Comptes rendus

Inhibition de l’IL-6 : vers des taux de rémission plus élevés dans la polyarthrite rhumatoïde
Inhibiteurs de la 5-alpha réductase pour la prévention du cancer de la prostate : l’essai PCPT revisité

Le déficit en testostérone chez l’homme : reconnaître les risques

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

Point de vue sur l’article suivant :Journal of Clinical Lipidology 2008;2(2):71-8.

Compte rendu de : Richard A. Bebb, MD, ABIM, FRCPC

Professeur adjoint de clinique en médecine, Division d’endocrinologie, University of British Columbia, Vancouver (Colombie-Britannique)

Rôle de la testostérone

Chez l’homme aux prises avec un hypogonadisme symptomatique, l’administration de testostérone exogène contribue fondamentalement au rétablissement de la qualité de vie. Outre une faible libido, la fatigue et les manifestations reconnues du déficit androgénique, d’autres symptômes et maladies devraient attirer l’attention sur le rôle éventuel d’un faible taux d’hormones sexuelles en tant que facteur étiologique. Pensons par exemple à l’ostéoporose, à une anémie inexpliquée et à une constellation de symptômes non spécifiques pouvant inclure la fatigue, la labilité de l’humeur et les myalgies. À l’instar d’autres androgènes, la testostérone, principale hormone mâle, exerce plusieurs activités physiologiques au-delà de la virilisation des organes reproducteurs et la promotion des caractères sexuels secondaires. Une fois le déficit androgénique diagnostiqué, le médecin peut amorcer un traitement pour maîtriser les symptômes et peut-être offrir à son patient des bienfaits autres que le soulagement des symptômes inauguraux.

La thérapie de substitution de la testostérone est associée à un regain d’énergie, à une amélioration du ratio muscle:graisse pouvant optimiser la morphologie du corps et à une diminution des troubles métaboliques, dont le diabète de type 2 et l’hyperlipidémie. Certes, il est raisonnable de s’attendre à un grand nombre de ces bénéfices de la substitution de la testostérone chez les hommes aux prises avec ce déficit, mais les risques d’une élévation du taux de testostérone au-delà des valeurs physiologiques ne sont pas clairs.

Conséquences d’un déficit en testostérone

Il est particulièrement difficile de définir le taux normal de testostérone chez l’homme adulte pour plusieurs raisons : il est très variable d’un homme sain à l’autre; ses variations diurnes substantielles et imprévisibles rendent une mesure unique peu fiable; et le taux de testostérone circulante baisse naturellement avec l’âge. Si on retient comme valeur-seuil 2,5 écarts-types sous la moyenne de la normale pour un jeune homme adulte, environ 30 % des hommes de 75 ans ou plus recevraient un diagnostic d’hypogonadisme, mais une proportion beaucoup plus faible présenterait des symptômes ou bénéficierait nécessairement du traitement.

Dans ses recommandations sur le traitement de l’hypogonadisme chez l’homme adulte, l’American Association of Clinical Endocrinologists (AACE) statue que les hommes ayant un taux de testostérone totale <200 ng/dL «pourraient être aptes à recevoir un traitement». L’AACE a remis à plus tard la décision de formuler une recommandation plus ferme en raison de l’importance que revêt le contexte clinique1. Des taux plus élevés pourraient justifier un traitement en présence de symptômes. Inversement, aucune donnée n’a encore démontré que le dosage de la testostérone serait une mesure clinique utile en l’absence de symptômes. Le dosage de la testostérone et la mise en route du traitement devraient plutôt se faire dans un contexte d’amélioration de certains paramètres.

