Comptes rendus

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Prophylaxie des thrombo-embolies veineuses pour mieux protéger les patients gravement malades

Nouvelles données importantes sur l’utilisation des statines dans l’insuffisance cardiaque

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

80es Séances scientifiques de l’American Heart Association

Orlando, Floride / 4-7 novembre 2007

Dans le cadre d’une nouvelle étude clé, une statine a eu un effet neutre sur le paramètre principal. Ce résultat est en soi un jalon, car il contribue à définir ce que les statines peuvent faire et ne pas faire pour prévenir les événements cardiovasculaires (CV) chez les patients à risque élevé qui souffrent d’insuffisance cardiaque (IC) avancée. Cette étude, intitulée CORONA (Controlled Rosuvastatin Multinational Trial in Heart Failure), a objectivé un lien entre un traitement hypolipidémiant efficace et de nombreux bienfaits au sein d’une population de patients âgés souffrant d’IC systolique, mais la diminution du paramètre principal regroupant divers événements CV majeurs n’a pas atteint le seuil de signification statistique. L’étude révèle que la progression de l’athérosclérose – ce que cible le traitement par une statine – n’est pas la cause première de ces événements chez les patients souffrant d’IC. Ces conclusions sont d’autant plus solides que l’étude portait sur la rosuvastatine, agent hautement efficace pour abaisser le taux de LDL que l’on trouve actuellement sur le marché. Les chercheurs ont observé une diminution de 45 % du taux de LDL et une diminution de 37 % du taux de protéine C-réactive (CRP) chez les sujets randomisés dans le groupe statine.

«L’étude CORONA fournit des éléments d’information clés pour les cliniciens et les scientifiques du monde entier», affirme le Dr Subodh Verma, chirurgien cardiaque, St. Michael’s Hospital, et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l’athérosclérose, University of Toronto, Ontario. Présentant son point de vue sur les résultats de l’étude, le Dr Verma ajoute : «L’IC est associée à un taux de mortalité élevé et, fait digne de mention, les événements mortels ne résultent probablement pas de l’athérothrombose, mais principalement d’une défaillance de la pompe. Chez ces insuffisants cardiaques à risque élevé, l’étude CORONA concorde avec les études antérieures dans la mesure où elle montre que la baisse du taux de LDL se traduit par une baisse de l’incidence des événements vasculaires, y compris l’infarctus du myocarde [IM] et les ACV.»

Les patients recrutés dans l’étude CORONA devaient avoir au moins 60 ans et souffrir d’IC systolique modérée à sévère d’origine ischémique (classes II, III et IV de la New York Heart Association [NYHA]). La fraction d’éjection ventriculaire gauche devait être £40 % chez les sujets souffrant d’IC de classe III ou IV et £35 % chez les sujets souffrant d’IC de classe II. En outre, de l’avis des chercheurs, les sujets admissibles ne devaient pas avoir besoin d’un hypocholestérolémiant au départ (le taux initial de LDL se chiffrait en moyenne à 3,54 mmol/L). De même, au moment où ils étaient admis à l’étude, les patients devaient recevoir un traitement optimal stable depuis au moins deux semaines. La présence d’une maladie hépatique chronique ou d’une maladie péricardique, des antécédents d’IM au cours des six derniers mois ou d’ACV au cours des trois derniers mois, le port d’un stimulateur cardiaque et des antécédents de réaction indésirable à une statine figuraient tous au nombre des critères d’exclusion.

Les 5011 sujets admis à l’étude – qui ont été recrutés dans 371 centres d’Europe et d’Afrique du Sud – ont reçu aléatoirement 10 mg de rosuvastatine ou un placebo, en plus de tous les autres traitements qu’ils recevaient déjà, soit des diurétiques chez près de 90 % des patients, un inhibiteur du système rénine-angiotensine chez plus de 90 % des sujets et un bêta-bloquant chez 75 % des sujets. Ils ont été suivis pendant une période de durée médiane de 32,8 mois. Le paramètre principal regroupait la mortalité CV, les IM non mortels et les ACV non mortels. Les paramètres secondaires étaient notamment la mortalité toutes causes confondues, tout événement coronarien, la mortalité CV et le nombre d’hospitalisations.

Résultats de l’étude

Au terme de l’étude, la rosuvastatine, comparativement au placebo, avait réduit de 8 % le risque d’événements inclus dans le paramètre principal, mais les intervalles de confiance (IC) à 95 % ont traversé la ligne d’unité (taux de risque [HR] de 0,92, IC à 95 % : 0,83-1,02; p=0,12) (Figure 1).

Figure 1. Paramètre principal de l’étude CORONA


Lorsque l’analyse se limitait aux événements thrombotiques majeurs, c’est-à-dire les IM mortels ou non mortels et les ACV, la réduction du risque se chiffrait à 16 % et avait une signification statistique limite (HR de 0,84, IC à 95 % : 0,7-1,0; p=0,05) (Figure 2). La réduction du risque d’IM non mortel a atteint 20 % (116 vs 145; p<0,05). Par ailleurs, les chercheurs ont observé une baisse d’environ 10 % (p=0,007) du taux d’hospitalisations toutes causes confondues, une baisse d’environ 15 % (p<0,001) du taux d’hospitalisations pour cause CV et une baisse de 15 % (p=0,01) du taux d’hospitalisations pour cause d’IC (Figure 3).

