Comptes rendus

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Pharmacosuppression optimisée des androgènes dans le cancer de la prostate

La simplification des tests de tropisme accroît rapidement l'utilité des antirétroviraux anti-CCR5

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

FRONTIÈRES MÉDICALES - 17e Conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes (CROI)

San Francisco, Californie / 16-19 février 2010

La possibilité de traiter l'infection à VIH au moyen d'agents qui empêchent le virus de se frayer un chemin dans les cellules immunitaires cibles, tuant ainsi le cycle de réplication virale dans l'œuf, est extrêmement intéressante. Le premier inhibiteur de l'entrée homologué a été une préparation injectable, l'enfuvirtide. Le deuxième, le maraviroc (MVC), est un agent oral qui bloque le corécepteur CCR5, de loin le plus important des deux corécepteurs dont se sert le VIH pour infecter les cellules. Avant de pouvoir recevoir un anti-CCR5, le patient doit toutefois subir un test de tropisme servant à confirmer que le VIH utilise bel et bien le récepteur CCR5 (virus R5). De nouvelles données tirées d'études reposant sur de meilleurs tests de tropisme que les premiers tests utilisés ont confirmé la suppression extrêmement durable du VIH.

L'utilisation exclusive du corécepteur CXCR4 (virus X4) et le tropisme double ou mixte (utilisation des deux corécepteurs ou de l'un ou l'autre) sont plus rares. On estime en effet que 85 % des patients jamais traités sont porteurs d'un virus à tropisme R5; ce pourcentage est plus faible lorsque le nombre de cellules CD4+ est très faible alors qu'il grimpe à près de 95 % lorsque le nombre de cellules CD4+ est supérieur à 300 cellules/mm³. Il est toutefois important de déterminer le tropisme du virus avant d'amorcer le traitement par un anti-CCR5, ces agents étant moins efficaces contre les souches virales capables d'employer le récepteur CXCR4. Cette théorie a été prouvée hors de tout doute par les analyses initiale et subséquente des essais pivots MOTIVATE (Maraviroc versus Placebo) et MERIT (Maraviroc versus Efavirenz Regimens as Initial Therapy). Dans le cadre de l'essai MERIT, le pourcentage de patients sous MVC parvenus à une virémie indécelable était élevé, mais plus faible que dans le groupe éfavirenz (EFV). Il est maintenant clair que le test utilisé lors de cette étude n'avait pas réussi à bien repérer les virus capables d'utiliser le récepteur CXCR4.

Réponse virologique

Une étude menée par des chercheurs du British Columbia (BC) Centre for Excellence in HIV/AIDS, Vancouver, dont les résultats ont été présentés par la Dre Rachel McGovern, a généré les mêmes résultats à l'aide d'un test de tropisme totalement différent. Lors de cette étude, des échantillons de plasma provenant de sujets de l'étude MERIT ont été réévalués au moyen du séquençage populationnel de la boucle V3 du gène env du VIH. On a ainsi amplifié, puis séquencé l'ADN à l'aide d'un logiciel d'identification des bases («base-calling») qui permet, par déduction, de déterminer le tropisme du virus. Ignorant les données cliniques, les chercheurs ont constaté que les taux de réponse associés au traitement par le MVC ou par l'EFV étaient identiques chez les patients porteurs d'un virus R5.

«Le séquençage populationnel de la boucle V3 a donné des résultats comparables à ceux que l'on a obtenus avec le test Trofile amélioré pour ce qui est de prédire la réponse au MVC», explique la Dre McGovern. À 48 semaines, les proportions de patients ayant une charge virale <50 copies/mL sous MVC et sous EFV étaient statistiquement indifférenciables chez les porteurs d'un virus R5, contrairement aux patients porteurs d'un virus non-R5 (Figure 1). Fait à tout le moins tout aussi impressionnant, le graphique illustrant la diminution de la charge virale montre des réductions très comparables dans les groupes EFV et MVC, même lorsque le MVC était administré une seule fois par jour (Figure 2).