Le déficit en testostérone peut être causé par de nombreux facteurs, depuis les maladies génétiques comme le syndrome de Klinefelter, qui entraîne généralement des signes et des symptômes durant la puberté ou peu de temps après, jusqu’aux tumeurs des glandes endocrines, mais chez les hommes d’âge moyen ou plus âgés qui présentent des troubles d’apparition graduelle, comme une perte de libido, l’ostéoporose et l’anémie sans autres problèmes qui font soupçonner une maladie systémique, il est logique de mesurer la testostérone et d’envisager l’essai d’une thérapie de substitution de la testostérone. La première épreuve de laboratoire pour l’évaluation du déficit en testostérone devrait être faite à partir d’un prélèvement de sang fait le matin (avant 10 h) pour mesurer les taux de testostérone, de prolactine, d’hormone folliculo-stimulante (FSH) et d’hormone lutéinisante (LH). Un taux moindre ou insuffisant de l’une ou l’autre gonadotrophine (FSH/LH) donnerait à penser que le déficit en testostérone est d’origine hypophysaire. Un hypogonadisme peut être présent malgré un taux normal de testostérone totale, surtout chez l’homme âgé. La testostérone se fixe facilement à la SHBG (globuline qui se lie aux hormones sexuelles), dont le taux augmente avec l’âge. Chez les hommes qui présentent un hypogonadisme symptomatique mais dont le taux de testostérone totale est normal ou limite, il est important de mesurer également le taux de testostérone libre ou biodisponible avant d’exclure un diagnostic d’hypogonadisme.

Obstacles au traitement

Plusieurs facettes de l’hypogonadisme lié à l’âge contribuent au fait que celui-ci passe souvent inaperçu. L’apparition graduelle de problèmes liés à l’âge, dont la dysfonction érectile, la fatigue ou même les fractures osseuses, invite le patient à conclure qu’il s’agit de manifestations d’un processus inévitable et le patient est en conséquence peu susceptible de consulter un médecin. Ainsi, nombreux sont les patients qui ne parlent pas de leurs symptômes au médecin. Bien qu’une anémie inexpliquée ou une fracture survenant sans trauma important puissent donner lieu à une exploration qui permettra de cerner le déficit en testostérone, la perte de libido et les dysfonctions sexuelles ne sont souvent mentionnées qu’en réponse à des questions précises. S’il s’agit de phénomènes isolés, les sautes d’humeur et le manque de concentration – qui peuvent aussi traduire un hypogonadisme – ne font pas soupçonner les hormones sexuelles d’emblée, quoiqu’un traitement puisse les faire régresser facilement.

Des données montrent par ailleurs que les médecins ne sont pas très enclins à prescrire une thérapie de substitution de la testostérone, même lorsque cette dernière est indiquée. Il est ressorti d’une évaluation du traitement des déficits androgéniques dans le cadre d’une enquête sur la santé communautaire réalisée à Boston, au Massachusetts, que 5,5 % des hommes d’âge moyen (30 à 79 ans, âge moyen de 46,4 ans) présentaient un déficit androgénique, lequel se définissait comme un taux de testostérone totale <300 ng/dL (et un taux de testostérone libre <5 ng/dL) et la présence d’au moins un symptôme spécifique (faible libido, dysfonction érectile ou ostéoporose) ou de deux symptômes moins spécifiques (trouble du sommeil, humeur déprimée, léthargie ou diminution des performances physiques)2. Or, de ces sujets, moins de 15 % recevaient un traitement même s’ils avaient accès à des soins.

La crainte que cette hormone sexuelle augmente le risque de maladie cardiovasculaire (CV) chez l’homme plus âgé est un obstacle au traitement de substitution de la testostérone qui perdure. Cette hypothèse et celle de longue date voulant que les oestrogènes exercent des effets cardioprotecteurs reposent principalement sur la constatation que les événements CV surviennent plus tôt chez l’homme que chez la femme. En l’absence de données robustes, on a avancé l’hypothèse selon laquelle la testostérone serait athérogène, possiblement en exerçant des effets délétères sur les lipides plasmatiques, surtout le ratio HDL:LDL.

L’hypogonadisme, facteur de risque CV

Pourtant, de nombreuses données robustes montrent que la testostérone confère en fait des effets cardioprotecteurs. Quoique cette théorie ne fasse pas encore l’unanimité, le lien est assez fort pour avoir amené certains experts à proposer que le risque CV soit évalué chez les hommes à risque d’hypogonadisme3.

Certes, nous avons besoin d’essais prospectifs avec randomisation pour confirmer que l’hypogonadisme est un facteur de risque des maladies CV qui se traite, mais il reste que les données montrant qu’un faible taux de testostérone augmente le risque CV sont suffisantes pour que le traitement des symptômes classiques du déficit androgénique soit considéré comme bénéfique. La théorie voulant que le déficit en testostérone soit un facteur de risque CV qui se traite découle de sa plausibilité biologique. En effet, l’hypogonadisme est associé à l’hyperglycémie, à la résistance à l’insuline, à l’obésité abdominale, aux dyslipidémies, au diabète de type 2 et à l’hypertension. Bien que les études rétrospectives n’aient pas toutes associé l’hypogonadisme à un risque CV accru, possiblement en raison de la complexité des déficits hormonaux, le lien a été objectivé par la majorité d’entre elles.

