Comptes rendus

Efficacité à long terme des anti-TNF dans le traitement du rhumatisme psoriasique
Un pas en avant dans le diagnostic et la maîtrise des maladies gastro-œsophagiennes

Optimisation du traitement par un inhibiteur de la pompe à protons

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

OPTIONS MÉDICALES en Gastroentérologie

Tour d’horizon de la littérature - Mars 2009

Vers l’optimisation des résultats du traitement : la symptomatologie du RGO revisitée

Dr David Armstrong, McMaster University

Particularités de la prescription des inhibiteurs de la pompe à protons chez les patients âgés

Dr Gilbert Doummar, Centre hospitalier Pierre-Boucher

Le point sur les stratégies de prévention des lésions digestives hautes causées par les AINS

Dr Richard H. Hunt, McMaster University

Les IPP génériques sont-ils équivalents aux spécialités d’origine?

Dr Peter J. Lin, Canadian Heart Research Centre

VERS L’OPTIMISATION DES RÉSULTATS DU TRAITEMENT : LA SYMPTOMATOLOGIE DU RGO REVISITÉE

Commentaire éditorial :

David Armstrong, MA, MB BChir, FRCP(UK), FACG, AGAF, FRCPC

Professeur agrégé de médecine, Département de gastroentérologie, McMaster University, Hamilton (Ontario)

Certes, les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) sont très efficaces, mais chez une minorité substantielle de patients, la dose habituelle ne suffit pas à maîtriser totalement le reflux gastro-œsophagien (RGO). L’évaluation des symptômes à l’aide de questionnaires objectifs simples, comme le test PASS (Proton pump inhibitor Acid Symptom Suppression), donne au médecin la possibilité de détecter et d’évaluer une maîtrise insuffisante du RGO, puis d’adapter la prise en charge du patient afin d’améliorer sa qualité de vie. L’incorporation de tels tests dans la pratique clinique quotidienne montre que, pour de nombreux patients, l’atténuation des symptômes au début du traitement par un IPP ne constitue pas forcément une maîtrise optimale, ni même acceptable des symptômes. Comme le RGO est typiquement chronique et peut être d’évolution variable, on doit le réévaluer régulièrement afin de confirmer la maîtrise des symptômes ou, si l’on repère une aggravation, d’adapter le traitement afin de rétablir une maîtrise acceptable.

Soulagement des symptômes résiduels ou récurrents

Le taux relativement élevé de succès obtenu avec les IPP, c’est-à-dire de suppression des symptômes liés à l’acidité gastrique – dont le pyrosis associé au RGO – pourrait expliquer que les médecins tendent à surestimer l’efficacité de cette classe thérapeutique1. L’atténuation des symptômes en réponse à un traitement empirique par un IPP pour des symptômes digestifs hauts confirme que le problème est bel et bien lié à l’acidité gastrique. Cela dit, une réponse rapide, facilement repérable, encourage à la fois le médecin et son patient à penser que le problème est résolu, alors même que les symptômes n’ont pas complètement disparu. Lors du traitement standard par un IPP, la persistance de symptômes résiduels ou la récurrence de symptômes peuvent ainsi être négligées du fait de l’amélioration de la symptomatologie et de la conviction que le traitement optimal a déjà été prescrit, bien que la qualité de vie demeure significativement altérée.

La disparition complète ou quasi complète des symptômes digestifs hauts semble un objectif raisonnable pour la plupart, sinon la totalité, des patients. Ainsi, un traitement de première intention par un IPP à la dose habituelle est approprié chez les patients qui souffrent de pyrosis ou de dyspepsie persistants, mais d’autres schémas thérapeutiques doivent être envisagés si le soulagement des symptômes est insuffisant. On pourra par exemple se tourner vers un autre IPP, fractionner la dose quotidienne d’IPP en deux prises ou encore, doubler la dose habituelle. Les patients doivent également être encouragés à modifier certaines habitudes, s’il y a lieu, comme éviter les repas juste avant le coucher et les aliments qui déclenchent les symptômes.

Nous avons la preuve, confirmée par plusieurs sources, qu’une forte minorité de patients continue de rencontrer des problèmes avec les doses habituelles d’IPP. La donnée la plus parlante est que plus de 20 % des patients sous IPP prennent déjà deux fois la dose standard2. En outre, jusqu’à 50 % des patients traités par un IPP prennent également des médicaments en vente libre, comme des antiacides, pour parvenir à un meilleur soulagement de leurs symptômes3. Selon une enquête menée par l’AGA (American Gastroenterological Association) auprès de 1064 individus, 40 % des patients sous IPP pour un RGO rapportaient des symptômes persistants (>2 épisodes par semaine)4, et 40 % d’entre eux n’en avaient pas parlé à leur médecin. Par ailleurs, les médecins n’avaient pas interrogé 57 % de ces patients pour savoir s’ils prenaient en plus des médicaments en vente libre pour améliorer la maîtrise de leurs symptômes.

Tableau 1. Test PASS (Proton Pump Inhibitor Acid Suppression Symptom)


Chez les patients dont les symptômes ont diminué au début du traitement par un IPP, le lien entre des symptômes résiduels ou récurrents et le problème sous-jacent lié à l’acidité gastrique peut être difficile à établir. Presque tout le monde présente de temps en temps un épisode de pyrosis, mais l’importance que chacun y attribue varie. Lorsqu’on souhaite déterminer si le traitement en cours est adéquat, le critère le plus important est l’effet d’une persistance de la douleur ou d’un inconfort sur les activités quotidiennes – comme le sommeil ou l’alimentation – ou sur le bien-être général. Des questions simples à propos du bien-être permettent au médecin d’obtenir suffisamment d’information pour modifier le traitement; cependant, il y a des avantages évidents à utiliser des méthodes standardisées et reproductibles pour évaluer l’effet des changements thérapeutiques.

Le test PASS, un outil facile à utiliser pour le clinicien

La reproductibilité de plusieurs échelles d’évaluation structurées a été démontrée pour l’évaluation des symptômes de RGO, mais la plupart ont été élaborées à des fins de recherche, sont difficiles à utiliser en pratique clinique et n’ont pas été réellement établies pour évaluer la persistance des symptômes chez des patients déjà traités pour un RGO. Or, comme le RGO persiste fréquemment chez des patients sous IPP, il est nécessaire que les cliniciens puissent disposer d’une méthode pratique. C’est dans cette optique que le test PASS a été élaboré, grâce à la collaboration de plusieurs centres canadiens, et validé à la fois en anglais et en français5. Ce test, destiné au départ aux patients souffrant de RGO et traités par un IPP, se limite à cinq questions auxquelles on répond par un simple oui ou non.

