Comptes rendus

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Immunosuppression chez le transplanté rénal : les recommandations cliniques factuelles du KDIGO

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

LE FORUM - Transplantation

Juin 2010

D’après The KDIGO Clinical Practice Guideline for the Care of Kidney Transplant Recipients.

Am J Transplant 2009;9(suppl 3):S1-S155.

IMMUNOSUPPRESSION CHEZ LE TRANSPLANTÉ RÉNAL : LES RECOMMANDATIONS CLINIQUES FACTUELLES DU KDIGO

Commentaire éditorial :

Bryce A. Kiberd, MD, FRCPC

Médecin principal, Programme de transplantation multi-organes, Queen Elizabeth II Health Sciences Centre, Professeur titulaire de médecine, Dalhousie University, Halifax, Nouvelle-Écosse

Les deux guides de pratique clinique les plus complets sur la prise en charge des greffés du rein ont été publiés en 2000 par l’American Society of Transplantation et le Groupe d’experts des recommandations européennes de bonnes pratiques (European Best Practices Guidelines). Si ces guides étaient surtout fondés sur l’opinion d’experts, les recommandations récemment émises par le groupe Kidney Disease: Improving Global Outcomes (KDIGO) reposent sur une approche factuelle. Ces nouvelles recommandations, fruit de consensus et fondées sur la revue systématique d’essais cliniques pertinents, ont été publiées à la fin de 2009 (Am J Transplant 2009;9[suppl 3]:S1-S155).

Les recommandations du KDIGO ont été classées de la façon suivante : «niveau 1», lorsque les bénéfices l’emportent sur les risques chez la plupart des patients et que la démarche recommandée doit être suivie, et «niveau 2», lorsque différents choix peuvent être appropriés selon les patients et qu’une démarche est simplement suggérée. La qualité des preuves a également été cotée d’élevée à très faible selon l’existence (ou l’absence) de données probantes provenant d’essais comparatifs avec randomisation (ECR). Ces deux classements figurent dans les recommandations, de même que les raisonnements et les preuves à l’appui de façon que les spécialistes puissent se faire une idée. Ces recommandations se limitent à la prise en charge des greffés du rein et n’ont pas pour objectif de définir des normes de soin pour tous les patients. La question des coûts n’y est qu’accessoirement développée, car elles sont plutôt axées sur l’amélioration des résultats cliniques. Enfin, ce document suggère des questions de recherche et devra être mis à jour à mesure que le corpus de données probantes de qualité augmentera.

Schémas immunosuppresseurs d’induction et d’entretien

Le groupe KDIGO recommande, pour le traitement d’induction, l’administration d’une association d’immunosuppresseurs, dont un agent biologique, avant ou dès la transplantation. Pour le traitement d’entretien initial, les auteurs recommandent un protocole associant un inhibiteur de la calcineurine (ICN) et un antiprolifératif, avec ou sans corticostéroïdes (CS). L’antiprolifératif et l’ICN de première intention suggérés sont le mycophénolate mofétil (MMF) et le tacrolimus, que l’on propose d’administrer avant ou dès la transplantation plutôt que d’attendre que le greffon soit fonctionnel. La recommandation du tacrolimus s’appuie sur une méta-analyse d’ECR selon laquelle, comparativement à la cyclosporine (CsA), cet agent a été associé à une réduction du risque de rejet aigu et à une prolongation de la survie du greffon.

Malgré les craintes que l’emploi précoce d’un ICN puisse accroître l’incidence et la sévérité de la reprise retardée de fonction du greffon, l’analyse d’une série d’ECR comparant l’utilisation précoce d’un ICN à son utilisation différée a fait ressortir que rien ne justifiait de retarder l’administration de la CsA. Bien qu’aucune étude similaire n’ait été menée sur le tacrolimus, les données laissent supposer qu’on peut réduire au minimum le risque de néphrotoxicité lié à l’utilisation précoce d’un ICN tout en optimisant la prévention du rejet aigu si on a recours à un protocole d’induction comportant du tacrolimus à posologie réduite.

