Comptes rendus

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Les statines en prévention primaire : les résultats de l’essai JUPITER montrent leur importance croissante

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

81es Séances scientifiques de l’AHA (American Heart Association)

La Nouvelle-Orléans, Louisiane / 8-12 novembre 2008

La stratégie visant à mesurer la protéine C-réactive ultrasensible (hsCRP) pour déterminer la pertinence d’un traitement hypolipidémiant chez un patient généralement en bonne santé est remarquablement efficace. Lors de l’étude JUPITER (Justification of the Use of Statins in Prevention: an Intervention Trial Evaluating Rosuvastatin), on a enregistré une réduction de 44 % (taux de risque [HR] de 0,56; IC à 95 % : 0,46-0,69; p<0,00001) du risque de survenue du paramètre mixte principal regroupant divers événements cardiovasculaires (CV) chez des patients ne présentant pas d’hyperlipidémie qui avaient reçu aléatoirement de la rosuvastatine plutôt qu’un placebo (Figure 1). Il est bien établi que les statines sont efficaces pour atténuer le risque d’événement CV en présence d’hyperlipidémie, mais la réduction du risque associée à la rosuvastatine chez des patients non hyperlipidémiques a été plus marquée que jamais.

Si les résultats de l’étude JUPITER étaient appliqués à la population américaine, «cette simple stratégie de dépistage et de traitement pourrait au bas mot prévenir plus de 250 000 infarctus du myocarde (IM), AVC, interventions de revascularisation et décès d’origine CV en cinq ans», affirme l’auteur principal, le Dr Paul M. Ridker, Center for Cardiovascular Disease Prevention, Harvard Medical School, Boston, Massachusetts. Au Canada, on préviendrait 25 000 de ces événements. Le nombre de patients à traiter (NPT) par la rosuvastatine pour prévenir un événement dans le cadre de l’étude JUPITER était de 25, ce qui est inférieur au NPT des essais où les statines servaient à traiter l’hyperlipidémie.

Dans le cadre de l’étude JUPITER, 17 802 hommes et femmes de 26 pays, dont le Canada, ont été suivis dans 1300 établissements. Les principaux critères d’admissibilité étaient un taux d’hsCRP >2,0 mg/L et un taux initial de C-LDL <3,4 mmol/L. Tous les sujets étaient apparemment en bonne santé et n’avaient aucun antécédent ou signe de maladie CV. Au nombre des critères d’exclusion figuraient : l’utilisation antérieure ou en cours d’un hypolipidémiant; l’utilisation en cours d’une hormonothérapie substitutive; la présence d’une dysfonction rénale ou hépatique importante; une hypertension non maîtrisée; ou un diabète. Une fois admis à l’étude, les patients recevaient aléatoirement 20 mg de rosuvastatine ou un placebo une fois par jour.

Figure 1. Paramètre principal de l’essai JUPITER : IM, AVC, angine instable/intervention de revascularisation, décès d’origine CV


Le protocole prévoyait des visites de suivi pendant cinq ans après la randomisation, mais le comité indépendant de surveillance des essais a recommandé que l’on mette fin à l’étude après un suivi d’une durée médiane de seulement 1,9 an sur la foi d’un bénéfice très probant dans le groupe de traitement actif. L’arrêt prématuré de l’étude était «approprié», comme l’ont d’ailleurs confirmé toutes les données recueillies en prévision de l’analyse, explique le Dr Ridker. En moins de deux ans de suivi, la diminution marquée du risque de survenue du paramètre principal s’est accompagnée d’une diminution significative de 20 % (p=0,02) de la mortalité toutes causes confondues.

De l’avis du Dr Andrew Tonkin, directeur de l’unité de recherche sur les maladies CV, Monash University, Melbourne, Australie, «les recommandations pour l’évaluation du risque devront être revues à la lumière de cette étude». Le Dr Tonkin, qui avait été choisi officiellement pour discuter de l’essai JUPITER au congrès de l’AHA, a rappelé à l’auditoire que l’étude n’avait pas été conçue pour déterminer si l’hsCRP était un facteur causal des événements CV et que, par conséquent, elle ne pouvait pas le confirmer. Il reconnaît toutefois que l’hsCRP est un puissant marqueur qui permet de cerner les patients exposés à un risque CV élevé, même en l’absence d’autres facteurs de risque majeurs, dont l’hyperlipidémie.