Figure 1. MERIT : Pourcentage de patients ayant < 50 copies de l’ARN/mL au sein du groupe MVC 2 f.p.j., selon que le génotype est R5 ou non*


Figure 2. MERIT : Patients sou
on le génotype de V3

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Lors d'une autre étude réalisée par le Dr Luke C. Swenson, également du BC Centre for Excellence in HIV/AIDS, une autre méthode de détermination du tropisme a confirmé que le MVC et l'EFV sont indifférenciables sur le plan de l'efficacité relative lorsque les patients sont sélectionnés efficacement en fonction de la présence d'un virus R5. Lors de cette étude, on a eu recours à un séquençage profond utilisant la technologie 454 pour déterminer le tropisme. Contrairement au séquençage populationnel de la boucle V3, qui a été utilisé dans l'étude présentée par la Dre McGovern, le séquençage profond quantifie les variants du VIH minoritaires sur la boucle V3 d'un individu. On a eu recours à cette approche pour réévaluer les échantillons de plasma des groupes MVC de l'étude MERIT, qui portait sur des patients jamais traités, et des essais MOTIVATE 1 et 2 (Maraviroc versus Optimized Therapy in Viremic Antiretroviral Treatment-Experienced Patients), qui portaient sur des patients déjà traités. Là encore, le test plus sensible a permis de reclasser un nombre substantiel de patients.

Comme lors des autres études rapportées jusqu'ici où les résultats des tests ne concordaient pas avec ceux du test Trofile original, «le séquençage profond de la boucle V3 et le test Trofile plus sensible ont permis de mieux prédire les résultats virologiques», note le Dr Swenson. Dans l'étude initiale qui utilisait le test Trofile original, on a fait état d'un nombre substantiel de changements de tropisme. Cependant, une nouvelle analyse des données à l'aide du test Trofile plus sensible ou du séquençage profond montre que le changement de tropisme est relativement rare chez les patients jamais traités et ne se produit que chez une faible proportion de patients déjà traités, même lorsque le suivi est de longue durée.

Comme l'ont montré les données de la Dre McGovern, le MVC se comparait à l'EFV dans l'étude MERIT après réévaluation des données à l'aide du test de tropisme par séquençage profond, même dans le groupe traité une fois par jour. C'est donc dire que le traitement à une prise par jour pourrait demeurer une option viable pour ceux qui souhaitent un schéma simplifié. «Lors de l'étude MERIT initiale, on a mis fin au schéma MVC 1 f.p.j. parce que les résultats ce groupe ne respectaient pas le critère de non-infériorité à l'EFV prévu au protocole. La nouvelle analyse par séquençage profond donne toutefois des résultats similaires pour ces deux groupes [<400 copies/mL chez 80 % des patients sous MVC vs 78 % des patients sous EFV après 16 semaines]. La conclusion demeure inchangée, que l'analyse se limite aux patients ayant poursuivi le traitement par le MVC 1 f.p.j. ou qu'elle inclue les patients passés au MVC 2 f.p.j.», explique le Dr
Figure 3. MERIT : Réponse virologique des patients jamais traités

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Ces résultats devraient encourager le développement d'autres agents au sein de cette classe, mais des tests de tropisme plus rapides et moins chers réalisables à partir d'un échantillon de sang inciteront aussi un plus grand nombre de médecins à utiliser les agents existants. La commercialisation de tels tests est imminente, estime le Dr Richard Harrigan, BC Centre for Excellence in HIV/AIDS, auteur principal des études présentées par les Drs McGovern et Swenson. Les tests devront encore être confiés à des laboratoires spécialisés, mais les laboratoires qui analysent déjà la pharmacorésistance au Canada seront en mesure de déterminer le tropisme. Lorsqu'un échantillon de sang sera expédié au laboratoire pour évaluation de la résistance, il suffira de cocher la case appropriée sur le formulaire pour que le tropisme du virus soit déterminé.

