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Le point sur l’anémie ferriprive dans les troubles digestifs

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

PRESSE PRIORITAIRE - Réunion scientifique annuelle de l’American College of Gastroenterology

San Diego, Californie / 11-16 octobre 2013

San Diego - Très courante chez les patients aux prises avec un trouble digestif, l’anémie ferriprive s’explique principalement par des pertes de sang chroniques imputables à des lésions de la muqueuse, une absorption moindre du fer alimentaire dans le duodénum et/ou une diminution de l’apport alimentaire en fer. Pour la traiter, nous avons à notre disposition de nombreuses préparations orales de fer et de nouvelles préparations martiales sans fer dextran injectables par voie intraveineuse. L’incidence de la dépression est plus élevée chez les individus souffrant d’une maladie inflammatoire de l’intestin, mais leurs symptômes dépressifs ne seraient pas attribuables à l’anémie sous-jacente, croit-on. Par ailleurs, les inhibiteurs de la pompe à protons peuvent augmenter le pH gastrique et avoir des répercussions sur l’absorption du fer. Enfin, l’anémie ferriprive peut aussi résulter de cancers digestifs rares.

Rédactrice médicale en chef : Dre Léna Coïc, Montréal, Québec

L’anémie ferriprive – la plus courante des formes d’anémie à l’échelle mondiale – se définit par un faible taux d’hémoglobine (Hb  <13 g/dL chez l’homme et <12 g/dL chez la femme), un faible coefficient de saturation en transferrine (<20 %) et un faible taux de ferritine (Reinisch W et al. J Crohns Colitis 2013;7:428-40). Chez l’homme et la femme ménopausée, elle tient le plus souvent à des troubles digestifs, alors que chez la femme en âge de procréer, elle est le plus souvent imputable à des pertes de sang menstruel et à des pertes de fer liées à la grossesse. Lorsqu’elle est légère, l’anémie ferriprive n’entraîne aucun symptôme, mais à mesure qu’elle s’aggrave, elle nuit globalement à la qualité de vie du patient, entraînant fatigue, dyspnée, manque d’énergie, intolérance à l’exercice, manque de vitalité et atteinte cognitive. Ces symptômes étant non spécifiques, il est fréquent que l’anémie ferriprive passe inaperçue et qu’elle ne soit pas traitée.

Sa prévalence varierait entre 6 % et 74 % chez les hommes et les femmes aux prises avec une maladie inflammatoire de l’intestin (MII) (Kulnigg S et al. Aliment Pharmacol Ther 2006;24:1507-23). La supplémentation en fer par voie orale est souvent utilisée en traitement de première intention, les préparations de fumarate de fer, de sulfate de fer et de gluconate de fer étant les plus prescrites. Selon les guides de pratique en vigueur, cependant, les suppléments de fer devraient être administrés par voie intraveineuse (i.v.) chez les patients atteints d’une MII, à plus forte raison s’ils sont aux prises avec une anémie sévère (Hb <10 g/dL) et s’ils ne tolèrent pas les suppléments oraux ou n’y répondent pas suffisamment bien (Gasche C et al. Inflamm Bowel Dis 2007;13:1545-53; Stein J et al. Nat Rev Gastroenterol Hepatol 2010;7:599-610).

Élargissement de l’éventail de préparations martiales i.v.

Le carboxymaltose ferrique et le ferumoxytol, deux préparations martiales injectables par voie i.v. que l’on utilise dans le traitement de l’anémie ferriprive, ont fait l’objet d’études sur le traitement de l’anémie ferriprive imputable aux troubles digestifs (Kent AJ et al. Curr Drug Deliv 2012;9:356-66; Goldberg ND. Clin Exp Gastroenterol 2013;6:61-70).

