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Hormonothérapie dans le cancer du sein à un stade précoce

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

30e Symposium annuel de San Antonio sur le cancer du sein

San Antonio, Texas / 13-16 décembre 2007

L’essai ATAC (Arimidex, Tamoxifen Alone or in Combination) (ATAC Trialists’ Group. Lancet 2005;365: 60-2) est venu remettre en question le traitement de référence établi de longue date – prise de tamoxifène pendant cinq ans – du cancer du sein à récepteurs hormonaux (RH+) localisé.

Lors de cet essai, plus de 9000 (n=9366) femmes ménopausées ont reçu pendant cinq ans, après randomisation, de l’anastrozole – inhibiteur de l’aromatase (IA) –, du tamoxifène ou ces deux hormonothérapies en association. Le paramètre principal était la survie sans cancer. Après avoir constaté, à l’occasion d’une analyse provisoire, que la bithérapie n’était pas plus efficace que chacun des agents employé seul, on a dissous le groupe traité par l’association médicamenteuse.

Lors d’un suivi effectué après un délai médian de 68 mois chez les porteuses d’une tumeur RH+ (84 % de la population de l’étude), on a constaté que, par rapport au tamoxifène, l’IA avait prolongé la survie sans cancer (taux de risque [hazard ratio ou HR] : 0,83; p=0,005), repoussé la survenue d’une récidive (HR : 0,74; p=0,0002) et réduit le risque d’apparition de métastases à distance (HR : 0,84; p=0,022) et de cancer du sein controlatéral (26 vs 53; p=0,004).

Les abandons ont été moins nombreux dans le groupe IA; cet agent a entraîné nettement moins d’effets indésirables graves, y compris les thromboembolies veineuses (TEV), les événements ischémiques cérébraux et les cancers de l’endomètre. À la lumière de ces constatations, l’équipe de l’étude ATAC a conclu que «l’anastrozole devrait être le traitement initial de prédilection chez la femme ménopausée atteinte d’un cancer du sein RH+ localisé».

Bienfaits à long terme

Les résultats sur cinq ans étaient, à n’en pas douter, favorables à l’IA. Néanmoins, plusieurs questions subsistaient, notamment en ce qui touche la persistance des effets thérapeutiques et indésirables après la fin du traitement. La réponse est apparue lors du suivi de 100 mois : les avantages de l’anastrozole par rapport au tamoxifène se sont maintenus, voire accentués dans certains cas.

Au terme d’un délai médian de 40 mois après la fin du traitement, la probabilité relative (HR) de survie sans maladie s’établissait à 0,85 chez les patientes du groupe IA par rapport aux patientes sous tamoxifène (p=0,003), nous apprend le Dr John Forbes, University of Newcastle, Australie. Cet écart témoigne d’une amélioration encore plus marquée grâce à l’anastrozole depuis la fin du traitement randomisé.

«La différence absolue entre les deux groupes quant à la proportion de femmes ayant rechuté est passée de 2,8 % à 4,8 % pendant les quatre années qui ont suivi la fin du traitement; elle a donc presque doublé, déclare le Dr Forbes. C’est la première fois que l’on démontre un effet différé [associé à un IA].»

De la cinquième à la neuvième année de l’essai ATAC, donc après l’arrêt du traitement, l’IA a réduit le risque de récidive de 25 %, comme en fait foi le taux de risque (HR) 0,75 par rapport au tamoxifène (p=0,01) (Figure 1).

Figure 1. Délai de récidive chez les porteuses d’une tumeur RH+


Les autres différences statistiquement significatives en faveur de l’anastrozole avaient trait au délai de récidive (HR : 0,76; p=0,0001), au délai de récidive à distance (HR : 0,84; p=0,022) et au cancer du sein controlatéral (HR : 0,60; p=0,004).

La prolongation du délai de récidive à distance n’est intervenue qu’après l’arrêt du traitement, ce qui témoigne encore une fois de l’effet différé de l’anastrozole, confirme le Dr Forbes.

Les données recueillies après 68 mois avaient mis en lumière un risque de fracture significativement plus élevé dans le groupe anastrozole. Cet écart est toutefois inexistant lors de l’analyse du 100e mois (146 événements dans le groupe anastrozole contre 143 dans le groupe tamoxifène; HR : 1,03; p=0,79).