Figure 1. Diminution éventuelle des symptômes chez des patients présentant un
(2 épisodes/semaine)

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Lors de l’étape de validation initiale, on a démontré que le test PASS était fiable et qu’il présentait un degré de corrélation moyen ou élevé avec l’échelle GSRS (Gastrointestinal Symptom Rating Scale). On peut donc utiliser le test PASS pour confirmer des symptômes persistants cliniquement pertinents et pour évaluer l’effet des modifications de traitement. Les résultats des premières études, qui évaluaient l’effet d’un changement de traitement chez des patients dont le test PASS était positif, ont montré que 32 % d’entre eux n’avaient plus aucun symptôme après quatre semaines de traitement par un IPP d’efficacité supérieure pour l’inhibition de l’acidité. Le test PASS validé a donc permis de confirmer qu’une proportion importante de patients présentant des symptômes persistants pouvait être soulagée par un changement de traitement.

On peut envisager plusieurs options pour soulager les patients dont les symptômes persistent sous IPP. Lors de l’étude de validation du test PASS susmentionnée, les patients étaient placés sous esoméprazole. Les résultats d’études comparatives ont révélé que cet agent était plus efficace que les autres IPP pour la maîtrise de l’acidité gastrique sur 24 heures. Bien que l’étude de validation du test PASS ait été réalisée en mode ouvert et n’ait pas eu pour objectif de démontrer la supériorité de l’esoméprazole pour le soulagement des symptômes, sa plus grande capacité à maîtriser l’acidité gastrique lui confère un réel avantage pour la cicatrisation des œsophagites – issue objective pouvant être vérifiée par endoscopie –, ce qui a été démontré par les résultats de toutes les études à double insu qui le comparaient à un autre IPP (oméprazole, lansoprazole et pantoprazole)6,7,8. On a pu également objectiver sa supériorité sur le lansoprazole et le pantoprazole pour la prévention des œsophagites érosives récidivantes9,10.

Stratégies pour la maîtrise du reflux acide

La corrélation directe entre le niveau de maîtrise de l’acidité gastrique et la capacité de cicatrisation a été bien démontrée11. Bien qu’il y ait peu de corrélation entre les symptômes d’une part et la présence ou le degré de cicatrisation d’une œsophagite d’autre part12, l’importance fondamentale de l’acidité gastrique pour l’expression de ces symptômes est quant à elle bien établie. Même si les patients qui souffrent d’un RGO ou d’un pyrosis n’ont pas forcément une sécrétion acide plus abondante que ceux qui ne souffrent pas de symptômes digestifs hauts, la pH-métrie permet de faire le lien entre les épisodes de reflux acides dans l’œsophage et l’apparition des symptômes13. Et cela est vrai, que les patients présentent un reflux non érosif ou une œsophagite.

En cas de symptômes persistants, il est raisonnable de remplacer l’IPP en cours par celui qui a fait preuve de la plus grande capacité de maîtrise de l’acidité gastrique. Selon les résultats d’une méta-analyse de tous les essais comparatifs portant sur les IPP, l’augmentation relative du taux de cicatrisation à huit semaines était de 8 % sous esoméprazole par rapport aux autres IPP (RR 1,08; IC à 95%, 1,05 à1,11)14. Ce plus fort taux de cicatrisation peut logiquement être attribué à la plus grande capacité de maîtrise de l’acidité gastrique de l’esoméprazole.

Lorsqu’on ne parvient pas à supprimer les symptômes avec une seule dose quotidienne d’un IPP, on peut fractionner la dose ou la doubler en ajoutant un comprimé le soir, ce qui est particulièrement approprié chez les patients qui présentent des symptômes nocturnes importants. Le traitement doit être pris le matin, avant le déjeuner et le soir, avant le souper. En effet, les pompes acides sont stimulées par le repas, ce qui facilite la rétention et le transport des molécules actives dans les canalicules sécrétoires des cellules pariétales, et optimise l’inactivation des pompes à protons. La décision de diviser la dose ou de la doubler, plutôt que d’opter pour la dose usuelle, sera plutôt déterminée par le coût de l’opération que par un souci d’innocuité. En effet, la tolérabilité d’une double dose d’IPP délivrée en deux prises est généralement semblable à celle de la dose habituelle donnée en une prise15.

C’est la corrélation étroite qui existe entre la suppression de l’acidité d’une part et la cicatrisation de l’œsophage d’autre part qui guide notre choix vers l’IPP le plus puissant en première intention, surtout si l’on considère qu’en l’absence de symptômes inquiétants ou de risques accrus de complications, on ne doit pas systématiquement réaliser une endoscopie pour affirmer la présence ou la guérison d’une œsophagite. Quoi qu’il en soit, la suppression des symptômes représente en soi un objectif valable et important. Un pyrosis persistant peut miner la qualité de vie, surtout chez les patients qui acceptent leurs symptômes comme un fardeau inévitable. Maintenant qu’ils disposent de stratégies efficaces pour soulager ces patients, les médecins devraient prendre la responsabilité, non seulement de s’enquérir de la fréquence et de la sévérité de leur pyrosis, mais également de réévaluer régulièrement l’expression de leurs symptômes.

Résumé

L’efficacité des IPP contre le RGO est telle que l’on considère qu’une réponse à ce traitement est suffisante pour l’établissement du diagnostic. Cependant, une minorité substantielle de patients, insuffisamment soulagés par des doses habituelles d’IPP, passe inaperçue. Même s’ils sont traités en première intention par un IPP à la dose habituelle16, les patients qui souffrent d’un RGO devraient être interrogés spécifiquement sur la disparition des symptômes après le début du traitement puis régulièrement, lors du suivi de cette maladie typiquement chronique17. Dans le traitement du RGO, les différents IPP ne sont pas toujours équivalents sur le plan de l’efficacité, leur maîtrise de l’acidité intragastrique étant variable sur une période de 24 heures. Cependant, même chez les patients qui résistent au traitement par le plus puissant des IPP à la dose habituelle, d’autres stratégies restent possibles, en particulier le doublement de la dose, l’objectif ultime étant l’obtention d’un soulagement complet ou quasi complet des symptômes.

