Comptes rendus

Abaisser le taux de LDL pour maîtriser l’athérosclérose : données corroborantes
De la physiopathologie à la pratique clinique

En quête de neuroprotection dans l’AVC aigu

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

31e Conférence internationale sur les AVC

Kissimmee, Floride / 16-18 février 2006

L’AVC aigu, un événement clinique courant, mais non moins dévastateur, est l’une des principales causes de mortalité et d’incapacité au Canada et dans d’autres pays industrialisés. Les agents neuroprotecteurs suscitent un grand intérêt parce que la mort neuronale contribuant à l’incapacité survient en grande partie après l’infarctus immédiat. Si l’on administre sans tarder des médicaments qui protègent les neurones contre les éléments destructeurs, surtout les radicaux libres, il semble que l’on pourrait circonscrire la zone infarcie et ainsi préserver le fonctionnement cérébral, si l’on en juge par des études expérimentales.

Limiter l’incapacité plutôt que la faire régresser

L’inefficacité apparente d’un grand nombre de ces agents lors d’essais cliniques serait due à l’utilisation de paramètres inappropriés. «Quel est l’objectif du traitement de l’AVC? On ne doit pas penser uniquement à la guérison. Une diminution cliniquement significative de l’incapacité – qui représente un changement important de l’issue – est peut-être le maximum de ce que l’on peut attendre d’un agent neuroprotecteur ne pouvant pas faire régresser les lésions déjà survenues», affirme le Dr Marc Fisher, département de neurologie, University of Massachusetts School of Medicine, Worcester.

Plusieurs agents neuroprotecteurs qui s’étaient révélés hautement efficaces dans des modèles expérimentaux de l’AVC ont ensuite fait chou blanc lors d’essais cliniques. Un grand nombre de ces agents ciblaient le stress oxydatif, médiateur établi de la mort neuronale dans la période suivant immédiatement un AVC ischémique. À tout le moins dans les modèles animaux, le stress oxydatif agrandit la zone infarcie, ce qui augmente le risque de mortalité ou d’atteinte cérébrale majeure. En raison des données expérimentales probantes montrant que la neuroprotection est une option viable pour limiter l’atteinte cérébrale secondaire à l’AVC, diverses théories ont été proposées pour expliquer les résultats sous-optimaux d’études antérieures qui portaient sur des agents prometteurs. Au nombre des explications possibles, citons l’administration trop tardive de l’agent ou l’administration de doses insuffisantes. Il se pourrait également que les chercheurs aient inclus trop de patients ayant eu un infarctus de grande taille ne répondant pas aux agents neuroprotecteurs et que, par conséquent, ils n’aient pas réussi à faire ressortir les bienfaits de ces agents neuroprotecteurs.

«Le tableau récapitulatif n’est pas réjouissant. Au total, 49 agents neuroprotecteurs ont été évalués dans le cadre de 114 essais comparatifs et randomisés qui regroupaient 21 445 patients. Nous n’avons eu aucun résultat positif», fait remarquer le Dr Jeffrey Saver, University of California, Los Angeles. Bien qu’un grand nombre de ces agents aient pu être inefficaces, la non-utilisation de paramètres pouvant dénoter un bienfait pourrait expliquer une partie des échecs de ces stratégies de traitement.

«La plupart de ces études ont évalué les agents neuroprotecteurs selon une méthode très dichotomique, estime le Dr Saver. Autrement dit, on déterminait si les patients avaient bénéficié ou non du traitement en fonction d’un paramètre unique.» Cette démarche a l’avantage d’être simple, mais elle a aussi le désavantage de possiblement sous-estimer les bienfaits chez chaque patient. La nouvelle démarche repose sur une analyse par décalage pour mesurer des améliorations modestes, mais cliniquement significatives sur un continuum. Cette façon de faire est utile pour repérer les bienfaits du traitement sur une base individuelle.