Les données parmi les plus convaincantes montrant que l’hypogonadisme est un facteur de risque CV proviennent d’études sur le blocage androgénique dans le traitement du cancer de la prostate. La suppression des androgènes altère les lipides plasmatiques, la glycémie, la tension artérielle, la masse ventriculaire gauche, la vasodilatation et la tolérance à l’effort. Dans le cadre d’une étude menée chez 4892 hommes de plus de 65 ans atteints d’un cancer de la prostate localement avancé que l’on a suivis pendant cinq ans, la mortalité d’origine CV était trois fois plus élevée dans le groupe blocage androgénique que dans le groupe prostatectomie4.

L’essai Hypogonadism in Men, dans le cadre duquel on utilisait la valeur-seuil de <300 ng/dL pour définir le déficit androgénique, n’avait pas pour objectif d’évaluer le risque CV, mais il a montré que l’hypogonadisme, par comparaison à des taux plus élevés de testostérone, augmentait de 50 % le risque de dyslipidémie, doublait presque le risque d’hypertension et de diabète, et doublait solidement le risque d’obésité5. Ces signes, qui font partie de la définition du syndrome métabolique, sont tous des prédicteurs importants du risque CV. Le déficit en testostérone a également été associé à une augmentation de divers marqueurs pro-inflammatoires, comme l’interleukine-10 (IL-10) et le facteur de nécrose tumorale alpha (TNF-a), lesquels ont été liés à un état prothrombotique. Chez les patients qui reçoivent de la testostérone exogène, ces augmentations relatives des taux de cytokines pro-inflammatoires régressent.

Outre le fait que le bénéfice du traitement n’a pas encore été confirmé par des essais comparatifs randomisés et rigoureux conformément aux grands principes de la médecine factuelle, les résultats négatifs inattendus de l’essai Women’s Health Initiative – dont l’objectif était de vérifier les effets cardioprotecteurs des oestrogènes – expliquent la réticence des experts à recommander l’administration de testostérone exogène pour réduire le risque CV. Dans le cadre de cet essai dont la tenue a été motivée par de nombreuses données rétrospectives qui laissaient entrevoir les effets cardioprotecteurs des oestrogènes, le taux d’événements CV a été plus élevé chez les patientes ayant reçu une hormonothérapie substitutive, surtout au cours des deux premières années de traitement. Cependant, des études plus récentes sur les récepteurs ont ensuite montré que l’expression des récepteurs du bêta-estradiol (ER-b) était corrélée positivement avec la taille des plaques athéromateuses, ce qui pourrait expliquer que les oestrogènes contribuent à l’augmentation du risque CV6. En revanche, l’expression des récepteurs androgéniques a été corrélée négativement avec la taille des plaques, ce qui évoque un rôle protecteur.

Les résultats de l’essai EPIC-Norfolk (European Prospective Investigation into Cancer in Norfolk) renforcent aussi la théorie voulant qu’un faible taux de testostérone constitue un facteur de risque des maladies CV7. Cet essai prospectif visait à évaluer le lien entre les taux de testostérone et la mortalité d’origine CV et la mortalité toutes causes confondues chez 11 606 hommes âgés entre 40 et 79 ans. L’étude a mis en évidence une corrélation négative entre le taux initial de testostérone, la mortalité CV, la mortalité par cancer et la mortalité totale. Lorsqu’ils ont stratifié les taux initiaux de testostérone par quartile, les chercheurs ont observé que le quartile des taux les plus élevés était associé à une réduction de 41 % du risque de mortalité par rapport au quartile des taux les plus faibles, après prise en compte d’un grand nombre de facteurs de risque, dont l’âge, la tension artérielle, le bilan lipidique, le tabagisme, le diabète et l’activité physique. Les auteurs ont conclu qu’un faible taux de testostérone semble être un prédicteur du risque CV et que le dosage de la testostérone pourrait être un outil utile pour déterminer le pronostic.

