Comptes rendus

Progrès thérapeutiques

Progrès dans le traitement de la maladie d’Alzheimer

Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.

FRONTIÈRES MÉDICALES - Conférence internationale sur la maladie d’Alzheimer (ICAD 2009)

Vienne, Autriche / 11-16 juillet 2009

Les deux classes de médicaments dont on dispose actuellement pour traiter la MA – les inhibiteurs de la cholinestérase (IChE), notamment le donépézil, la tacrine, la rivastigmine et la galantamine, et un antagoniste des récepteurs N-méthyl-D-aspartate (NMDA), la mémantine – nous ont appris beaucoup sur la prise en charge de la maladie. Des études ont montré que la mise en route précoce du traitement était associée à des bénéfices significatifs.

Mise en route du traitement sans délai : l’enquête IMPACT

Des études cliniques ont révélé que le traitement de la maladie d’Alzheimer (MA) à un stade peu avancé donne lieu à des améliorations statistiquement significatives et cliniquement notables de la cognition et du fonctionnement global et qu’il pourrait retarder le déclin fonctionnel et le besoin de soins de longue durée. Des données épidémiologiques et histopathologiques ont souligné l’importance de traiter les patients qui présentent un déficit cognitif sans être encore atteints de démence.

Selon l’enquête en ligne IMPACT (IMportant Perspectives on Alzheimer’s Care and Treatment), la majorité des médecins en France, en Allemagne, en Italie, en Espagne et au Royaume-Uni s’entendent pour dire que le traitement hâtif de la MA peut retarder la progression de la maladie. Cette enquête – qui a eu lieu en Europe en avril et en mai 2009 – a aussi révélé que, selon 55 % des médecins, les patients Alzheimer devraient poursuivre leur traitement tant qu’ils sont encore aptes physiquement. Le Pr Lutz Fröhlich, Institut central de santé mentale, Universität Heidelberg, Mannheim, Allemagne, qui présentait les résultats, a précisé qu’environ 70 % des médecins amorçaient généralement le traitement au cours du mois suivant le diagnostic et 60 %, immédiatement après le diagnostic, conformément aux recommandations actuelles de la Fédération européenne des sociétés neurologiques (Waldemar et al. Eur J Neurol 2007;14:e1-e26).

Partisan d’un traitement précoce, le Pr Fröhlich a cité à cet égard une étude de Winblad et al. ayant montré que les bénéfices d’un traitement différé étaient moindres (Dement Geriatr Cogn Disord 2006;21:353-63). L’étude visait à comparer la progression de la MA chez des patients atteints de MA possible ou probable ayant reçu du donépézil (IChE) sans interruption pendant trois ans et des patients ayant reçu un placebo pendant un an avant de recevoir du donépézil pendant deux ans. À en juger par les résultats mesurés sur l’échelle GBS (Gottfries-Bråne-Steen), le déclin global était généralement moins prononcé chez les patients qui avaient reçu le traitement actif pendant trois ans que chez ceux dont le traitement actif avait été différé. On a aussi noté des différences statistiquement significatives entre les deux groupes sur les plans des fonctions cognitives (mini-examen de l’état mental [MMSE]) et des capacités cognitives et fonctionnelles (échelle GDS [Global Deterioration Scale]) (Figure 1).

Figure 1. Un traitement amorcé tôt retarde le déclin cognitif


Traitement continu vs traitement interrompu

Non seulement est-il essentiel d’amorcer le traitement tôt, mais on doit aussi l’administrer sans interruption afin de retarder les déclins cognitif et fonctionnel associés à la MA, comme l’ont montré Doody et al. lors de la prolongation ouverte d’un essai de phase III réalisé chez des patients atteints de MA légère ou modérée qui avaient reçu 10 mg/jour de donépézil pendant 24 semaines, puis un placebo pendant une période de six semaines. L’interruption du traitement a entraîné la perte des bénéfices associés au traitement, sans compter que les scores de la fonction cognitive ont régressé en deçà des valeurs initiales (Arch Neurol 2001;58:427-33). Bien que les scores se soient de nouveau améliorés après la reprise du traitement, ceux de la fonction cognitive sont demeurés inférieurs aux valeurs initiales (Figure 2).