«Ces données attestent l’innocuité à long terme et établissent clairement l’efficacité à long terme de l’anastrozole par rapport au tamoxifène en traitement adjuvant initial du cancer du sein hormonosensible à un stade précoce chez la femme ménopausée, de conclure le Dr Forbes. Les résultats indiquent qu’après cinq ans de traitement adjuvant, l’anastrozole exerce un effet différé plus marqué que le tamoxifène, et la différence est significative sur le plan statistique.»

On a présenté aux congressistes d’autres données étayant l’innocuité et l’efficacité des IA en traitement adjuvant du cancer du sein hormonosensible.

Inhibition de l’aromatase et déperdition osseuse : données à 12 mois de l’essai SABRE

Comparativement au tamoxifène, les IA accélèrent la diminution de la densité minérale osseuse (DMO). Jusqu’à maintenant, on n’avait pas étudié de près la possibilité que la prise concomitante d’un bisphosphonate puisse ralentir ou prévenir la déperdition minérale osseuse consécutive à l’inhibition de l’aromatase. Les données à 12 mois de l’étude SABRE (Study of Anastrozole with the Bisphosphonate Risedronate) sont rassurantes à cet égard.

L’essai SABRE est une étude multinationale de phase III/IV en cours visant à évaluer les effets de l’anastrozole, avec ou sans risédronate, sur la santé osseuse de femmes ménopausées atteintes d’un cancer du sein précoce et hormonosensible à un stade précoce. Les 234 participantes sont traitées en mode ouvert par l’anastrozole, et certaines d’entre elles prennent en concomitance du risédronate ou un placebo. La population comprend 38 femmes fortement vulnérables à la survenue d’une fracture par fragilité osseuse, 42 peu vulnérables et 154 modérément vulnérables, explique la Dre Catherine Van Poznak, University of Michigan, Ann Arbor.

Les patientes fortement vulnérables reçoivent l’anastrozole avec du risédronate, tandis que les femmes peu vulnérables prennent l’IA en monothérapie. Dans le groupe modérément vulnérable, on a adjoint à l’anastrozole du risédronate ou un placebo après randomisation.

Le paramètre principal de l’essai SABRE est la DMO de la colonne lombaire. Les données à 12 mois rendent compte d’une hausse statistiquement significative de la DMO de la colonne lombaire (p<0,001) chez les patientes fortement ou modérément vulnérables traitées par l’IA et le bisphosphonate (p<0,001). La variation de la DMO de la colonne lombaire après 12 mois n’était pas significative dans le groupe peu vulnérable. La DMO de la hanche totale (paramètre secondaire) a varié de manière comparable à celle de la colonne lombaire, précise la Dre Van Poznak.

L’analyse des marqueurs du remodelage osseux révèle que leur taux est significativement moins élevé chez les femmes modérément vulnérables traitées par l’association IA-risédronate que chez celles qui ne reçoivent que de l’anastrozole (p<0,0001). Le taux des marqueurs a également diminué de manière significative chez les femmes fortement vulnérables (p=0,004 à p<0,0001), tandis qu’il s’est accru chez les patientes peu vulnérables.

Les chercheurs de l’essai SABRE s’intéressent également à l’effet de l’inhibition de l’aromatase sur les taux lipidiques. L’analyse à 12 mois révèle une légère diminution du C-LDL par rapport à la valeur de départ chez les patientes traitées par l’anastrozole en monothérapie ou en association avec le risédronate. Chez les femmes recevant l’IA en monothérapie, la différence est statistiquement significative (-5,4 %; p=0,0007). Le C-HDL a augmenté de manière significative dans la population de l’analyse en intention de traiter (6,75 %; p<0,0001) et chez les patientes dont le bilan lipidique était normal au départ (6,85 %; p=0,0016). Enfin, les taux de triglycérides et de cholestérol total n’ont pas varié de façon notable.

«Chez une femme ménopausée atteinte d’un cancer du sein, traitée par l’anastrozole à titre adjuvant et exposée d’emblée à un risque modéré ou élevé de fracture par fragilité osseuse, on peut protéger la DMO à l’aide de risédronate et prendre en charge la santé osseuse suivant les lignes directrices établies, sans pour autant altérer le bilan lipidique», estime la Dre Van Poznak.

