 ans. Nous savons qu’il est primordial d’abaisser le taux de LDL pour réduire le risque. Les résultats de l’étude ENHANCE ne devraient pas amener les cliniciens à déroger des taux cibles en vigueur.

Dr Grégoire : Si nous préconisons de toujours atteindre les taux cibles établis, c’est que nous avons des données très probantes à l’appui. ENHANCE ne devrait pas avoir d’effet sur notre interprétation de l’hypothèse des LDL ni sur nos stratégies actuelles de traitement pour atteindre les taux cibles, qui consistent entre autres à prescrire de l’ézétimibe si la dose maximale tolérée d’une statine ne permet pas d’atteindre les taux cibles.

Dr Mancini : Je crains que les cliniciens voient dans les résultats de l’étude ENHANCE une raison de ne pas atteindre les taux cibles. Or, d’abord et avant tout, cette étude a été réalisée chez des patients atteints d’hyperlipidémie familiale, ce qui représente moins de 1 % de tous les patients dyslipidémiques. Il s’agit donc d’une population inhabituelle. Ces résultats ne doivent changer l’opinion de personne quant à l’importance d’atteindre les taux cibles, qui ont été confirmés par de nombreuses études. Il est essentiel d’amorcer le traitement par une statine, mais si le taux cible n’est pas atteint, d’autres traitements, y compris l’ézétimibe, doivent être envisagés pour que le patient atteigne le taux cible actuellement préconisé dans les lignes directrices.

Dr Fitchett : L’étude ENHANCE ne modifie en rien l’importance d’abaisser le taux de C-LDL chez les patients à risque de maladie CV athéroscléreuse. De multiples essais cliniques ont montré que la baisse du taux de C-LDL améliore l‘issue CV. Une relation linéaire a été établie entre la baisse du taux de C-LDL et la diminution des événements CV, peu importe la méthode choisie pour abaisser le taux de C-LDL, et j’inclus ici les chélateurs des acides biliaires et la dérivation iléale. Selon de récents essais cliniques, l’abaissement du taux de LDL sous le seuil de 1,0 mmol/L se traduirait par une amélioration relative des résultats. Des études sur l’athérosclérose coronarienne réalisées au moyen de l’échographie endovasculaire ont démontré que l’on peut stopper la progression de l’athérosclérose en réduisant le taux de C-LDL de 50 % et en le ramenant sous le seuil de 2,0 mmol/L. L’hypothèse du C-LDL n’a donc rien perdu de sa vigueur et n’est aucunement ébranlée par les résultats de l’étude ENHANCE. On doit continuer de viser un taux de C-LDL <2,0 mmol/L et une réduction de 50 % du taux de C-LDL chez les patients à risque élevé de maladie CV.

À la lumière des résultats de l’étude ENHANCE, estimez-vous que l’ézétimibe a toujours sa place comme stratégie d’appoint au traitement par une statine chez les patients qui n’atteignent pas leur taux cible de C-LDL?

Dr Mancini : L’ézétimibe demeure un traitement d’appoint utile chez les patients qui n’atteignent pas leur taux cible sous l’effet d’une statine à la dose maximale. D’autres agents pourraient également servir, mais on peut compter sur l’ézétimibe pour abaisser le taux de LDL lorsqu’il est associé à une statine et il est bien toléré. Compte tenu de l’importance que revêt l’atteinte du taux cible de LDL, l’ézétimibe doit être administré au besoin.

Dr Fitchett : L’American College of Cardiology (ACC) recommande que les décisions cliniques d’importance ne soient pas prises sur la foi des seuls résultats de l’étude ENHANCE. En outre, la US National Lipid Association estime qu’«il est prématuré d’extrapoler la portée clinique des résultats de l’étude ENHANCE à d’autres populations puisque d’autres études axées sur des paramètres CV sont en cours». Par conséquent, l’étude ENHANCE ne modifie aucunement les lignes directrices quant à l’utilisation d’un traitement d’appoint comme l’ézétimibe chez les patients qui n’ont pas atteint leur taux cible de C-LDL. D’autres agents, comme les chélateurs des acides biliaires ou la niacine, sont aussi efficaces et devraient être envisagés, mais l’ézétimibe est le seul agent qui est bien toléré et qui est associé à un taux élevé d’observance.

