Comptes rendus

Prise en charge de l’hypertension dans les populations particulières à risque élevé
Le rôle essentiel de la vitamine D dans le traitement de l’ostéoporose

Nouvelles cibles du traitement antirétroviral pour mieux neutraliser le virus

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

16e Conférence canadienne annuelle de recherche sur le VIH/SIDA

Toronto, Ontario / 26-29 avril 2007

Compte rendu de :

Sharon L. Walmsley, MD, FRCPC

Division des maladies infectieuses UHN-Toronto General Hospital

Professeure agrégée de médecine University of Toronto Toronto, Ontario

Christos M. Tsoukas, MD, FRCPC

Directeur associé Centre SIDA McGill

Professeur titulaire de médecine Université McGill Montréal, Québec

SUCCÈS MESURABLE

Au chapitre de l’infection à VIH et du SIDA, chercheurs et cliniciens ont connu des succès concrets depuis l’émergence du SIDA dans la conscience médicale il y a plus d’un quart de siècle. Dans les cliniques de soins tertiaires où nous travaillons tous les deux, environ 70 % des patients maintiennent une charge virale indécelable grâce aux puissants schémas antirétroviraux (ART), et la plupart ont en moyenne entre 400 et 500 cellules CD4+ par mm³, ce qui représente assurément un énorme progrès dans le contexte d’une clinique qui regroupe tous les types de patients, sans égard à leur passé thérapeutique. Du côté des femmes, l’utilisation d’ART assez efficaces pour rendre la charge virale indécelable au moment de l’accouchement a réduit le risque de transmission materno-fœtale du VIH, celui-ci étant passé d’environ 25 % à moins de 1 % aujourd’hui.

Depuis quelques décennies, la mortalité secondaire à l’infection à VIH a aussi diminué de plus de 90 %. Ces gains ne s’obtiennent pas uniquement chez les patients jamais traités au préalable, mais également chez les patients ayant reçu de multiples médicaments. Lors de l’essai TORO (T-20 vs. Optimized Regimen Only), par exemple, chez 45 % des patients au lourd passé thérapeutique, la charge virale a chuté sous le seuil de 400 copies/mL après 48 semaines de traitement par le lopinavir/ritonavir plus l’enfuvirtide (T-20), inhibiteur de fusion, par comparaison à seulement 18 % des patients qui recevaient uniquement l’inhibiteur de la protéase (IP) potentialisé.

On a enregistré des résultats similaires lors des essais RESIST (Randomized Evaluation of Strategic Intervention in Multidrug-Resistant Patients with Tipranavir) 1 et 2, dont tous les sujets étaient résistants aux trois classes existantes, y compris au moins un IP. Là encore, 43 % des patients recevant le tipranavir potentialisé plus l’enfuvirtide ont atteint une charge virale <400 copies/mL après 48 semaines vs 27 % des sujets du groupe IP potentialisé seul. Des patients au lourd passé thérapeutique qui avaient été admis aux essais POWER (Performance of TMC114/ritonavir When Evaluated in Treatment-experienced Patients with PI Resistance) 1 et 2 ont obtenu de bons résultats sous l’effet du darunavir potentialisé seul, 44 % d’entre eux ayant réussi à atteindre une charge virale <50 copies/mL après 48 semaines. De même, plus de patients, 58 % pour être plus précis, ont bénéficié d’une réduction comparable de la charge virale lorsque l’enfuvirtide était ajouté au darunavir potentialisé, ce qui semble indiquer qu’un nouveau composé dirigé contre une troisième cible dans le cycle de réplication du VIH potentialise de manière significative les schémas déjà puissants à base d’un IP potentialisé.

C’est d’ailleurs en raison de la robustesse des résultats des essais TORO, RESIST et POWER que les lignes directrices sur le traitement du VIH ont redéfini les objectifs du traitement antirétroviral chez les patients ayant déjà été traités, soit le rétablissement de la suppression virologique maximale et la diminution de la charge virale sous le seuil de 50 copies/mL. Fort heureusement, les ART que nous utilisons maintenant ont été reformulés de façon à faciliter l’observance du traitement, et il est souvent possible d’atteindre ce nouveau seuil au moyen de comprimés à monoprise quotidienne, d’associations regroupées en un comprimé unique et de comprimés fortement dosés, toutes ces solutions contribuant à réduire le nombre de comprimés à prendre. Les restrictions alimentaires et le besoin de réfrigération ont été éliminés en grande partie, ce qui permet aussi de simplifier l’observance du traitement antirétroviral.