Il est suggéré d’envisager l’arrêt des CS durant la première semaine après la transplantation lorsque le risque immunologique est faible; dans le cas où un inhibiteur de mTOR (mammalian target of rapamycin) est employé, le groupe KDIGO recommande de ne l’administrer qu’une fois la fonction du greffon établie et les lésions chirurgicales cicatrisées.

Chez la plupart des patients, on recommande un antagoniste du récepteur de l’interleukine 2 en première intention pour le traitement d’induction; toutefois, chez les patients exposés à un risque accru de rejet aigu et d’échec de la greffe, on suggère d’employer du sérum antilymphocytaire.

Les facteurs qui contribuent à majorer le risque immunologique sont notamment le nombre d’incompatibilités HLA; le jeune âge du receveur; l’âge avancé du donneur; la présence d’anticorps anti-HLA préformés (pourcentage d’anticorps réactifs sur panel >0 %); et la présence d’anticorps spécifiques du donneur (Tableau 1). Étant donné que le traitement d’induction au moyen d’anticorps provoquant une déplétion lymphocytaire augmente le risque d’effets indésirables graves tels que les infections, il est suggéré de limiter l’emploi de ces agents afin de créer un équilibre favorable entre les bénéfices et les risques.

Tableau 1. Facteurs de risque de rejet aigu


Immunosuppression d’entretien à long terme

Compte tenu des possibles complications à long terme de l’exposition à un ICN, notamment la néphropathie chronique de l’allogreffe (NCA), le retrait de l’ICN du schéma immunosuppresseur d’entretien après trois mois, passé la période où le risque de complications d’origine immunologique est maximal, est une option séduisante. Cela dit, les ECR au cours desquels l’ICN a été totalement supprimé ont montré que le risque de rejet aigu avait augmenté significativement sans qu’on observe par ailleurs de bénéfice évident au chapitre de la survie du greffon. Bien que l’exposition aux ICN ne soit pas la seule cause possible de NCA, le groupe KDIGO indique qu’on peut en réduire le risque au minimum en diminuant la posologie de l’ICN. Par conséquent, si l’on n’a pas utilisé une faible dose d’ICN au moment de la transplantation, on doit réduire la dose de deux à quatre mois après la greffe pour limiter les effets néphrotoxiques tout en prévenant le rejet aigu.

Tableau 2. Surveillance des conce
s immunosuppresseurs

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Rejet aigu et diabète post-transplantation : soupeser les risques

Le traitement de 100 patients par le tacrolimus plutôt que par la CsA au cours de la première année permettrait de prévenir le rejet aigu chez 12 patients et l’échec de la greffe chez deux patients, notent les auteurs des recommandations du KDIGO. En revanche, cinq patients sous tacrolimus développeraient un diabète posttransplantation (DPT), comparativement aux patients sous CsA. L’association entre le tacrolimus et une augmentation significative du taux de DPT par rapport à la CsA n’a pas été observée dans toutes les études.

Les CS préviennent indiscutablement le rejet aigu et la perte du greffon d’origine immunologique. Les arguments en faveur de l’arrêt précoce tiennent à leurs effets systémiques lors de l’utilisation prolongée, tels l’hypertension, les dyslipidémies, le DPT, l’ostéoporose et les fractures qui lui sont associées. Pour déterminer s’il devrait supprimer ou changer l’une des composantes du schéma de traitement, le médecin doit s’appuyer sur les facteurs de risque individuels. Par exemple, l’arrêt des CS ou la diminution de leur posologie pourrait être bénéfique en présence d’une intolérance au glucose ou d’un DPT, de la persistance d’une hypertension malgré un traitement antihypertenseur adéquat, ou encore de l’apparition d’une ostéopénie ou d’une ostéoporose. En revanche, chez les patients encore sous CS au-delà de la période postgreffe précoce, le groupe KDIGO recommande de poursuivre l’administration de prednisone, les résultats des ECR ayant montré que l’arrêt des CS après cette période augmentait le risque de rejet aigu.

Posologie optimale

La CsA possède une marge thérapeutique étroite et un profil d’absorption variable, même avec la préparation en microémulsion. C’est pourquoi sa posologie doit être individualisée; cependant, la dose standard peut être définie comme la dose permettant d’obtenir une concentration sanguine minimale (C<sub>0</sub>) de 200 (150-300) ng/mL, ou une concentration à 2 heures de 1400 à 1800 ng/mL durant la période post-greffe précoce et de 800 à 1200 ng/mL par la suite.