Le taux de C-LDL demeure primordial

«Nous ne devons pas oublier que l’hypothèse des lipides tient encore solidement la route», enchaîne le Dr Tonkin, laissant ainsi entendre qu’il demeure circonspect à l’égard de l’utilisation de l’hsCRP comme cible spécifique du traitement. La rosuvastatine «est l’agent le plus puissant que nous ayons pour abaisser le taux de C-LDL», si bien que nous ignorons toujours s’il est important d’abaisser le taux d’hsCRP indépendamment du taux de C-LDL. Somme toute, l’étude montre seulement que le taux d’hsCRP est un outil efficace pour la sélection des patients susceptibles de bénéficier du traitement.

La Dre Ruth McPherson, directrice de la clinique des lipides, Institut de cardiologie d’Ottawa, et professeure titulaire de médecine et de biochimie, Université d’Ottawa, Ontario, estime elle aussi que l’essai JUPITER justifie une mise à jour des recommandations, peu importe que l’hsCRP soit un médiateur ou un biomarqueur. «Ces données vont au-delà de l’équation de Framingham et montrent que le taux d’hsCRP permet de cerner une population qui, malgré l’apparence d’une bonne santé, aurait intérêt à recevoir un traitement hypolipidémiant, dit-elle. Il est bel et bien précisé dans la dernière version des recommandations canadiennes que l’hsCRP est un marqueur utile [du risque CV], mais ce sont plus probablement ces données qui nous amèneront à revoir notre démarche.» Lors de l’essai JUPITER, la diminution moyenne de 50 % du taux de C-LDL s’est accompagnée d’une diminution moyenne de 37 % du taux d’hsCRP, marqueur sensible de l’inflammation. La triglycéridémie a baissé d’un peu plus de 15 % par rapport au placebo, alors que le taux de C-HDL est demeuré essentiellement inchangé. En dépit de la diminution appréciable du taux d’hsCRP, il n’y a pas de consensus quant à sa contribution relative aux bénéfices observés. Dans les faits, les experts sont partagés.

«Dans le cadre de l’essai JUPITER, on a observé une baisse marquée du taux de LDL, mais la diminution du risque de survenue du paramètre principal était plus forte que ce à quoi l’on s’attendait sur la base de diminutions comparables du taux de LDL dans les essais antérieurs sur les statines», note le Dr Ridker, ajoutant que la corrélation entre la baisse du taux de LDL et la diminution du risque CV avait jusque-là été assez constante d’une étude à l’autre. Si le Dr Ridker pense que les bénéfices observés dans l’étude JUPITER ne tiennent pas uniquement à la baisse du taux de LDL, il reconnaît que «cette étude crée bien des remous au sujet de l’hypothèse de l’inflammation. Nos conclusions doivent être fondées sur les données que nous avons en main, un point c’est tout.»

Ces données n’excluent pas la possibilité que le bénéfice soit entièrement attribuable à la baisse du C-LDL ni celle que le traitement ait exercé une activité anti-inflammatoire qui se soit traduite par un bénéfice indépendant, peu importe que l’hsCRP ne soit qu’un biomarqueur ou qu’elle soit également un médiateur.

Sous-groupes de JUPITER

Dans le contexte des décisions thérapeutiques, ce dilemme revêt somme toute moins d’importance à court terme que les données montrant qu’un taux élevé d’hsCRP permet de cerner une population vulnérable aux événements CV qui échappe actuellement aux autres marqueurs du risque. Chez les sujets de l’essai JUPITER, à savoir des hommes de plus de 50 ans et des femmes de plus de 60 ans, la diminution du risque de survenue du paramètre principal a été constante dans tous les sous-groupes. «On n’a observé aucune hétérogénéité dans les sous-groupes définis en fonction du sexe, de la race ou du groupe ethnique et du score de Framingham», précise le Dr Ridker (Figure 2).

Parmi les près de 18 000 patients randomisés, 38 % (n=6801) étaient des femmes et 29 % étaient des non-Caucasiens. Jamais n’avait-on inclus autant de femmes dans une étude sur une statine. La diminution des événements CV observée chez les femmes sous rosuvastatine, vs les femmes sous placebo, était légèrement (quoique pas significativement) plus marquée que la diminution observée chez les hommes. L’écart entre la rosuvastatine et le placebo n’était pas significatif non plus lorsque le bénéfice était évalué en fonction de la race, de la région géographique, de la présence ou non du syndrome métabolique, d’un score de Framingham supérieur ou inférieur à 10 %, ou de la présence ou non d’hypertension.

