Comptes rendus

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Vers une meilleure compréhension du glaucome

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

Programme universitaire d’ophtalmologie de 2006

Dresde, Allemagne / 17-18 septembre 2006

Les chercheurs savent depuis longtemps qu’une pression intraoculaire (PIO) élevée est associée à l’apparition et à la progression du glaucome. Lors de l’étude OHTS (Ocular Hypertension Treatment Study), des personnes de 40 à 80 ans dont les champs visuels et les disques optiques étaient normaux, mais dont la PIO était ³24 mmHg dans au moins un œil ont été répartis aléatoirement en deux groupes : traitement ou absence de traitement. Les chercheurs ont ensuite surveillé les participants afin de repérer tout signe de perte des champs visuels et/ou d’atteinte des disques optiques d’origine glaucomateuse. Ils ont enregistré une diminution moyenne de la PIO de 22,5 % dans le groupe traité vs 4,0 % dans le groupe témoin.

À 60 mois, la probabilité cumulative d’apparition d’un glaucome primitif à angle ouvert (GPAO) se chiffrait à 4,4 % dans le groupe traité vs 9,5 % dans le groupe d’observation. Comme le souligne le Dr Lutz E. Pillunat, directeur, Clinique universitaire d’ophtalmologie de Dresde, Allemagne, «la baisse de la PIO est le seul traitement éprouvé dans le glaucome, et nous savons qu’une baisse significative de la PIO aide à ralentir la progression du GPAO».

Ce programme consacré au glaucome – qui se déroulait à l’Université de Dresde – était présidé et animé par le Dr Pillunat.

Le lien entre une PIO élevée et l’atteinte du nerf optique

La sclérotique est une membrane élastique fibreuse qui protège l’œil contre les fluctuations de la PIO, mais avec l’âge, elle devient plus rigide. En présence d’une augmentation chronique de la PIO, la sclérotique peut aussi devenir plus rigide à cause du renforcement de la matrice extracellulaire. Elle est alors moins apte à servir de tampon. Les yeux myopes, dont la longueur axiale est plus marquée, pourraient être particulièrement vulnérables à ces processus, la sclérotique étant étirée, donc amincie.

Les axones non myélinisés des ganglions de la lame criblée sont particulièrement sensibles à une atteinte lorsque le mécanisme de l’effet tampon permettant de réduire le stress est compromis. En outre, la rigidité accrue de la lame criblée pourrait donner lieu à l’activation des astrocytes et au remodelage de la matrice extracellulaire. De l’avis du Dr Pillunat, les astrocytes activés pourraient à leur tour endommager les axones de cellules ganglionnaires de la rétine par l’accumulation de substances toxiques comme l’oxyde nitrique et le TNFa.

Surveillance nycthémérale

Certes, des études comme OHTS et CIGTS (Collaborative Initial Glaucoma Treatment Study) ont établi le bénéfice associé à une baisse de la PIO, mais celles-ci étaient fondées principalement sur des mesures uniques de la PIO, souligne le Dr Anastasios Konstas, professeur agrégé d’ophtalmologie, et chef, unité du glaucome, département d’ophtalmologie, Hôpital universitaire AHEPA, Thessalonique, Grèce. Comme la tension artérielle (TA), la PIO peut fluctuer tout au long de la journée. Dans la plus vaste étude jamais réalisée sur le profil nycthéméral de la PIO, les chercheurs ont eu recours à la tonométrie par applanation pour mesurer la PIO de 1072 yeux chez 547 patients de race blanche dont le glaucome était confirmé ou soupçonné. La PIO était mesurée à 7 h, à midi, à 17 h, à 21 h et à minuit (Jonas et al. Am J Ophthalmol 2005;139[6]:1136-7). Les pics de la PIO étaient généralement observés tôt le matin, bien que les auteurs aient conclu que l’élévation maximale de la PIO serait passée inaperçue dans plus des trois quarts des mesures uniques de la PIO prises entre 7 h et 21 h.