Cette méthode a été utilisée et validée dans le cadre d’un essai dont les résultats ont été publiés une semaine avant le congrès (Lees et al. N Engl J Med 2006;354:588-600). SAINT I (Stroke-Acute Ischemic NXY Treatment) est le premier essai d’envergure à associer un agent neuroprotecteur à un avantage significatif quant à l’évaluation du paramètre principal. Lors de cette étude, 1699 patients ayant été victimes d’un AVC aigu ont été inclus dans l’analyse d’efficacité. Après randomisation, les patients ont reçu le NXY-059, agent neuroprotecteur expérimental qui s’est révélé capable de capter les radicaux libres et ainsi de réduire la taille de l’infarctus lors d’études expérimentales, ou un placebo. Le traitement était administré dans un délai de six heures suivant l’AVC ischémique aigu. Le paramètre principal était l’incapacité à 90 jours, laquelle était mesurée d’après le score sur l’échelle de Rankin modifiée pour l’incapacité. En tout, 118 centres répartis dans 24 pays ont participé à l’étude.

«Sur le plan du paramètre principal, [le traitement] a augmenté la probabilité relative (OR, pour odds ratio) d’un résultat favorable de 20 % [IC à 95 % : 1,01-1,42; p=0,038)», souligne le Dr Kennedy R. Lees, Western Infirmary, Glasgow, Royaume-Uni. En tant qu’auteur principal de cette étude, le Dr Lees a rapporté que l’amélioration avait été observée dans toutes les catégories de l’échelle de Rankin modifiée selon une analyse en intention de traiter. Par exemple, alors que seulement 11 % des patients du groupe placebo avaient un score Rankin de 0, ce qui dénote l’absence d’incapacité résiduelle, c’était le cas de 15,4 % des patients du groupe NXY-059, ce qui revient à une augmentation absolue de 4,4 %. Inversement, la proportion de patients répondant aux critères d’un score Rankin de 4 (qui dénote l’incapacité de marcher ou de parer à certains besoins corporels sans aide) et à ceux d’un score de 5 (qui dénote le confinement au lit et la nécessité de soins constants), n’était que de 41 % dans le groupe de traitement actif, par comparaison à 44,6 % dans le groupe placebo. La fréquence moindre d’AVC sévères dans le groupe de traitement actif s’expliquait par un décalage global vers une incapacité moindre.

Tableau 1. Diminution de l’incapacité à 90 jours selon l’échelle de Rankin modifiée


Évaluation de la neuroprotection

L’analyse englobant les sujets ayant terminé l’étude a donné des résultats très similaires. Bien que la probabilité relative (OR) d’une amélioration du score Rankin modifié soit demeurée à 1,20, la proportion de patients sans incapacité était près de 5 % plus élevée dans le groupe neuroprotecteur que dans le groupe placebo, et le décalage global vers de meilleurs résultats dans le groupe de traitement actif était significativement plus marqué sur le plan statistique (p=0,02). Chaque fois que les groupes ont été comparés plus tôt, l’avantage relatif de l’agent actif était encore plus marqué, ce qui est compatible avec l’activité d’un agent neuroprotecteur.

«À 90 jours, on commence déjà à voir une régression vers la moyenne, parce que ces patients ont souvent d’autres problèmes de santé qui diluent la différence de mortalité et d’incapacité avec le temps, explique le Dr Lees. Le meilleur moment pour évaluer la neuroprotection se situe probablement entre sept et 30 jours.»

Le même phénomène d’un bienfait précoce a été observé pour les paramètres subséquents évalués en ordre hiérarchique après le paramètre principal. Par exemple, le premier de ces paramètres – le score sur l’échelle NIHSS (National Institutes of Health Stroke Scale) – n’a pas fait ressortir d’avantage significatif en faveur du NXY-059 par rapport au placebo à 90 jours, mais la probabilité relative (OR) de meilleurs résultats sur l’échelle NIHSS grimpait à 1,13 si l’évaluation était faite à 30 jours (p=0,09) et à 1,46 si elle était faite à sept jours (p=0,04). L’indice de Barthel n’a pas mis en évidence d’avantage significatif de l’agent à 90 jours non plus, mais il a montré un avantage à 30 jours (p=0,02) et à sept jours (p=0,0001).

