Comptes rendus

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Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

PERSPECTIVE PROFESSIONNELLE - Point de vue sur les allocutions présentées aux 81es Séances scientifiques de l’American Heart Association (AHA)

La Nouvelle-Orléans, Louisiane / 9-12 novembre 2008

Commentaire éditorial :

John Eikelboom, MBBS, MSc, FRACP, FRCPA, FRCPC

Division d’hématologie et de thromboembolie, Professeur agrégé de médecine, McMaster University, Hamilton (Ontario)

Les auteurs des lignes directrices de l’AHA/ACC recommandent la prescription d’AAS à une dose de 165 à 325 mg/jour après la mise en place d’un tuteur, la durée de ce traitement étant fonction du type de tuteur : un mois pour un tuteur métallique non médicamenté, trois mois pour un tuteur à élution de sirolimus et six mois pour un tuteur à élution de paclitaxel. Passé cette période, la dose doit être ramenée à 75 à 162 mg/jour. Cependant, observe le Dr Peter Berger, directeur du Center for Clinical Studies, Geisinger Clinic, Danville, Pennsylvanie, les décès d’origine cardiovasculaire (CV), les infarctus du myocarde (IM) et les accidents vasculaires cérébraux (AVC) dans l’étude CURE ont, de fait, été plus nombreux chez les patients sous AAS >200 mg/jour (13,7 %) que chez les patients traités par des doses <100 mg/jour (9,7 %). Qui plus est, les hémorragies majeures (4 %) ont été, en gros, deux fois plus fréquentes dans le groupe soumis à la dose d’AAS la plus forte que dans le groupe soumis à la dose la plus faible.

De même, dans l’étude CHARISMA, on n’a noté qu’une très légère différence entre les doses <100 ou >100 mg/jour au chapitre de l’efficacité. On a enregistré plus d’hémorragies sévères chez les sujets traités par >100 mg/jour (1,8 %) que chez les sujets traités par <100 mg/jour (1,4 %). Voilà qui démontre que la baisse de la dose d’AAS n’amoindrit pas l’efficacité antiplaquettaire et qui justifie, selon le Dr Berger, la prescription d’AAS à raison de 81 mg/jour dans cette population. En ce qui concerne les thiénopyridines, précise le Dr Berger, nous ne savons pas exactement pendant combien de temps les administrer après la pose d’un tuteur médicamenté (TM).

Selon des résultats obtenus dans une sous-population de l’étude CHARISMA atteinte d’une maladie vasculaire symptomatique, la bithérapie antiplaquettaire a été associée, par rapport à la monothérapie, à une diminution du risque de décès CV, d’IM ou d’AVC, bénéfice qui s’est maintenu pendant plus de un an. Tous s’entendent cependant sur le risque d’hémorragie lié à une bithérapie antiplaquettaire ininterrompue. En revanche, comme on ignore encore pendant combien de temps persiste le risque de thrombose sur TM et qu’on ne sait pas non plus pendant combien de temps on devrait idéalement poursuivre le traitement antiplaquettaire afin de réduire ce risque, il est tout de même justifié de ne pas cesser l’administration d’une thiénopyridine chez le patient à risque élevé, surtout s’il n’est pas particulièrement exposé aux hémorragies. Comme on a pu le constater chez les sujets de CURE traités à la fois par une thiénopyridine et de l’AAS, on diminue le risque hémorragique en cessant d’administrer le clopidogrel cinq jours avant une intervention chirurgicale.