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PARTICULARITÉS DE LA PRESCRIPTION DES INHIBITEURS DE LA POMPE À PROTONS CHEZ LES PATIENTS ÂGÉS

Commentaire éditorial :

Gilbert Doummar, MD, FRCPC

Chef du service de gastro-entérologie, Centre hospitalier Pierre-Boucher, Longueuil (Québec)

La probabilité que les patients se plaignant d’un pyrosis aient également une œsophagite sous-jacente augmente avec l’âge. La difficulté pour le clinicien réside dans la faible corrélation entre la sévérité du pyrosis et la présence d’une œsophagite, surtout chez les individus âgés dont la sensibilité aux manifestations digestives hautes est diminuée. Dans cette population, il est plus fréquent que des lésions importantes de l’œsophage accompagnent des symptômes pourtant bénins et, à cette situation, s’ajoutent une probabilité plus élevée de symptômes atypiques et un risque accru de complications, découlant d’un RGO mal maîtrisé, et de comorbidité devant être prise en charge simultanément. Ces caractéristiques spécifiques du RGO chez les personnes âgées demandent une adaptation de la prise en charge qui doit favoriser la guérison de l’œsophagite et réduire le risque de complications.

Complications du RGO

Au Canada et dans les autres pays occidentaux, on estime que 10 à 20 % des individus présentent des symptômes de RGO suffisamment sévères et fréquents pour altérer leur qualité de vie1. Bien que la prévalence de cette maladie soit sensiblement plus élevée chez les personnes âgées2,3, c’est surtout l’augmentation substantielle du risque d’œsophagite sous-jacente qui caractérise la présentation du RGO dans cette population. Si moins de la moitié des patients de moins de 60 ans présentent une œsophagite sous-jacente, on rapporte des taux atteignant 80 %chez les plus de 60 ans4. Comme on peut s’y attendre, les complications les plus sévères du RGO, comme l’œsophage de Barrett, sont également plus fréquentes chez les personnes âgées5.

Figure 1. Incidence
e et de l’œsophage de Barrett chez les patients souffrant d’un RGO

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Certes, la sévérité des symptômes n’est pas un indicateur fiable de la présence de lésions œsophagiennes sous-jacentes, quel que soit l’âge, mais le lien est encore plus ténu chez les personnes âgées6. Parmi les patients qui présentent une des formes les plus sévères d’œsophagite, un œsophage de Barrett ou un adénocarcinome de l’œsophage, les personnes âgées sont plus susceptibles d’avoir à la fois moins de symptômes et des symptômes plus bénins que les patients plus jeunes7. Une diminution de la sensibilité à la douleur au niveau des voies digestives hautes chez les personnes âgées pourrait être à l’origine de ce phénomène8. D’autre part, l’augmentation du risque de complications du RGO, dont l’œsophage de Barrett et l’adénocarcinome de l’œsophage, renforce l’importance relative d’un diagnostic fiable et d’un traitement adapté dans cette population9,10.

Symptômes atypiques et recommandations

La fréquence élevée du RGO chez les personnes âgées, et les risques qui y sont associés, doivent motiver un interrogatoire systématique ciblant la fonction digestive. La présence de symptômes atypiques dans cette population est particulièrement digne de mention. Bien que les présentations classiques avec pyrosis ne soient pas rares, une dyspepsie fonctionnelle, une laryngite ou une raucité persistante, une sensation de boule dans la gorge, une perte d’appétit ou des nausées sont parfois les premières manifestations d’un RGO, surtout chez les personnes âgées. Lorsque les symptômes de patients porteurs d’un RGO connu se modifient ou deviennent plus sévères, ou lorsque des symptômes évocateurs d’un RGO sont rapportés pour la première fois, l’interrogatoire doit être minutieux et être axé sur la recherche d’un changement de médicament, d’une modification de l’alimentation ou des habitudes de vie, ou d’un stress inhabituel. Une évaluation des symptômes inquiétants, telles une perte de poids inexpliquée, une dysphagie ou une hématémèse, doit cibler des pathologies autres que le RGO.

En l’absence de tels symptômes, un traitement d’épreuve par un inhibiteur de la pompe à protons (IPP) est intéressant, à la fois dans l’immédiat pour le soulagement du patient et également comme test diagnostic pour la confirmation du lien entre les symptômes et l’acidité gastrique. Chez les patients qui répondent à ce traitement, l’évaluation endoscopique n’est pas urgente. Cependant, chez les personnes âgées, un examen endoscopique doit être pratiqué dans les mois qui suivent le début du traitement en raison de la probabilité accrue de complications importantes. Même si certaines œsophagites légères ou modérées ont eu le temps de cicatriser pendant ce délai, l’endoscopie permet de dépister d’autres pathologies, comme une œsophagite persistante ou un œsophage de Barrett.

En raison du risque accru d’œsophagite et de ses complications, le traitement par IPP devrait être maintenu à la dose complète chez les personnes âgées qui présentent un RGO chronique. Bien que le traitement par un IPP puisse être complété par des modifications des habitudes de vie, comme éviter de manger juste avant de se coucher, celles-ci ne doivent être considérées que comme des mesures d’appoint pour le soulagement des symptômes. De même, on peut associer les antiacides ou les anti-H<sub>2</sub> aux IPP pour obtenir un bon soulagement des symptômes, mais on ne peut pas les substituer aux IPP, surtout chez les personnes âgées, car ils sont inefficaces pour la cicatrisation des lésions. En effet, bien que les anti-H<sub>2</sub> aient permis des taux de cicatrisation de 45 % après 12 semaines de traitement, leur efficacité est inversement proportionnelle à la sévérité de l’œsophagite, et ce, même dans le cadre d’un traitement prolongé11. La supériorité des IPP sur les anti-H2 tient à une maîtrise plus serrée de l’acidité gastrique pendant chaque intervalle posologique12.

Vers un meilleur taux de cicatrisation en cas d’œsophagite sévère

Le même principe explique les différences d’efficacité entre les IPP. On dispose maintenant de plusieurs vastes études multicentriques comparant l’efficacité des différents IPP pour la maîtrise de l’acidité sur 24 heures d’une part et pour la cicatrisation œsophagienne d’autre part. Les deux séries d’études ont mis en évidence un avantage relatif de l’esoméprazole, isomère S de l’oméprazole, par comparaison aux autres IPP. L’esoméprazole a été associé à une efficacité supérieure à celle de tous les IPP actuellement sur le marché quant à la durée du maintien de l’acidité gastrique à un pH>4 sur une période de 24 heures13. Cela explique qu’il soit également plus efficace pour la cicatrisation œsophagienne dans toutes les études le comparant directement à l’oméprazole14, au lansoprazole15</su
le16.

