Comptes rendus

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Des progrès dans le traitement de l’insuffisance cardiaque légère ou modérée grâce à l’inhibition du SRAA

Une bonne évaluation du risque CV pour un bon usage des statines

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

PRESSE PRIORITAIRE - Congrès canadien sur la santé cardiovasculaire 2010

Montréal, Québec / 23-27 octobre 2010

S’il est une grande conclusion à tirer des essais sur les statines, c’est que ces agents ont été associés, en prévention tant primaire que secondaire, à une diminution très marquée des événements cardiaques indésirables majeurs. À en juger par les essais ayant contribué à la baisse graduelle des cibles lipidiques, le C-LDL est toujours trop élevé chez un patient qui a subi un événement cardiovasculaire (CV). En prévention primaire, un traitement adéquat passe par une évaluation rigoureuse du risque : c’est une démarche incontournable si l’on veut s’assurer que les patients pouvant bénéficier d’une statine en reçoivent une.

Étude PARADIGM

On laisse régulièrement passer des occasions de mettre les statines à profit : on vient encore d’en faire la preuve, cette fois dans l’étude PARADIGM (Primary Care Audit of Global Risk Management). Bien que, dans ses recommandations de 2009 pour le diagnostic et le traitement des dyslipidémies, la Société canadienne de cardiologie (SCC) préconise le calcul du score de Framingham comme moyen de dépistage, seulement le tiers environ des médecins de PARADIGM utilisaient cette méthode. La SCC conseille également le dosage de la protéine C-réactive ultrasensible (hsCRP) chez les patients à risque modéré, avec ou sans le calcul du score de Reynolds – qui comprend ce dosage – mais, selon les résultats de l’étude PARADIGM, aucun outil ne serait utilisé correctement.

«Les médecins de premier recours disent calculer les scores de risque, mais ils ne le font pas efficacement», déplore l’auteur principal de PARADIGM, le Dr Milan Gupta, membre du Canadian Cardiovascular Research Network et professeur agrégé de médecine, Division de cardiologie, McMaster University, Hamilton, Ontario. Bien que seulement 28 % des médecins de premier recours disent s’en remettre uniquement à leur jugement clinique pour évaluer le risque CV, on a noté une corrélation passable, sans plus, entre le risque évalué par les médecins et le risque évalué par un centre d’analyse centralisée, et ce, même parmi les 34 % de médecins ayant, selon leur dire, calculé le score de Framingham.

Dans cette étude, on a d’abord évalué divers facteurs de risque courants chez 3015 patients généralement en bonne santé. Le bilan sanguin comprenait le dosage des lipoprotéines et de la hsCRP. Lors d’une deuxième visite, tenue dans un délai de 60 jours après l’évaluation de départ, 105 médecins de premier recours ont dû déterminer, à la lumière des observations physiques et du résultat des épreuves de laboratoire, si le patient était exposé à un risque CV faible, modéré ou élevé. Ces trois niveaux correspondaient, plus précisément, à un risque de survenue d’événement CV au cours des 10 années à venir de <10 %, de 10 à 20 % ou de >20 %. Les médecins pouvaient évaluer le risque à l’aide de la méthode de leur choix. Outre les 28 % de médecins qui se sont servis de leur jugement clinique et des 34 % de médecins qui ont calculé le score de Framingham, 16 % se sont fondés principalement sur le dosage de la hsCRP, 12 % ont dénombré les facteurs de risque et les autres ont appliqué d’autres méthodes.

On a enregistré un taux de concordance de 58 % entre les évaluations des médecins et du centre d’analyse, ce qui donne un coefficient de concordance kappa de 0,27 (une concordance de 100 % aurait donné un coefficient de 1,0). Aux yeux du Dr Gupta, il s’agit là d’une corrélation «légère ou passable». Au surplus, si l’on s’en tient au groupe de médecins qui disent avoir calculé le score de Framingham (34 % des médecins), la concordance n’est tout de même que de 69 % pour un coefficient kappa de 0,43, corrélation que le Dr Gupta qualifie de «moyenne».

Ce sont là des résultats alarmants, et pour plusieurs raisons. D’abord, au Canada, l’évaluation du risque CV incombe en très grande partie aux médecins de premier recours. Ensuite, les médecins qui ont participé à l’étude estimaient que leur technique d’évaluation du risque était fiable. Il convient d’insister ici sur la discordance observée dans les évaluations du risque modéré, car les statines peuvent faire reculer le risque de manière appréciable chez ces patients, même lorsque le bilan lipidique n’a rien d’anormal. On l’a d’ailleurs démontré dans JUPITER (Justification for the Use of Statins in Prevention: an Intervention Trial Evaluating Rosuvastatin), essai avec placebo sur la rosuvastatine qui réunissait des hommes de plus de 50 ans et des femmes de plus de 60 ans apparemment en bonne santé (Ridker et al. N Engl J Med 2008;359:2195-207). Les sujets devaient avoir un taux de C-LDL d’au plus 3,4 mmol/L et un taux de hsCRP >2,0 mg/L.

