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Votre patient adulte aux prises avec un trouble de l’humeur serait-il atteint d’un TDAH concomitant?

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

57e Congrès annuel de l’Association des psychiatres du Canada

Montréal, Québec / 15-18 novembre 2007

Les symptômes du trouble Déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH) persistent à l’âge adulte chez jusqu’à 60 % des patients. Selon une enquête américaine nationale sur la comorbidité (NCS, pour National Comorbidity Survey) à laquelle ont participé 3199 adultes, quelque 4,4 % de la population adulte est atteinte du TDAH (Kessler et al. Am J Psychiatry 2006;163:716-23). Les prédicteurs de la persistance de ce trouble à l’âge adulte sont notamment les antécédents familiaux de TDAH, l’adversité psychosociale et la comorbidité, estime le Dr Timothy Bilkey, professeur adjoint de psychiatrie, University of Western Ontario, London, et directeur, Bilkey ADHD Clinic, Barrie. «Si les trois facteurs sont présents, la probabilité de persistance du TDAH à l’âge adulte est multipliée par un facteur de sept», fait-il valoir.

Les acolytes du TDAH

Chez l’adulte, le TDAH s’accompagne généralement d’autres troubles psychiatriques, affirme le Dr Roger McIntyre, professeur agrégé de psychiatrie et de pharmacologie, University of Toronto, Ontario, et chef, unité de psychopharmacologie des troubles de l’humeur, University Health Network. Des difficultés persistantes au niveau de l’attention, de la cognition et des fonctions exécutives peuvent empêcher les patients traités pour des troubles de l’humeur de retrouver une capacité fonctionnelle appropriée; par exemple, le rendement au travail sera teinté d’absentéisme ou de présentéisme ou encore, l’employé demeurera au chômage ou en congé pour invalidité. Il ressort de données récentes que le TDAH pourrait expliquer la situation. «La plupart des patients que nous rencontrons en pratique clinique présentent des facteurs de comorbidité et, souvent, il semble que les patients qui ne répondent pas bien à un antidépresseur ou à un thymorégulateur souffrent d’un trouble somatique ou psychiatrique camouflé qui nous échappe, d’où l’importance de mieux cerner le diagnostic sous-jacent.»

L’enquête NCS a mis en évidence le chevauchement marqué des troubles de l’humeur et du TDAH chez l’adulte. Parmi les patients chez qui un trouble de l’humeur avait été diagnostiqué, le TDAH était plus courant qu’au sein de la population en bonne santé, sa prévalence atteignant 13,1 % (Figure 1). Plus précisément, la prévalence du TDAH était de 9,4 % chez les patients souffrant de dépression, de 22,6 % chez les patients souffrant de dysthymie chronique, de 21,2 % chez les patients bipolaires et de 11,9 % chez les patients souffrant d’anxiété généralisée (AG). «Les patients dont le trouble de l’humeur comportait une part d’anxiété étaient aussi plus susceptibles de répondre aux critères du TDAH [...] Ce sont les acolytes du TDAH», fait remarquer le Dr McIntyre. Une très faible proportion de ces patients (1,7 % des patients déprimés, 2,5 % des patients bipolaires et 2,7 % des patients souffrant d’AG) était traitée pour le TDAH en plus de leur trouble principal.

Les patients aux prises avec un trouble lié à l’utilisation d’une substance et un trouble du contrôle des impulsions étaient aussi plus susceptibles que les sujets sains d’être atteints du TDAH. De même, la prévalence des troubles liés à l’utilisation d’une substance chez les patients atteints du TDAH se chiffrait à 15,2 %, soit près du triple du pourcentage de 5,6 % rapporté chez les sujets sains.