Figure 2. NPT en fonction des grades (A à D) de la classification de Los Angeles

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Dans chaque étude randomisée, l’avantage de l’esoméprazole sur l’IPP auquel on le comparait augmentait avec le degré de sévérité de l’œsophagite. Alors que l’écart était faible dans les œsophagites de bas grade, l’efficacité de plus en plus marquée de l’esoméprazole par rapport à l’autre IPP a produit des différences notables dans les œsophagites de haut grade. Selon les résultats d’une méta-analyse de tous les essais comparatifs, le nombre de patients à traiter (NPT) pour obtenir la cicatrisation d’une œsophagite érosive supplémentaire était de 50 pour un grade A (selon la classification de Los Angeles), de 33 pour un grade B, de 14 pour un grade C et seulement de 8 pour un grade D (figure 2)17.

Ces différences au chapitre de l’efficacité de cicatrisation sont particulièrement importantes chez les personnes âgées, qui présentent un risque accru d’œsophagite et également de complications ultérieures, d’autant plus que l’avantage relatif de l’esoméprazole persiste lorsqu’on compare entre eux les IPP administrés en traitement de fond pour la prévention des récidives d’œsophagite. Par exemple, lors de la prolongation d’une étude qui comparait, durant la phase de cicatrisation, l’efficacité de l’esoméprazole et celle du pantoprazole, tous deux administrés à 40 mg en une prise par jour, la rémission clinique après six mois de traitement de fond (posologie ramenée à 20 mg en une prise par jour pour les deux agents) se maintenait chez 87 % des patients sous esoméprazole vs 74,9 % des patients sous pantoprazole (p<0,0001)18. Lors d’une autre étude comparant l’esoméprazole et le lansoprazole en traitement de fond, l’avantage de l’esoméprazole était similaire19.

Plaidoyer en faveur d’un traitement chronique par un IPP

La prescription d’un traitement à la demande pour soulager les symptômes pendant la période d’entretien ne convient pas aux personnes âgées, qui présentent un risque accru d’œsophagite. La probabilité élevée de complications et la possibilité qu’une maîtrise inconstante de l’acidité gastrique favorise la persistance d’une œsophagite militent également en faveur d’un traitement chronique. Là encore, il est particulièrement important de prescrire d’emblée l’IPP le plus puissant, car l’œsophagite peut persister en l’absence de symptômes, et les endoscopies qui pourraient faire la preuve de la cicatrisation sont coûteuses et peu pratiques à réaliser. Les IPP autres que l’esoméprazole, dont la métabolisation est différente et dont le risque d’interactions médicamenteuses diffère légèrement, devraient être réservés aux cas d’intolérance.

Le traitement par un IPP est remarquablement sûr dans tous les groupes d’âge, y compris chez les personnes âgées. Une tolérabilité et une innocuité élevées sont particulièrement appréciées dans cette population qui présente souvent une comorbidité ainsi qu’une vulnérabilité accrue aux effets indésirables. Bien que deux récentes études cas-témoins aient soulevé des inquiétudes à propos d’une possible association entre la prise d’IPP et les fractures de la hanche20,21, le risque était faible et les efforts qu’on a déployés pour cerner un mécanisme biologique plausible, comme une interférence avec le métabolisme calcique, n’ont pas donné de résultat convaincant. En raison du manque de cohérence des données et du risque très faible malgré des calculs exacts, l’Association canadienne de gastro-entérologie a rédigé une déclaration de principes dans laquelle elle ne formule aucune recommandation particulière pour la prescription d’un IPP, y compris en présence d’ostéoporose avérée22. Cette déclaration précise en outre que la classe des IPP demeure l’une des mieux tolérées en pratique clinique.

Le diagnostic et la prise en charge du RGO chez les personnes âgées sont souvent compliqués par la présence d’autres affections. Les symptômes du RGO doivent être distingués de toute une panoplie de symptômes d’autres causes possibles, dont des symptômes digestifs hauts associés aux traitements administrés pour d’autres raisons. Les efforts déployés pour la confirmation d’un diagnostic de RGO sont justifiés, car c’est une occasion importante pour le médecin d’améliorer la qualité de vie de son patient. Nous disposons de nombreuses données montrant qu’un RGO chronique peut influer sur les activités quotidiennes et la qualité du sommeil indépendamment du risque de complications encouru23. Lorsqu’on suspecte un RGO chez un patient, un traitement d’épreuve par un IPP est un moyen simple et efficace de confirmer que l’acidité gastrique est à l’origine de ses symptômes. Néanmoins, le soulagement des symptômes n’est pas une fin en soi, en raison du risque de lésions œsophagiennes sous-jacentes.

Résumé

Le RGO est une pathologie fréquente à tout âge, mais il fait courir des risques particuliers aux personnes âgées. Bien que les symptômes du RGO puissent être plus modestes dans cette population, les risques de l’œsophagite sont plus élevés et les complications du RGO, dont l’œsophage de Barrett et l’adénocarcinome de l’œsophage, sont plus fréquentes. Les IPP conviennent au traitement de première intention du RGO, quel que soit l’âge des patients, mais les différences d’efficacité entre les IPP peuvent revêtir une importance particulière chez les aînés. Les résultats de vastes études randomisées ont démontré que l’esoméprazole permettait une maîtrise plus serrée de l’acidité gastrique et qu’il était associé fois après fois à une cicatrisation plus efficace, particulièrement dans les œsophagites de haut grade, qui sont plus fréquentes chez les personnes âgées et exposent ces dernières à un risque accru de complications.

