Comptes rendus

Antiplaquettaires dans le syndrome coronarien aigu : pour un juste équilibre entre l’efficacité et le risque
Nouvelles options dans la prophylaxie des thrombo-embolies veineuses en contexte chirurgical

L’essai TEAM permet de faire le point sur le traitement adjuvant du cancer du sein précoce

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

FRONTIÈRES MÉDICALES Symposium de San Antonio sur le cancer du sein

San Antonio, Texas / 10-14 décembre 2008

Les résultats de l’essai IES (Intergroup Exemestane Study) – dont la portée était telle que la pratique clinique pourrait s’en trouver modifiée – ont été divulgués pendant le recrutement de patientes pour l’essai TEAM (Tamoxifen and Exemestane Adjuvant Multinational), essai clinique de phase III avec randomisation dans lequel on comparait l’exémestane (inhibiteur de l’aromatase [IA]) et le tamoxifène (modulateur sélectif des récepteurs œstrogéniques [MSRE]) comme traitement adjuvant d’un cancer du sein précoce postménopausique. La diminution du risque de récidive associée à l’exémestane qui a été mise en évidence lors de l’essai IES a nécessité une réévaluation et la modification du plan initial de l’étude TEAM, explique le Dr Stephen E. Jones, US Oncology Research, Houston, Texas.

Selon son plan original qui a été élaboré en 2001, l’essai TEAM visait à comparer le tamoxifène et l’exémestane, tous deux administrés pendant cinq ans comme traitement hormonal adjuvant. Le paramètre principal était le taux de survie sans cancer (SSC) à cinq ans. Comme l’essai IES avait objectivé une augmentation significative du taux de SSC chez les patientes qui étaient passées du tamoxifène à l’exémestane, les investigateurs de l’essai TEAM ont modifié le protocole de façon à comparer un traitement séquentiel tamoxifène-exémestane d’une durée totale de cinq ans (dont 2,5 à trois ans de traitement par le tamoxifène) et un traitement par l’exémestane d’une durée de cinq ans. Les deux paramètres principaux étaient la SSC à 2,75 ans et à cinq ans.

L’essai TEAM réunissait 9775 femmes ménopausées souffrant d’un cancer du sein exprimant des récepteurs hormonaux. Toutes les patientes ont subi une intervention chirurgicale à visée curative, suivie d’une radiothérapie et/ou d’une chimiothérapie, selon la pratique courante de chacun des neuf pays participants. Le traitement hormonal adjuvant était amorcé dans un délai de 10 semaines suivant l’intervention chirurgicale et/ou la chimiothérapie. Une analyse en intention de traiter (IT) de la SSC a révélé un taux de risque (hazard ratio [HR]) de 0,89 (IC à 95 % : 0,77-1,03) en faveur de l’exémestane administré d’emblée, quoique l’écart n’ait pas atteint le seuil de signification statistique (p=0,118). L’analyse de la survie sans récidive (SSR) a fait ressortir une amélioration statistiquement significative de 15 % en faveur de l’exémestane administré d’emblée (HR de 0,85; IC à 95 % : 0,72-1,00; p=0,05). Chez les patientes randomisées dans le groupe qui recevait l’exémestane d’emblée, on a aussi noté une prolongation significative du délai d’apparition de métastases à distance (HR de 0,81; IC à 95 % : 0,67-0,98; p<0,03) (Figure 1).

Figure 1. Délai d’apparition de métastases à distance (analyse en IT)


Les investigateurs ont aussi réalisé une analyse per protocol des données obtenues pendant le traitement avant le passage à l’exémestane et ont exclu les patientes qui n’avaient jamais été traitées. Cette analyse a révélé que l’exémestane était associé à une augmentation significative de 17 % du taux de SSC à 2,75 ans par rapport au tamoxifène (HR de 0,83; IC à 95 % : 0,71-0,97; p=0,021) (Figure 2).

Figure 2. SSC : durant le traitement à l’étude et avant le changement de traitem
ntes jamais traitées

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«Dans l’ensemble, le taux d’événements était à ce moment-là assez faible dans les deux groupes, et je pense que c’est une bonne nouvelle pour les patientes, déclare le Dr Jones. Seulement 570 événements liés au cancer du sein ont été signalés. L’exémestane a été associé à une augmentation des taux de SSC, de SSC durant le traitement à l’étude et de SSR et à une prolongation du délai d’apparition de métastases à distance.»

