Comptes rendus

L’hypothèse du cholestérol et les retombées de l’étude SEAS
Résultats et retombées cliniques de l’étude JUPITER : le point de vue du Québec

Le déficit cognitif dans la population vieillissante des patients infectés par le VIH

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

NOUVELLES FRONTIÈRES EN MÉDECINE VIH/SIDA - La 16e Conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes (CROI)

Montréal, Québec / 8-11 février 2009

On observe actuellement une montée de la prévalence du déficit neurocognitif, l’une des quelques complications de l’infection à VIH dont la prévalence n’a pas diminué radicalement lorsque l’association d’antirétroviraux (ART) est devenue la norme de traitement, comme le révèlent une série d’études récentes visant à confirmer le phénomène et à en comprendre les causes.

Résultats de l’étude CHARTER

L’une des plus vastes de ces études, intitulée CHARTER (CNS HIV Anti-Retroviral Effects Research), regroupait six établissements américains et 1555 patients infectés par le VIH qui se sont prêtés à des évaluations neuropsychologiques complètes. Le déficit neurocognitif était en fait plus fréquent chez les patients recevant une association d’ART que chez les patients n’en recevant pas (43 % vs 31 %; p<0,01), mais cet écart a été imputé au taux plus élevé de SIDA avant le début du traitement. Cependant, 45 % des patients de la cohorte entière et le tiers des patients recevant un traitement efficace et ne présentant pas de facteurs de comorbidité, comme un traumatisme crânien, une épilepsie, une toxicomanie ou des antécédents d’infections marquant l’entrée dans le SIDA, présentaient un déficit neurocognitif.

«Des marqueurs biologiques et cliniques de la sévérité de l’infection à VIH ont été reliés au déficit neurocognitif chez des patients ne présentant pas de facteurs de comorbidité importants. Ainsi, à l’ère des associations d’ART, le VIH et la comorbidité contribuent tous deux au déficit cognitif, affirme le Dr Robert K. Heaton, HIV Neurobiological Research Center, et professeur titulaire de psychiatrie, University of California, San Diego (UCSD). Des études satellites menées auprès de la population de CHARTER ont révélé que le VIH était décelable dans le liquide céphalo-rachidien (LCR) chez 34 % des patients selon des tests de sensibilité standard vs 41 % des patients selon des tests ultrasensibles (>2 copies d’ARN du VIH/mL). Chez près de 5 % des patients, la charge virale était plus élevée dans le LCR que dans le plasma. Une charge virale plus élevée dans le LCR a été corrélée avec un déficit cognitif plus sévère.

Charge virale : LCR vs plasma

La discordance entre la charge virale du plasma et celle du LCR est une observation clé. On sait depuis longtemps que les ART ne franchissent pas tous la barrière hémato-encéphalique (BHE) avec la même facilité, mais de nouvelles données ont mis en évidence une corrélation positive entre le degré de pénétration dans le LCR et la performance neuropsychologique. Lors d’une étude publiée récemment qui a été menée sous la direction de l’un des auteurs de l’étude CHARTER, le Dr Scott Letendre, professeur adjoint d’infectiologie, UCSD, une association d’ART dotée d’un bon coefficient de pénétration dans le SNC a réduit de 88 % la probabilité d’une charge virale décelable dans le LCR comparativement à une association d’ART dotée d’un faible coefficient (Letendre et al. Arch Neurol 2008;65:65-70).

«Une association d’ART qui traverse mieux la BHE donne lieu à une réduction plus marquée de la charge virale dans le LCR et à une amélioration plus prononcée de la performance neuropsychologique. Un essai clinique avec randomisation – dont le recrutement est en cours – vise précisément à comparer divers schémas de traitement quant à leur efficacité dans le SNC et devrait apporter les éléments de réponse nécessaires à l’actualisation des recommandations thérapeutiques internationales», souligne le Dr Letendre.

Pénétration des ART dans le LCR

Lors de cette étude et d’études subséquentes, les chercheurs ont déterminé les coefficients de pénétration en examinant chacun des agents du schéma en fonction d’un système de cotation tenant compte non seulement des variables qui influent sur le franchissement de la BHE, comme la liaison aux protéines, la lipophilie et l’ionisation, mais aussi des concentrations de l’ART dans le LCR et des signes cliniques de suppression virale dans le LCR. Selon ce système de cotation, les ART ont été répartis dans trois catégories de pénétration dans le SNC : faible, modérée ou forte.

Les ART d’une même classe peuvent différer de façon appréciable à cet égard. Parmi les inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse (INTI), l’abacavir (ABC) et la zidovudine (AZT) sont les deux agents qui pénètrent le mieux dans le SNC tandis que le ténofovir, la didanosine et la zalcitabine sont ceux qui pénètrent le moins bien. L’emtricitabine, la lamivudine et la stavudine sont associées à une pénétration modérée. Parmi les inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse d’usage courant, l’éfavirenz se caractérise par une pénétration modérée et la névirapine, par une forte pénétration. Parmi les inhibiteurs de la protéase (IP), l’atazanavir potentialisé ou non par le ritonavir se caractérise par une pénétration modérée. Lorsqu’ils sont potentialisés par le ritonavir, le lopinavir, l’amprénavir et l’indinavir ont tous trois un coefficient de pénétration élevé. La plupart des autres IP sont dotés d’un faible coefficient de pénétration.