SURMONTER LES OBSTACLES

Malgré toutes ces victoires, il nous reste pas mal de travail à abattre. Les résultats des essais sur un vaccin anti-VIH se sont révélés décevants à ce jour. Les résultats d’une analyse d’un microbicide cliniquement avancé ne sont pas très encourageants non plus, les investigateurs ayant constaté que l’exposition au microbicide augmentait en fait les taux de transmission du VIH et que le produit causait en outre des effets toxiques inattendus. On a depuis mis fin à ces essais.

Pour une multitude de raisons, nos méthodes de prévention ne sont tout simplement pas aussi efficaces que nous l’espérions, et les taux d’infection demeurent à la hausse ici et ailleurs. S’ajoute à ces obstacles la toxicité associée à l’utilisation à court et surtout à long terme des ART, dont la lipodystrophie, les dyslipidémies et un risque accru de mortalité par maladie cardiovasculaire. L’étude D:A:D (Data Collection on Adverse Events of Anti-HIV Drugs) – qui reposait sur une vaste cohorte internationale correspondant à plus de 36 000 années-patients – a révélé, par exemple, que le risque relatif d’infarctus du myocarde au sein de l’ensemble de la cohorte était de 1,15 pour chaque année de traitement par un IP (Friis-Moller et al. N Engl J Med 2003;349[21]:1993-2003).

Nous devons continuer à nous fier au ritonavir pour potentialiser nos schémas à base d’un IP; or, nombreux sont les patients qui ne le tolèrent pas bien. Cet agent doit aussi être réfrigéré s’il n’est pas associé à un autre agent dans un comprimé unique, ce qui soulève une question de confidentialité pour les patients qui doivent partager un réfrigérateur avec d’autres personnes.

Cela dit, le plus inquiétant de tous les facteurs qui risquent de compromettre l’utilisation efficace des ART actuellement sur le marché est l’apparition d’une résistance à certains médicaments et de résistances croisées entre les classes. Au Canada, à l’heure actuelle, environ 10 % des patients non traités montrent des signes de résistance au traitement avant même que celui-ci ne soit amorcé, et ce phénomène nous empêche de prescrire un schéma de première intention efficace chez au moins quelques patients.

Aux États-Unis, dans le cadre d’une étude dont l’effectif était composé de plus de 200 000 patients infectés par le VIH qui avaient une charge virale >500 copies/mL, on a prélevé des échantillons pour les soumettre à des tests de résistance et on a alors noté une résistance à tous les agents chez près de 80 % des sujets de la cohorte, une résistance aux inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse (INTI) chez 70 % des sujets, une résistance aux IP chez 42 % des sujets, une résistance aux inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse (INNTI) chez 31 % des sujets et une résistance à deux ou trois classes d’ART chez environ 45 % des sujets. Les tests de résistance nous aident à faire des choix pour le traitement de deuxième ou de troisième intention chez nos patients ayant déjà été traités, mais il ne s’agit que d’un guide, car les tendances de résistance sont souvent difficiles à interpréter, ce qui ajoute à la complexité des décisions thérapeutiques.

Près du tiers des patients infectés par le VIH en sont déjà à leur troisième traitement, parfois plus. Comme les patients vivent maintenant plus longtemps, les besoins thérapeutiques doivent nécessairement évoluer lorsque des souches résistantes aux ART moins récents apparaissent.

Il est donc essentiel que nous continuions à mettre au point des ART à la fine pointe de la technologie afin de répondre aux besoins réels de traitement de sauvetage sans pour autant que les patients ne paient le prix de la toxicité inacceptable des schémas hautement actifs regroupant six à huit composés.