Pour le tacrolimus, la C<sub>0</sub> (à 12 heures) standard cible est de 10 (5-15) ng/mL. Toutefois, l’étude SYMPHONY – au cours de laquelle on a comparé, chez des patients greffés du rein exposés à un faible risque immunologique, les résultats obtenus à 12 mois avec différents protocoles immunosuppresseurs aux chapitres de la préservation de la fonction du greffon, de la prévention du rejet aigu et de la prolongation de la survie du greffon – a montré que le tacrolimus à faible dose visant une faible C<sub>0</sub> cible s’avérait globalement le meilleur schéma, comparativement à la CsA à faible dose ou à dose standard, ou au sirolimus à faible dose.

La fréquence optimale de la surveillance des concentrations sanguines d’un ICN n’a été examinée dans aucun ECR. Néanmoins, les auteurs des recommandations suggèrent, à titre indicatif, d’effectuer un dosage au moins tous les 2 jours durant la période post-greffe précoce jusqu’à ce que les concentrations cibles soient atteintes. On devrait également respecter cette fréquence chaque fois qu’on change de médicament ou qu’il survient un changement de l’état du patient susceptible d’influer sur les concentrations sanguines ou une détérioration de la fonction rénale évoquant un effet néphrotoxique ou un rejet. Dans le cas du tacrolimus, le paramètre de surveillance doit être la concentration minimale à 12 heures (C<sub>0</sub>) pour la préparation à libération immédiate (prise biquotidienne) et la concentration minimale à 24 heures pour la préparation à libération prolongée (prise uniquotidienne). Les concentrations sanguines cibles doivent refléter le schéma immunosuppresseur global et le risque de rejet, de sorte qu’elles seront d’autant plus faibles que la transplantation sera ancienne.

L’adhésion au traitement

Les énoncés relatifs à la non-adhésion n’ont pas été cotés étant donné qu’on ne dispose pas de données suffisantes pour établir des recommandations claires en la matière. Cette question mérite néanmoins qu’on s’y attarde, ne serait-ce qu’en raison du risque élevé de rejet aigu et de perte du greffon qui lui est associé. Selon une étude, la non-adhésion au traitement multiplie par sept le risque de perte du greffon (Butler et al. Transplantation 2004;77:769-76).

Au nombre des facteurs de risque de nonadhésion, le groupe KDIGO cite l’ancienneté du traitement (baisse du taux d’adhésion avec le temps), une mauvaise communication et l’absence de soutien social. Le nombre de médicaments prescrits et leur fréquence d’administration ont aussi un effet sur les taux d’adhésion. Chez les transplantés rénaux, le taux de non-adhésion le plus élevé concernait les immunosuppresseurs (35,6 cas pour 100 personn
3. Facteurs de risque de non-adhésion au traitement médicamenteux

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La simplification du traitement médicamenteux — immunosuppresseur ou autre (p. ex., les antihypertenseurs) — demeure l’une des principales stratégies pour renforcer l’adhésion. Par conséquent, on doit, dans la mesure du possible, privilégier les posologies uniquotidiennes ou, à défaut, biquotidiennes.

Enfin, une combinaison d’interventions éducatives, comportementales et de soutien social pourrait produire les meilleurs résultats. Les patients doivent savoir que le défaut d’adhésion au traitement, même lorsque le greffon fonctionne bien, peut ouvrir la porte à un processus de rejet chronique insidieux, difficile à diagnostiquer aux premiers stades et souvent irréversible une fois enclenché. Il est important que les patients se sentent à l’aise de discuter avec leur équipe de soins de tout effet indésirable qu’ils associent à leurs médicaments avant d’apporter eux-mêmes des changements à leur traitement.

questions et réponses

Groupe d’experts

Philip F. Halloran, MD, PhD, FRCPC, OC, FRSC

Rédacteur en chef, American Journal of Transplantation, Directeur, Alberta Transplant Applied Genomics Centre, Chaire de recherche du Canada en médecine, (immunologie de la transplantation), Professeur titulaire de médecine, University of Alberta, Edmonton, Alberta