«Ni l’un ni l’autre de ces traitements n’a occasionné d’effets indésirables inattendus, explique le Dr Jones. Chez les patientes sous tamoxifène, les taux d’événements gynécologiques, de bouffées vasomotrices et d’événements thrombo-emboliques étaient significativement plus élevés. Dans le groupe IA, en revanche, les arthralgies, l’arthrite, l’ostéoporose rapportée et les élévations de la tension artérielle étaient plus fréquentes.

Études satellites de TEAM : santé osseuse, qualité de vie, issue neuropsychologique

L’essai TEAM comportait une évaluation exhaustive de divers facteurs et comportements liés aux habitudes de vie. Trois études satellites de cet essai ont porté sur certaines habitudes de vie et la qualité de vie des patientes atteintes d’un cancer du sein.

Des chercheurs des Pays-Bas ont présenté les résultats de leur évaluation de l’activité physique chez 543 patientes de l’essai TEAM. Ils ont constaté que l’activité physique avait diminué de façon marquée au cours de l’année suivant le diagnostic de cancer du sein, peu importe le niveau initial d’activité physique. Le niveau d’activité physique – qui se chiffrait en moyenne à 51 équivalents métaboliques (MET) avant le diagnostic – est passé à 43 MET au cours de la première année suivant le diagnostic. La deuxième année, l’activité physique a repris en partie (48 MET en moyenne).

La qualité de vie était nettement meilleure chez les patientes qui réussissaient à maintenir un niveau d’activité déjà passablement élevé avant le diagnostic, par comparaison à celles dont l’activité physique avait diminué, précise la Dre Janine van Nes, Institut d’oncologie des Pays-Bas, Amsterdam. Chez les patientes qui sont demeurées actives, on a rapporté de meilleurs scores sur les échelles fonctionnelles de santé physique, émotionnelle, sociale et générale, et cette amélioration était corrélée avec une diminution des symptômes comme la fatigue, la dyspnée et la constipation.

Dans le cadre d’une autre étude satellite, les participantes de l’essai TEAM ont fait l’objet d’une évaluation neuropsychologique au départ de même qu’après un an de traitement hormonal adjuvant sans chimiothérapie. Les résultats ont été comparés à ceux d’un groupe témoin en bonne santé apparié, affirme le Dr Christien Schilder, Institut d’oncologie des Pays-Bas.

Les résultats des tests de mémoire verbale et de fonctions exécutives étaient significativement moins bons chez les patientes sous tamoxifène (p=0,006 et p=0,004, respectivement) que chez les témoins. Le traitement de l’information était aussi moins rapide que chez les patientes sous exémestane selon un test évaluant la vitesse de traitement de l’information (p=0,02). Les groupes de traitement ne différaient pas de manière significative entre eux ni par rapport au groupe témoin sur les plans de la mémoire visuelle, de la mémoire à court terme, de la fluidité verbale, de la vitesse de réaction ou de la vitesse motrice.

L’analyse des résultats en fonction de l’âge a révélé que, sur le plan des fonctions exécutives, les patientes sous tamoxifène de <u><</u>65 ans obtenaient des résultats significativement moins bons que les témoins en bonne santé (p=0,014). Parmi les patientes de >65 ans, celles du groupe tamoxifène ont obtenu des résultats significativement moins bons que les témoins en bonne santé sur les plans de la mémoire verbale (p=0,003) et de la vitesse du traitement de l’information (p=0,03). Les patientes âgées sous tamoxifène ont aussi obtenu des résultats significativement moins bons que les patientes sous exémestane sur le plan de la vitesse du traitement de l’information (p=0,005).

Des analyses distinctes des données provenant des essais TEAM et IES ont permis d’évaluer les effets du tamoxifène et de l’exémestane sur la santé osseuse. Les investigateurs de l’essai TEAM ont évalué l’évolution de la densité minérale osseuse (DMO) au cours des 12 premiers mois de l’étude. La DMO et les marqueurs du renouvellement osseux ont été évalués dans un sous-groupe de 200 patientes au départ, puis après six et 12 mois de traitement hormonal adjuvant. Pour les besoins de l’analyse finale, 161 patientes étaient évaluables.