Parmi les anti-CCR5 en cours d'évaluation clinique, le vicriviroc (VCV) est le plus avancé. De nouvelles données d'une étude de phase III pourraient toutefois retarder la commercialisation de cet agent à cause du plan d'une étude en particulier. Lors de cette étude, 857 patients recevant déjà un traitement de fond optimisé (TFO) regroupant au moins trois agents pleinement actifs ont été randomisés de façon à recevoir du VCV ou un placebo. Même si les patients devaient être résistants à au moins deux classes d'antirétroviraux au départ, l'étude a peut-être mieux réussi à démontrer qu'il n'y avait aucun avantage supplémentaire à ajouter un agent à une trithérapie pleinement active qu'à évaluer l'efficacité du VCV. De l'avis d'un conférencier, le Dr Joseph Gathe, Therapeutic Concepts, Houston, Texas, on doit maintenant faire d'autres études pour évaluer le potentiel du VCV chez les patients qui reçoivent un maximum de deux antirétroviraux actifs.

Plusieurs études en cours portent sur la capacité des anti-CCR5 de stimuler la reconstitution immunitaire. Lors d'une étude présentée par des chercheurs du Weill Cornell Medical College, 34 patients prenant un schéma antirétroviral stable et efficace ont reçu du MVC. Chez tous les patients, le nombre de cellules CD4+ était inférieur à 250 cellules/mm3 (médiane de 153 cellules/mm3). Après 22 semaines de traitement, l'augmentation médiane du nombre de cellules CD4+ se chiffrait à 11 cellules/mm3, alors qu'il avait été déterminé à l'avance qu'un bénéfice correspondait à un accroissement minimum de 20 cellules/mm3. Chez deux patients, cependant, le nombre de cellules CD4+ a augmenté d'au moins 50 cellules/mm3. D'autres études semblent justifiées.

L'intensification de l'activation du système immunitaire par les anti-CCR5 est particulièrement intrigante à la lumière de nouvelles données montrant que des patients infectés par le VIH sont exposés à un risque plus élevé de cancers ne marquant pas l'entrée dans le SIDA, dont le cancer du poumon et la maladie de Hodgkin, comparativement aux patients non infectés par le VIH. Dans le cadre d'une vaste étude cas-témoins regroupant 20 277 patients infectés par le VIH et 202 313 témoins appariés pour l'âge et le sexe, on a observé une corrélation étroite entre le taux minimum de cellules CD4+ et le risque de cancers ne marquant pas l'entrée dans le SIDA.

«Chez les patients infectés par le VIH, l'affaiblissement du système immunitaire est un marqueur indépendant du risque de cancer anal, de cancer du poumon, de maladie de Hodgkin et de cancer buccal/pharyngé, ce qui donne à penser qu'il serait peut-être important d'intervenir plus tôt pour maintenir le nombre de cellules CD4+ à un niveau plus élevé», souligne le Dr Michael Silverberg, Kaiser Permanente HIV Initiative, Oakland, Californie. Même s'il ne faisait pas référence aux anti-CCR5 en particulier, l'effet de cette classe sur le système immunitaire pourrait correspondre à cet objectif.

Une autre caractéristique des anti-CCR5 suscite un intérêt grandissant : ils peuvent atteindre des compartiments de l'organisme que les autres antirétroviraux ont plus de mal à pénétrer. Dans le cadre d'une petite étude qui regroupait 12 patients recevant un schéma antirétroviral comprenant du MVC, des échantillons de liquide céphalorachidien (LCR) et de sperme ont objectivé des concentrations inhibitrices élevées. Des concentrations élevées dans le sperme pourraient prévenir la propagation de l'infection alors que des concentrations élevées dans le LCR pourraient réduire les séquelles neurologiques, surtout le déclin cognitif, selon plusieurs études portant sur ce phénomène.

«Dans le LCR, le MVC atteint des concentrations voisines de la CI50 [concentration inhibitrice à 50 %], voire supérieures, ce qui donne à penser que des schémas à base de cet agent pourraient être bénéfiques pour le traitement ou la prévention de troubles neurologiques associés au VIH.», rapporte le Dr Juan Manuel Tiraboschi, Hospital Universitario Bellvitge, Barcelone, Espagne.