Marcelo Cantarovich, MD

Directeur médical, Programme de greffe du rein et du pancréas, Directeur adjoint, Programme de transplantation multi-organes, CUSM-Hôpital Royal Victoria, Professeur titulaire de médecine, Université McGill, Montréal, Québec

Bryce A. Kiberd, MD, FRCPC

Médecin principal, Programme de transplantation multi-organes, Queen Elizabeth II Health Sciences Centre, Professeur titulaire de médecine, Dalhousie University, Halifax, Nouvelle-Écosse

Quels sont les principaux avantages de l’utilisation d’un sérum antilymphocytaire pour le traitement d’induction?

Dr Kiberd : Une méta-analyse a démontré de façon assez concluante que le traitement d’induction par un antagoniste du récepteur alpha de l’interleukine-2 diminuait le taux de rejet puisqu’on observait une tendance à la hausse de la durée de survie du greffon, mais le sérum antilymphocytaire pourrait bien être bénéfique pour un sous-groupe particulier de patients. Ainsi, le patient à risque élevé sera moins vulnérable au rejet aigu s’il reçoit un sérum antilymphocytaire, mais il sera alors davantage exposé au risque d’infection et de cancer. Sur une base individuelle, donc, le ratio bénéfice:risque est incertain.

Dr Halloran : L’utilisation d’un sérum ant i lymphocytai r e ent raîne un é tat d’immunosuppression assez intense qui peut être avantageux lorsqu’on souhaite stabiliser le patient à haut risque immunologique. Cela dit, même si les données à l’appui d’un bénéfice chez ce type de patient ne sont pas aussi concluantes que nous le voudrions, le traitement par un agent antilymphocytaire est une pratique courante dans la plupart des établissements. En particulier, nous aimerions recueillir plus de données prouvant qu’il offre un avantage chez le patient à risque de rejet médié par anticorps, le principal problème auquel nous nous heurtons chez les patients sensibilisés.

Dr Cantarovich : Les données à l’appui de l’utilisation d’un sérum antilymphocytaire – comparativement à un anticorps monoclonal dirigé contre le récepteur de l’interleukine 2 – dans le traitement d’induction d’un transplanté rénal à risque élevé de rejet aigu ou de reprise retardée de la fonction rénale sont de qualité moyenne (2B). Bien que les sérums antilymphocytaires diminuent le risque de rejet aigu, aucune donnée ne prouve qu’ils prolongent la survie du greffon; de plus, ils sont associés à un risque accru d’infection (surtout à CMV) et de syndrome lymphoprolifératif post-transplantation. Il est donc essentiel de bien soupeser les risques et les bénéfices.

Dans les nouvelles recommandations, le tacrolimus est considéré comme un ICN de première intention pour le traitement immunosuppresseur d’entretien. À votre avis, pourquoi le groupe KDIGO a-t-il formulé cette recommandation?

Dr Kiberd : Cette recommandation repose sur les résultats de l’étude ELITE-SYMPHONY, qui a démontré qu’à court terme, l’exposition aux plus faibles concentrations de tacrolimus était associée à une meilleure fonction rénale et à de plus faibles taux de rejet, comparativement aux autres schémas évalués. En outre, le tacrolimus n’exerce pas d’effets importants sur le cholestérol et la tension artérielle, et il a moins d’effets cosmétiques que la cyclosporine [CsA] (hyperplasie gingivale et hirsutisme); par contre, il est associé à une incidence plus élevée de diabète et possiblement de néphropathie à polyomavirus. Comme on le dit dans les recommandations, le choix du traitement doit être fonction du patient.

Dr Halloran : De nombreuses études, dont SYMPHONY, ont montré que le tacrolimus, en tant qu’immunosuppresseur de première intention, favorisait un meilleur équilibre entre les risques et les bénéfices. Même s’il est associé à une incidence plus élevée de diabète et de neurotoxicité, les études comparatives avec la CsA ont mis en évidence un taux plus faible de rejet (causé par les lymphocytes T) et une détérioration moindre de la fonction rénale sous tacrolimus. Néanmoins, chez les patients vulnérables aux complications d’un traitement par le tacrolimus, surtout le diabète post-transplantation, la CsA es une bonne stratégie. La CsA et le tacrolimus sont associés à des taux de survie à long terme similaires.