Cependant, souligne le Dr Philippe Steg, INSERM, Université Paris VII-Denis Diderot, France, le retrait préopératoire du traitement antiplaquettaire expose les patients à un risque prolongé de thrombose en périopératoire. D’ailleurs, l’interruption prématurée du traitement comporte elle aussi des dangers. Dans le registre PREMIER, par exemple, les chercheurs ont établi un lien significatif, après un suivi de 12 mois, entre le retrait prématuré d’une thiénopyridine après la mise en place d’un TM et les réhospitalisations d’origine cardiaque ainsi que la mortalité. Ou encore, dans le registre des SCA des hôpitaux de la Veterans Administration, on note une hausse marquée de la mortalité toutes causes confondues et des IM au cours des jours et des semaines ayant suivi le retrait d’une thiénopyridine, non seulement chez les patients qui avaient subi une intervention coronarienne percutanée (ICP), mais aussi chez les personnes traitées uniquement par des médicaments. Par ailleurs, le registre de Paris révèle que sur 1358 patients admis à l’hôpital en raison d’un SCA, plus de 68 % ne prenaient pas d’antiplaquettaires par voie orale au moment de l’admission. Dans au-delà de 26 % des cas, le patient avait déjà reçu ce type de traitement, et dans 5,4 % des cas de SCA, l’antiplaquettaire oral avait été retiré depuis peu. Il y a donc lieu, semble-t-il, de redouter l’arrêt du traitement antiplaquettaire dans un contexte de SCA.

La prise ininterrompue d’antiplaquettaires oraux accroît le risque hémorragique, certes, mais les patients ne sont pas tous égaux devant ce risque. Aussi est-il très important d’évaluer le risque hémorragique, surtout lorsqu’on envisage une bithérapie antiplaquettaire au long cours après la pose d’un TM. À noter que l’importance de la bithérapie antiplaquettaire de longue durée est moins grande lorsque le tuteur n’est pas médicamenté. À l’aide des données du registre REACH, le Dr Steg et ses collègues ont élaboré une méthode simple d’évaluation du risque hémorragique dans ce contexte. La cote est fonction de neuf facteurs de risque d’hémorragie majeure : âge, maladie artérielle périphérique, diabète, insuffisance cardiaque, hypercholestérolémie, hypertension, tabagisme, traitement antiplaquettaire et anticoagulothérapie orale. L’évaluation du risque suivant cette méthode pourrait, avance le Dr Steg, aider le clinicien à déterminer si un traitement antiplaquettaire de longue durée est indiqué.

Hémorragie sur fond de SCA

Pourquoi doit-on, dans la mesure du possible, éviter les hémorragies majeures et même mineures dans un contexte de SCA? La question a interpellé plusieurs conférenciers, dont le Dr Harvey White, Auckland City Hospital, Nouvelle-Zélande. Dans une méta-analyse qui porte sur plus de 34 000 victimes de SCA, le lien entre la survenue d’une hémorragie au cours des 30 jours ayant suivi l’événement de référence et la mort est frappant : le taux de mortalité à 30 jours avoisine les 12 % en présence d’une hémorragie majeure contre 2 % environ en l’absence de ce type d’hémorragie.

La méta-analyse ISAR, portant sur 5384 patients soumis à une ICP, a révélé qu’après un an, 14,1 % des sujets ayant subi une hémorragie post-ICP étaient morts contre 3,3 % seulement des sujets exempts d’hémorragie. Toujours dans cette même méta-analyse, toute hémorragie conforme aux critères TIMI (Thrombolysis in Myocardial Infarction) – hémorragie, IM ou intervention urgente de revascularisation dans un délai de 30 jours – revêtait une valeur prédictive indépendante à l’égard de la mortalité à un an, fait remarquer le Dr White.

Plusieurs autres études d’envergure avec randomisation, notamment ACUITY, ont mis en lumière les lourdes répercussions des hémorragies majeures sur la mortalité à 30 jours. En outre, toujours dans l’essai ACUITY, les hémorragies majeures non liées à un pontage aortocoronarien et les IM à 30 jours ont eu un effet significatif sur la mortalité à un an, qui a atteint près de 30 % chez les sujets ayant subi à la fois une hémorragie majeure et un IM par rapport à 12 % environ en cas d’hémorragie majeure seulement, à 8,6 % en cas d’IM seul et à 3,4 % en l’absence d’IM et d’hémorragie majeure. À l’examen des résultats de l’étude ACUITY, d’aucuns pourraient avancer que les hémorragies majeures augmentent davantage le risque de décès à un an que les IM, indique le Dr White.