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LE POINT SUR LES STRATÉGIES DE PRÉVENTION DES LÉSIONS DIGESTIVES HAUTES CAUSÉES PAR LES AINS

Commentaire éditorial :

Richard H. Hunt, MD, FRCP, FRCPC, FACG, AGAF

Farncombe Family Institute of Digestive Health Research Institute, McMaster University Health Science Centre, Professeur titulaire de médecine, Division de gastroentérologie, McMaster University, Hamilton (Ontario)

Au Canada et dans d’autres pays industrialisés, plus du tiers de la population de plus de 65 ans prend régulièrement des AINS ou de l’AAS pour soulager les symptômes des maladies inflammatoires chroniques ou réduire le risque cardiovasculaire (CV). Or, ces agents augmentent sensiblement le risque de complications digestives hautes ou basses. Dans la présente analyse des stratégies de prise en charge des risques digestifs hauts, nous nous intéresserons tout particulièrement aux risques qui se font concurrence. Par exemple, l’enthousiasme soulevé initialement par le tableau d’innocuité digestive plus avantageux des AINS sélectifs envers la COX-2 a été tempéré par le retrait de plusieurs agents de cette classe à cause d’un risque accru d’événements CV. Par ailleurs, l’AAS faiblement dosé, prescrit couramment pour la réduction du risque CV, augmente le risque d’hémorragies digestives et vasculaires cérébrales, si bien que le clinicien doit bien peser le pour et le contre avant de rédiger son ordonnance. Les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) peuvent offrir une certaine protection contre les hémorragies digestives causées par les AINS non sélectifs, mais chez le patient particulièrement vulnérable à ce type d’hémorragie, il est sans doute préférable d’associer plutôt un inhibiteur de la COX-2 à l’IPP. En présence d’un risque CV élevé, l’AAS peut s’imposer; si le risque CV est très élevé, on évitera tant les inhibiteurs sélectifs de la COX-2 que les AINS non sélectifs. Chez le sujet âgé, il est essentiel de soupeser avec soin les divers risques pour la santé afin d’assurer une prise en charge bien adaptée aux besoins du patient.

Risque relatif du traitement au long cours par des AINS

Le taux annuel de complications digestives majeures pendant un traitement au long cours par des AINS, telles que des hémorragies graves, des perforations ou des obstructions, est de 1 ou 2 %1, et il grimpe à 4 ou 5 % si l’on tient compte des ulcères d’intérêt clinique2. Il s’agit là de risques non négligeables, vu l’utilisation répandue des AINS. Ainsi, 20 % des Canadiens de 65 ans ou plus ont reçu une ordonnance d’AINS en 20003; or, ce groupe d’âge est plus vulnérable que les autres aux complications digestives de ces agents. Qui plus est, il y a lieu de penser que la disponibilité d’AINS grand public augmente notablement la proportion de personnes âgées exposées à ces médicaments. Ajoutons à cela que le traitement au long cours par l’AAS aux fins de cardioprotection n’est pas sans risque lui non plus et complique encore davantage les stratégies de réduction du risque digestif lors de la prescription d’AINS4.

Pour atténuer le risque de complications digestives associé aux AINS, plusieurs stratégies efficaces s’offrent au clinicien5. Lors du choix de la stratégie, il est souhaitable d’évaluer les risques digestifs en tenant compte des autres ennuis de santé du patient. Si le sujet de plus de 65 ans est exposé d’emblée, du fait de son âge, à un risque appréciable d’hémorragie digestive, ce risque augmentera en flèche en présence d’antécédents d’ulcère gastroduodénal, a fortiori s’il y a eu aussi hémorragie digestive haute6. Les anticoagulants telle la warfarine élèvent le risque hémorragique, tout comme l’utilisation concomitante de corticostéroïdes systémiques et d’antiplaquettaires tels l’AAS ou le clopidogrel. L’infection par Helicobacter pylori accroît également le risque d’ulcère et d’hémorragie ulcéreuse chez les patients sous AINS. Plus ces facteurs sont nombreux, plus le risque d’ulcère et de complications est grand; dans certains cas, par exemple l’infection par H. pylori et l’utilisation d’AINS, ils agissent même en synergie7. Chez un patient âgé traité par un AINS, on peut conclure à l’existence d’un risque digestif élevé dès la présence d’un seul facteur de risque additionnel, par exemple des antécédents d’hémorragie ou encore un traitement anticoagulant ou antiplaquettaire. S’il existe au moins deux facteurs de risque additionnels, le risque relatif est très élevé et peut justifier la mise en œuvre de plus d’une stratégie de réduction du risque hémorragique8.

La façon la plus simple de réduire le risque est évidemment de ne pas prendre d’AINS. Seulement, pour de nombreux patients souffrant de maladies articulaires inflammatoires, le traitement au long cours par un AINS est la seule et unique voie d’accès à une qualité de vie acceptable. Les autres agents susceptibles d’apporter un soulagement adéquat, notamment les narcotiques, traînent souvent à leur suite un cortège d’effets indésirables que le clinicien devra évaluer soigneusement à l’aune du risque d’hémorragie digestive et des critères qui, aux yeux du patient, définissent une qualité de vie acceptable. Lorsqu’on décide de prescrire un traitement d’entretien par un AINS, on met généralement en place l’une des deux stratégies suivantes : prescription d’un AINS sélectif envers la COX-2, qui risque moins d’entraîner des complications digestives qu’un agent inhibant à la fois la COX-1 et la COX-2, ou prescription d’un gastroprotecteur. L’association de ces deux stratégies assurera une protection digestive optimale9.

Lorsqu’on a précisé les rôles respectifs de la COX-1 et de la COX-2 - la première favorise la synthèse des prostaglandines cytoprotectrices, tandis que la seconde a pour principale fonction de transmettre les signaux douloureux et inflammatoires - on espérait que les AINS sélectifs envers la COX-2 soient des analgésiques aussi efficaces que les agents non sélectifs, qui épargneraient toutefois l’appareil digestif. Deux développements ont modéré cet engouement initial. D’abord, on a constaté que la sélectivité envers la COX-2 était relative. En effet, il est vrai que les inhibiteurs de la COX-2 entraînent généralement moins de problèmes de dyspepsie que les AINS non sélectifs; cela dit, les taux de dyspepsie et d’ulcères gastroduodénaux demeurent plus élevés avec ces agents qu’avec un placebo, et ce, même avec les agents les plus sélectifs envers la COX-210,11. Ensuite, il semble que les inhibiteurs de la COX-2 sur le marché soient associés à un risque relatif accru d’événements CV12. Les inhibiteurs de la COX-2 encore disponibles présenteraient un risque CV qui, bien qu’il soit variable, serait néanmoins plus faible que le risque associé aux agents retirés du marché, et ce risque serait équivalent à celui des AINS non sélectifs13. Les autorités sanitaires ont exigé qu’une mise en garde au sujet du risque CV accompagne les AINS actuellement sur le marché; ce risque est particulièrement préoccupant chez les personnes âgées, éventuellement plus exposées aux événements CV qu’aux hémorragies digestives. On s’interroge sur le ou les mécanismes à l’origine de cette hausse du risque CV lié aux inhibiteurs sélectifs de la COX-2 et aux AINS non sélectifs, d’au
onnées étayent l’hypothèse d’un effet prothrombotique direct.

