Comptes rendus
Protection contre l’infection à VPH : la correction des injustices passe par la vaccination sans égard au sexe
Le présent compte rendu est fondé sur des données médicales présentées lors d'un congrès de médecine reconnu ou publiées dans une revue avec comité de lecture ou dans un commentaire signé par un professionnel de la santé reconnu. La matière abordée dans ce compte rendu s'adresse uniquement aux professionnels de la santé reconnus du Canada.
PRESSE PRIORITAIRE - EUROGIN 2012
Prague, République tchèque / 8-11 juillet 2012
Prague - Lorsque la vaccination de masse contre le virus du papillome humain (VPH) a été approuvée pour la première fois en 2006, elle visait à prévenir le cancer du col utérin. Or, il est maintenant établi que le VPH est à l’origine d’autres cancers, tête-cou et anus dans les deux sexes, vulve et vagin chez la femme et pénis chez l’homme. En fait, 5,2 % de tous les cancers sont imputables au VPH. À l’échelle mondiale, deux vaccins sont homologués pour protéger les femmes contre le VPH. Les deux sont très efficaces contre les maladies causées par les types 16 et 18 du VPH, responsables de la majorité des cancers du col. Par contre, seul le vaccin quadrivalent s’est révélé capable de prévenir l’apparition de lésions précancéreuses de la vulve, du vagin et de l’anus. Le vaccin quadrivalent protège aussi contre les types 6 et 11 du VPH, lesquels sont à l’origine de >90 % des verrues génitales dans les deux sexes. Depuis quelques années, on est de plus en plus conscient du lourd fardeau qui découle des maladies liées au VPH chez l’homme. Le vaccin quadrivalent est d’ailleurs homologué pour utilisation chez l’homme dans 73 pays. En Australie, par exemple, la vaccination des garçons devrait se greffer au programme national de vaccination des filles qui connaît déjà un franc succès.
Rédactrice médicale en chef : Dre Léna Coïc, Montréal, Québec
«Nous commençons à mieux comprendre le fardeau des maladies liées au virus du papillome humain (VPH) chez l’homme et leur épidémiologie grâce à de vastes études de cohorte internationales telles que l’étude en cours HIM (HPV Infection in Men)», affirme Anna R. Giuliano, PhD, directrice, Center for Infection Research in Cancer, Moffitt Cancer Center, Tampa, Floride. «L’incidence de l’infection à VPH atteint un maximum plus tôt chez les filles et diminue avec l’âge, mais on n’observe aucune différence chez les garçons quant au taux d’acquisition des infections génitales à VPH selon l’âge.» Le fardeau global des infections à VPH demeure lourd dans les deux sexes, souligne Mme Giuliano. Les verrues génitales (condylomes) constituent la manifestation clinique la plus fréquente de l’infection à VPH. On a calculé à partir des groupes placebo des essais sur les vaccins anti-VPH que, dans le groupe des 16 à 26 ans, l’incidence s’élevait à 8,7 pour 1000 années-personnes chez les garçons et à 15,8 chez les filles. Bien que bénignes, les verrues génitales entraînent un sentiment de détresse et des douleurs, sans oublier que le traitement est douloureux et que les récidives sont fréquentes. De plus, elles augmentent significativement le risque d’apparition d’un cancer lié au VPH; plus précisément, elles multiplient le risque par un facteur de 7 chez l’homme et de 3 chez la femme (Blomberg et al. J Infect Dis 2012;205:1544-53).
Fardeau des cancers liés au VPH autres que
le cancer du col utérin
Parmi les cancers liés au VPH autres que le col utérin, le cancer de l’anus se caractérise par une faible incidence dans la population générale, mais elle est à la hausse dans les deux sexes. Chez la femme, l’infection à VPH anale pourrait maintenant être aussi fréquente, voire plus fréquente, que l’infection à VPH cervicale, estime le Dr Joel M. Palefsky, University of California, San Francisco. Chez l’homme, la prévalence du cancer de l’anus – qui diffère selon l’orientation sexuelle – est plus faible chez les hétérosexuels. Les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (HARSAH) sont exposés à un risque 30 fois plus élevé de cancer de l’anus comparativement à la population générale. Le cancer du pénis est rare (<0,5 % de tous les cancers chez l’homme), mais dans certains pays comme le Danemark et les Pays-Bas, l’incidence semble à la hausse, poursuit Mme Giuliano. Environ 40-50 % des tumeurs péniennes sont causées par le VPH, et le taux d’infection à VPH varie largement selon le type histologique du cancer du pénis.