Bien que ces données de l’enquête soient frappantes, les statistiques d’une base de données cliniques regroupant 500 patients bipolaires sont encore plus parlantes. Dans ce groupe, le taux de TDAH était de 13 %. Chez les patients présentant un TDAH concomitant, le trouble bipolaire était apparu en moyenne cinq ans plus tôt que chez les sujets exempts de TDAH et suivait par ailleurs un cours plus sévère et plus chronique (Simon et al. J Clin Psychopharmacol 2004;24[5]:512-20). Une autre étude regroupant un millier de patients a porté sur le lien entre les phénotypes du trouble bipolaire et le TDAH. Chez les patients décrits comme ayant une forme mixte du trouble bipolaire, c’est-à-dire une dépression et des symptômes hypomaniaques comme l’irritabilité et les pensées qui défilent et se bousculent, le taux de TDAH atteignait presque 60 %. Chez les patients souffrant de dépression mais dont les symptômes maniaques étaient minimes, le taux était d’environ 25 %. «Ces statistiques concordent avec mon expérience clinique», d’enchaîner le Dr McIntyre.

Figure 1. Présence concomitante du TDAH et d’autres troubles du DSM-IV


Diagnostic du TDAH chez l’adulte

Selon la version actuelle du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-IV), le diagnostic du TDAH nécessite la présence d’au moins six symptômes d’hyperactivité, d’impulsivité ou d’inattention. Ces symptômes doivent être apparus avant l’âge de sept ans et avoir persisté pendant au moins six mois. Ils doivent par ailleurs interférer avec deux champs d’activité parmi les suivants : social, scolaire ou professionnel.

Comme les symptômes se métamorphosent au fil du temps, il est fréquent que le comportement de l’adulte atteint du TDAH ne corresponde plus à la description du DSM-IV, prévient le Dr Bilkey. Bien que l’apparition des symptômes durant l’enfance demeure essentielle au diagnostic, on accepte que le diagnostic ait été posé jusque vers l’âge de 13 ans pour tenir compte de la latence de la maladie ou d’une anamnèse erronée. L’examen des antécédents collatéraux et des dossiers scolaires, si possible, pourrait être utile. L’échelle d’autoévaluation du TDAH chez l’adulte (ASRS, pour Adult ADHD Self-Report Scale) (Kessler et al. Psychol Med 2005;35[2]:245-56) (Tableau 1) est un test de dépistage bref et utile. Les personnes ayant au moins quatre cotes élevées pour les items importants (zones ombrées foncées) sont probablement atteintes du TDAH.

Environ 70 % des enfants atteints du TDAH présentent un phénotype mixte. En revanche, l’inattention prédomine le tableau clinique chez plus de la moitié des patients adultes, les symptômes de l’inattention étant plus persistants et/ou prédominants que ceux de l’hyperactivité ou de l’impulsivité. L’inattention peut prendre les formes suivantes : la personne atteinte du TDAH se lasse rapidement des tâches fastidieuses et n’arrive pas à s’y mettre ou à les terminer, gère mal son temps ou n’a pas le sens de l’emploi du temps, remet toujours tout à plus tard, ne sait pas s’organiser ni planifier, se laisse distraire facilement et a tendance à oublier. L’hyperactivité et l’impulsivité se manifestent aussi de plusieurs façons : la personne atteinte du TDAH se fâche ou devient frustrée en un rien de temps et exprime sa colère ou sa frustration de façon explosive, fait des commentaires ou prend des décisions de manière impulsive, a du mal à maintenir des liens d’amitié ou à entretenir d’autres relations interpersonnelles, ne réussit pas ses études post-secondaires ou les abandonne, change souvent d’emploi ou perd ses emplois, est agitée, abuse d’une substance ou en est dépendante, et est constamment à la recherche d’un emploi stimulant.

Chez l’adulte, les effets du TDAH peuvent être camouflés, note le Dr Bilkey. Souvent, explique-t-il, le patient élabore des mécanismes complexes de compensation ou d’adaptation, par exemple en se fiant au soutien familial et à des aides mnémoniques comme les agendas électroniques et les autocollants. Dans certains cas, le diagnostic ne peut être posé que lorsque le jeune adulte entreprend ses études universitaires et se sent alors dépassé par les exigences intellectuelles, la nécessité de bien gérer son temps et classer ses papiers, l’importance d’un cycle veille-sommeil régulier et l’utilisation globalement accrue des fonctions exécutives. Les questions que l’on pose au patient sur sa vie quotidienne doivent faire ressortir la fréquence des symptômes, le degré de gêne qui en découle, le défi que représentent ces symptômes et l’ampleur des mécanismes de compensation. Le clinicien doit prendre note d’exemples de gêne, comme le nombre de tâches non terminées, le temps consacré à la recherche d’objets perdus, etc. Il doit aussi exclure la possibilité que d’autres facteurs soient en cause, y compris un trouble de l’humeur ou lié à l’utilisation d’une substance.

