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Prophylaxie de la thromboembolie veineuse : répercussions sur la prise en charge du patient cancéreux

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

La 43e Assemblée annuelle de l’American Society of Clinical Oncology

Chicago, Illinois / 1-5 juin 2007

Dans la prise en charge du patient cancéreux, la suppression de la tumeur est prioritaire, mais l’inaction face aux complications éventuelles du cancer peut compromettre des résultats importants, dont la survie. Les patients qui souffrent d’un cancer – par comparaison aux patients qui n’en souffrent pas – sont exposés à un risque de quatre à six fois plus élevé de thromboembolie veineuse (TEV) et à un risque trois fois plus élevé de récurrence. La chirurgie double le risque de TEV chez les patients cancéreux, par rapport aux patients non cancéreux, et le taux de mortalité par cancer s’en trouve quadruplé lorsqu’une TEV apparaît en parallèle. Chez les patients qui manifestent une thrombose veineuse profonde (TVP) ou une embolie pulmonaire (EP), le taux de mortalité est jusqu’à 90 % plus élevé dans les six mois suivant le congé de l’hôpital. Les risques particuliers associés au cancer ne tiennent pas uniquement à l’alitement prolongé qui est commun à toutes les maladies aiguës, mais aussi à l’hypercoagulabilité qui découle à la fois du cancer et de ses traitements.

«Tous les antinéoplasiques injectables activent la coagulation», affirme le Dr Frederick R. Rickles, professeur titulaire de médecine, de pharmacologie et de physiologie, George Washington University, Washington, D.C. Il a cité des données montrant que la présence d’une hémopathie maligne ou d’une tumeur solide siégeant en divers sites, notamment aux poumons et dans l’appareil digestif, multiplie le risque de TEV par plus de 20. Dans les trois mois suivant le diagnostic du cancer, le risque de TEV peut être jusqu’à 50 fois plus élevé que chez un patient non cancéreux, et une légère augmentation du risque persiste pendant 10 ans ou plus. Ces données sont d’autant plus alarmantes qu’une thromboprophylaxie appropriée ne suffit pas à éliminer le risque de TEV, quoiqu’elle puisse le réduire en grande partie. La question est particulièrement pressante lorsque le traitement du cancer passe par la chirurgie.

«Même chez les patients opérés qui reçoivent un traitement prophylactique, le cancer multiplie le risque d’EP mortelle par un facteur d’au moins trois», rapporte le Dr Craig Kessler, directeur, division de la coagulation, Lombardi Comprehensive Cancer Center, Washington, D.C. Depuis 2004, les lignes directrices de l’American College of Chest Physicians (ACCP) tiennent compte de ces risques. Bien que ces lignes directrices comportent une recommandation 1A quant à l’administration quotidienne d’héparine non fractionnée (HNF) à faible dose ou d’une héparine de bas poids moléculaire (HBPM) chez les patients hospitalisés pour un cancer et une recommandation 2A pour la poursuite du traitement prophylactique par une HBPM après la sortie de l’hôpital d’un patient opéré pour un cancer, la prophylaxie recommandée en prévention secondaire de la TEV est maintenant beaucoup plus longue.

Résultats de l’essai CLOT

«On recommande maintenant une HBPM à la dose thérapeutique pendant au moins trois à six mois en prévention secondaire de la TEV, et c’est là un développement qui témoigne d’une nouvelle norme de traitement. Cette pratique fait d’ailleurs l’objet d’une recommandation 1A par l’ACCP», précise le Dr Kessler. Ce changement fait suite à une série d’essais dans lesquels on a comparé l’administration prolongée d’une HBPM à celle d’un anticoagulant oral, généralement la warfarine. L’essai CLOT (Comparison of LMWH to Oral Anticoagulation Therapy for Prevention of Recurrent Thromboembolism in Patients with Cancer) est le plus vaste de ces essais. Lors de cet essai randomisé de six mois dont l’effectif était de 672 patients, une HBPM, plus précisément la daltéparine (200 UI/kg le premier mois, puis 150 UI/kg les cinq mois suivants) a été comparée à la warfarine (augmentation progressive de la dose jusqu’à l’obtention de l’INR [international normalized ratio] cible de 2,5). La daltéparine a permis de réduire le risque de TEV récurrente de 52 % (p=0,002) par comparaison à l’anticoagulant oral.

«Le mois dernier, la daltéparine est devenue la seule HBPM approuvée à la fois pour le traitement et la prévention secondaire de la TEV en présence de cancer», affirme le Dr Kessler, qui a qualifié CLOT d’essai «phare». Certes, l’efficacité de cet anticoagulant est bien établie, mais l’un des résultats les plus importants de CLOT a été l’absence de différence significative entre les deux groupes sur le plan des saignements. En effet, le taux global de saignements montrait une tendance en faveur de l’HBPM (13,6 % vs 18,5 %; p=0,09), alors que le taux de saignements majeurs ne différait pas d’un groupe à l’autre (5,6 % vs 3,6 %; p=0,27).

Dans le cancer, la sévérité et l’étendue de la tumeur ou de l’hémopathie maligne contribuent au risque de TEV. Bien que certaines données montrent que la TEV exerce un effet négatif sur la qualité de vie, le risque le plus inquiétant demeure la TVP ou l’EP mortelle. Lors de l’essai CLOT, la légère réduction de la mortalité à 12 mois dans le groupe daltéparine n’était pas significative par rapport au groupe warfarine; par contre, la réduction de la mortalité atteignait 50 % (p=0,03) lorsque la comparaison se limitait aux patients dont le cancer était métastatique.