Figure 2. Impact d’une i
ent sur la cognition

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Un chercheur, Denis Getsios, BA, Center for Health Economics, Epidemiology and Science Policy, United Bioscience Corporation, Bethesda, Maryland, a passé en revue les économies découlant d’un diagnostic et d’un traitement précoces de la MA à partir de l’analyse des données de huit essais sur le donépézil avec placebo et d’un suivi de sept ans (registre).

Au Royaume-Uni, le suivi pendant 10 ans de patients simulés a objectivé une diminution du coût des soins de santé et du coût du temps des aidants lorsque la MA était diagnostiquée et traitée sans délai. Les chercheurs ont calculé que les patients du groupe donépézil avaient eu un score MMSE <10 pendant presque cinq mois de moins en moyenne et qu’ils avaient vécu à domicile au-delà de trois mois de plus. De l’avis de M. Getsios, un diagnostic et un traitement plus précoces influent grandement sur la qualité de vie et, sur une période de quatre ou cinq ans, les coûts sont principalement compensés par la diminution des placements en centre de soins de longue durée.

Nouvelles cibles

Bien que les IChE et les antagonistes des récepteurs NMDA soient efficaces pour retarder la progression de la maladie, on observe une réponse de durée limitée et un effet bénéfique variable sur la cognition, la capacité fonctionnelle et le comportement. Maintenant que l’on comprend mieux les mécanismes qui sous-tendent la MA, des démarches thérapeutiques à plus long terme s’imposent pour prévenir les lésions ou la mort cellulaires et la perte synaptique ou encore, pour rétablir le fonctionnement neuronal perdu. Au nombre des stratégies prometteuses à l’étude figurent des agents mis au point expressément pour bloquer l’action des protéines bêta-amyloïdes (Aß) neurotoxiques ou pour stabiliser le fonctionnement mitochondrial.

Dans les neurones d’un patient Alzheimer, la quasi-totalité des aspects du fonctionnement mitochondrial, notamment la synthèse d’ATP, le métabolisme, la génération d’espèces réactives de l’oxygène (ROS), l’homéostasie calcique et l’apoptose, sont modifiés. On a donc conclu qu’il serait logique de cibler les mitochondries pour traiter la maladie.

Lors d’études précliniques, un agent expérimental – d’abord appelé dimebon, ensuite renommé latrepirdine – s’est révélé capable de favoriser la croissance neuritique et de conserver le fonctionnement mitochondrial après la mise en contact de cellules cérébrales avec des Aß. Certains avancent que ce mécanisme pourrait contribuer à son mode d’action et aux bénéfices cliniques observés chez les patients Alzheimer.

Un essai de 26 semaines qui comparait la latrepirdine administrée à raison de 20 mg par voie orale 3 f.p.j. et un placebo à double insu, suivi d’une prolongation de 26 semaines (traitement d’une durée totale de un an), a démontré que le traitement actif était bénéfique à en juger par son effet sur cinq paramètres mesurant la cognition et la mémoire, la capacité fonctionnelle et le comportement chez des patients atteints de MA légère ou modérée (Doody et al. Lancet 2008;372:207-15).

Associations médicamenteuses

De l’avis du Dr Pierre Tariot, directeur, Memory Disorders Center, Banner Alzheimer’s Institute, et professeur-chercheur en psychiatrie, University of Arizona College of Medicine, Phoenix, on pourrait envisager d’administrer la latrepirdine en association avec un IChE pour améliorer l’efficacité du traitement dans la MA. «La MA affecte chaque patient différemment, et la prise en charge est souvent complexe», fait-il valoir, ajoutant que «l’association de deux agents pourrait être nécessaire afin de maximiser le bénéfice clinique».

Le Dr Tariot a présenté les résultats d’une étude de phase I regroupant 24 patients atteints de MA légère ou modérée dont l’état était stable sous donépézil à 10 mg/jour depuis au moins 60 jours et le toléraient bien. Ces patients ont été randomisés de façon à recevoir de la latrepirdine 3 f.p.j. ou un placebo (selon un ratio 2:1) pendant deux ou quatre semaines, selon le schéma de progression posologique considéré.