D’autres études de petite envergure portant sur d’autres types de glaucome confirment pour la plupart que la PIO atteint un maximum tôt le matin, mais, précise le Dr Konstas, il y a des groupes «difficiles» comme les jeunes patients glaucomateux et les patients souffrant d’un glaucome secondaire dont la PIO fluctue de façon imprévisible. En pareils cas, les mesures de la PIO peuvent être trompeuses et le glaucome peut progresser bien qu’une mesure unique de la PIO donne à penser qu’elle est maîtrisée. D’un point de vue pratique, ce ne sont pas tous les ophtalmologistes qui ont les ressources nécessaires pour établir un profil nycthéméral. Par contre, si le médecin voit le patient à trois heures différentes, par exemple, il est en mesure d’établir un profil diurne assez représentatif du nycthémère complet.

Profils de la PIO

Chez les patients hypertendus, la surveillance ambulatoire de la TA permet de prédire l’atteinte des organes cibles avec exactitude. Lorsqu’ils doivent prescrire un traitement antihypertenseur, les médecins utilisent cette technique depuis longtemps pour mieux repérer les TA maximale et minimale et confirmer si l’efficacité du traitement se maintient pendant 24 heures (Zanchetti A. Am J Hypertens 1997;10[9 Pt 1]:1069-80). Par analogie, la surveillance de la PIO sur 24 heures pourrait contribuer à améliorer le traitement et à concevoir des associations qui réduisent au minimum les fluctuations circadiennes dans la mesure du possible.

Dans le cadre d’un certain nombre d’études récentes, on a comparé l’efficacité de traitements qui abaissent la PIO en établissant des profils de la PIO plutôt qu’en se fondant sur des mesures uniques. Par exemple, la comparaison du latanoprost avec un autre analogue de la prostaglandine F2a, le bimatoprost, a semblé indiquer que ce dernier agent est légèrement plus efficace pendant la journée. L’établissement du profil nycthéméral peut aussi contribuer à déterminer le moment optimal pour administrer le traitement. Ainsi, il est ressorti d’une étude qui visait à comparer le travoprost administré le matin et le travoprost administré le soir que l’administration en soirée causait des fluctuations moins marquées de la PIO. Comme la PIO n’atteint pas un maximum au même moment chez tous les patients, le fait de savoir à quel moment un agent donné est le plus efficace peut aider à adapter le traitement médicamenteux et, par conséquent, à améliorer les résultats.

Le Dr Konstas a discuté d’une étude réalisée en Grèce dont l’objectif était de comparer le latanoprost à 0,005 % administré une fois par jour, le soir, avec une association fixe de timolol à 0,5 % et de dorzolamide à 2 % administrée deux fois par jour chez 34 patients souffrant de GPAO ou d’hypertension oculaire (Konstas et al. Ophthalmology 2003;110[7]:1357-60). Dans le cadre de cette étude à simple insu (agent administré inconnu de l’investigateur) et croisée (périodes de traitement de six semaines), la PIO était mesurée à intervalles de quatre heures au courant de la journée. Trente-trois participants ont terminé l’étude. Sur le plan de la PIO, la différence entre les deux groupes n’a pas atteint le seuil de signification statistique, sauf à 22 h, lorsque la PIO moyenne se chiffrait à 15,3±2,0 mmHg dans le groupe association fixe vs 15,9±2,0 mmHg dans le groupe latanoprost (p=0,05).

Décisions factuelles dans le traitement du glaucome

De l’avis de la Dre Neeru Gupta, directrice, unité du glaucome et de la protection des nerfs, et professeure agrégée d’ophtalmologie et de sciences visuelles, département de médecine de laboratoire et de biopathologie, University of Toronto, Ontario, la littérature médicale exerce une influence grandissante sur la pratique clinique au quotidien, phénomène qu’elle qualifie de «changement de paradigme qui amène les médecins à consulter les données publiées avant de prendre une décision». La médecine factuelle est au cœur de ce changement de paradigme. Selon les principes de la médecine factuelle, les articles publiés reçoivent une cote selon des règles qui déterminent la robustesse des résultats. On suppose donc que «la pratique clinique fondée sur une compréhension des données probantes se traduira par de meilleurs soins aux patients», note la Dre Gupta. «Il y a certains principes qui peuvent aider chacun de nous à évaluer indépendamment la crédibilité de l’information publiée. Voici comment se classent les publications en ordre décroissant de solidité de la preuve : étude comparative et randomisée, étude de cohorte, étude cas-témoin, séries de cas, cas rapportés et opinions», ajoute-t-elle. Les résultats d’essais comparatifs et randomisés sont considérés comme les plus robustes parce qu’une étude randomisée compare des pommes avec des pommes, alors qu’une étude non randomisée est considérée comme moins solide du fait que la sélection peut donner lieu à un biais.