ENZYMES VIRALES : LE POINT SUR L’INHIBITION DE L’INTÉGRASE

Pour se répliquer, le VIH a besoin de trois enzymes : la transcriptase inverse, la protéase et l’intégrase. Nous disposons déjà d’agents qui coupent court au cycle de réplication virale aux étapes de la transcriptase inverse et de la protéase, mais nous sommes actuellement en voie d’évaluer les ART qui stoppent la réplication virale à l’étape de l’intégrase. L’intégrase catalyse l’insertion de l’ADN du VIH dans le génome de la cellule hôte, et l’intégration devient alors nécessaire au maintien stable du génome viral de même qu’à l’expression génique et à la réplication du virus.

Le raltegravir, inhibiteur de l’intégrase du VIH-1 fondé sur l’inhibition du transfert de brin, s’est révélé actif contre le VIH multi-résistant. In vitro, il exerce aussi un effet additif ou synergique lorsqu’il est administré avec d’autres ART actuellement commercialisés. Lors d’une étude où il a été administré en monothérapie pendant 10 jours, les chercheurs ont constaté que le traitement par le raltegravir entraînait une réduction de 2 logs de la charge virale (Markowitz et al. J Acquir Immune Defic Syndr 2006;43[5]:509-15).

Selon une étude de phase II lors de laquelle des patients jamais traités auparavant ont reçu aléatoirement de la lamivudine et du ténofovir avec de l’éfavirenz ou du raltegravir, la suppression virale était plus rapide et le taux d’effets indésirables était plus faible dans le groupe recevant du raltegravir que de l’éfavirenz. Quelque 60 % à 80 % des patients sous raltegravir avaient atteint une charge virale <50 copies/mL après quatre semaines, comparativement à 25 % des patients sous éfavirenz (XVIe Conférence internationale de 2006 sur le SIDA, résumé THLB0214). Plus récemment, les résultats publiés d’un essai de 24 semaines réalisé chez des patients porteurs de souches résistantes à trois classes ont révélé que l’inhibiteur de l’intégrase exerçait une puissante activité antirétrovirale lorsqu’il était ajouté à un traitement de fond optimisé (Grinsztejn et al. Lancet 2007;369[9569]:1261-9). Après 24 semaines, la variation moyenne de la charge virale par rapport aux valeurs initiales se chiffrait à environ -1,8 log10 copies/mL dans tous les groupes raltegravir (200, 400 et 600 mg) vs -0,35 log10 copies/mL dans le groupe placebo. Fait plus important encore, environ 60 % de tous les patients recevant du raltegravir, peu importe la dose, ont atteint une charge virale <50 copies/mL, par comparaison à seulement 13 % des témoins.

Comme on l’a déjà observé, l’activité antirétrovirale du raltegravir a été confirmée dès la quatrième semaine et s’est maintenue jusqu’à la 24e semaine dans tous les groupes raltegravir. À toutes les doses, le raltegravir affichait un profil d’innocuité semblable à celui d’un placebo, et les chercheurs n’ont observé aucune toxicité proportionnelle à la dose.

L’inhibiteur de l’intégrase a fait l’objet de deux études de phase III, l’étude BENCHMRK (Blocking Integrase in Treatment Experienced Patients with a Novel Compound Against HIV: Merck)-1, qui s’est déroulée en Europe, en Asie, dans le Pacifique et au Pérou, et BENCHMRK-2, qui s’est déroulée en Amérique du Nord et du Sud. Les sujets des deux études étaient résistants aux trois classes d’ART (INTI, INNTI et IP); ils étaient traités depuis environ 11 ans et avaient reçu en moyenne 12 ART chacun. Là encore, le traitement de fond était optimisé et les patients étaient alors randomisés de façon à recevoir du raltegravir à 400 mg deux fois par jour ou un placebo. (L’enfuvirtide a été administré pour la première fois dans le cadre du traitement de fond optimisé à environ 20 % des sujets de chaque cohorte.)

Le paramètre principal de l’étude était le pourcentage de patients qui atteignaient une charge virale <400 copies/mL après 16 semaines. Si les patients montraient des signes d’échec virologique à la 16e semaine ou après, ils pouvaient recevoir du raltegravir en mode ouvert. Au départ, le nombre moyen de cellules CD4+ variait entre 146 et 163 par mm³, alors que la virémie variait entre 4,5 et 4,7 log10 copies/mL. En tout, 462 patients ont reçu du raltegravir dans le cadre des deux études.

