Comptes rendus

Stratégies de traitement de la douleur et de l’invalidité associées à la fibromyalgie
Anomalies du métabolisme minéral : améliorer la qualité de vie des insuffisants rénaux chroniques

Nouveau schème de référence dans le traitement de l’insuffisance rénale : résultats de l’étude SMART

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

40e Assemblée/Exposition scientifique annuelle de l’American Society of Nephrology

San Francisco, Californie / 2-5 novembre 2007

Les néphrologues voient des patients qui présentent une protéinurie persistante bien qu’ils reçoivent déjà un inhibiteur de l’ECA, un antagoniste des récepteurs de l’angiotensine II (ARA), ou les deux, à des doses optimisées. Une réduction plus marquée de la protéinurie résiduelle est nécessaire au ralentissement de la progression de la néphropathie, et les spécialistes sont en quête de nouvelles stratégies pour mieux protéger la fonction rénale. Les résultats de l’étude SMART (Supra Maximal Atacand Renal Trial) ont été dévoilés au congrès par la Dre Ellen Burgess, professeure titulaire de médecine, division de néphrologie, University of Calgary, Alberta. L’objectif principal de l’étude SMART était de déterminer la baisse globale de la protéinurie sous l’effet du candésartan à forte dose entre le début et la fin de l’étude. L’objectif secondaire était d’évaluer l’effet du candésartan à forte dose sur la fonction rénale et la tension artérielle (TA).

L’étude SMART regroupait 346 patients hypertendus dont la protéinurie excédait 1 g/24 h depuis au moins six mois. Une fois admis à l’étude, les patients recevaient 16 mg/jour de candésartan pendant huit semaines. De ces 346 patients, 269 présentaient toujours une protéinurie après huit semaines et pouvaient donc être randomisés à double insu dans l’un des trois groupes candésartan suivants : 16 mg/jour ou, après ajustement posologique minutieux, 64 mg/jour ou 128 mg/jour, pendant 30 semaines. Les deux derniers groupes étaient comparés au groupe témoin recevant le traitement actif à raison 16 mg.

Au moment de la randomisation, le profil des patients se définissait comme suit : protéinurie médiane de 2,66 g/24 h; débit de filtration glomérulaire estimatif (DFGe) médian de 49,9 mL/min/1,73 m²; TA initiale moyenne de 132,5/77,5 mmHg; créatininémie médiane de 130 µmol/L; et kaliémie médiane de 4,5 mmol/L. Comme le souligne la Dre Burgess, les patients dont la kaliémie excédait 5,5 mmol/L étaient exclus de l’étude. Environ le tiers des patients présentaient une glomérulopathie primitive, environ 12 % présentaient une néphrosclérose hypertensive et un peu plus de la moitié, une néphropathie diabétique.

À la dernière évaluation, qui avait lieu à 30 semaines, l’analyse en intention de traiter (patients ayant reçu au moins une dose du traitement actif) a révélé une baisse moyenne de 33 % de la protéinurie dans le groupe 128 mg, par comparaison au groupe 16 mg (p<0,0001).

L’analyse qui portait sur les sujets ayant terminé l’étude (toutes les doses administrées pendant 30 semaines) a objectivé une réduction moyenne de 44,3 % de la protéinurie, toujours par rapport au groupe 16 mg (p<0,0001). Dans le groupe 64 mg, la réduction (non significative) était de 16,9 % par rapport au groupe 16 mg (Tableau 1).

Tableau 1. Étude SMART : Réduction moyenne de la protéinurie


«La TA systolique ne différait pas d’un groupe à l’autre au moment de la randomisation ni au terme de l’étude, précise la Dre Burgess. De même, la TA diastolique ne différait pas de manière significative d’un groupe à l’autre au moment de la randomisation ni au terme de l’étude.»

Comme on pouvait s’y attendre, la créatininémie a augmenté légèrement durant l’étude, mais l’élévation ne différait pas de façon notable d’un groupe à l’autre. Fait peut-être encore plus important, la kaliémie «est demeurée bien à l’intérieur des limites de la normale» tout au long des 30 semaines de l’étude et ne différait pas de manière significative entre les trois groupes, tant au moment de la randomisation qu’au terme de l’étude. L’incidence des autres effets indésirables ne différait pas de manière significative entre les trois groupes.