Chez des patients atteints d’anémie ferriprive causée par un trouble digestif qui faisaient l’objet d’une analyse post hoc présentée au congrès (Dahl N et al. Am J Gastroenterol 2013;108:S469. Résumé 1567), les améliorations du taux d’Hb et de la qualité de vie ont été semblables à celles observées dans la population de l’étude principale (Vadhan-Raj S et al. Am J Hematol; publication en ligne le 26 août 2013). Les 231 patients qui formaient ce sous-groupe souffraient d’une MII (25 %), avaient subi un pontage gastrique (25 %) ou avaient des saignements digestifs pour d’autres raisons, et présentaient un taux moyen d’Hb <9 g/dL, malgré des antécédents de supplémentation en fer par voie orale. Après 5 semaines, le taux d’Hb avait augmenté de 2,8 g/dL sous ferumoxytol alors qu’il n’avait pas du tout augmenté (-0,1 g/dL) sous placebo (p<0,05). Le score FACIT-fatigue moyen, d’environ 22 au départ et comparable au score de patients cancéreux et anémiques sous chimiothérapie – a augmenté rapidement parallèlement à l’augmentation du taux d’Hb pour finalement augmenter de 11,1 points, comparativement à 7,5 points sous placebo (p<0,05). Des changements similaires ont été observés dans 7 des 8 dimensions du formulaire SF-36 (Short-Form Health Survey-36) (p<0,05). Les améliorations observées sur l’échelle d’autoévaluation analogique linéaire (LASA [Linear Analogue Self-Assessment]) s’apparentaient aussi en général à celles des sujets de l’étude principale, ajoutent les chercheurs.

Anémie ferriprive et troubles psychiatriques

Le risque de dépression est connu pour être plus élevé chez les personnes atteintes d’anémie ferriprive, la prévalence étant trois fois plus élevée qu’au sein de la population générale (Fuller-Thomson E et al. Inflamm Bowel Dis 2006;12:697–707). Cela dit, selon une nouvelle étude (Panara A et al. Am J Gastroenterol 2013;108:S559. Résumé 1852), la dépression et d’autres troubles psychiatriques observés en présence d’anémie ferriprive ne semblent pas associés à l’anémie ferriprive en tant que telle. Le Dr Andres J. Yarur, University of Miami, Leonard M. Miller School of Medicine, Floride, a présenté les résultats d’une analyse transversale rétrospective qui ciblait 621 patients suivis entre 2006 et 2011 dans quelques cliniques de gastroentérologie (University of Miami et Jackson Memorial Hospitals) pour une maladie de Crohn ou une colite ulcéreuse. «Beaucoup de patients de notre clinique étaient sous antidépresseurs et sous benzodiazépines, et nous voulions savoir si la prévalence plus élevée de dépression et d’anxiété et l’usage plus fréquent de psychotropes étaient dus à la carence en fer ou à l’anémie», explique-t-il.

Parmi les sujets de l’étude, dont l’anémie était traitée activement par du fer oral ou i.v., 18,6 % avaient reçu un diagnostic formel de dépression, 26,7 % souffraient d’anxiété et 22 % recevaient ≥1 psychotrope, les benzodiazépines étant les plus prescrites (14 %). Une analyse multivariée a révélé que seuls le sexe féminin et une ancienneté >10 ans de la MII influaient significativement sur le risque d’usage de psychotropes, contrairement à l’anémie (Hb <9 g/dL) et à l’anémie sévère. «Nous avons conclu de notre analyse que l’anémie n’explique pas les symptômes dépressifs», affirme le Dr Yarur.

Inhibiteurs de la pompe à protons et anémie

Les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) sont fort utilisés dans le traitement des maladies digestives, mais à long terme, ils peuvent augmenter le pH gastrique, ce qui peut nuire à l’absorption du fer dans le duodénum. «Il est particulièrement important d’en être conscient lorsqu’un patient prend à la fois un IPP et un supplément de fer», précise le Dr Rezwan Ahmed, Marshall University School of Medicine, Huntingdon, Virginie-Occidentale.