Retombées sur la prise en charge clinique

Bien que nous ayons besoin d’essais prospectifs avec randomisation pour confirmer qu’un faible taux de testostérone est un facteur de risque CV qui se traite, les données actuelles ont d’importantes retombées sur la prise en charge clinique. On doit notamment repenser au ratio risque:bénéfice d’un blocage androgénique énergique dans le traitement du cancer de la prostate. Bien que l’hypogonadisme induit soit une démarche efficace dans le traitement du cancer de la prostate avancé pour prolonger la survie, on s’intéresse de plus en plus à la suppression des androgènes dans les cancers moins agressifs. En pareils cas, le risque d’ostéoporose et de troubles métaboliques augmentant le risque CV doit être soupesé soigneusement en regard des effets antitumoraux dans un contexte de survie à long terme, surtout en présence de solutions de rechange.

En pratique, le lien entre l’hypogonadisme et les maladies CV pourrait logiquement influer sur les choix de traitement, même si on n’a pas encore la preuve que le dépistage et le traitement du déficit en testostérone asymptomatique sont indiqués pour réduire le risque CV. Chez un patient symptomatique qui présente des facteurs de risque CV, le déficit en testostérone pourrait justifier une démarche plus énergique pour réduire le risque. Ainsi, les patients atteints de dyslipidémies ou d’hypertension qui, en temps normal, n’auraient pas besoin d’un traitement pharmacologique seraient alors considérés comme plus à risque. Il serait peut-être justifié également de surveiller de plus près les patients présentant une résistance à l’insuline ou une glycémie à jeun anormale. Enfin, on devrait peut-être encourager davantage les patients porteurs d’une adiposité abdominale à changer leurs habitudes de vie pour perdre du poids.

L’hypogonadisme est un trouble facilement réversible, mais il passera inaperçu si le médecin n’en évalue pas activement les signes et les symptômes et s’il ne demande pas les tests diagnostiques pour confirmer un déficit en testostérone soupçonné. Les questions sur la fonction sexuelle devraient faire partie du bilan de santé et de l’interrogatoire de tout homme d’âge moyen, non seulement en raison de la contribution de la fonction sexuelle au bien-être, mais aussi de ce qu’elle révèle au sujet des troubles endocriniens. Les signes d’ostéoporose et les signes non spécifiques comme la fatigue ou les troubles de l’humeur, surtout en l’absence d’autres pathologies qui expliqueraient leur présence, devraient aussi éveiller les soupçons quant à la présence éventuelle d’un hypogonadisme. Il arrive souvent que les hommes hypogonadiques qui reçoivent un traitement pour leur dysfonction sexuelle jouissent d’une meilleure qualité de vie parce qu’ils sont soulagés de symptômes qui personne n’avait attribués au déficit hormonal.

Résumé

Chez le patient symptomatique, le diagnostic et le traitement de l’hypogonadisme devraient se traduire par une amélioration substantielle de la qualité de vie. Le traitement offre aussi une protection contre l’ostéoporose, l’anémie, la fatigue et les troubles de l’humeur imputables à un faible taux de testostérone. Si l’on en juge par les données probantes ayant établi un lien entre de faibles taux de testostérone et l’augmentation du risque d’anomalies des métabolismes lipidique et glucidique et du risque de maladies CV, les bienfaits à long terme du rétablissement des taux physiologiques de testostérone pourraient être encore plus marqués qu’on le pense. Des études s’imposent d’urgence si l’on aspire à évaluer la possibilité qu’un faible taux de testostérone soit un facteur de risque CV qui se traite et ainsi offrir un autre moyen possible pour réduire la cause première de mortalité.

Références :

1. AACE Hypogonadism Task Force. Medical guidelines for clinical practice for the evaluation and treatment of hypogonadism in adult male patients—2002 update. Endocr Pract 2002;8(6):439-56. 2. Hall et al. Arch Intern Med 2008;168(10):1070-6. 3. Potenza M, Shimshi M. J Clin Lipidol 2008;2:71-8. 4. Tsai et al. J Natl Cancer Inst 2007;99(20):1516-24. 5. Mulligan et al. Int J Clin Pract 2006;60(7):762-9. 6. Liu et al. J Clin Endocrinol Metab 2005;90(2):1041-6. 7. Khaw et al. Circulation 2007;116(23):2694-701.

Commentaires

Nous vous serions reconnaissants de prendre 30 secondes pour nous aider à mieux comprendre vos besoins de formation.