Analyse des résultats de l’étude SMART

Au dire du Dr Paul René de Cotret, professeur agrégé de médecine, Université Laval, Québec, et membre du comité directeur de SMART, les néphrologues tiennent pour acquis depuis longtemps que les doses d’ARA ou d’inhibiteurs de l’ECA indiquées pour le traitement de l’hypertension suffisent à protéger le rein et à abaisser la protéinurie.

«Il n’y a aucune explication logique à cette théorie, mais c’est toujours ce que nous avons supposé», indique-t-il. Si l’on en juge par l’analyse plus détaillée des experts, il est évident que le blocage du système rénine-angiotensine-aldostérone (SRAA) par l’une ou l’autre classe thérapeutique est loin d’être complet, car les agents de l’une ou l’autre classe administrés aux doses optimales, même en association, ne préviennent pas la progression vers l’insuffisance rénale terminale (IRT). Dans les faits, le blocage intra-tissulaire du SRAA nécessite probablement une dose beaucoup plus forte d’ARA ou d’inhibiteur de l’ECA que la dose approuvée pour la baisse des chiffres tensionnels.

Cela est particulièrement vrai pour le rein, ajoute le Dr René de Cotret, car c’est un organe plus difficile à pénétrer pour un agent, sans compter que le taux d’angiotensine II est beaucoup plus élevé dans le rein que dans la circulation. D’après les résultats de l’étude SMART, à tout le moins, le rein pourrait bien être un «tissu prototype» et être révélateur des résultats auxquels on pourrait s’attendre dans d’autres organes cibles, y compris les vaisseaux sanguins et le myocarde, à la même dose ultra-élevée. «Il est du moins plausible que l’effet du candésartan à dose ultra-élevée sur le rein se reproduise dans le myocarde. Chose certaine, ces observations remettent en question l’utilisation de doses antihypertensives à des fins de protection des organes cibles», précise-t-il.

D’ici là, les médecins doivent être prudents et ne pas supposer d’emblée que les résultats de l’étude SMART s’appliquent à tous les ARA, car ils n’ont pas forcément été reproduits dans d’autres essais sur les ARA à dose ultra-élevée.

Lors de l’étude de Rossing et al. (Kidney Int 2005; 68:1190-8), les effets néphroprotecteurs de l’irbesartan à dose ultra-élevée ont été évalués d’après la variation à court terme de l’albuminurie chez des patients atteints d’un diabète de type 2 avec microalbuminurie.

Chaque dose d’irbesartan – soit 300 mg, 600 mg ou 900 mg une fois par jour – a réduit significativement l’albuminurie par rapport aux valeurs initiales, mais la dose ultra-élevée de 900 mg a abaissé l’albuminurie de seulement 15 % de plus que la dose de 300 mg, souligne le Dr René de Cotret. De même, la baisse de la protéinurie observée sous l’effet du valsartan à dose ultra-élevée, par rapport aux doses antihypertensives, lors de l’étude DROP (Diovan Reduction of Proteinuria) n’a pas été aussi prononcée que la baisse de protéinurie observée sous l’effet du candésartan à dose ultra-élevée lors de l’étude SMART.

Baisses comparables de la protéinurie

Lors de l’étude DROP, 391 patients atteints d’un diabète de type 2 et présentant une albuminurie variant entre 20 et 700 µg/min ont reçu 160 mg de valsartan durant les quatre premières semaines, après quoi ils étaient répartis aléatoirement de façon à recevoir du valsartan à la dose standard, à 320 mg ou à 640 mg, pendant 26 semaines de plus. Après quatre semaines, donc avant la randomisation, la baisse de l’albuminurie par rapport aux valeurs de départ était comparable dans tous les groupes. Au terme de l’étude, à 30 semaines, la réduction de l’albuminurie se chiffrait à 49 % dans le groupe 640 mg, à 51 % dans le groupe 320 mg et à 25 % dans le groupe 160 mg.

L’albuminurie a été normalisée chez 24 % des patients du groupe 640 mg vs seulement 12 % des patients du groupe 160 mg. Le Dr René de Cotret fait remarquer que pour l’instant, nous ne devons pas conclure que les résultats de SMART s’appliquent à d’autres ARA. Il précise par ailleurs que les médecins doivent faire preuve de prudence avant de généraliser leur utilisation du candésartan à dose ultra-élevée et qu’ils doivent l’éviter totalement chez les patients dont la kaliémie initiale excède 5 mmol/L.