Dr Cantarovich : Nous avons des données de qualité (2A) à l’appui de l’utilisation du tacrolimus en première intention. Comparativement à la CsA, il est associé à un risque moindre de rejet aigu et à un meilleur taux de survie du greffon au cours de la première année suivant la transplantation. Il est ressorti d’une méta-analyse d’essais comparatifs avec randomisation que pour chaque tranche de 100 transplantés rénaux, le remplacement de la CsA par le tacrolimus la première année suivant la transplantation préviendrait 12 rejets aigus et deux échecs; par contre, le diabète apparaîtrait chez cinq patients de plus dans le groupe tacrolimus. Il semble aussi y avoir moins de rejets subcliniques sous tacrolimus, mais les conséquences cliniques de cette observation n’ont pas encore fait l’objet d’une analyse à long terme.

Contrairement au tacrolimus, la CsA atténue la recirculation entérohépatique de l’acide mycophénolique, d’où une exposition moindre du patient à l’acide mycophénolique. L’absence de monitoring thérapeutique systématique des concentrations d’acide mycophénolique contribue peut-être à la différence quant au taux de rejet aigu observée lors d’essais comparatifs avec randomisation sur la CsA et le tacrolimus. Fait digne de mention, l’ajustement posologique du mycophénolate mofétil [MMF] en fonction de l’aire sous la courbe abrégée a été associé à un faible taux de rejet (comparable au taux de rejet observé dans le groupe tacrolimus de l’étude SYMPHONY) chez des transplantés rénaux recevant de la CsA à la dose habituelle, un anticorps monoclonal anti-récepteur de l’IL-2 et des corticostéroïdes [CS]. Cette observation donne à penser qu’il pourrait être important de mesurer l’exposition à l’acide mycophénolique.

Selon les recommandations, on devrait maintenant éviter les CS en traitement d’entretien au-delà de la première semaine. Lorsqu’une corticothérapie d’entretien s’impose, quel schéma prescrivez-vous pour réduire les effets indésirables au minimum?

Dr Kiberd : Si un patient à faible risque demande un schéma sans CS, nous pouvons soit les éliminer complètement, soit en limiter l’utilisation à la première semaine, pour autant que le patient soit parfaitement conscient des risques. En temps normal, on parvient à une dose de prednisone de 5 mg/jour dans un délai de trois mois, et le patient peut recevoir cette dose indéfiniment. Dans les rares cas d’hypersensibilité à la prednisone, on peut réduire la dose davantage, voire arrêter la corticothérapie, pour autant que l’on informe le patient de tous les risques. Si des problèmes surgissent, la corticothérapie est reprise sans délai. Environ 20 % de nos patients ne sont pas sous CS. La quasi-totalité des patients recevant un greffon de donneur HLA-identique peuvent se passer de CS.

Dr Halloran : La question de l’utilisation et de la non-utilisation des CS n’a pas encore été tranchée. Certes, de nombreux patients s’en sortent bien sans CS, mais la plupart des cliniciens seraient prêts à reprendre la corticothérapie chez tout patient qui montre des signes d’instabilité. Là encore, le rôle des anticorps et les risques associés à l’arrêt du traitement à divers moments constituent le noeud du problème. Parmi les scénarios envisageables, on compte l’absence complète de CS, l’administration de CS la première semaine seulement et d’innombrables autres protocoles. Nous n’avons pas encore réussi à bien évaluer le risque d’apparition d’anticorps dirigés contre le greffon et la perte tardive du greffon selon que le patient reçoit un traitement avec ou sans CS. Si de nombreux médecins estiment qu’en l’absence de données concluantes, les bénéfices associés à la non-utilisation ou à l’arrêt de la corticothérapie l’emportent sur les risques, il serait utile que nous ayons plus de données probantes de qualité pour trancher la question.

Dr Cantarovich : Les données qui étayent l’utilité d’un traitement sans CS au-delà de la première semaine suivant la transplantation du rein sont de qualité moyenne (2B). Dans notre établissement, la majorité des patients reçoivent une corticothérapie d’entretien à faible dose (5 mg/jour), mais il y a des établissements qui préconisent un schéma sans CS. Pour l’instant, notre objectif est d’arrêter la corticothérapie le plus tôt possible selon l’état du patient, mais nous prévoyons appliquer systématiquement une stratégie d’arrêt précoce dans un avenir prochain.