Tableau 1. Facteurs qui s’additionnent pour augmenter le risque de complications digestives

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Gastroprotection par un IPP

La prescription concomitante d’un gastroprotecteur est la solution qui coule de source chez la majorité des patients à risque digestif modéré, par exemple dont le seul facteur de risque est l’âge (plus de 65 ans). Les médicaments étayés le plus solidement par les essais comparatifs sont le misoprostol, analogue synthétique de la prostaglandine E, et les IPP. Cependant, le misoprostol et les IPP ne sont pas sur un pied d’égalité : en effet, la cytoprotection par le misoprostol nécessite une posologie maximale, soit 200 µg4 f.p.j., et une diarrhée survient chez plus de 20 % des utilisateurs. Qui plus est, le misoprostol n’offre qu’une légère protection contre les complications digestives14.

L’efficacité des IPP pour la cicatrisation des ulcères provoqués par les AINS a été démontrée; ces agents se sont révélés plus efficaces et mieux tolérés que le misoprostol lors d’essais comparatifs15. Ils agissent en inhibant la sécrétion acide, cofacteur important dans la détérioration de la muqueuse gastrique chez les sujets sous AINS16. En effet, comme on a pu le constater lors d’essais comparatifs au moyen d’anti-H<sub>2</sub>, le degré de suppression de la production d’acide gastrique est important. Ainsi, les anti-H<sub>2</sub> peuvent guérir efficacement les ulcères provoqués par des AINS, mais l’oméprazole à la posologie habituelle, soit 20 mg1 f.p.j., s’est montré plus efficace que la ranitidine à 150 mg 2 f.p.j. en prévention des récidives ulcéreuses sous AINS pendant six mois17. De plus, les IPP sont des agents très sûrs et bien tolérés. Toutefois, bien que les IPP se lient de manière irréversible à la pompe à protons de la cellule pariétale productrice d’acide gastrique, leur demi-vie plasmatique ne dure qu’une heure. La protection qu’ils offrent diminue donc au fur et à mesure que de nouvelles pompes à protons sont synthétisées. En clair, cela signifie que la sécrétion acide reprend avant la dose d’AINS du soir. La plupart des AINS sont des molécules acides et certains, dont le naproxen, doivent être pris deux fois par jour. Cela dit, il existe de nouvelles solutions à ce problème, par exemple l’association d’un IPP et d’un AINS dans un seul comprimé à prise biquotidienne.

Il n’existe pas de comparaison des divers IPP en prophylaxie des complications digestives des AINS, mais la plupart sont indiqués pour le traitement des troubles digestifs causés par les AINS. Les bénéfices associés à l’IPP à la dose indiquée sont liés à la période pendant laquelle le pH demeure >4,0 sur 24 heures. Selon deux études, l’esoméprazole maîtriserait l’acidité intragastrique plus efficacement que certains autres IPP aux doses étudiées, y compris chez les patients sous AINS18,19. On ne s’est pas penché sur la pertinence de l’effet antisécrétoire plus marqué de l’esoméprazole en prévention des ulcères causés par les AINS, mais son efficacité chez les utilisateurs d’AINS lui confère des avantages appréciables sur les anti-H2 pour la prévention des complications digestives en cas de poursuite du traitement par des AINS20.

Les patients les plus exposés aux complications digestives hautes des AINS présentent généralement de multiples facteurs de risque, le principal étant les antécédents d’hémorragie digestive haute. Cependant, la prise de fortes doses d’AINS, une polythérapie par des AINS et l’utilisation concomitante d’AAS, de clopidogrel ou d’un anticoagulant peuvent majorer le risque au point de justifier l’association de diverses stratégies prophylactiques. Chez les patients à risque CV faible ou modéré, mais à risque élevé de complications digestives, il est raisonnable d’associer un inhibiteur de la COX-2 et un IPP, stratégie éprouvée de réduction du risque21. Selon les auteurs de plusieurs lignes directrices, dont certaines ont été rédigées précisément pour le Canada, c’est là une prise en charge raisonnable et prudente du patient présentant de multiples facteurs de risque22,6. Chez les patients à risque CV élevé, on tentera de réduire le risque digestif en évitant les inhibiteurs de la COX-2; il faudra préciser le rôle éventuel des AINS non sélectifs dans ce contexte.

Facteurs de risque multiples : une question d’équilibre

La mise au jour des risques CV des inhibiteurs de la COX-2, suivie de la découverte subséquente de risques similaires avec les AINS non sélectifs, nous a rappelé de manière fort opportune qu’aucun traitement n’était totalement dénué de risques et qu’il y avait interdépendance entre les divers organes. Ces constatations font ressortir l’importance d’une prise en charge holistique du risque, en particulier chez les personnes âgées. Dans les anciennes lignes directrices sur la prise en charge des risques digestifs des AINS, on cherchait le juste équilibre entre la maîtrise des maladies inflammatoires et les complications digestives; plus récemment, on a commencé à prendre en considération l’effet des AINS sur divers organes. À titre d’exemple, on évalue aujourd’hui la fonction rénale avant de prescrire un AINS, et on pourrait un jour tenir compte, lors du choix d’un médicament, de l’éventuelle capacité des AINS d’inhiber la croissance des cancers de l’appareil digestif. L’AAS offre une protection avérée contre les cancers des voies digestives basses, tout comme d’ailleurs les AINS sélectifs envers la COX-223. Le recours à ces agents pour la réduction du risque de cancer en cas de polypose adénomateuse familiale (PAF) est envisageable, mais on n’en recommande pas l’utilisation systématique ni pour le traitement ni pour la prévention du cancer chez les patients exempts de PAF.