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stage du TDAH (ASRS)

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Fardeau du TDAH

Non traité, le TDAH impose une forte charge de morbidité et coûte très cher, explique le Dr Bilkey. Pris conjointement, les symptômes caractéristiques de la maladie peuvent gêner la vie quotidienne du patient à de nombreux égards. Il qualifie les répercussions du TDAH sur le plan scolaire de «catastrophiques», les statistiques indiquant que seulement 20 % des personnes qui en souffrent atteignent le niveau collégial et, de celles qui y parviennent, seulement une sur quatre en sort diplômée. Les patients se disent souvent démoralisés parce qu’ils ont un rendement sous-optimal au travail, mais nombreux sont ceux qui quittent leur emploi parce que l’environnement les ennuie. Il ressort d’une étude récente que près de la moitié d’un groupe de 500 adultes atteints du TDAH étaient au chômage, par comparaison à 27 % des témoins qui n’en étaient pas atteints (J Clin Psychiatry 2006;67[4]:524-40). Selon l’enquête NCS, le coût national annuel du TDAH chez l’adulte en milieu de travail aux États-unis se chiffre à 19 milliards de dollars, conséquence de 47 millions de jours d’absentéisme et de 75 millions de jours de présentéisme (J Occup Environ Med 2005;47[6]:565-72).

Les symptômes de ce trouble ont aussi des répercussions sur la vie sociale et la vie de couple. Chez les personnes atteintes du TDAH, le taux de divorce est deux à trois fois plus élevé que la moyenne. La gestion des tâches ménagères, la vie avec les enfants, le maintien d’un mode de vie sain et la conduite d’un véhicule en toute sécurité sont autant de défis éventuels. Dans certains cas, le TDAH pourrait en fait réduire l’espérance de vie, fait remarquer le Dr Bilkey – par exemple, si l’impulsivité entraîne des accidents de la route, l’abus d’une substance ou des infections transmissibles sexuellement.

Traitement visant l’amélioration de la capacité fonctionnelle

Les psychostimulants utilisés dans le traitement du TDAH chez l’enfant sont parmi les médicaments les plus efficaces en médecine, affirme le Dr Bilkey. Chez l’adulte, le traitement devrait idéalement reposer sur une démarche multimodale qui inclut la pharmacothérapie. «Comme il s’agit d’un trouble neurobiologique, la médication est la pierre angulaire du traitement. Cela dit, le bien-fondé de la thérapie cognitive et l’importance de traiter les affections concomitantes ont été démontrés.» Si le patient atteint du TDAH présente un autre trouble, on doit établir les priorités et traiter l’affection la plus sévère – généralement le trouble de l’humeur – en premier lieu.

À ce jour, très peu d’études randomisées et comparatives avec placebo ont porté sur la présence concomitante du TDAH et de troubles de l’humeur. Dans le cadre d’une étude où l’on observait des enfants atteints du trouble bipolaire et du TDAH, l’ajout de sels mixtes d’amphétamines au divalproex a donné lieu à une amélioration des paramètres cliniques de chaque trouble (Scheffer et al. Am J Psychiatry 2005;162[1]:58-64). Les résultats d’études cliniques étant insuffisants, les cliniciens sont parfois réticents à prescrire un stimulant par crainte de déstabiliser le patient atteint du trouble bipolaire. «Nous découvrons finalement que la mauvaise réputation des psychostimulants n’est probablement pas fondée», fait remarquer le Dr McIntyre. De nombreux psychiatres instaurent un traitement par un stimulant chez des patients atteints de dépression majeure. «Bref, cela démontre qu’il y a un fossé entre ce que nous faisons et ce qui émane des données», indique-t-il.