«Nous n’avions absolument aucune raison de penser que les statines étaient moins efficaces chez les femmes que chez les hommes, mais le nombre élevé de femmes randomisées dans l’étude JUPITER clôt la question», fait remarquer la Dre Beth Abramson, directrice de la prévention et de la rééducation cardiaques, St. Michael’s Hospital, Toronto. «Comme je m’intéresse aux maladies CV chez la femme, je suis bien heureuse que les résultats de JUPITER aient été stratifiés en fonction de divers sous-groupes.»

On aurait pu penser qu’un effet anti-inflammatoire se traduirait par un bénéfice plus marqué chez les fumeurs ou les patients obèses du fait que ces facteurs ont tendance à induire un état inflammatoire. Or, le bénéfice relatif de la rosuvastatine par rapport au placebo était comparable chez les fumeurs et les non-fumeurs de même que chez les patients dont l’indice de masse corporelle (IMC) était <u>></u>30 et ceux dont l’IMC était <25. La diminution constante de 40 à 50 % du risque de survenue du paramètre principal dans les divers sous-groupes est donc remarquable. La seule exception éventuelle serait la réduction supérieure à 60 % du risque de survenue du paramètre principal chez les patients qui avaient des antécédents familiaux de maladie coronarienne. En effet, il s’en est fallu de peu pour que l’écart par rapport aux patients n’ayant pas d’antécédents familiaux de maladie coronarienne atteigne le seuil de signification statistique (p=0,07), bien que la réduction du risque dans ce dernier sous-groupe ait été comparable à ce que l’on a observé dans l’ensemble de la population.

L’analyse de chacun des éléments du paramètre principal a révélé que l’effet protecteur était systématiquement robuste : baisse du risque d’AVC, tous types confondus, de 48 % (p=0,002); baisse du risque d’IM, tous types confondus, de 54 % (p=0,0002); baisse du risque d’IM non mortel de 65 % (p<0,00001); et baisse du risque d’intervention de revascularisation artérielle de 46 % (p<0,001). Les analyses coût-efficacité n’ont pas encore été effectuées, mais le Dr Ridker a dit à l’auditoire que la diminution du nombre d’interventions de revascularisation en moins de deux ans serait «sans aucun doute efficiente». Le nombre assez faible de patients à traiter pour la prévention d’événements donne à penser que le rapport coût-efficacité sera globalement favorable, indique-t-il.

Innocuité

Il importe ici de souligner que le nombre élevé de participants à l’étude ajoute pas mal de poids aux données d’innocuité. Les données sont effectivement rassurantes, que l’on pense au traitement en tant que tel ou aux taux très faibles de LDL. La comparaison des deux groupes de l’étude n’a fait ressortir aucun écart significatif quant à l’incidence des effets indésirables en général ou à celle de certains effets indésirables en particulier. Par exemple, neuf des 19 cas de myopathie sont survenus dans le groupe placebo. De même, on n’a signalé aucun écart significatif entre les deux groupes quant aux taux de faiblesse musculaire ou de troubles hépatiques, rénaux, gastro-intestinaux ou hématologiques. Le taux de cancers nouvellement diagnostiqués était quasiment identique dans les deux groupes (3,4 % vs 3,5 %; p=0,51 pour les groupes rosuvastatine et placebo, respectivement), alors que le taux de mortalité par cancer était légèrement plus faible sous rosuvastatine (0,4 vs 0,7; p=0,02).

Fi
yse des sous-groupes

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«Côté innocuité, aucune donnée n’est préoccupante. C’est un gain important pour cet essai», fait valoir le Dr Tonkin.

Cette innocuité rassurante pèse lourd dans la balance, parce que l’essai JUPITER a généré les taux de C-LDL les plus faibles qu’on n’ait jamais atteints dans un essai d’envergure sur une statine. Chez les patients sous rosuvastatine, le taux médian de C-LDL se chiffrait à 1,4 mmol/L. De plus, environ 25 % des patients, ce qui représente plus de 2000 sujets, présentaient un taux de C-LDL <1,0 mmol/L durant le traitement. Les essais antérieurs sur les statines donnaient à penser que de faibles taux étaient sûrs, mais JUPITER efface toute trace de doute. Si le Dr Tonkin estime qu’il faudra un suivi plus long que 1,9 an pour confirmer l’innocuité de la stratégie à long terme, le Dr Ridker allègue pour sa part que plus d’un millier de patients avaient été suivis pendant plus de quatre ans lorsque l’étude JUPITER a pris fin et que les données d’innocuité recueillies sont compatibles avec celles des autres études sur les statines.