«Nous devons aussi augmenter la dose de candésartan de manière progressive, comme nous l’avons fait lors de l’étude SMART, c’est-à-dire toutes les deux semaines, et vérifier les taux sériques de créatinine et de potassium à mesure que l’on augmente la dose», ajoute-t-il. Néanmoins, compte tenu de la diminution de la protéinurie que nous avons observée lors de l’étude SMART, «nous estimons que cette [dose ultra-élevée] devrait atténuer l’atteinte rénale», indique-t-il. Un membre du comité directeur de SMART, le Dr Norman Muirhead, professeur titulaire de médecine, University of Western Ontario, London, est d’accord avec le Dr René de Cotret pour dire qu’il est «assez évident» que la protection rénale est loin d’être complète si l’on en juge par les études où un inhibiteur de l’ECA ou un ARA était utilisé pour modifier le SRAA, car l’insuffisance rénale progressait et finissait par devenir terminale chez ces patients.

«La protéinurie résiduelle est en partie responsable de cette situation, explique-t-il, et il est important pour nous tous de trouver des stratégies afin de diminuer la protéinurie davantage.» Même si la prévention de la fibrose est la «clef de voûte» de la protection des organes cibles chez les insuffisants rénaux – et même si aucune étude n’a montré que le traitement peut prévenir l’installation de la fibrose – «nous pensons qu’une diminution de la protéinurie serait bénéfique et permettrait de [prévenir] la fibrose», affirme le Dr Muirhead.

Il s’entend avec la Dre Burgess pour affirmer que la variation de la protéinurie observée sous l’effet de la dose ultra-élevée lors de l’étude SMART était «en grande partie indépendante de toute variation de la TA», car les variations de la TA notées pendant les 30 semaines de l’étude étaient faibles et pas assez notables pour expliquer la réduction marquée de la protéinurie dans le groupe recevant la dose ultra-élevée. Le Dr Muirhead estime aussi important de mentionner que pendant la phase préliminaire de l’étude SMART où les patients recevaient 16 mg, la protéinurie avait déjà baissé de manière significative, au point de chuter en deçà du critère d’inclusion (³1 g/jour) chez de nombreux patients.

«Nous avons délibérément choisi des sujets qui présentaient une protéinurie persistante malgré le fait qu’ils recevaient une dose assez importante de candésartan, et c’est précisément pour cette raison que cette étude est unique. Ces patients étaient bien traités, recevaient un inhibiteur de l’ECA, un ARA ou les deux, et au terme des huit semaines, leur protéinurie était encore d’au moins un gramme par jour. La réduction de la protéinurie sous l’effet de [la dose ultra-élevée] est d’autant plus remarquable que ces patients recevaient déjà un traitement optimal», explique le Dr Muirhead. SMART a de toute évidence préparé le terrain pour une étude plus poussée et de plus longue haleine dont les paramètres d’évaluation seront les événements majeurs, car il reste à démontrer que l’importante diminution de la protéinurie résultant de la dose ultra-élevée de candésartan est effectivement bénéfique pour le rein et qu’elle ralentit la progression de la maladie de façon notable.

Pour l’instant, SMART nous a donné des éléments d’information «que nous attendions, car nous cherchions à savoir s’il était possible de remédier à la protéinurie résiduelle. C’est la première fois que nous avons des données vraiment robustes qui pourront nous aider à résoudre le problème», indique le Dr Muirhead.

Résultats d’autres études

L’un des investigateurs de l’étude SMART, le Dr Sheldon Tobe, professeur agrégé de médecine, University of Toronto, souligne par ailleurs que la plupart des études avant SMART – y compris l’étude de Rossing sur l’irbesartan et l’étude DROP sur le valsartan – avaient porté sur des patients dont l’albuminurie était plus faible.

Au chapitre de la diminution de l’albuminurie, les chercheurs ont rapporté dans ces deux essais des différences que le Dr Tobe qualifie d’assez «mineures» entre l’ARA à dose ultra-élevée et l’ARA aux doses antihypertensives standard.