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Figure 3. Hospitalisations dans l’étude CORONA

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«Lorsque le plan de l’étude a été élaboré, une réduction de 16 % du paramètre principal était escomptée sous l’effet de la rosuvastatine. Ce n’est pas ce que nous avons obtenu, parce que les décès d’origine CV représentaient la majorité des événements, et la rosuvastatine n’a pas eu d’effet notable sur ce paramètre. Cela dit, si l’analyse rétrospective se limite aux événements athérothrombotiques, on constate une réduction de 16 % exactement sous l’effet du traitement par la rosuvastatine», souligne le Dr Åke Hjalmarson, Institut Sahlgrenska, Université de Göteborg, Suède.

Comme on pouvait s’y attendre avec la rosuvastatine, la baisse du taux de LDL a été marquée : en moyenne, 45 % (p<0,001 vs le taux initial ou le taux des patients sous placebo qui n’a pas varié de façon notable) après trois mois, 41 % (p<0,001) après 15 mois et 34 % (p<0,001) à la dernière visite. Ces baisses ont permis aux patients du groupe de traitement actif d’atteindre un taux de LDL de 1,96 mmol/L en moyenne. Le taux moyen de HDL est passé de 1,24 mmol/L à 1,29 mmol/L, soit une augmentation de 5 %, alors que le taux moyen de triglycérides est passé de 2,01 mmol/L à 1,56 mmol/L, soit une baisse de 22 %. Dans le groupe placebo, aucun de ces taux lipidiques n’a varié de manière significative. Le taux moyen de CRP a chuté, passant de 3,1 mg/L à 2,1 mg/L sous l’effet du traitement actif, soit une baisse de 31,6 %, alors qu’il a augmenté, passant de 3,0 mg/L à 3,3 mg/L dans le groupe placebo, ce qui représente une différence significative de 5 % (p<0,001).

Analyse des données de CORONA : point de vue des experts

Présentant les résultats de l’étude CORONA (Kjekshus et al. N Engl J Med 2007;357(22):2248-61), le Dr Hjalmarson a indiqué que la rosuvastatine était efficace contre les événements athérothrombotiques, mais «nous pouvons supposer que la principale cause de mortalité [chez les patients souffrant d’IC systolique] est une anomalie électrique primitive».

De tous les événements inclus dans le paramètre regroupé, la mortalité CV (morts subites en grande partie) représentait 68 %. En revanche, les IM et les ACV ont été qualifiés de «plutôt non fréquents». Certes, les chercheurs s’attendaient à un taux élevé de mortalité CV, mais, font-ils valoir, les études antérieures avaient montré que les statines protégeaient contre la mort subite, probablement parce qu’elles sont capables de prévenir l’atteinte structurelle qui précède l’instabilité électrique. Des autopsies ont révélé que la moitié de toutes les morts subites sont liées à la rupture d’une plaque athéromateuse. Cependant, les résultats de l’étude CORONA – dont la population était formée d’insuffisants cardiaques – indiquent que la mort subite résulte d’une anomalie électrique primitive imputable à la dilatation ventriculaire et à la présence de tissu cicatriciel, contre lesquelles les statines n’auraient pas l’effet protecteur recherché.

«Les événements cliniques recensés lors de cette étude étaient essentiellement des décès et, dans une population de sujets souffrant d’IC congestive de classe III selon la NYHA, la mort résulte généralement d’une arythmie subite ou d’une progression de l’IC congestive. On a noté une tendance à la baisse des événements ischémiques, ce à quoi on s’attend d’une statines», fait remarquer le Dr Robert C. Welsh, codirecteur du programme de douleur thoracique et professeur agrégé de médecine, University of Alberta, Edmonton. En s’attaquant à une question controversée, l’étude CORONA apporte beaucoup d’information sur la prise en charge des patients atteints d’IC.

«Les patients admis à l’étude CORONA devaient répondre aux critères d’administration d’un traitement de prévention secondaire énergique selon les lignes directrices, comme ce que l’on recommande après un IM, souligne le Dr Welsh. Ces lignes directrices s’appuient toutefois sur des analyses rétrospectives d’études antérieures portant spécifiquement sur des patients souffrant d’IC symptomatique. [L’absence de données prospectives provenant d’études antérieures] explique la pertinence de cette étude.» Il conclut des résultats de l’étude CORONA qu’«il n’y a pas de données montrant hors de tout doute qu’un traitement par une statine doit être amorcé» chez les insuffisants cardiaques dont le risque accru d’événement athérothrombotique n’est pas évident. «Par contre, si ces patients reçoivent déjà une statine et n’ont pas d’effets indésirables, il n’y a aucune raison de mettre fin au traitement.»

La tolérabilité des statines n’a pas été une source d’inquiétude lors de cette étude. On a enregistré moins d’effets indésirables globalement (241 vs 302; p=0,004), moins d’effets indésirables dans la plupart des catégories, et moins d’abandons
dans le groupe rosuvastatine que dans le groupe placebo (Tableau 1).