«Le traitement des troubles neurocognitifs associés à l’infection par le VIH doit reposer sur l’optimisation du franchissement de la BHE», soutient le Dr Letendre. À l’instar de nombreux autres experts, il insiste pour dire que la suppression de la virémie demeure l’objectif principal du traitement, même en présence de signes d’un déficit neurocognitif, mais l’administration d’un schéma généralement efficace et doté en plus d’un coefficient élevé de pénétration telle l’association de deux INTI comme l’ABC et l’AZT et d’un IP qui franchit facilement la BHE a d’importantes retombées à long terme sur l’issue clinique. «Même un déficit neurocognitif léger associé au VIH se solde par une adhésion moindre au traitement ART et une survie écourtée», fait-il remarquer.

Données corroborantes

Dans le cadre d’une étude satellite de CHARTER, le VIH était décelable dans le LCR chez 41 % des 300 patients qui recevaient une association d’ART. Là encore, la probabilité d’une charge virale décelable dans le LCR était plus élevée chez les patients recevant un schéma doté d’un faible coefficient de pénétration dans le SNC. Le Dr Letendre souligne par ailleurs que dans 26 % des cas où le VIH était décelable dans le LCR, il ne l’était pas dans le plasma et que, pourtant, ces patients présentaient un déficit cognitif non négligeable. De plus, avance-t-il, même la présence d’une charge virale dans le LCR inférieure à 50 copies/mL, la valeur-seuil dans le cas de la virémie, est associée à un risque de déficit neurocognitif.

La persistance des déficits neurocognitifs après l’introduction des associations d’ART en a surpris plus d’un. Au début, on imputait cette persistance à un déficit irréversible préexistant, mais on constate maintenant que la prévalence du déficit neurocognitif continue d’augmenter. Des facteurs de comorbidité comme un traumatisme crânien et une toxicomanie expliquent probablement en partie les taux beaucoup plus élevés de déficits neurocognitifs chez les individus infectés par le VIH que chez des témoins du même âge, mais on soupçonne que le VIH est associé à une neurotoxicité directe de même qu’à une neurotoxicité indirecte résultant de l’inflammation présente dans le SNC. Lors d’une étude toute récente de neuro-imagerie qui portait sur plus de 200 patients infectés par le VIH et 28 témoins non infectés par le VIH, des altérations inflammatoires diffuses ont été mises en évidence même chez les patients qui ne présentaient aucune atteinte neurologique décelable.

«Les lésions cérébrales qu’on observe typiquement dans l’infection à VIH chronique et stable s’apparentent à celles qu’on décrivait avant l’ère du traitement antirétroviral hautement actif», affirme le Dr Bradford Navia, professeur agrégé de neurologie, Tufts University, Boston, Massachusetts. Chez les patients qui présentaient un déficit neurocognitif, cependant, l’inflammation s’accompagnait de lésions neuronales distinctives, surtout dans les noyaux gris centraux. Ces données étayent la théorie voulant qu’une charge virale et une inflammation persistantes participent d’une façon quelconque à la physiopathologie d’un déficit neurocognitif associé au VIH et que le risque d’un tel déficit s’accentue à mesure que se prolonge l’absence de maîtrise de l’infection.

Ces données ont déjà amené certains experts du domaine à recommander des changements dans la stratégie de traitement. De l’avis du Dr Letendre, le dépistage systématique du déficit neurocognitif est essentiel chez tout patient infecté par le VIH. Les premiers signes du déficit neurocognitif pouvant être subtils, par contre, il recommande l’utilisation d’outils validés et brefs.

«Il ne suffit pas de demander au patient comment va sa mémoire», poursuit le Dr Letendre. Nous avons maintenant à notre disposition plusieurs outils validés, dont un grand nombre de questionnaires brefs et auto-administrés. Ceux-ci nous permettent de reconnaître les patients que nous devrions soumettre à une évaluation plus approfondie et génèrent des données de référence pour le suivi de la fonction neurocognitive au fil du temps.

En présence d’un déficit neurocognitif, il serait logique d’inclure dans le schéma de traitement des ART dotés d’un coefficient élevé de pénétration dans le SNC, mais plusieurs chercheurs pensent qu’il serait peut-être important de le faire dès le début de la maladie, le déficit neurocognitif étant irréversible, du moins en partie. Le Dr Heaton se demande en particulier si l’atteinte du SNC n’est pas un phénomène précoce qu’on aurait intérêt à prévenir. Des études cliniques permettant de répondre à cette question auraient leur raison d’être.

Résumé

À l’ère des associations d’ART et d’une population vieillissante de patients infectés par le VIH, le déficit neurocognitif persistant représente un problème de santé majeur. Au Canada, où l’on prévoit que plus de la moitié des patients infectés par le VIH ou atteints du SIDA auront plus de 50 ans d’ici 2015, les stratégies visant à prévenir le déficit neurocognitif pourraient jouer un rôle clé dans le maintien d’une bonne qualité de vie à long terme. L’administration d’ART capables de traverser efficacement la BHE a été associée à une diminution plus marquée de la charge virale dans le LCR et pourrait contribuer largement à stopper la montée de la prévalence du déficit neurocognitif associé au VIH.

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