Dans quelles circonstances arrêteriez-vous le traitement par un ICN et quelles stratégies recommandez-vous alors pour réduire le risque accru de rejet aigu?

Dr Kiberd : Le syndrome lymphoprolifératif post-transplantation est le scénario le plus évident, mais depuis quelque temps, en usant de prudence, nous essayons aussi de mettre fin au traitement par un ICN trois mois après la transplantation lorsque le greffon provient d’un donneur HLA-identique. Dans la plupart des autres cas, je préfère réduire la dose. Je m’assure toutefois que le patient reçoive une dose suffisante des autres immunosuppresseurs, tel le MMF, avant de diminuer la dose de l’ICN.

Dr Cantarovich : En raison de données publiées récemment [voir la prochaine question], nous sommes plus réticents à mettre fin au traitement par un ICN chez un transplanté rénal. Nous préférons optimiser la dose de MMF et réduire celle de l’ICN.

Dans les nouvelles recommandations, on précise que les données sur les effets du remplacement de l’ICN en présence d’une néphropathie chronique de l’allogreffe sont de qualité médiocre et que le ratio risque:bénéfice résultant est incertain. Y a-t-il des situations où vous envisageriez tout de même de remplacer un ICN en présence d’une néphropathie chronique de l’allogreffe malgré ces données incertaines?

Dr Kiberd : Plusieurs essais comparatifs avec randomisation dont le suivi date maintenant de cinq ans ont porté sur le passage de la CsA au tacrolimus en présence d’une néphropathie chronique de l’allogreffe. À en juger par les effets sur les principaux paramètres d’évaluation (survie du greffon), il n’y a aucun avantage à remplacer l’ICN. Par contre, et c’est là un détail important, les lésions étaient déjà avancées et irréversibles au moment où la substitution a été mise à l’épreuve. Les résultats de l’essai CONVERT (qui portait sur le remplacement d’un ICN par un inhibiteur de mTOR) ont été publiés juste avant la parution des recommandations. Comme le soulignent les auteurs, le changement de traitement n’a été aucunement bénéfique dans les cas où l’on observait un déclin fonctionnel du greffon (et vraisemblablement une néphropathie chronique de l’allogreffe).

Dr Halloran : Il serait important de commencer à établir le phénotype des greffons lésés. Trois scénarios sont possibles : maladie du greffon; lésion active du greffon; et accumulation de tissu cicatriciel avec atrophie du greffon.

Une maladie du greffon est ce qui nous préoccupe le plus. Si l’on observe des signes de glomérulonéphrite récurrente, et en particulier de rejet médié par anticorps, il faut l’établir d’emblée avant de songer à réduire la dose de l’ICN. À en juger par les données récentes, il semble que l’on ait accusé à tort les ICN de contribuer à la détérioration des allogreffes rénales. Chez la plupart des patients recevant un ICN, on ne doit pas mettre fin au traitement à moins d’avoir des données prouvant hors de tout doute que la dégradation du greffon n’est pas liée à une maladie active (rejet médié par anticorps, maladie récurrente). Comme les critères diagnostiques du rejet médié par anticorps sont en train de changer, toutes les données doivent être réévaluées. En résumé, les données montrant que les ICN sont responsables de la dégradation de nombreux greffons ne sont probablement pas suffisantes pour que l’on préconise l’arrêt de l’ICN. Ce dont nous avons besoin, c’est un phénotypage plus détaillé des greffons qui posent problème afin de prendre la décision appropriée pour le patient et d’avoir les connaissances nécessaires pour déterminer si la maladie rénale en cause est susceptible de s’améliorer si nous réduisons la dose. Je tiens ici à souligner que les arguments à l’appui du rôle des ICN dans la dégradation de la fonction rénale sont souvent boiteux; je pense par exemple aux lésions non spécifiques comme l’hyalinose artériolaire.