Les essais antérieurs sur l’insuffisance rénale qui portaient aussi sur deux ARA – à savoir IDNT (Irbesartan Diabetic Nephropathy Trial) et RENAAL (Reduction of End Points in NIDDM with the Angiotensin II Antagonist Losartan Study) – ont également montré qu’en présence d’une protéinurie déjà importante, le devenir de la protéinurie sous l’effet du traitement était fonction du degré de progression de l’insuffisance rénale. Ces résultats augurent bien pour les patients apparentés aux sujets de SMART qui ont reçu l’ARA à dose ultra-élevée.

Plus récemment, l’étude ROAD (Renoprotection of Optimal Antiproteinuric Doses) par Hou et al. (J Am Soc Nephrol 2007;18:1889-98) a confirmé que la dose antiprotéinurique optimale d’un inhibiteur de l’ECA et celle d’un ARA avaient réduit significativement le paramètre principal regroupé (doublement de la créatininémie, IRT ou mort). Dans le cadre de ROAD, 360 patients non diabétiques qui souffraient d’insuffisance rénale chronique avec protéinurie ont reçu des doses traditionnelles de bénazépril (inhibiteur de l’ECA) ou de losartan (ARA) ou des doses que l’on a augmentées progressivement afin d’optimiser l’effet antiprotéinurique.

Après un suivi d’une durée médiane de 3,7 ans, 17,9 % des patients qui avaient reçu la dose antiprotéinurique optimale de bénazépril avaient atteint le paramètre principal regroupé vs 31,3 % des patients ayant reçu la dose traditionnelle (p=0,025). De même, 15,5 % des patients qui avaient reçu la dose antiprotéinurique optimale de losartan avaient atteint le paramètre principal vs 29,5 % des sujets ayant reçu la dose traditionnelle (p=0,022). L’utilisation de doses antiprotéinuriques optimales a également diminué le déclin de la fonction rénale mesurée par la clairance de la créatinine – de 60 % dans le groupe bénazépril et de 55 % dans le groupe losartan. Les deux doses optimales, comparativement aux doses standard, ont aussi permis de ralentir le déclin du DFGe.

Sur le plan de l’incidence globale des événements défavorables majeurs, l’absence de différence significative entre les groupes de traitement est rassurante.

ROAD a été la première étude à montrer qu’une augmentation notable des doses de bénazépril et de losartan – par comparaison aux doses traditionnelles – se traduisait par un bénéfice accru, non seulement sur le plan de la diminution de la protéinurie, mais aussi sur celui des paramètres rénaux majeurs, de conclure les investigateurs.

«Nous pouvons affirmer sur la foi de l’étude ROAD que la baisse de la protéinurie a donné lieu à une réduction très marquée des paramètres d’évaluation, fait remarquer le Dr Tobe. Ainsi, avec l’étude SMART, nous avons un nouveau schème de référence pour le traitement, car nous savons maintenant que nous pouvons prescrire le traitement à très forte dose et ainsi faire une différence dans la vie de nos patients.»

Résumé

Les essais cliniques qui font date ne sont pas monnaie courante en médecine, mais quand il y en a un, il exerce une influence notable sur la prise de décisions cliniques. Nous devons explorer la piste sur laquelle l’étude SMART nous a mis; le suivi devra être plus long et porter sur des paramètres cliniques majeurs afin que nous puissions voir en quoi une réduction plus marquée de la protéinurie persistante protège mieux le rein qu’une réduction obtenue par le même ARA aux doses traditionnelles. D’ici à ce qu’une telle étude ait lieu, les médecins disposent d’excellentes données de substitution indiquant que le candésartan à dose ultra-élevée peut effectivement réduire la protéinurie de façon beaucoup plus marquée qu’à dose antihypertensive optimisée et que, si l’on en juge par l’ensemble des données cumulées à ce jour, ces réductions exercent fort probablement un effet protecteur plus marqué sur les organes cibles qu’un traitement plus faiblement dosé. Certes, on ignore toujours si la même stratégie se traduira par une meilleure protection des autres organes cibles, mais le schème de référence a clairement changé, la maîtrise optimisée de la TA ayant fait place à la protection optimisée des organes cibles, pour le bénéfice éventuel de tous les insuffisants rénaux.

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