Les patients de la première cohorte recevaient des doses croissantes de latrepirdine (2,5 mg, 5,0 mg, 10 mg et 20 mg), chacune pendant sept jours. La progression posologique était plus rapide dans la seconde cohorte, les patients ayant reçu 10 mg pendant sept jours, puis 20 mg pendant sept jours. Le nouvel agent a été bien toléré, et le comportement pharmacocinétique de l’un ou l’autre traitement n’a été aucunement perturbé lorsqu’il était administré en concomitance av
t 28 jours (Figure 3).

Figure 3. Tolérabilité de l’association

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Aucun effet indésirable (EI) grave ni décès n’a été signalé. Au total, 13 des 15 (87 %) patients sous latrepirdine et cinq des neuf (56 %) patients sous placebo ont rapporté un EI, toutes causes confondues. Chez les patients sous latrepirdine, tous les EI ont été d’intensité légère, mais aucun lien causal avec le médicament n’a été établi dans le cas de deux EI. Les EI toutes causes confondues signalés chez au moins deux patients sous latrepirdine et plus fréquemment que chez les patients sous placebo étaient la fatigue, la distension abdominale, les étourdissements, les chutes, l’hyperkaliémie et les cauchemars; tous ces EI étaient d’intensité légère ou modérée et se sont résorbés avec la poursuite du traitement. L’augmentation de l’incidence des EI n’était pas cliniquement pertinente dans la cohorte où la progression posologique était plus rapide. Le comportement pharmacocinétique était linéaire et variait en fonction du temps. Aucune augmentation de la Cmax ou de l’aire sous la courbe (ASC) n’a été observée pour l’un ou l’autre traitement.

«Ces données de phase I sont encourageantes, et elles ont d’ailleurs servi de tremplin à l’étude de phase III en cours CONCERT, dont le recrutement a débuté récemment aux États-Unis et dans d’autres pays», explique le Dr Tariot. CONCERT est un essai clinique de 12 mois conçu pour évaluer l’innocuité et l’efficacité d’un traitement par la latrepirdine à 5 mg ou à 20 mg 3 f.p.j. qui s’ajoute à un traitement déjà en cours par le donépézil chez des patients atteints de MA légère ou modérée.

Cibler la bêta-amyloïde

De nombreux essais cliniques portent sur l’atténuation des effets neurotoxiques du peptide Ab, principale composante de la plaque amyloïde, laquelle serait un important facteur causal de la MA. Le bapineuzumab, anticorps monoclonal humanisé dirigé contre le peptide Ab qui a été développé de façon à se fixer à l’Aß pour l’éliminer du cerveau, fait actuellement l’objet de quatre études de phase III d’envergure chez des patients atteints de MA légère ou modérée.

Le Dr Murray Raskind, directeur, Alzheimer’s Disease Research Center (ADRC), University of Washington, Seattle, a présenté les données pharmacocinétiques à l’appui du schéma posologique utilisé dans ces essais. Lors d’une étude de phase IIa menée à double insu, 234 patients atteints de MA légère ou modérée ont été randomisés de façon à recevoir six perfusions de bapineuzumab à 0,15 mg/kg, à 0,5 mg/kg, à 1,0 mg/kg ou à 2,0 mg/kg à raison d’une perfusion toutes les 13 semaines ou un placebo. Chez la plupart des participants, la concentration sérique de bapineuzumab a atteint un pic dans l’heure qui a suivi chaque perfusion. Aux quatre doses évaluées, on a observé un faible volume apparent de distribution moyen à l’état d’équilibre (49 à 80 mL/kg), une clairance totale lente (0,07 à 0,09 mL/h
i-vie terminale (20 à 33 jours) (Tableau 1).