Si la DMO a diminué entre le début de l’étude et le 12e mois chez les patientes sous exémestane, la diminution était beaucoup moins marquée du 6e au 12e mois, rapporte le Dr Peyman Hadji, Université de Marbourg, Allemagne. Les taux de biomarqueurs du renouvellement osseux ont augmenté chez les patientes du groupe exémestane alors qu’ils ont baissé chez celles du groupe tamoxifène. Les investigateurs ont affirmé qu’ils avaient besoin des données à 24 mois sur la DMO, le renouvellement osseux et le taux de fractures pour tirer des conclusions robustes quant aux effets osseux des deux traitements hormonaux.

Parlant au nom du groupe de travail de l’essai IES, le Dr Robert E. Coleman, Imperial College, Londres, Royaume-Uni, a présenté les données d’une analyse des retombées du traitement sur la santé osseuse après deux ans de traitement hormonal adjuvant (vs valeurs initiales), puis après deux ans de suivi sans traitement. Les données ont montré que la DMO diminuait sous exémestane alors qu’elle demeurait stable sous tamoxifène. Vingt-quatre mois après la fin du traitement hormonal, la DMO avait augmenté dans le groupe exémestane alors qu’elle avait diminué dans le groupe tamoxifène.

Des différences similaires ont été observées quant aux taux de marqueurs du renouvellement osseux, lesquels ont augmenté dans le groupe exémestane durant le traitement pour ensuite diminuer après le retrait du traitement. Des effets contraires ont été observés dans le groupe tamoxifène. En outre, si le taux de fractures a augmenté durant le traitement par l’exémestane, il a diminué de façon substantielle après le retrait du traitement, au point de revenir à un niveau comparable à celui du groupe tamoxifène.

Au chapitre de la DMO, le Dr Coleman et ses collaborateurs concluent que «chez une femme ménopausée souffrant d’un cancer du sein précoce avec récepteurs œstrogéniques, le rapport risque-bénéfice global de la stratégie séquentielle tamoxifène-exémestane est nettement plus avantageux que celui d’un traitement de cinq ans par le tamoxifène».

Nouvelles données à l’appui du rôle d’un IA dans le cancer du sein précoce

Une méta-analyse regroupant près de 20 000 patientes atteintes d’un cancer du sein précoce a permis de mieux définir les bénéfices relatifs associés à un IA, par rapport au tamoxifène, en tant que traitement hormonal adjuvant. Le Dr James N. Ingle, Mayo Clinic, Rochester, Minnesota, a présenté les résultats de deux analyses : (1) comparaisons d’études cliniques qui ont porté sur un IA et le tamoxifène administrés d’emblée pendant cinq ans (1re cohorte) et (2) comparaisons d’études cliniques qui ont porté sur un traitement adjuvant de deux à trois ans par le tamoxifène suivi de la randomisation dans un groupe tamoxifène ou un groupe IA pendant deux à trois années de plus (2e cohorte).

La première analyse regroupait au total 9856 patientes. Le traitement par un IA administré d’emblée a réduit significativement le risque de récidive après cinq et huit ans. Après cinq ans, le taux de récidive se chiffrait à 12,6 % dans le groupe tamoxifène vs 9,6 % dans le groupe IA. Après huit ans, l’écart entre les groupes s’était creusé : 19,2 % pour le tamoxifène vs 15,3 % pour les IA. Sur le plan de la SSR, la supériorité des IA était hautement significative (p<0,00001). L’analyse de la première récidive en fonction du site de la récidive a fait ressortir un avantage systématique en faveur du traitement par un IA.

L’analyse des récidives en fonction de la durée du traitement favorisait aussi les IA, bien que l’ampleur de l’écart se soit amenuisée avec le temps, le HR étant passé de 0,67 entre le début de l’étude et la fin de la 1re année à 0,83 ap
e traitement (Tableau 1).

Tableau 1. Récidives au fil du temps

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La deuxième analyse, dans laquelle on comparait le passage du tamoxifène à un IA avec la poursuite du traitement par le tamoxifène, portait sur 9015 patientes. Tout comme les comparaisons directes, les études sur le changement de traitement ont fait ressortir un avantage systématique en faveur des IA.

Les données cumulées ont mis en évidence, chez les patientes qui étaient passées à un IA, un taux de récidive de 5,0 % à trois ans et un taux de 12,6 % à six ans, par comparaison à des taux correspondants de 8,1 % et de 16,1 % pour le tamoxifène (p<0,00001). L’analyse des données en fonction du site de la récidive et de la durée du traitement faisait aussi pencher la balance en faveur du passage à un IA, et un écart significatif s’est dégagé de chaque comparaison.