Tableau 1. Abandons dans l’étude CORONA

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Entre la première et la dernière visite, le taux sérique de créatinine est passé de 115 mmol/L à 125 mmol/L dans le groupe rosuvastatine vs 115 mmol/L à 128 mmol/L dans le groupe placebo. La proportion de patients qui présentaient des taux élevés d’enzymes hépatiques (plus de trois fois la limite supérieure de la normale) était plus faible dans le groupe de traitement actif, quoique la différence n’ait pas été significative sur le plan statistique. Les symptômes musculaires n’étaient pas plus courants sous rosuvastatine, ce qui mérite d’être souligné puisque les patients étaient interrogés activement sur l’apparition éventuelle de symptômes musculaires. La tolérabilité est rassurante chez des patients souffrant d’IC avancée, dont environ 60 % avaient déjà subi un IM, 65 % étaient hypertendus et 30 % étaient diabétiques.

Les résultats de cette étude, y compris les données d’innocuité, soulèvent des questions sur l’utilisation des statines en présence d’IC, car l’essai a été réalisé avec le plus efficace des agents qui abaissent le taux de LDL. La baisse du taux de LDL, même sous l’effet de 10 mg de rosuvastatine, qui était la dose à l’étude, est plus marquée que la baisse observée sous l’effet de quelques-uns des agents de première génération administrés à la dose maximale. De plus, comme le montre la baisse du taux de CRP dans cette étude et d’autres études, la rosuvastatine exerce un effet anti-inflammatoire prononcé, l’un des bienfaits pléiotropes des statines. Essentiellement, il est raisonnable de voir cette étude comme la confirmation ultime des risques et des bienfaits des statines au sein de cette population.

«Cette étude a donné des résultats neutres, mais contrairement à d’autres études dont les résultats sont neutres, je pense qu’elle a généré des données très importantes sur le traitement de la maladie CV», fait valoir le Dr Jacques Genest, directeur de la division de cardiologie, CUSM-Hôpital Royal Victoria, et de la division de médecine expérimentale, Université McGill, Montréal, Québec. «Elle établit les bases dont nous avons besoin pour comprendre l’effet du traitement hypolipidémiant en présence de différents types de risque CV.»

Selon les statistiques de l’American Heart Association, l’IC explique seulement 7 % des décès causés par la maladie CV. La maladie coronarienne et les ACV – que les statines peuvent prévenir très efficacement – représentent près de 70 % des décès. Pour ces derniers, un taux de LDL en deçà duquel aucune protection n’est observée n’a toujours pas été atteint. Chez les patients à risque élevé, le taux de LDL actuellement recommandé dans les lignes directrices canadiennes sur le traitement des dyslipidémies est <2,0 mmol/L, mais il ressort d’analyses rétrospectives d’études comme TNT (Treatment to New Targets) que même un taux plus faible de LDL confère une réduction supplémentaire du risque par rapport au taux cible actuel. Cependant, une proportion substantielle de patients exposés à un risque modéré n’atteint même pas le taux cible de 2,5 mmol/L malgré le traitement par une statine. Une utilisation plus énergique des agents les plus efficaces s’impose.

Résumé

Au dire du Dr Robert Roberts, président et directeur général, Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa, Ontario, «l’étude CORONA était rigoureuse et a apporté une réponse claire. Les statines sont sûres chez les patients souffrant d’IC. Le médecin peut maintenant se rassurer : le patient peut effectivement continuer de recevoir un traitement hypocholestérolémiant par une statine, même si une IC s’installe. De plus, si le traitement ne diminue pas la mortalité, il pourrait toutefois réduire le nombre d’hospitalisations.»

L’étude CORONA a révélé que chez les patients souffrant d’IC modérée à sévère, la baisse du taux de LDL est efficace pour réduire le risque d’événement athérothrombotique, mais pas pour diminuer la mortalité CV, une anomalie électrique primitive semblant être en cause dans la plupart des cas. L’étude a toutefois permis de constater qu’une baisse très efficace du taux de LDL n’est pas nocive dans cette population de patients. Au contraire, les effets indésirables étaient moins fréquents sous rosuvastatine que sous placebo. On a observé une baisse d’environ 10 % (p=0,007) du taux d’hospitalisations toutes causes confondues, une baisse d’environ 15 % (p<0,001) du taux d’hospitalisations pour cause CV et une baisse de 15 % (p=0,01) du taux d’hospitalisations pour cause d’IC. Du fait qu’elles préviennent les événements athérothrombotiques, les statines préviennent probablement aussi l’atteinte structurelle qui augmente le risque d’anomalie électrique au stade avancé. Par contre, les résultats de l’étude CORONA montrent que ce bénéfice ne se concrétise pas chez les patients qui présentent déjà une atteinte structurelle avancée. La protection conférée par les statines semble se limiter aux événements athérothrombotiques. Les résultats de l’étude CORONA soulignent donc la nécessité d’un traitement précoce par une statine pour éviter l’une des pires conséquences de l’athérosclérose, l’IC.

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