Tableau 1. Paramètres pharmacocinétiques moyens du bapineuzumab

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L’exposition au médicament était proportionnelle à la dose pour la gamme posologique étudiée, et on a observé une accumulation minime ou modeste durant l’intervalle posologique considéré; et le rapport des ASC moyennes entre la troisième et la première perfusion était compris entre 1,0 et 1,6. Les concentrations plasmatiques d’Aß40 ont graduellement atteint un pic après environ un jour, et l’exposition à l’Ab40 plasmatique a augmenté de façon moindre que proportionnellement à la dose. Les concentrations dans le liquide céphalorachidien (LCR) augmentaient avec la dose, alors que les rapports moyens LCR/sérum des concentrations de bapineuzumab dénotaient un flux entre le sérum et le LCR indépendant de la dose. Aucun anticorps anti-bapineuzumab n’a été décelé chez les patients, ce qui dénote un faible risque d’immunogénicité. Les essais de phase III portent sur le nouvel agent aux trois doses les plus faibles, le schéma posologique le plus élevé (2,0 mg/kg) ayant été abandonné à la suite d’une revue des données des essais de phase III sur l’œdème vasogénique par un comité indépendant, explique le Dr Raskind.

Potentiel des immunoglobulines

Les immunoglobulines intraveineuses (IgIV) – produit sanguin provenant de donneurs humains que l’on utilise déjà pour le traitement d’autres troubles neurologiques – contiennent des anticorps anti-Aß naturels. Ayant été associées à un bénéfice significatif par rapport à un placebo lors d’une évaluation de la cognition et du déclin [S2]dans le cadre d’une étude de phase II (ICAD 2008, résumé 08-A-3147), les IgIV font maintenant l’objet d’un essai de phase III multicentrique chez des patients atteints de MA légère ou modérée. Un chercheur, le Dr Alfred Weber, Vienne, Autriche, a présenté des données montrant que les IgIV contiennent d’autres anticorps qui peuvent moduler le transport/la clairance de l’Aß. Son équipe et lui-même ont analysé des IgIV provenant de 20 lots et ont découvert des anticorps naturels contre le récepteur RAGE (receptor for advanced glycation end products), auquel se fixe l’Aß dans le cerveau, et la protéine soluble sLRP (soluble low-density lipoprotein receptor-related protein), principale protéine à laquelle se fixe l’Ab dans le plasma. Les chercheurs en ont déduit que les IgG anti-RAGE pouvaient bloquer le transport de l’Aß assuré par les récepteurs et ainsi empêcher l’Aß de traverser la barrière hémato-encéphalique pour pénétrer dans le système nerveux central. Ils ont aussi conclu que la sLRP pouvait réduire le volume cérébral d’Ab en augmentant les taux plasmatiques et en modifiant l’équilibre de l’Aß. De l’avis du Dr Weber, cela dénoterait un mode d’action plus vaste des IgIV dans la MA, au-delà des effets des anticorps anti-Aß naturels.

Résumé

Nos connaissances toujours plus poussées sur la physiopathologie de la MA ont permis de cerner de nouvelles cibles thérapeutiques prometteuses qui font actuellement l’objet d’essais cliniques déjà avancés. L’administration concomitante d’un agent visant à stabiliser le fonctionnement mitochondrial et d’un IChE pourrait représenter un progrès de taille dans la MA. Il a été démontré que la latrepirdine, agent associé à une amélioration du fonctionnement mitochondrial lors des études précliniques et faisant maintenant l’objet d’un essai de phase III, était bien tolérée en association avec un IChE, le donépézil, chez des patients atteints de MA légère ou modérée. Il serait aussi possible de stimuler le système immunitaire de façon qu’il puisse éliminer l’Aß. Plusieurs agents biologiques sont évalués à des fins d’immunothérapie passive, ce qui permettrait d’éviter les effets toxiques sur le système immunitaire observés lors d’essais cliniques sur des vaccins contre l’Aß. Parmi ces agents, le bapineuzumab, anticorps monoclonal humanisé, a été bien toléré lors d’un essai de phase IIa, ce qui justifie la poursuite de son développement. Au nombre des immunothérapies éventuelles figurent également les IgIV, qui contiennent des anticorps naturels contre l’Aß, mais dont le mode d’action pourrait être plus vaste dans la MA, selon les résultats d’une nouvelle étude. À défaut d’un traitement qui guérirait la maladie, l’objectif actuel demeure le diagnostic de la maladie à un stade peu avancé et un traitement ciblé efficace pour ralentir le déclin cognitif et améliorer la qualité de vie, ces deux bénéfices ayant pour corollaires une diminution du coût des soins de santé et l’allègement du fardeau de l’aidant.

Au moment de la mise sous presse, la latrepirdine et le bapineuzumab n’étaient pas commercialisés au Canada.

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