Pour que les résultats d’une étude soient pertinents, il est aussi important que cette étude se déroule de façon rigoureuse. À l’aide de plusieurs articles, la Dre Gupta a souligné quelques facteurs à prendre en compte pour déterminer si c’est le cas. Par exemple, les objectifs de l’étude sont-ils clairement énoncés? Le plan de l’étude permet-il d’atteindre ces objectifs? Les méthodes statistiques sont-elles clairement documentées? Connaît-on le sort de tous les patients admis à l’étude? Comment les patients qui ont abandonné l’étude prématurément sont-ils considérés dans l’analyse statistique? Le suivi était-il assez long et assez complet? Les études sur le glaucome présentent leurs propres défis, comme les facteurs liés à la PIO, dont la mesure de l’épaisseur de la cornée. Pour que l’innocuité soit bien évaluée, les effets indésirables doivent aussi être consignés de façon appropriée.

«En résumé, lorsqu’on évalue un article publié dans une revue faisant l’objet d’une évaluation confraternelle, on doit se poser plusieurs questions importantes : Le plan est-il approprié compte tenu des objectifs? L’objectif est-il clair? Ces questions aideront à déterminer la pertinence d’une évaluation plus détaillée de l’article et les probabilités d’en retirer des données significatives. C’est seulement à ce moment-là que nous pouvons nous demander si ces résultats s’appliquent à notre pratique clinique. L’évaluation critique de la littérature n’est pas un exercice théorique, mais bien un élément essentiel à l’optimisation des soins ophtalmologiques», de conclure la Dre Gupta.

Glaucome à pression normale

Une PIO élevée est le facteur prédictif le plus important de la perte des champs visuels et/ou de l’atteinte des disques optiques chez le patient glaucomateux. Cependant, estime le Dr Colm O’Brien, professeur titulaire d’ophtalmologie, Mater Misericordiae University Hospital, Dublin, Irlande, «il ressort d’un certain nombre d’études récentes que près de 35 % des patients chez qui le glaucome a été diagnostiqué récemment avaient une PIO normale à la première consultation».

Lors de l’étude CNTGS (Collaborative Normal-Tension Glaucoma Study), des patients souffrant d’un glaucome à pression normale recevaient aléatoirement un traitement visant à abaisser la PIO. L’objectif du traitement était d’atteindre une réduction d’au moins 30 % de la PIO (Drance et al. Am J Ophthamol 2001;131[6]:699-708). Le Dr O’Brien précise par ailleurs qu’il n’y avait pas d’inhibiteurs de la prostaglandine ni d’inhibiteurs de l’anhydrase carbonique lorsque l’étude a commencé au début des années 1990. Le traitement se limitait donc à la pilocarpine, à la trabéculoplastie au laser ou à la chirurgie. Les chercheurs ont observé une progression chez 12 % (7/61) des patients traités et 35 % (28/79) des témoins (p=0,001).

Le rôle du débit sanguin oculaire dans le glaucome

Chez certains patients, le glaucome progresse malgré une faible PIO, alors que chez d’autres, il ne progresse pas malgré une PIO élevée. De toute évidence, d’autres facteurs interviennent. Le Dr Andreas Böhm, Clinique ophtalmologique de l’Université de Dresde, a identifié des facteurs de risque vasculaire, dont l’hypotension, les vasospasmes et les hémorragies du disque optique, qui pourraient «réduire la perfusion de la tête du nerf optique et, par conséquent, endommager cette dernière.» Une baisse de la TA systémique peut être particulièrement dangereuse. À l’heure actuelle, les internistes ont tendance à abaisser la TA énergiquement, mais il peut en résulter une hypotension nocturne si le traitement est excessif. Une évaluation détaillée des antécédents médicaux, lors de laquelle on portera une attention particulière aux mains/pieds froids, aux migraines et aux symptômes de Raynaud, peut aussi aider à identifier les patients à risque de progression en raison d’un faible débit sanguin oculaire.