Il faudra, à n’en pas douter, raffiner les méthodes d’évaluation des risques et des bienfaits des divers traitements offerts pour traiter plus judicieusement les personnes âgées, souvent aux prises avec plusieurs maladies. Il existe des démarches reconnues qui permettent d’évaluer le risque CV sur une période donnée, par exemple 10 ans, en tenant compte de divers facteurs de risque. En revanche, l’évaluation des divers facteurs qui augmentent le risque de survenue d’événements digestifs, tels que des hémorragies digestives hautes, relève davantage de l’expérience que de la science. On devra se donner une méthode permettant d’évaluer les risques de survenue d’événements graves, y compris la mort, sur une même échelle pour l’ensemble de l’organisme. On doit donc élaborer les stratégies de prévention des complications digestives des AINS en tenant compte de la santé rénale, de la santé CV et, à vrai dire, de la santé globale du patient.

Résumé

Plus un patient est âgé, plus la prise d’AINS est risquée. L’âge constitue, en soi, un facteur de risque important de complications, notamment d’ulcères et d’hémorragies digestives hautes menaçant le pronostic vital, chez le patient sous AINS. En outre, les personnes âgées sont plus susceptibles de prendre des anticoagulants et des antiplaquettaires, agents qui majorent les risques digestifs des AINS. Auparavant considérés comme des outils de choix pour la prise en charge des risques digestifs, les AINS sélectifs envers la COX-2 sont aujourd’hui utilisés moins librement en raison du risque accru d’événement CV auquel ils ont été associés. Cela dit, les AINS non sélectifs présentent eux aussi un risque CV qu’on ne saurait négliger lors du choix d’une stratégie thérapeutique. La gastroprotection au moyen d’un IPP est considérée comme la solution la plus efficace et la plus sûre pour la réduction du risque de complications digestives. Cependant, on souhaitera peut-être protéger doublement les patients les plus vulnérables sur le plan digestif en associant IPP et inhibiteur de la COX-2, si bien sûr le risque CV relatif le permet. Il existe des différences entre les IPP et les anti-H<sub>2</sub>, mais une chose est sûre : une maîtrise plus serrée de l’acidité gastrique est essentielle à la protection des voies digestives hautes.

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LES IPP GÉNÉRIQUES SONT-ILS ÉQUIVALENTS AUX SPÉCIALITÉS D’ORIGINE?

Commentaire éditorial :

Peter J. Lin, MD

Directeur, Primary Care Initiatives, Canadian Heart Research Centre, Toronto (Ontario)

L’équivalence réelle entre les génériques et les spécialités d’origine a toujours été controversée. La commercialisation récente de formes génériques des inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) n’atténuera vraisemblablement pas cette controverse, étant donné le nombre imposant de patients qui reçoivent ces agents. Pour qu’un médicament soit homologué, il faut en général faire la preuve d’un bénéfice clinique. Dans le cas des IPP, par exemple, il a fallu démontrer leur capacité à soulager les symptômes, à normaliser le pH ou à cicatriser les lésions liées à l’œsophagite. Les génériques sont jugés différemment, c’est-à-dire sur des critères de bioéquivalence plutôt que d’équivalence clinique. Pour être considéré comme bioéquivalent, le générique doit conduire à des concentrations plasmatiques qui ne diffèrent pas de plus de 20 % de celles de la spécialité de référence, ce qui est mesuré par l’aire sous la courbe (ASC). Le soulagement symptomatique, la normalisation du pH ou le taux de cicatrisation ne sont pas comparés. Or, comme les IPP sont prescrits à un très grand nombre de patients, il serait abusif d’assimiler bioéquivalence et équivalence clinique, a fortiori si l’écart toléré est de plus ou moins 20 %. On dit très souvent aux patients que les génériques sont équivalents à la préparation d’origine. Du point de vue juridique, cela soulève la question de la responsabilité s’il survient une complication causée par cette différence dans la définition de l’équivalence. Dans le cas des IPP, qu’arrive-t-il si un patient présente une hémorragie ou une sténose?

Variabilité interindividuelle des résultats thérapeutiques

La bioéquivalence, critère d’interchangeabilité d’un générique et d’un composé chimique de référence dont le brevet est échu, est établie sur des dosages plasmatiques effectués à intervalles réguliers chez des sujets sains évalués en mode croisé. Cette définition est admissible si la marge acceptable est très étroite par rapport à la spécialité d’origine. Elle peut aussi s’avérer fort utile si l’on a utilisé un échantillon suffisamment important pour vérifier que cette marge étroite est maintenue dans la majorité de la population. Toutefois, dans les faits, le nombre de sujets évalués est souvent restreint (moins de 50). Selon les normes appliquées par Santé Canada aux IPP, un générique est considéré comme bioéquivalent à la préparation d’origine si les ASC des deux formes ne diffèrent pas de plus de 20 %1. Ni l’issue clinique pour laquelle ils sont indiqués ni leur innocuité relative ne sont comparées. Même si l’on applique des normes plus rigoureuses pour établir la bioéquivalence de composés à indice thérapeutique très étroit et comportant un risque de toxicité considérable, tels les antinéoplasiques, ces normes ne touchent pas les IPP.

Les IPP cicatrisent les lésions et suppriment les symptômes associés à l’hyperacidité en inhibant la sécrétion d’acide gastrique. On observe une corrélation entre le degré de suppression de l’acidité et le bénéfice clinique2. Cette corrélation explique pourquoi les IPP sont plus efficaces que les antagonistes des récepteurs H<sub>2</sub>, eux-mêmes supérieurs aux antiacides à l’égard des principaux paramètres d’évaluation3. Cela explique également la différence significative observée entre les IPP quant à la cicatrisation des lésions liées à l’œsophagite4. Lors d’études comparatives directes d’envergure qui comportaient des évaluations endoscopiques, l’IPP maîtrisant le mieux l’acidité sur 24 heures — l’esoméprazole — était associé à un taux de cicatrisation significativement plus élevé que les trois autres IPP auxquels il était comparé5,6,7.

Analyse de l’efficacité selon la sévérité de la maladie

Fait particulièrement intéressant, lorsqu’on a classé les patients selon la sévérité de la maladie, on a noté une différence encore plus marquée. Chez les patients dont l’œsophagite était superficielle, tous les IPP ont été efficaces pour cicatriser les lésions. Toutefois, dans les cas plus sévères, l’esoméprazole était nettement supérieur, ce qui pourrait être attribuable à sa meilleure maîtrise du pH au cours du nycthémère.