Préservation de la santé osseuse

On décrit dans deux autres publications les effets des IA sur la santé osseuse et la prise en charge de ces effets. On s’est penché, lors d’un vaste essai clinique avec randomisation, sur les effets d’une hormonothérapie d’association, et on a comparé les effets de l’anastrozole à ceux du tamoxifène sur la santé osseuse (J Clin Oncol 2007;25:3194-7). L’essai ABCSG-12 (Austrian Breast and Colorectal Cancer Study Group-12) a réuni 1801 femmes non ménopausées atteintes d’un cancer du sein précoce et hormonosensible. Après l’intervention chirurgicale, toutes les patientes ont reçu de la goséréline, puis ont été affectées au hasard au groupe anastrozole ou tamoxifène avec ou sans acide zolédronique (quatre groupes en tout). Le traitement a duré trois ans, signale le Pr Michael Gnant, département de chirurgie, Université de Vienne, Autriche.

Le Pr Gnant a présenté les résultats d’une sous-étude sur les effets osseux lors de laquelle 404 femmes se sont prêtées à un total de 1533 évaluations de la DMO au cours du suivi. Les patientes soumises à l’hormonothérapie sans acide zolédronique ont subi une perte moyenne de DMO de 11,3 % en trois ans. Après la fin du traitement hormonal, moins de la moitié des femmes ont retrouvé leur DMO de départ; après cinq ans, la perte de DMO s’établissait en moyenne à 6,3 %. En revanche, les patientes qui ont reçu de l’acide zolédronique tous les six mois du début à la fin de l’hormonothérapie ont conservé leur DMO de départ, et celle-ci s’était même accrue de 4 % après cinq ans.

«Il convient d’envisager la prévention de la déperdition osseuse iatrogène chez les patientes non ménopausées qui reçoivent, à cause d’un cancer du sein, des traitements adjuvants abaissant les taux d’œstrogènes», affirme le Pr Gnant.

L’étude IBIS-II (International Breast Cancer Intervention) a donné lieu à des constatations similaires. Une fois mené à bonne fin, cet essai aura réuni 6000 femmes ménopausées exposées à un risque élevé de cancer du sein. Après randomisation, les participantes reçoivent de l’anastrozole ou un placebo pendant cinq ans. De plus, 1000 patientes subiront une scintigraphie osseuse au départ puis après un, trois, cinq et sept ans dans le cadre d’une sous-étude sur les effets osseux, explique la Dre Shalini Singh, Queen Mary’s School of Medicine and Dentistry, Londres, Royaume-Uni.

Lors de leur admission à la sous-étude, les participantes sont affectées à l’une des trois catégories de risque suivantes : normal (T-score ³ -1), ostéopénie (T-score de -1 à -2,5) et ostéoporose (T-score de -2,5 à >-4,0). Les femmes de la catégorie «normal» ne reçoivent aucun traitement à visée osseuse, tandis que toutes les participantes exposées à un risque élevé prennent du risédronate. Les patientes ostéopéniques reçoivent du risédronate ou un placebo après randomisation.

La Dre Singh a présenté les données relatives aux 350 premières patientes suivies pendant un an dans le cadre de cette sous-étude : 227 de la catégorie «normal», 80 de la catégorie «ostéopénie» et 43 de la catégorie «ostéoporose». Dans la catégorie de risque II (patientes ostéopéniques soumises à la randomisation), l’anastrozole en monothérapie a été associé à une diminution moyenne de la DMO de 0,6 % dans la colonne lombaire et de 1,3 % dans la hanche totale. Chez les patientes ayant reçu du risédronate en plus de l’IA, par contre, la DMO s’est accrue en moyenne de 1,1 % dans la colonne lombaire et de 2,07 % dans la hanche totale.

Après un an, 9 % des femmes dont la DMO de départ était normale présentaient une baisse de DMO d’au moins 6 % dans la colonne lombaire ou la hanche totale, mais aucune d’elle ne souffrait d’ostéoporose. Dans la catégorie II, 6 % des patientes avaient subi une perte de DMO ³6 % et une femme avait atteint le stade de l’ostéoporose. Enfin, 2 % des femmes exposées à un risque élevé avaient subi une perte de DMO ³6 %, mais chez 20 patientes (46 %), la DMO s’était accrue suffisamment pour que le diagnostic d’ostéoporose ne s’applique plus.

«Chez les femmes atteintes dès le départ d’ostéopénie ou d’ostéoporose, la prise concomitante de risédronate semble avoir neutralisé la perte de DMO provoquée par l’anastrozole», note la Dre Singh.