Le Dr Daniel Simon, chef du Service de médecine cardiovasculaire, University Hospitals Case Medical Center, Cleveland, Ohio, admet l’existence d’un lien entre les hémorragies et les décès, mais estime qu’il ne s’agit pas forcément d’un lien direct. Ainsi, dans le registre GRACE, les hémorragies augmentaient la probabilité de mort intrahospitalière, mais non de mort post-hospitalisation, fait-il remarquer. D’autres facteurs augmentent le risque de décès à court terme, notamment le taux de créatine kinase-MB (CK-MB). En effet, chez les patients dont le taux dépassait >10 fois la limite supérieure normale pendant l’hospitalisation, la mortalité à six mois s’est établie à près de 20 %, contre <5 % chez les patients dont le taux était normal. En outre, note le Dr Simon, un lien se dégage nettement entre la mortalité intrahospitalière et la cessation du traitement antithrombotique, quel que soit l’agent visé. À ses yeux, les facteurs prédictifs de la mortalité sont multiples dans l’essai ACUITY; cela dit, le risque relatif approché (OR, pour odds ratio) est plus élevé pour les hémorragies majeures que pour tout autre facteur. Par ailleurs, dans certains essais avec ICP (p. ex. HORIZONS) consécutive à un IM avec sus-décalage du segment ST (IM ST+), on a enregistré un taux de risque de mortalité (HR, pour hazard ratio) plus élevé après une récidive d’IM (HR=9,75) qu’après une hémorragie majeure (HR=4,66), ajoute le Dr Simon.

Selon l’interprétation qu’il fait des études ISAR, les hémorragies, les IM et les interventions urgentes de revascularisation des vaisseaux cibles à 30 jours revêtent toutes une valeur prédictive comparable à l’égard de la mortalité à un an, leur HR s’établissant respectivement à 2,96, à 2,29 et à 2,49. L’hémorragie, soutient-il, est un événement complexe associé à plusieurs affections concomitantes graves, elles-mêmes prédictives de la mort. Le Dr Simon convient néanmoins que les hémorragies, à la fois dangereuses pour le patient et coûteuses pour le système de soins de santé, doivent être évitées.

Qu’est-ce qu’une hémorragie majeure?

Comme tient à le souligner le Dr Shamir Mehta, professeur agrégé de médecine, McMaster University, Hamilton, Ontario, la définition de l’hémorragie majeure et, partant, l’importance pronostique de l’événement, varie selon l’essai clinique. On doit donc – et c’est là la difficulté – distinguer les hémorragies importantes sur le plan pronostique de celles qui ne le sont pas, a fortiori lorsqu’on compare les taux d’hémorragies enregistrés dans divers essais sur des antiplaquettaires.

À titre d’exemple, les chercheurs de l’essai CURE ont retenu une définition très sensible de l’hémorragie. S’ils avaient plutôt défini l’hémorragie majeure selon les critères TIMI, le risque d’hémorragie n’aurait pas été plus grand dans le groupe clopidogrel-AAS que dans le groupe placebo-AAS, fait valoir le Dr Mehta. Lors de cet essai, on a démontré que le clopidogrel augmentait l’incidence des hémorragies majeures, mais non des hémorragies menaçant le pronostic vital. Autre observation des chercheurs de l’essai CURE : on peut réduire le risque hémorragique en diminuant la dose concomitante d’AAS et en cessant l’administration de clopidogrel cinq jours avant un pontage aortocoronarien.

Le clopidogrel a été comparé à une thiénopyridine plus récente, le prasugrel, lors de l’étude TRITON-TIMI 38, qui réunissait des patients en proie à un SCA ST- ou à un IM ST+. Une ICP était prévue chez tous les sujets, mais ceux du groupe SCA ST- n’ont été randomisés qu’après une angiographie coronarienne. Soulignons ici que l’ICP a été différée dans le groupe SCA ST-, ce qui prive les sujets des bienfaits – démontrés dans l’essai CURE – d’un traitement préalable par le clopidogrel. Les événements majeurs retenus comme paramètres d’évaluation dans l’essai TRITON-TIMI 38 étaient les décès CV, l’IM et l’AVC. On a enregistré une réduction d’environ 20 % du risque relatif de survenue du paramètre principal chez les sujets soumis à un traitement antiplaquettaire plus intense par le prasugrel comparativement aux sujets traités par le clopidogrel aux doses habituelles. Les bénéfices du prasugrel se sont, pour la plupart, concrétisés rapidement, soit pendant la première semaine du traitement.