Dr Cantarovich : Peu d’essais comparatifs avec randomisation ont porté sur la substitution de l’ICN dans la transplantation rénale, mais celles qui ont été faites ont objectivé une amélioration de la fonction rénale. Cela dit, ces études étaient généralement de courte durée et peu d’entre elles comportaient un suivi biopsique. Fait encore plus important, aucune des études ne comportait d’analyse des anticorps. À en juger par les données récentes du groupe d’Edmonton, le rejet chronique médié par anticorps est une cause importante de perte du greffon. Le médecin doit donc exclure la possibilité d’un rejet médié par anticorps avant de remplacer l’ICN par un autre immunosuppresseur chez un transplanté rénal. Un débit de filtration glomérulaire inférieur à 30 mL/min est une contre-indication au remplacement de l’ICN. Bref, s’il se trouve qu’il est possible de changer de traitement chez certains patients, nous devons revoir les critères.

À l’heure actuelle, traitez-vous le rejet aigu limite? Dans l’affirmative, pour quelles raisons?

Dr Kiberd : Dans notre établissement, nous optons pour une biopsie dans les cas où elle s’impose et nous traitons le rejet limite si nous le détectons. Nous ne faisons pas de suivi biopsique, si bien que nous ne traitons pas les rejets subcliniques. D’ailleurs, aucune donnée ne plaide en faveur d’un suivi biopsique systématique et du traitement d’un rejet subclinique chez les patients sous tacrolimus, MMF et prednisone.

Dr Halloran : Nous traitons les rejets aigus limites à l’aide de CS, peu importe l’état de la fonction rénale du transplanté rénal recevant un schéma immunosuppresseur à base de tacrolimus. C’est sur la foi d’études publiées sur le traitement par la CsA que nous optons pour cette démarche.

Dr Cantarovich : Nous traitons l’inflammation à l’aide de CS, quel que soit l’état de la fonction rénale, mais c’est sur la foi d’études réalisées chez des patients qui ont toujours reçu de la CsA. Les conséquences du traitement d’un rejet aigu subclinique chez des patients sous tacrolimus restent à déterminer.

À quel point la non-adhésion contribue-t-elle à l’échec du traitement immunosuppresseur? Quelles sont les conséquences d’une piètre adhésion et, à votre avis, quelles stratégies pourraient améliorer l’adhésion au traitement (p. ex., une posologie uniquotidienne dans la mesure du possible)?

Dr Kiberd : La non-adhésion est difficile à évaluer chez n’importe quel patient, si bien que ses répercussions globales sur les résultats cliniques sont difficiles à quantifier. Les patients qui admettent avoir omis de prendre leurs médicaments et dont le greffon présente une dysfonction avancée sont des exemples tragiques, mais ces cas sont peut-être la pointe de l’iceberg. Une non-adhésion d’importance moindre explique peut-être en partie le déclin fonctionnel insidieux du greffon que nous attribuions auparavant à la toxicité des ICN ou que nous attribuons maintenant au rejet chronique médié par anticorps. Il n’y a pas de solution simple à la non-adhésion; c’est un problème qui requiert probablement de multiples stratégies et c’est un champ de recherche important.

Dr Cantarovich : La non-adhésion est un aspect très important du suivi des transplantés. Au départ, le phénomène se limitait principalement aux adolescents et aux jeunes adultes, mais de plus en plus, on rapporte des cas de non-adhésion chez les adultes, davantage chez les jeunes adultes que chez les plus âgés. La non-adhésion a pour corollaire un risque accru de rejet aigu, avec la majoration des coûts que l’on sait pour traiter le rejet et reprendre la dialyse à cause de la perte du greffon. L’éducation du patient aide à améliorer l’adhésion. La prise d’un médicament aux repas peut contribuer à une meilleure adhésion, mais l’ingestion de nourriture peut influer sur la pharmacocinétique de certains médicaments. La constance des choix alimentaires pourrait contrer les fluctuations de l’exposition aux immunosuppresseurs. Par ailleurs, nous prescrivons maintenant du tacrolimus à une prise par jour pour favoriser l’adhésion. Selon certaines études, le problème de non-adhésion concerne surtout la dose du soir, mais si le tacrolimus est administré en concomitance avec le MMF, le patient doit encore prendre une dose de MMF le soir.

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