À l’origine, l’effectif de JUPITER devait être suivi pendant 5 ans, mais le comité de surveillance des données a mis fin au suivi après une médiane de 19 mois. C’est que dans le groupe rosuvastatine, on observait déjà, à ce moment, une réduction de 44 % (HR de 0,56; IC à 95 % : 0,46-0,69; p<0,00001) du risque relatif de survenue de l’un des événements du paramètre principal mixte (infarctus du myocarde [IM], accident vasculaire cérébral et décès d’origine CV). Si, dans ses recommandations de 2009, la SCC préconise désormais le dosage de la hsCRP comme méthode de dépistage chez les patients à risque modéré, c’est principalement en raison des résultats de l’essai JUPITER.

Débat sur l’utilité de la hsCRP

Dans un débat sur l’importance de la hsCRP dans la pratique courante, le Dr Guy Tremblay, professeur titulaire de médecine, Université Laval, Québec, Québec, a mis en doute l’utilité de ce marqueur. Partant de la prémisse selon laquelle le risque CV procède essentiellement de facteurs de risque bien établis tels que l’hyperlipidémie, l’hypertension et le tabagisme, il a avancé que le taux de hsCRP ne devrait être pris en considération qu’occasionnellement dans les décisions de traitement. Le temps étant une denrée rare chez les médecins de premier recours, il s’est demandé si cet outil supplémentaire était véritablement utile, même si la mise en évidence d’un état pro-inflammatoire pouvait avoir une valeur pronostique en cas de maladie CV.

Le dosage de la hsCRP a trouvé son défenseur en la personne du Dr Subodh Verma, titulaire de la chaire de recherche du Canada en athérosclérose, St. Michael’s Hospital, Toronto, Ontario. Il a présenté des données selon lesquelles la hsCRP pourrait être aussi, voire plus, révélatrice du risque CV que la tension artérielle et le taux de cholestérol, après prise en compte de variables telles que l’âge et le sexe (Emerging Risk Factor Collaborators. Lancet 2010;375:132-40). Le Dr Verma a rappelé que dans JUPITER, le choix d’un taux élevé de hsCRP comme marqueur en vue du traitement par la rosuvastatine s’était révélé judicieux, puis il a parlé d’une méta-analyse d’études sur cette protéine ayant montré qu’un taux élevé de hsCRP était associé à une hausse de 60 % (HR 1,6; IC à 95 % : 1,37-1,83) du risque relatif d’événement CV par rapport à un faible taux de hsCRP (Buckley et al. Ann Intern Med 2009;151:483-95). Le Dr Verma convient que le dosage de la hsCRP n’est utile que pour repérer les patients à risque modéré qui auraient échappé au dépistage par le seul calcul du score de Framingham, mais il maintient que cette donnée pourrait et devrait être prise en considération dans les décisions de traitement.

Occasions ratées après un IM ST+

Même lorsqu’ils traitent des patients à risque élevé, les médecins ne s’emploient pas toujours à ramener le C-LDL aux valeurs recommandées sur la foi de données probantes. Lors d’une étude réalisée chez des patients ayant quitté l’hôpital après avoir subi un IM avec sus-décalage du segment ST (IM ST+), la rosuvastatine et l’atorvastatine se sont révélées comparables sur le plan de l’efficacité, mais cette similarité s’explique probablement par la prescription de doses sous-optimales des deux médicaments. En effet, la rosuvastatine à 20 mg entraîne une diminution du C-LDL équivalente, au moins, aux baisses obtenues sous atorvastatine à la dose maximale, mais on a rarement prescrit ces doses, même aux patients non parvenus aux valeurs cibles. Les auteurs de l’étude, sous la direction du Dr Olivier F. Bertrand, Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec, Sainte-Foy, ont conclu que, peu importe la statine utilisée, les médecins n’assuraient pas une prise en charge assez énergique de l’hyperlipidémie chez ces patients à risque élevé.

Il semble que, tout comme dans la population à risque modéré, les cliniciens ne soient pas pleinement conscients des effets que peut avoir la réduction du risque chez les patients à risque élevé; du coup, ils laissent passer de belles occasions d’améliorer les résultats à long terme chez ces sujets. Dans la population à risque modéré, le problème pourrait procéder de la non-utilisation de méthodes reconnues d’évaluation du risque. En effet, grâce à ces outils, on peut repérer des patients qui devraient prendre une statine et adopter d’autres stratégies de réduction du risque, candidats qui, autrement, pourraient passer à travers les mailles du filet. Quant à la population à risque élevé, elle ne reçoit pas, semble-t-il, un traitement qui permette l’atteinte des valeurs cibles. Chose certaine, dans un cas comme dans l’autre, les recommandations fondées sur des preuves sont on ne peut plus claires quant à la conduite à tenir.

Résumé

Une bonne évaluation du risque CV est la première étape indispensable à la mise en route d’un traitement adéquat. Or, chez les patients à risque modéré, les médecins de premier recours du Canada appliquent mal les stratégies d’évaluation du risque, du moins selon l’étude PARADIGM. Toujours dans la population à risque modéré, l’équipe de JUPITER avait démontré que la mise en évidence d’un taux élevé de hsCRP était particulièrement utile pour le repérage des candidats au traitement par une statine, en particulier ceux dont les dyslipidémies étaient peu marquées ou inexistantes. Les statines comptent parmi les outils les plus efficaces pour la réduction primaire et secondaire du risque d’événements CV. On a constaté récemment que même les patients à risque très élevé n’atteignaient pas les cibles lipidiques; il y a donc lieu de croire que l’on pourrait diminuer la morbimortalité en modelant davantage les traitements sur les données probantes.

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