À 24 semaines, la charge virale avait atteint le seuil de <400 copies/mL chez 77 % des patients qui avaient reçu du raltegravir dans les deux études, vs 41 % des témoins qui avaient reçu uniquement le traitement de fond optimisé. Lorsque le seuil était <50 copies/mL, les pourcentages étaient de 62 % dans le groupe inhibiteur de l’intégrase des deux essais, vs 33 à 36 % dans le groupe témoin. Les meilleures réponses ont été enregistrées parmi les patients des groupes raltegravir qui recevaient à la fois de l’enfuvirtide et du darunavir dans le cadre de leur traitement de fond optimisé. Cela dit, même chez les patients dont le traitement de fond optimisé ne contenait aucun de ces agents, la charge virale avait chuté sous le seuil de 400 copies/mL à 16 semaines chez près des trois quarts des patients recevant du raltegravir. Le profil de toxicité était semblable chez les patients qui recevaient du raltegravir et chez ceux qui n’en recevaient pas, et l’expérience clinique à ce jour semble indiquer que cet agent n’a pas perturbé le bilan lipidique, du moins pendant les 24 semaines de l’étude.

Un autre agent de la même classe, l’elvitegravir en association avec le ritonavir, a été comparé avec un schéma à base d’un IP potentialisé chez les patients qui avaient reçu des traitements préalables. Dans cette étude en particulier, le traitement de fond optimisé se résumait à des INTI en association avec un IP dont le choix était laissé à la discrétion de l’investigateur ou un schéma optimisé à base d’un INTI en association avec de l’elvitegravir (dans le groupe elvitegravir, il était au départ interdit d’utiliser un IP, mais les investigateurs avaient la possibilité d’administrer de l’enfuvirtide dans les deux groupes).

À 24 semaines, la charge virale avait diminué de 1,4 et de 1,7 log10 copies/mL chez les patients qui recevaient l’une des doses élevées d’elvitegravir (50 ou 125 mg une fois par jour) alors qu’elle avait diminué de 1,2 log10 copies/mL chez ceux qui recevaient un IP potentialisé. À 16 semaines, environ 40 % des patients avaient atteint une charge virale <50 copies/mL. Là encore, l’inhibiteur de l’intégrase a été bien toléré et l’incidence des effets indésirables était comparable d’un groupe de traitement à l’autre.

AUTRES STRATÉGIES

Un autre agent novateur, le maraviroc, antagoniste du récepteur de chimiokine 5 (CCR5), est à l’étude chez des patients ayant déjà été traités. Le récepteur de chimiokine humain CCR5 représente une cible éventuelle de l’hôte qui permet aux antagonistes de petites molécules d’inhiber l’infection à VIH. Après 24 semaines de traitement, une vaste étude de phase II a montré que la charge virale avait chuté sous le seuil de 50 copies/mL chez environ 42 % à 48 % des patients recevant du maraviroc une ou deux fois par jour vs environ 25 % des témoins.

RÉSUMÉ

En dépit de nos succès remarquables dans le traitement de l’infection à VIH au cours des dernières décennies, des questions et des défis demeurent. D’abord et avant tout, nous n’avons toujours pas déterminé le moment optimal pour amorcer le traitement antirétroviral, bien que nous sachions qu’une fois amorcée l’administration d’ART hautement actifs, elle ne doit pas être arrêtée. Nous ne savons pas non plus si les nouveaux ART doivent être réservés au traitement de sauvetage ou s’ils doivent être intégrés aux schémas de première intention, mais des études en cours devraient permettre de répondre à cette question. Lorsque ces nouveaux agents seront commercialisés, notre principal défi sera d’apprendre à intégrer les nouveaux ART à la pratique actuelle, c’est-à-dire comment les associer, chez quels patients et à quel stade de l’infection. Néanmoins, les nouveaux ART dirigés contre de nouvelles cibles nous donnent une nouvelle occasion d’améliorer l’issue clinique de façon appréciable chez nos patients et nous permettent d’aspirer à un avenir plus clément du traitement de l’infection à VIH.

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