Résumé

On s'attend à ce que des tests de tropisme plus simples et plus sensibles donnent lieu à une augmentation marquée de l'utilisation clinique des anti-CCR5 dans la lutte contre l'infection à VIH. Ces agents sont bien tolérés, ont un profil de résistance unique et se sont révélés aussi efficaces que d'autres antirétroviraux très puissants chez des patients porteurs d'un virus à tropisme R5 confirmé par des tests plus récents et plus avancés. L'évaluation de la théorie voulant que ces agents puissent prévenir l'infection à VIH en est à un stade très préliminaire, mais elle souligne la qualité unique de l'inhibition de l'entrée, qui tue le cycle de réplication du VIH dans l'œuf pour ainsi dire. Ce mécanisme pourrait expliquer en partie que ces agents soient associés à une reconstitution immunitaire plus marquée comparativement à d'autres antirétroviraux puissants.

Questions et réponses

La section qui suit est fondée sur un entretien avec le Dr Richard Harrigan, BC Centre for Excellence in HIV/AIDS, Vancouver, durant le congrès.

Q : Les études présentées par votre groupe démontrent-elles que le MVC n'est pas inférieur à l'EFV?

Dr Harrigan : Les études où l'on a réévalué les données de l'étude MERIT initiale à l'aide de tests plus sensibles pour la détermination du tropisme R5, dont le nôtre, ont montré systématiquement que le MVC et l'EFV étaient très comparables à en juger par les paramètres usuels d'évaluation de l'effet antirétroviral, notamment sur le plan de la diminution de la charge virale et la proportion de patients atteignant et maintenant une charge virale indécelable. L'obtention de résultats similaires à l'aide de tests différents est concluante.

Q : Il est intrigant de constater que même le MVC administré 1 f.p.j. semble donner d'aussi bons résultats que l'EFV lorsque le tropisme R5 est déterminé avec plus d'exactitude.

Dr Harrigan : C'est dommage que nous n'ayons pas de données à long terme sur le traitement en une prise par jour, car nous pourrions alors évaluer la durabilité de l'effet. Cela dit, il est vrai que le groupe MVC 1 f.p.j. a semblé bénéficier d'un effet antirétroviral aussi marqué que le groupe MVC 2 f.p.j. sur la période de 16 semaines pour laquelle nous avons des données. Le MVC 1 f.p.j. pourrait être efficace à en juger par les données que nous avons, mais nous avons besoin d'un suivi plus long pour tirer des conclusions sur la portée clinique.

Q : À l'heure actuelle, la détermination du tropisme repose sur l'expédition d'échantillons de sang aux États-Unis. À votre avis, est-ce un obstacle à l'utilisation du MVC?

Dr Harrigan : Je ne sais pas si la nécessité d'expédier des échantillons de sang pour la détermination du tropisme réduit la probabilité que le médecin utilise cet agent chez un patient apte à le recevoir, mais tout le processus sera plus facile lorsque les tests pourront être faits par les mêmes laboratoires qui analysent le profil de résistance. La plupart des médecins du Canada devront tout de même expédier un échantillon de sang à un laboratoire, mais comme l'évaluation de la résistance fait partie de la routine pour la majorité des patients, le médecin n'aura qu'à demander une analyse supplémentaire et il recevra simultanément les résultats du test de tropisme et de l'évaluation du profil de résistance.

Q : L'utilisation accrue des anti-CCR5 risque-t-elle de favoriser la sélection de virus à tropisme X4?

Dr Harrigan : En général, la résistance au MVC ne découle pas d'un changement de corécepteur. Même chez des patients au lourd passé thérapeutique, les nouveaux tests de détermination du tropisme R5 montrent que dans beaucoup de cas où il y a eu changement de corécepteur, le tropisme était déjà double ou mixte au moment où le traitement a été amorcé. Si l'on observe une diminution durable de la charge virale sous l'effet d'un anti-CCR5, le changement de tropisme ne devrait pas nous inquiéter.

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