Le nombre total d’effets indésirables était légèrement plus faible dans le groupe de traitement actif que dans le groupe placebo. Une analyse rétrospective portant sur des patients qui avaient reçu un traitement par l’activateur tissulaire du plasminogène (tPA) a fait état d’une réduction hautement significative du risque de transformation hémorragique chez les patients qui recevaient l’agent neuroprotecteur (p=0,001). Plus précisément, le taux d’hémorragie intracérébrale asymptomatique après la thrombolyse se chiffrait à 20,9 % dans le groupe placebo vs 12,9 % dans le groupe de traitement actif. Les taux d’hémorragie intracérébrale symptomatique correspondants étaient respectivement de 6,4 % et de 2,5 %.

Tableau
e après la thrombolyse

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«L’analyse rétrospective avait pour objectif de déterminer si le traitement par le tPA modifiait l’avantage du NXY-059 en améliorant les résultats au point où l’agent neuroprotecteur ne pouvait donner lieu à une amélioration supplémentaire. La protection contre la transformation hémorragique était inattendue, mais l’interaction était hautement significative et semble réelle. Il se pourrait que la capacité du NXY-059 à améliorer la fonction endothéliale vasculaire y soit pour quelque chose, mais d’autres études s’imposent», affirme le Dr Lees.

Lorsque les patients étaient stratifiés en fonction d’une longue liste de caractéristiques, dont l’âge (plus ou moins de 71 ans), le sexe, la race, la glycémie initiale, la température corporelle et le délai de traitement après l’installation de l’AVC, l’agent neuroprotecteur était systématiquement plus efficace que le placebo. La seule exception était la tension artérielle diastolique, pour laquelle on a observé une interaction négative. Cependant, note le Dr Lees, l’agent n’exerce aucun effet connu sur la tension artérielle, de sorte que ce résultat pourrait découler d’une anomalie statistique.

Bénéfices modestes, mais cliniquement significatifs

L’effet neuroprotecteur du NXY-059 est modeste, mais le Dr Lees et plusieurs experts invités à discuter des résultats de l’essai estiment qu’il est cliniquement significatif. De l’avis du Dr Saver, qui a fait remarquer qu’«un décalage modeste vers une incapacité moindre sous l’effet d’un agent neuroprotecteur concorde avec notre compréhension de l’AVC», l’avantage peut se traduire en termes concrets. En partant du principe que l’amélioration d’une catégorie de l’échelle de Rankin est cliniquement significative pour les patients, il a calculé que le nombre de sujets à traiter (NST) pour ce degré de changement était de 9,8. Autrement dit, pour 100 patients traités, une dizaine peuvent s’attendre à une amélioration cliniquement significative. Bien que nous ayons besoin d’autres données pour confirmer ce résultat, il estime que ce NST plaide en faveur de l’utilisation d’un agent neuroprotecteur.

Un deuxième essai intitulé SAINT II générera des données supplémentaires. Cette étude randomisée – qui regroupe 3200 patients et dont le plan est comparable à celui de SAINT I – est régie par le même paramètre principal. SAINT II se distingue surtout de SAINT I du fait que son protocole vise à repérer une interaction entre le NXY-059 et le tPA. Avec ou sans tPA, on s’attend à ce que l’agent neuroprotecteur soit un ajout majeur aux options dont on dispose actuellement pour limiter les dégâts d’un AVC aigu.

«Lorsqu’il est administré aux patients appropriés, le tPA est efficace, mais seule une faible proportion de patients reçoit un thrombolytique. Par conséquent, les traitements exerçant un effet plus modeste pourraient tout de même représenter un progrès important s’ils étaient offerts à un plus grand nombre de patients», fait valoir le Dr Lees.