Toute étude qui vise à établir avec certitude un lien entre un apport sanguin insuffisant à la tête du nerf optique et une atteinte glaucomateuse se heurte à un obstacle majeur : la perfusion oculaire est un paramètre difficile à mesurer de façon fiable. «Il n’y a pas de norme étalon», observe le Dr Böhm. On dispose de nombreuses techniques Doppler pour mesurer la vélocité sanguine, et l’on suppose généralement qu’une vélocité plus élevée est corrélée avec une meilleure perfusion. Cependant, ce n’est pas nécessairement le cas : la vélocité pourrait être élevée dans un vaisseau partiellement obstrué, même si la perfusion réelle est faible. Néanmoins, de conclure le Dr Böhm, les techniques à notre disposition pourraient nous donner une bonne idée générale de la perfusion sanguine oculaire.

Le Dr Leopold Schmetterer, professeur extraordinaire et chef de section, département de pharmacologie clinique, École de médecine de Vienne, Autriche, souligne que l’étude CNTGS a permis de repérer deux facteurs vasculaires qui sont prédictifs de la progression, notamment la survenue fréquente de migraines et une hémorragie du disque optique. L’étude EMGT (Early Manifest Glaucoma Trial) réalisée chez des patients souffrant d’un GPAO a identifié les mêmes facteurs de risque de la progression. Des études subséquentes ont montré que la perturbation du débit sanguin oculaire est également prédictive de la progression. L’étude d’Egna-Neumarkt a révélé que «la prévalence du glaucome est quatre fois plus élevée à 50 mmHg de pression de perfusion diastolique qu’à 80 mmHg», affirme le Dr Schmetterer (Bonomi et al. Ophthalmology 2000; 107[7]:1287-93). Fait digne de mention, l’étude a aussi révélé que l’hypertension généralisée est associée à une prévalence plus élevée de glaucome. De l’avis du Dr Schmetterer, cela pourrait tenir au fait que les internistes traitent l’hypertension énergiquement. Une autre possibilité pourrait être que l’élévation de la TA est aussi liée à l’élévation de la PIO. Cette théorie est étayée par le fait que l’hypertension généralisée est associée à une prévalence plus élevée de GPAO, mais pas de glaucome à pression normale.

Chez les participants dont les yeux sont en bonne santé, plusieurs raisons pourraient expliquer les fluctuations de la pression de perfusion tout au long de la journée. Cela dit, ces fluctuations de la TA ne contribuent pas à l’atteinte glaucomateuse, parce que les mécanismes d’autorégulation assurent un apport constant d’oxygène à la tête du nerf optique. Selon le Dr Schmetterer, la théorie actuelle voudrait que ces mécanismes d’autorégulation soient perturbés dans le glaucome, surtout en raison d’une dysrégulation endothéliale. Comme il semble que des anomalies du débit sanguin oculaire jouent un rôle dans le glaucome, toute intervention visant à améliorer le débit sanguin oculaire serait souhaitable.

Après un tour d’horizon des options, le Dr Schmetterer a conclu en disant que «le dorzolamide est le seul agent antiglaucomateux sur le marché dont l’effet favorable sur le débit sanguin oculaire a été mis en évidence au sein d’une vaste population».

Résumé

Au cours de ce programme universitaire, les délégués ont été sensibilisés à l’importance d’établir le profil de la PIO. Certes, l’idéal est de surveiller la PIO sur 24 heures, mais il est fréquent que ce ne soit pas faisable. En conséquence, la diversification de l’heure des rendez-vous pourrait être utile pour donner au médecin une meilleure idée générale de la PIO. Un tableau plus détaillé de la PIO peut rendre plus robustes les données sur l’efficacité des agents visant à abaisser la PIO. Dans la pratique clinique, on peut optimiser la prise en charge du patient en lui prescrivant un traitement qui maîtrise la PIO pendant 24 heures. La tendance qui consiste à prendre des décisions cliniques fondées sur la médecine factuelle rend essentielle la lecture de la littérature biomédicale. Les délégués ont appris comment repérer les études faibles, par exemple les études dont les objectifs énoncés ne concordent pas avec l’analyse finale et les études dont le protocole est vague.

Il ne fait aucun doute que la PIO est importante dans la prise en charge du glaucome, mais une meilleure compréhension des facteurs vasculaires devrait aussi aider à mieux identifier les patients à risque de progression et à optimiser la prise en charge des patients au moyen d’agents qui se sont avérés efficaces pour maîtriser à la fois le débit sanguin et la PIO.

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