Il en va de même des thromboses sur tuteur : les bénéfices du prasugrel se sont essentiellement manifestés au cours des sept jours qui ont suivi la randomisation. Le nouvel agent a été associé à une hausse des hémorragies majeures selon les critères TIMI, y compris les hémorragies mettant en jeu le pronostic vital et les hémorragies mortelles. Ces dernières ont été rares, mais significativement plus nombreuses dans le groupe prasugrel, précise le Dr Mehta. On ne doit pas négliger les autres événements hémorragiques répertoriés dans cette étude, puisque les hémorragies mineures selon les critères TIMI ont été plus nombreuses dans le groupe prasugrel (5 %) que dans le groupe clopidogrel (3,8 %). Or, poursuit le Dr Mehta, ces hémorragies mineures ne sont pas totalement dénuées d’importance dans un contexte de traitement antiplaquettaire oral au long cours, car les saignements incommodants – qui se produisent, par exemple, lors de chaque brossage de dents – constituent l’une des principales causes d’abandon du clopidogrel. Les hémorragies nécessitant une transfusion ont également été plus nombreuses dans le groupe prasugrel; qui plus est, le pontage aortocoronarien a entraîné un grand nombre d’hémorragies majeures selon les critères TIMI dans cette cohorte. Dans ces circonstances, estime le Dr Mehta, on devrait attendre au moins sept, voire dix, jours avant de soumettre à un pontage des patients ayant reçu du prasugrel.

Pour ma part, j’ai présenté une nouvelle analyse de l’étude CURE; nous avons examiné les résultats sous un autre angle, c’est-à-dire dans les sous-groupes de l’essai TRITON (antécédents d’AVC ou d’ischémie cérébrale transitoire [ICT], <u>></u>75 ans, <60 kg) qui n’ont tiré aucun bénéfice net du prasugrel, puis déterminé si nous étions en présence d’un bénéfice clinique net ou d’un préjudice clinique net. Les résultats de notre analyse sont exposés ci-après.

Tableau 1. CURE : Antécédents d’AVC ou d’ICT


Tableau 2. CURE : Antécédents d’AVC
gt;75 ans, <60 kg

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Tableau 3. CURE et TRITON-TIMI 38 : Antécédents d’AVC ou d’ICT

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Cette nouvelle analyse de l’essai CURE confirme que la bithérapie antiplaquettaire procure avec constance un bénéfice clinique net aux patients en proie à un SCA ST-, qu’ils soient exposés à un risque faible ou élevé. Par contre, le remplacement du clopidogrel par le prasugrel chez les patients souffrant d’un SCA et ayant des antécédents d’AVC ou d’ICT se solde par un préjudice clinique net; en outre, l’efficacité ne semble pas supérieure à celle du placebo. Selon l’analyse de diverses bases de données, 40 % des victimes d’un SCA présenteraient au moins un de ces trois facteurs, ce qui fait d’eux des patients à risque élevé chez qui le prasugrel ne serait pas recommandé.

Résumé

Dans les années à venir, plusieurs nouveaux antiplaquettaires et antithrombotiques viendront s’ajouter à l’arsenal à notre disposition pour la prise en charge des victimes d’un SCA. Avant de les prescrire de façon systématique, on devra soupeser leur efficacité, d’une part, et le risque hémorragique auquel ils exposent le patient, d’autre part. La réponse aux antiplaquettaires varie suivant le patient. À nous, donc, de trouver la bonne stratégie chez un patient donné, puis de la mettre en oeuvre au bon moment et à la bonne dose. C’est plus facile à dire qu’à faire, bien sûr, mais c’est la seule façon de parvenir à un juste équilibre entre l’efficacité et le risque des antiplaquettaires.

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