Le plan novateur, presque aussi important que les résultats

La démarche novatrice de l’essai SAINT I ayant permis de capter un changement dans l’issue de l’AVC pourrait être presque aussi importante que les résultats. L’échelle de Rankin modifiée est largement utilisée pour mesurer l’incapacité globale et elle a déjà été utilisée comme paramètre principal dans au moins 11 études randomisées sur le traitement de l’AVC. Cependant, le décalage du score Rankin modifié au sein de la population totale, par opposition à l’amélioration d’un seuil spécifique, deviendra sans doute la norme dans les essais futurs sur la neuroprotection.

«À mon avis, le décalage du score Rankin modifié remplacera d’autres paramètres parce qu’il permet de cibler un résultat utile pour déterminer si nous aidons le patient», fait remarquer le Dr Fisher. La variation du score dans une seule catégorie de l’échelle de Rankin n’a peut-être rien d’impressionnant dans un contexte où l’on cherche à prévenir toute incapacité, mais le degré de ce décalage pourrait correspondre à la différence entre la vie dans un établissement de soins prolongés et une vie autonome. Par exemple, le passage d’une incapacité modérée (score de 3 sur l’échelle de Rankin modifiée) à une légère incapacité (score de 2 sur l’échelle de Rankin modifiée) pourrait revêtir une importance vitale non seulement pour le patient, mais également pour le conjoint et les autres membres de la famille.

«Cette méthode novatrice nous amène à nous demander si les agents neuroprotecteurs considérés comme inefficaces dans le passé après évaluation de paramètres moins sensibles seraient en fait plus efficaces s’ils étaient de nouveau évalués», précise le Dr Fisher, qui est d’accord avec le Dr Saver pour affirmer que les échecs des évaluations préalables d’agents neuroprotecteurs tiendraient surtout à l’utilisation de paramètres inappropriés.

Une nouvelle ère en recherche clinique

Avec l’achèvement du premier essai à démontrer l’effet bénéfique d’un agent neuroprotecteur selon le paramètre principal, le Dr Fisher estime que «c’est la fin du commencement plutôt que le commencement de la fin» dans notre quête de nouveaux traitements pour les AVC aigus. Des outils valables ayant été conçus pour mesurer les résultats, indique-t-il, il sera maintenant plus facile d’envisager des études dont les résultats pourraient être modestes, mais cliniquement significatifs. Par exemple, les agents neuroprotecteurs qui, pensons-nous, pourraient avoir des effets additifs ou synergiques pourraient maintenant être évalués en association.

«Lorsque nous aurons la preuve que nous avons un médicament sûr et efficace pour le traitement de l’AVC aigu, il sera contraire à l’éthique de réaliser des essais comparatifs avec placebo. C’est le début d’une ère nouvelle», de conclure le Dr Fisher.

Résumé

Après une longue série d’essais sur des agents neuroprotecteurs pourtant très prometteurs dont les résultats ont été décevants, l’évaluation d’un chélateur des radicaux libres a généré des données encourageantes et montré que la neuroprotection est un concept viable. Il importe de souligner que l’étude ayant mis un avantage en évidence – SAINT I – avait recours au décalage du score Rankin modifié comme paramètre principal. Plutôt que d’évaluer la proportion de patients dont l’état s’était amélioré selon un seuil unique, le plan de cette étude permettait de cerner l’amélioration selon le continuum de l’échelle de Rankin. Cette approche est considérée comme plus appropriée pour mesurer l’effet du traitement, car les agents neuroprotecteurs peuvent limiter la taille de la zone infarcie, mais ne peuvent pas faire régresser les lésions qui sont déjà survenues. Les bienfaits de ces agents sont donc susceptibles d’être modestes. Une nouvelle ère d’études en neuroprotection découlera sans doute des résultats prometteurs récents et du plan novateur de cette première étude.

Nota : Au moment où le présent article a été mis sous presse, le NXY-059 n’était pas commercialisé au Canada.

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