Dr Grégoire : Il est clair que les statines, même à une dose optimale, ne peuvent pas permettre à tous les patients d’atteindre leurs cibles lipidiques. Donc, quelles sont nos options? Les résines et l’acide nicotinique abaissent le taux de LDL, mais ils entraînent tous les deux des problèmes de tolérabilité qui se traduisent par une adhésion sous-optimale, sauf chez les patients très déterminés. Les fibrates sont efficaces pour abaisser les triglycérides, mais pas tellement pour abaisser les LDL. Souvent, la seule option pratique se résume à l’ajout d’ézétimibe. Nous savons que c’est un outil efficace pour abaisser les LDL et qu’il est très bien toléré.

Dre Lonn : Les données à l’appui des lignes directrices ne laissent planer aucun doute. C’est donc dire que si une statine ne suffit pas pour atteindre le taux cible, on doit y associer un traitement d’appoint. J’estime que l’ézétimibe demeure un choix raisonnable. Il est bien toléré et il abaisse le taux de LDL efficacement. Nous aurons néanmoins besoin des résultats de l’étude IMPROVE-IT pour confirmer que cette méthode hypolipidémiante – l’ajout de l’ézétimibe à une statine, j’entends – réduit le risque d’événement clinique. D’ici à ce que ces données soient publiées, nous savons que l’ézétimibe est bénéfique et nous devons nous en servir pour optimiser le bilan lipidique.

L’ajout de l’ézétimibe à un traitement par une statine est-il associé à d’importants problèmes d’innocuité et de tolérabilité?

Dr Fitchett : Les multiples essais cliniques qui ont porté sur l’efficacité de l’ézétimibe en association avec une statine, y compris l’étude ENHANCE, ont montré que les anomalies de la fonction hépatique et les élévations de la créatine kinase n‘étaient pas plus courantes chez les patients traités par l’ézétimibe et une statine que par une statine seule. Aux données d’innocuité des essais cliniques s’ajoutent les données de pharmacovigilance qui représentent plus de 9,5 millions d’années-patients de traitement.

Dre Lonn : La pratique et les essais cliniques ont fait la preuve de l’excellente tolérabilité de l‘ézétimibe. Des effets indésirables de nature musculaire sont signalés chez un petit nombre de patients, mais c’est un phénomène plutôt rare. L’étude ENHANCE permet en fait de valider l’innocuité de l’ézétimibe, parce que l’ézétimibe n’a été associé à aucun effet indésirable important lors de cette étude.

Dr Mancini : Compte tenu de l’ensemble des données à notre disposition, je n’ai aucune crainte digne de mention au sujet de l’innocuité de l’ézétimibe. Il a un très bon profil de tolérabilité et je pense que nous avons assez d‘expérience clinique avec cet agent pour ne pas nous inquiéter de son innocuité.

Dr Grégoire : Lorsque l’auteur principal de l’étude ENHANCE a présenté les résultats au congrès de l’ACC, il a insisté sur le fait que l’innocuité de ce médicament ne soulevait aucune crainte. Les études antérieures l’avaient aussi confirmé. Je ne pense pas que son innocuité doive nous préoccuper. Nous avons néanmoins besoin de données irréfutables pour affirmer que la baisse des LDL sous l’effet de l’ézétimibe se traduit par une diminution des événements cliniques, mais nous aurons cette information au terme de l’étude IMPROVE-IT. D’ici là, nous devons nous efforcer d’atteindre les taux cibles de LDL et pour ce faire, j’estime que nous n’avons d’autre choix que d‘utiliser l’ézétimibe dans les cas où une statine ne suffit pas à elle seule.

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