«Nous avons analysé les données en fonction du statut des récepteurs de la progestérone, de l’âge, de l’atteinte ganglionnaire et du grade de la tumeur, et nous n’avons pas observé d’hétérogénéité appréciable, ni dans l’ensemble du groupe ni dans les sous-groupes», indique le Dr Ingle. L’analyse des tables de mortalité par cancer du sein, de mortalité sans récidive et de mortalité toutes causes confondues a fait ressortir dans tous les cas que le passage à un IA était avantageux. Dans le cas de la mortalité par cancer du sein, le passage à un IA a été associé à un gain de 0,7 % à trois ans et un gain de 1,6 % à six ans (p=0,02). Sur le plan de la mortalité sans récidive, le bénéfice se chiffrait à 0,4 % après trois ans et à 0,7 % après six ans (p=0,08). Au chapitre de la survie globale (SG), le gain s’est aussi accentué avec le temps, passant de 1,1 % après trois ans à 2,2 % après six ans (p=0,004) (Tableau 2). En conclusion, le passage du tamoxifène à un IA permet de réduire significativement la mortalité par cancer du sein comparativement au tamoxifène seul. Cette méta-analyse n’a objectivé aucun avantage en faveur de l’IA administré d’emblée par rapport au tamoxifène seul
ie.

Tableau 2. Mortalité par cancer du sein, mortalité sans récidive et mortalité toutes causes confondues

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CYP2D6 et métabolisme du tamoxifène

La publication des données de l’étude ABCSG-8 (Austrian Breast and Colorectal Cancer Study Group Trial 8) a jeté un éclairage nouveau sur le phénomène de la résistance au tamoxifène et le rôle des IA dans le traitement du cancer du sein devenu résistant au tamoxifène.

L’auteur principal, le Dr Matthew Goetz, professeur adjoint d’oncologie et de pharmacologie, Mayo Clinic, Rochester, a présenté les résultats d’une analyse rétrospective des données pharmacogénétiques et des profils d’expression génique chez les patientes de l’essai ABCSG-8 ainsi que de la corrélation entre ces profils et l’issue clinique.

Les chercheurs ont décidé de faire cette analyse en raison d’études montrant que le génotype du cytochrome P450 2D6 (CYP2D6) influe fortement sur le métabolisme du tamoxifène. Le tamoxifène est biotransformé en endoxifène, son métabolite actif, par le CYP2D6. Dans une autre communication présentée au symposium, le Dr Goetz et ses collaborateurs ont montré qu’une activité anormale du CYP2D6 (résultant des génotypes CYP2D6*3, *4 et *6) augmentait le risque de récidive du cancer du sein.

L’analyse des données de l’étude ABCSG-8 – qui regroupait près de 3000 patientes – a révélé que 16 % des récidives rapportées dans l’étude étaient survenues chez des métaboliseurs lents. Par contre, chez les métaboliseurs lents, le passage à un IA après deux ans de traitement par le tamoxifène n’était pas associé à un risque accru de récidive.

À la lumière de ces résultats, le Dr Goetz et ses collaborateurs recommandent une évaluation du statut du CYP2D6 chez les femmes ménopausées à qui on envisage de prescrire du tamoxifène comme traitement adjuvant. Le tamoxifène doit être évité chez les patientes porteuses du génotype d’un métaboliseur lent, indiquent-ils. De plus, ces résultats donnent tout lieu de croire que le statut du CYP2D6 devrait être évalué chez les femmes déjà sous tamoxifène et que l’on devrait opter pour un IA en présence d’un génotype de métaboliseur lent.

Résumé

De nouvelles données provenant de l’essai TEAM ont révélé que la SSC pendant le traitement à l’étude s’améliore significativement si on administre l’exémestane d’emblée comme traitement hormonal adjuvant plutôt que le tamoxifène seul. Le rôle des IA dans le traitement adjuvant d’un cancer du sein précoce continue d’évoluer. Ces derniers sont associés à un bénéfice clinique par rapport au tamoxifène. En outre, le passage du tamoxifène à un IA améliore la SSC et la SG. Les études dans lesquelles on tente d’expliquer l’apparition d’une résistance au tamoxifène pourraient offrir de nouvelles options thérapeutiques aux femmes atteintes d’un cancer du sein précoce.

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