Symptômes articulaires

Les symptômes articulaires comptent également au nombre des effets reconnus des IA. Le tamoxifène ne semble toutefois pas occasionner pareils symptômes, essentiellement liés à de faibles taux d’œstrogènes, fait remarquer la Dre Ivana Sestak, Queen Mary’s School of Medicine and Dentistry.

Grâce aux données sur les manifestations articulaires recueillies par l’équipe de l’essai ATAC, on a pu étudier les répercussions de l’hormonothérapie sur les symptômes et comparer l’effet de l’IA à celui du tamoxifène sur les manifestations articulaires. Les patientes ayant signalé des symptômes articulaires sont plus nombreuses dans le groupe anastrozole que dans le groupe tamoxifène, et la différence est significative (36,5 % vs 30,9 %; p<0,001). Environ 300 patientes de chaque groupe ont été exclues de l’analyse d’emblée, car elles présentaient dès le départ des symptômes articulaires.

La plupart des symptômes articulaires se sont manifestés en début de traitement et étaient légers, souligne la Dre Sestak. Les chercheurs ont évalué les répercussions de divers facteurs de risque sur la survenue de manifestations articulaires. Ils ont découvert un lien significatif avec le traitement prescrit, bien sûr, mais également avec les éléments que voici : pas d’antécédents d’hormonothérapie substitutive (p<0,001) ni de chimiothérapie (p<0,01), tumeur à récepteurs œstrogéniques (p=0,05 à p=0,02 vs présence de récepteurs non établie ou absence de récepteurs), région géographique de l’Amérique du Nord (p<0,001) et indice de masse corporelle >30 (p<0,001).

En examinant les symptômes articulaires en fonction des facteurs de risque et du médicament administré, la Dre Sestak a constaté que le lien avec l’anastrozole n’était significatif que chez les femmes qui avaient déjà reçu une hormonothérapie substitutive (p=0,02 vs tamoxifène).

«La plupart des facteurs de risque (liés aux symptômes articulaires) sont associés à une baisse des taux d’œstrogènes au début du traitement, fait remarquer la Dre Sestak. On devrait prendre en considération les facteurs qui exposent une patiente aux symptômes articulaires avant de l’inciter à suivre à la lettre son hormonothérapie.»

Observance de l’hormonothérapie

L’observance d’un traitement à long terme par voie orale pose souvent problème. On a déjà signalé des taux d’inobservance du traitement par le tamoxifène de 23 % après un an et de 50 % après quatre ans. À en juger par les observations cliniques, l’observance fait encore plus défaut avec l’anastrozole qu’avec le tamoxifène, mais on ne dispose pas de données sur l’utilisation réelle pour étayer cette hypothèse, précise le Dr Peyman Hadji, Université Philipps, Marbourg, Allemagne.

Soucieux de remédier à la situation, des chercheurs se sont livrés à un examen rétrospectif de dossiers médicaux, en plus de prendre en compte l’observance de l’hormonothérapie évaluée par les patientes elles-mêmes et les données de suivi des ordonnances. Leur examen porte sur 100 femmes ménopausées ayant souffert d’un cancer du sein : une moitié de la population a été traitée par le tamoxifène et l’autre, par l’anastrozole.

Les dossiers médicaux n’ont pas permis d’établir de lien entre l’observance et les caractéristiques de départ, notamment les effets indésirables. Les patientes des groupes tamoxifène et anastrozole ont fait état d’un taux d’observance de 100 % dans leur auto-évaluation. Pourtant, les données de suivi des ordonnances révèlent plutôt que 40 patientes sur 50 (80 %) ont suivi à la lettre leur traitement par le tamoxifène et que 29 patientes sur 44 (66 %) en ont fait autant dans le groupe anastrozole.

«L’une des visées importantes de toute intervention thérapeutique est l’obtention d’une efficacité comparable à celle des essais cliniques avec randomisation lors de l’application réelle du traitement dans la population, rappelle le Dr Hadji. Nos résultats confirment, encore une fois, que les femmes atteintes d’un cancer du sein n’observent pas comme il se doit leur traitement adjuvant par le tamoxifène. Qui plus est, nous constatons pour la première fois qu’il en va de même pour l’anastrozole. Nous devrons réaliser d’autres études prospectives pour faire la lumière sur les raisons de cette inobservance.»

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