L’objectif du traitement du TDAH – comme c’est le cas pour les troubles de l’humeur – est la rémission. Dans le TDAH, la rémission est déterminée par l’amélioration de la capacité fonctionnelle, la diminution des mécanismes de compensation et l’établissement d’«une nouvelle trajectoire de vie – c’est-à-dire ce que le patient veut faire de sa peau une fois son trouble traité adéquatement», précise le Dr Bilkey. On peut avoir recours à des instruments de mesure standardisés comme le questionnaire ASRS à 18 items pour évaluer les progrès. De nombreux traitements sont déjà homologués pour le TDAH chez l’adulte, ajoute-t-il.

Des études comparatives avec placebo ont montré les retombées favorables des préparations à longue durée d’action de sels mixtes d’amphétamines et de méthylphénidate à système de libération OROS (à l’heure actuelle, seul le premier agent est indiqué pour le TDAH chez l’adulte au Canada). Lors d’une récente étude ouverte sur les sels mixtes d’amphétamines (Goodman et al. CNS Spectr 2005;10[12 suppl 20]:26-34), les patients ont fait état d’une amélioration de leurs symptômes, de leur capacité fonctionnelle et de leur qualité de vie dans un délai de 10 semaines, note le Dr Bilkey.

Les patients ne répondent pas toujours de la même façon aux stimulants individuels, de sorte que l’essai d’une deuxième préparation à longue durée d’action est approprié en cas de réponse inadéquate à un premier agent. Comme ils sont efficaces pendant plusieurs heures, ces agents offrent une posologie plus pratique que les psychostimulants à courte durée d’action, et aucun d’eux ne se prête aux abus. Au nombre de leurs effets indésirables figurent des élévations mineures de la tension artérielle et de la fréquence cardiaque, problème que l’on doit régler au besoin. On signale parfois une sécheresse buccale, mais les patients s’en plaignent rarement.

Dans le traitement du TDAH chez l’adulte, l’atomoxétine est une autre option, mais sa posologie doit être augmentée très lentement, et le délai de réponse est beaucoup plus long – de l’ordre de plusieurs semaines – que celui des psychostimulants. Cet agent peut être prescrit en association en cas de réponse inappropriée à un psychostimulant administré seul. Il pourrait convenir aux personnes aux prises avec des tics, une anxiété ou une toxicomanie active, estime le Dr Bilkey. L’atomoxétine est moins appropriée en présence d’un trouble bipolaire concomitant, car elle peut précipiter un accès maniaque. Au nombre de ses effets indésirables figurent aussi une élévation de la tension artérielle et de la fréquence cardiaque, de même que des nausées et la fatigue. Il est nécessaire de vérifier la fonction hépatique au départ, de rares cas d’hépatite chimique ayant été signalés.

Le bupropion à longue durée d’action, qui n’est pas un psychostimulant, pourrait être approprié chez les patients qui présentent un trouble de l’humeur concomitant ou une dépendance à la nicotine. Il pourrait aussi être utilisé en association avec un stimulant.

Autres démarches

Dans le traitement du TDAH chez l’adulte, de plus en plus de données objectivent l’utilité de diverses formes de psychothérapie en plus de la pharmacothérapie, poursuit le Dr Bilkey. Il a cité à cet égard un programme de thérapie cognitive en plusieurs séances élaboré par le Massachusetts General Hospital (Mastering Your Adult ADHD, Oxford University Press, 2005), dans le cadre duquel les patients apprennent à assouplir leurs raisonnements, à organiser et à planifier, et à moins se laisser distraire. Selon une petite étude réalisée chez des patients qui avaient participé à ce programme, les techniques apprises ont permis une diminution significative de la sévérité des symptômes par comparaison à la pharmacothérapie seule. L’encadrement et le mentorat sont d’autres modalités non médicamenteuses qui peuvent se révéler utiles dans le traitement du TDAH chez l’adulte.

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