Un bénéfice très marqué a été constaté. Par exemple, dans l’étude qui comparait l’esoméprazole à 40 mg au pantoprazole à 40 mg, tous deux administrés une fois par jour, le taux de cicatrisation observé après quatre semaines de traitement chez les patients présentant une œsophagite de stade D (sévère) était respectivement de 61,4 et 40,2 % (p<0,001). Il s’agit d’une différence absolue de presque 20 %, ce qui correspond à un nombre de patients à traiter de seulement 5.Un avantage similaire en faveur de l’esoméprazole — là encore corrélé avec une sévérité croissante — a aussi été observé dans les comparaisons directes avec l’oméprazole et le lansoprazole5,6. Force est donc de constater qu’il existe des différences entre les IPP même parmi les spécialités d’origine.

Bioéquivalence vs équivalence clinique

Si même les différents IPP d’origine ne sont pas identiques au chapitre de la cicatrisation, que faut-il attendre de génériques dont les concentrations plasmatiques pourraient présenter un écart de 20 %? Et surtout, étant donné l’absence de données cliniques, comment connaître les vrais effets de cette différence éventuelle? D’autre part, les concentrations plasmatiques d’un médicament sont un paramètre très utile dans le cas de médicaments qui sont actifs une fois parvenus dans la circulation générale. Or, les IPP restent inactifs jusqu’à ce qu’ils atteignent le milieu très acide des canalicules de la cellule pariétale acidosécrétrice3. Ils ne sont activés qu’en ce point de leur parcours. En d’autres termes, une fois qu’un IPP a atteint la circulation générale, il lui reste encore plusieurs étapes à franchir avant d’atteindre sa cible et d’exercer ses effets. Ces étapes subséquentes ne seraient pas prises en compte par la simple mesure de l’ASC. Co
nts, il est licite de penser que la bioéquivalence des concentrations plasmatiques ne garantit pas l’équivalence clinique.

Figure 1. Taux de cicatrisation des lésions œsophagiennes après huit semaines

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Lors d’une étude croisée de très petite taille (N=7) au cours de laquelle on a comparé trois préparations génériques de l’oméprazole avec la spécialité d’origine, l’enregistrement du pH intragastrique sur 24 heures indiquait que la suppression de la sécrétion acide n’était pas identique10. Deux des génériques n’étaient pas supérieurs au placebo quant à l’élévation du pH nocturne.

L’expérience de la Colombie-Britannique

Si, d’un point de vue scientifique, on admet qu’il puisse y avoir une différence entre les génériques et les préparations d’origine, l’important reste surtout de savoir si cette différence a des répercussions réelles sur l’ensemble des patients. Autrement dit, les patients vont-ils sentir cette différence ou s’agit-il simplement d’un phénomène biologique? En mettant en place une politique de substitution par des génériques touchant notamment les IPP, le gouvernement de la Colombie-Britannique s’est trouvé à soumettre cette question à l’épreuve des faits. Ainsi, on a eu recours à des génériques pour tous les IPP délivrés aux patients. Une analyse des données provenant de ce programme a révélé que la qualité de vie avait diminué et que le coût des soins avait augmenté en raison du grand nombre de patients chez qui le passage d’un IPP auquel ils répondaient bien à un composé moins cher a conduit à une réapparition des symptômes11. Sur les 39 000 patients qui ont fait exécuter leur ordonnance d’IPP durant la période visée après la mise en place du programme, 9600 ont dû cesser le nouveau traitement pour cause d’échec et obtenir la permission de revenir à leur IPP initial. Les auteurs de l’analyse ont conclu que la prémisse selon laquelle les IPP sont interchangeables était erronée. De plus, les analyses de coût tenant compte des dépenses liées aux consultations médicales supplémentaires engendrées par cette situation montrent que cet accroissement des coûts exclut toute économie potentielle.

Complications sous-jacentes

Un autre facteur vient compliquer le choix du traitement dans le reflux gastro-œsophagien (RGO). Puisque les médicaments ne sont pas équivalents, on pense souvent qu’il convient alors d’utiliser les agents plus puissants dans les cas plus sévères. Toutefois, dans le RGO, les symptômes et la sévérité des lésions ne sont pas corrélés. Cela tient peut-être au fait que l’œsophage est un viscère et est donc peu innervé, si bien qu’un fardeau lésionnel important pourrait ne pas nécessairement donner des symptômes prononcés. Cette piètre corrélation entre la présence de symptômes ou leur intensité et l’œsophagite se voit même dans les formes les plus sévères, et cette disparité augmente avec l’âge. Selon une étude, seulement 34 % des patients qui présentaient une œsophagite sévère avaient des symptômes marqués, et une faible proportion de ces patients n’avaient même aucun symptôme12.

La réalisation systématique d’une endoscopie permettrait d’évaluer la sévérité de l’œsophagite, mais cette option n’est pas réaliste et aurait un coût prohibitif. Par conséquent, la majorité des patients qui ne manifestent aucun symptôme inquiétant sont traités de façon empirique par des IPP. L’introduction de génériques pourrait encore compliquer les choses étant donné que la bioéquivalence fondée sur les concentrations plasmatiques n’est pas garante d’un bénéfice clinique, telle la cicatrisation de l’œsophage.

Résumé

Le concept d’équivalence est simple, mais son application est malaisée. La définition de la bioéquivalence fondée sur les concentrations plasmatiques n’est peut-être pas la plus appropriée. Premièrement, un écart de plus ou moins 20 % est élevé. Deuxièmement, les études portent seulement sur un petit nombre de sujets. Troisièmement, les IPP ne sont pas actifs dans la circulation générale et doivent encore franchir plusieurs étapes avant de parvenir à leur cible et être activés. La mesure des taux plasmatiques ne reflète aucune de ces étapes subséquentes. Autrement dit, il serait difficile de conclure qu’un générique aura les mêmes effets que la préparation d’origine. Qui plus est, même entre les IPP d’origine, on relève des différences quant à l’efficacité mesurée par le taux de cicatrisation, comme le montrent des études comparatives directes d’envergure fondées sur des examens endoscopiques. Les chercheurs de la Colombie-Britannique ont donc raison de conclure que «la prémisse selon laquelle les IPP sont interchangeables est erronée». L’objectif ultime est de protéger le patient et, dans le cas du RGO, cela passe par la cicatrisation de l’œsophage et la réduction du risque de complications de tous ordres.

Références

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