Le Dr Ahmed a présenté les résultats d’un examen rétrospectif des dossiers de 200 patients qui avaient subi une endoscopie par vidéocapsule pour diverses raisons, notamment une anémie ferriprive, un méléna ou une MII, entre le 1er janvier 2007 et le 30 décembre 2012 (Ahmed R et al. Am J Gastroenterol 2013;108:S598. Résumé 1968). Les chercheurs ont constaté que parmi les 52 sujets qui avaient passé l’examen en raison d’une anémie ferriprive, 26 avaient commencé à prendre un IPP avant l’étude et le recevaient depuis une moyenne de 570 jours. Chez 16 de ces patients (61,5 %), le traitement par l’IPP a été interrompu après l’étude. «Fait digne de mention : chez ces patients, 12 mois après l’endoscopie par vidéocapsule, le taux d’hémoglobine s’était amélioré et stabilisé grâce à une supplémentation en fer, poursuit le Dr Ahmed. Nous estimons que les résultats de notre étude témoignent d’un lien important entre l’usage d’un IPP et une anémie ferriprive isolée. Ce qu’il faut en retenir? Que les médecins doivent faire preuve de prudence quand ils prescrivent un IPP à long terme, dit-il. Même si les gastroentérologues ont ce lien possible dans la mire depuis un certain temps, personne n’a fait d’étude de grande envergure. C’est donc dire que la recherche doit se poursuivre.»

Cancers digestifs rares

Un cancer du côlon ou de l’estomac asymptomatique peut aussi s’accompagner d’une anémie ferriprive, surtout chez les hommes et les femmes ménopausées. Des médecins de Chicago ont fait état d’un rare cas de lymphome de type MALT primitif chez une femme de 53 ans qui souffrait de diabète, d’hypertension, d’insuffisance cardiaque congestive et d’anémie ferriprive asymptomatique (Sheth N et al. Am J Gastroenterol 2013;108:S274-5. Résumé 920). «Moins de 5 % des lymphomes primitifs du côlon sont de type MALT, ce qui représente moins de 0,1 % de tous les cancers colorectaux», explique le Dr Neil Sheth, John H. Stroger Jr. Hospital of Cook County, Chicago, Illinois, ajoutant que la maladie est généralement d’évolution lente et que le taux de survie à 5 ans est excellent, de l’ordre de 85 à 100 %. Par contre, le taux de rechute des lymphomes de type MALT non gastriques avoisine 50 %, d’où la nécessité d’un suivi à vie de ces patients.

On a aussi présenté le cas rare d’un kyste entérogène responsable d’une intussusception et d’une anémie ferriprive chez un homme de 34 ans (Shar N et al. Am J Gastroenterol 2013;108. Résumé 1044). Les kystes entérogènes sont habituellement détectés pendant la petite enfance ou l’enfance, font remarquer les chercheurs américains sous la direction du Dr Nihar Shar, Saint Joseph Regional Medical Center, Bloomfield, New Jersey. Le patient, qui n’avait pas d’antécédents médicaux, se plaignait d’une douleur abdominale diffuse et intermittente depuis 3 mois et avait perdu 10 lb. Un bilan sanguin réalisé en ambulatoire a révélé l’existence d’une anémie ferriprive, et la recherche de sang occulte dans les selles a été positive. L’œsophagogastroduodénoscopie réalisée en ambulatoire – dont l’objectif était de déterminer la cause de l’anémie ferriprive – a montré une gastrite non érosive, et la tomodensitométrie a mis en évidence une intussusception distale de l’intestin grêle. Un examen laparoscopique, motivé par une aggravation des symptômes, a objectivé la présence d’une masse volumineuse avec une zone d’intussusception dans l’iléon moyen. En pratiquant une petite incision, on a pu réséquer la portion affectée et l’anastomoser. Aucune complication postopératoire n’a été signalée, et le patient n’avait toujours aucun symptôme 2 semaines après son congé, soulignent le Dr Shar et ses collaborateurs.

Résumé

Les troubles digestifs étant la cause la plus probable de l’anémie ferriprive chez les hommes et les femmes ménopausées, les gastroentérologues doivent garder plus présente à l’esprit la possibilité d’un diagnostic d’anémie ferriprive et, le cas échéant, amorcer un traitement approprié. L’arrivée sur le marché de préparations martiales injectables par voie i.v. devrait permettre d’élargir l’arsenal thérapeutique contre l’anémie ferriprive associée aux troubles digestifs et d’améliorer la qualité de vie des patients qui ne tolèrent pas les suppléments de fer oraux ou n’y répondent pas.  

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