Données corroborantes

Des études de plus petite envergure portant sur d’autres HBPM ont généré des résultats assez constants à l’appui d’un traitement prophylactique prolongé contre la TEV associée au cancer. Au nombre de ces études, citons un essai de trois mois sur l’énoxaparine chez 138 patients, un essai de trois mois sur la tinzaparine chez 167 patients et un essai de six mois sur l’énoxaparine à faible et à forte dose chez 102 patients. Lors de tous ces essais, la différence mise en évidence quant au risque de saignement majeur entre le groupe HBPM et le groupe anticoagulant oral n’était pas significative. La protection contre la TEV récurrente était significative dans l’essai sur la tinzaparine (p=0,03), alors qu’une tendance vers un avantage a été objectivée dans l’essai de trois mois sur l’énoxaparine (p=0,09), mais aucune différence significative n’est ressortie de l’essai de six mois sur l’énoxaparine. Cependant, l’essai de trois mois sur l’énoxaparine a permis de confirmer que l’HBPM réduit la mortalité de manière significative (p=0,03). Ces HBPM, dont le poids moléculaire et les paramètres pharmacocinétiques diffèrent et dont l’activité moléculaire pourrait aussi différer, ne sont pas interchangeables, et ni l’énoxaparine ni la tinzaparine ne sont approuvées pour la prévention secondaire de la TEV en présence de cancer.

Vu l’ampleur des données montrant que le traitement anticoagulant peut prévenir la TEV et ses complications, on essaie de plus en plus de repérer les obstacles à l’observance du traitement à l’héparine, surtout après un congé de l’hôpital, le risque de TEV demeurant alors élevé. Selon une analyse de dossiers médicaux, environ 75 % des TEV surviennent en milieu extra-hospitalier. Si la recommandation 1A de l’ACCP pour la phase initiale du traitement anticoagulant prévoit l’administration de l’HNF ou d’une HBPM pendant cinq à sept jours, ce qui couvre la période de l’hospitalisation chez une vaste proportion de patients, l’ACCP recommande de poursuivre le traitement anticoagulant par une HBPM pendant trois à six mois chez les patients présentant une TEV récurrente. Si le cancer ne s’est pas résorbé, l’ACCP suggère d’envisager une HBPM ou un anticoagulant oral indéfiniment.

John Fanikos, directeur adjoint de la pharmacie, Brigham and Women’s Hospital, Boston, Massachusetts, a fait état de données montrant que le risque de TEV attribuable au cancer et certaines complications qui en découlent, c’est-à-dire la TVP et l’EP, demeurent sous-estimés. Il a cité à cet égard une étude canadienne publiée récemment selon laquelle la probabilité de thromboprophylaxie était de 40 % chez les patients présentant un cancer, par comparaison aux autres patients chez qui un traitement anticoagulant était aussi indiqué (Kahn et al. Thromb Res 2007;119:145-55). Cette étude – qui était fondée sur l’analyse des données dans 29 hôpitaux canadiens – a sonné l’alarme, parce que seulement 23 % de l’ensemble des patients chez qui le traitement anticoagulant était indiqué avaient reçu une forme quelconque de thromboprophylaxie.

Pour améliorer la thromboprophylaxie en milieu hospitalier, croit Fanikos, la clé est d’élaborer des systèmes qui prévoient une évaluation automatique du risque de TEV et, au besoin, la prescription d’un traitement. Il estime par ailleurs qu’il serait utile d’avoir recours à des schémas très efficaces dont l’observance est probable. À ces deux égards, l’HBPM semble préférable à l’HNF à faible dose. Il a cité une méta-analyse qui englobait 36 essais comparatifs et randomisés regroupant au total 23 000 patients hospitalisés; cette méta-analyse – dont les résultats seront bientôt publiés – a révélé que l’HBPM était 33 % plus efficace que l’HNF pour prévenir la TVP. Il a également indiqué que l’administration une fois par jour sans surveillance de l’INR est un avantage considérable de l’HBPM par rapport à l’HNF. Cela dit, l’administration d’un traitement prophylactique efficace de la TEV, quel qu’il soit, est préférable à l’absence de prophylaxie.

Cette perspective est étayée par les lignes directrices qui, en plus des recommandations de l’ACCP, incluent celles du National Comprehensive Care Network. En effet, les lignes directrices recommandent la prophylaxie de la TEV dans tous les cas où un diagnostic de cancer est confirmé ou soupçonné. En l’absence de contre-indications relatives au traitement anticoagulant pharmacologique, comme un saignement actif récent ou une thrombocytopénie, on recommande une HBPM, un anticoagulant de type pentasaccharidique ou une HNF. Là encore, on indique que la durée du traitement anticoagulant dépend de facteurs liés au patient, dont la gravité de la maladie et les antécédents de TEV.

Résumé

Chez les patients atteints d’un cancer, il est fréquent que les anticoagulants soient mal utilisés malgré le risque élevé de TEV symptomatique et d’EP mortelle. Certes, un traitement par une HBPM, l’HNF ou un anticoagulant de type pentasaccharidique doit être amorcé immédiatement chez les patients qui ont reçu un diagnostic de cancer et qui ne présentent aucune contre-indication, mais l’administration d’une HBPM à la dose thérapeutique pendant au moins trois mois est maintenant considérée comme la norme de traitement pour la prévention secondaire de la TEV. Cette recommandation 1A de l’ACCP est fondée en grande partie sur les résultats de l’essai CLOT sur la daltéparine, le seul composé approuvé à la fois pour le traitement de la TVP et la prévention secondaire de la TEV chez les patients cancéreux. Compte tenu du risque de TEV en présence de cancer, la thromboprophylaxie est un outil important pour paver la voie à de meilleurs résultats.

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