«Les essais comparatifs sur les statines ont généré énormément de données, et ces données permettent de conclure à une innocuité et à une tolérabilité solides», confirme le Dr Ridker. L’étude JUPITER, souligne-t-il, a aussi associé la rosuvastatine à une diminution de la mortalité, preuve ultime de l’innocuité et d’un rapport bénéfice:risque favorable.

Nouvel outil d’évaluation à l’horizon

Dès l’instant où le comité indépendant de surveillance des essais a mis fin prématurément à l’essai JUPITER, nous savions que les résultats seraient positifs, mais l’ampleur du bénéfice a dépassé nos attentes. Si un grand nombre de guides de pratique présentent le taux d’hsCRP comme un déterminant possiblement utile du risque, on s’attend à ce que les résultats de JUPITER amènent une réorientation de l’évaluation du risque. À l’heure actuelle, nous avons à notre disposition des outils comme l’équation de Framingham pour déterminer à quels patients nous devons prescrire un traitement hypolipidémiant, mais l’essai JUPITER a mis en évidence une diminution importante du risque, même dans les cas où le score de Framingham ne justifierait pas un traitement. L’intégration optimale du dosage de l’hsCRP dans la pratique clinique est le défi que doivent maintenant relever les experts.

«Il y a fort à parier que les recommandations changeront. En tant que société, nous devons déterminer le niveau de risque que nous sommes prêts à tolérer et le coût que nous sommes prêts à payer pour la prévention», fait remarquer le Dr Jacques Genest fils, directeur de la cardiologie, Université McGill, Montréal, Québec. En sa qualité de co-auteur de l’étude JUPITER, le Dr Genest estime que même si l’hsCRP semble un outil utile pour stratifier le risque et sélectionner les patients à traiter, on ne doit pas s’en servir sans discernement pour autant. À son avis, le dosage de l’hsCRP servira à cerner les patients exposés à un risque intermédiaire qui pourraient échapper aux autres mesures d’évaluation du risque.

«Chez les patients exposés à un risque élevé, le dosage de l’hsCRP est inutile parce que nous traiterons ces patients de toute façon», note le Dr Genest. Dans le cas des jeunes patients exposés à un faible risque, le dosage n’est pas viable non plus, économiquement parlant. Par contre, chez les patients exposés à un risque intermédiaire, c’est un outil qui pourrait être utile. «Nous rencontrerons Santé Canada pour voir de quelle façon cette nouvelle donnée pourrait se traduire en pratique clinique.»

Le Dr Ridker a lui aussi émis une réserve. Bien que le dosage de l’hsCRP se soit révélé comme un outil puissant pour la sélection des patients qui pourraient bénéficier d’un traitement par la rosuvastatine, les résultats de l’étude ne valent que pour la population étudiée, c’est-à-dire des hommes et des femmes d’un certain âge. Les résultats ne doivent donc pas être extrapolés aux patients plus jeunes ou à d’autres types de patients pour l’instant. Il est probable, cependant, que les résultats de JUPITER susciteront de l’intérêt pour le dosage de l’hsCRP en tant qu’outil servant à aiguiller le traitement.

Résumé

Il ressort de l’essai JUPITER que des hommes de plus de 50 ans et des femmes de plus de 60 ans, apparemment en bonne santé et ne présentant pas d’hyperlipidémie, peuvent bénéficier d’un traitement hypolipidémiant par la rosuvastatine lorsque leur taux d’hsCRP excède 2,0 mg/L. Bien que l’on ait mis fin à l’essai JUPITER après un suivi d’une durée médiane de seulement 1,9 an, on a observé une réduction hautement significative de 44 % du risque de survenue du paramètre mixte principal regroupant divers événements CV de même qu’une réduction de 20 % de la mortalité totale. Il n’est pas clair dans quelle mesure la baisse du taux d’hsCRP, si celle-ci y est effectivement pour quelque chose, et la baisse du taux de C-LDL ont contribué aux bénéfices associés à la rosuvastatine lors de l’essai JUPITER, mais on s’attend à ce que l’étude vienne modifier les recommandations actuelles pour l’évaluation du risque et le traitement.

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