La prévalence de l’infection à VPH buccale dans la population générale (5-7 %) est significativement plus faible que celle des infections à VPH anales ou génitales externes (50-60 %), mais elle est significativement plus élevée chez l’homme que chez la femme. L’incidence de l’infection à VPH buccale semble augmenter avec l’âge chez l’homme, note la Dre Maura L. Gillison, Ohio State University, Columbus. Les différences entre les sexes quant à l’incidence, à la prévalence et à la durée de l’infection ont été attribuées à des différences quant au type de rapport sexuel (p. ex., sexe oral) et à la localisation de l’épithélium infecté (p. ex., le col et l’anus, vs l’épithélium kératinisé du pénis), explique Mme Giuliano. Les recherches doivent se poursuivre afin que l’on puisse mieux comprendre les rôles respectifs des différences de pratiques sexuelles et du type de tissu infecté.
Bien-fondé de la vaccination anti-VPH des garçons
Au chapitre de la prévention du cancer du col, l’avantage d’inclure les garçons dans un programme de vaccination (sans égard au sexe) pourrait dépendre de la couverture obtenue chez les filles, précise Mme Giuliano. La vaccination des garçons favorise l’immunité collective et allège le fardeau de la maladie chez les filles, ajoute-t-elle. Il semble y avoir des tendances similaires sur le plan de l’efficience. Cela dit, l’inclusion des garçons protégerait les HARSAH, qui ne bénéficient aucunement d’une politique ciblant seulement les femmes. On calcule qu’un programme de vaccination anti-VPH sans égard au sexe entraînerait une réduction supplémentaire de 64 % du fardeau résiduel des cancers liés au VPH chez les hommes et une réduction supplémentaire de 40 % chez les femmes (Bresse et al. Value Health 2011;14:A464-A465). Mme Giuliano se demande aussi si les filles et les jeunes femmes devraient à elles seules porter le fardeau de la vaccination. «Est-il éthique que les hommes ne puissent pas bénéficier directement de la vaccination contre le VPH?», dit-elle sur un ton songeur.
Chez l’homme, les cancers oropharyngés sont les cancers liés au VPH les plus fréquents. À ce jour, aucune étude n’a porté sur l’efficacité des vaccins quant à la prévention des infections à VPH oropharyngées, principalement parce qu’il n’y a pas de lésion précurseur pouvant servir de paramètre clinique, explique le Dr Anil Chaturvedi, US National Cancer Institute, Bethesda, Maryland. Cependant, «nous avons de bonnes raisons de croire qu’un vaccin pourrait prévenir l’infection à VPH de la cavité buccale», poursuit-il.
Le point sur l’innocuité
Selon le European Centre for Disease Prevention and Control (ECDC), Stockholm, Suède, les vaccins anti-VPH actuellement utilisés chez les filles sont sûrs, bien tolérés et hautement efficaces pour prévenir les infections persistantes, le cancer du col et d’autres affections liées aux sérotypes vaccinaux du VPH. «Cet excellent profil d’innocuité a récemment été confirmé par des revues systématiques et des méta-analyses n’ayant objectivé aucune différence significative quant aux effets indésirables sévères entre les sujets vaccinés et les témoins», confirme le Dr Pierluigi Lopalco, directeur du programme des maladies évitables par la vaccination, ECDC. Des études d’observation ont confirmé que le profil d’innocuité du vaccin quadrivalent était le même chez les garçons que chez les filles, ajoute le Dr Lopalco. Ce dernier a par ailleurs annoncé que les nouvelles recommandations de l’ECDC sur les vaccins anti-VPH seraient publiées en août 2012, remplaçant ainsi celles de 2008. «Les experts consultés pour ces recommandations ont de nouveau conclu que ces vaccins offrent un très bon profil d’innocuité», enchaîne-t-il. Leurs conclusions reposaient en grande partie sur celles d’une méta-analyse de sept essais comparatifs avec randomisation menés chez un total de plus de 44 000 femmes, à savoir que le risque d’effet indésirable grave ne différait pas significativement entre les femmes vaccinées et les témoins non vaccinés (Lu et al. BMC Infect Dis 2011;11:13).
À l’échelle mondiale, plus de 97 millions de doses de vaccin anti-VPH ont été administrées depuis l’homologation en 2006. Le vaccin quadrivalent est l’un des plus scrutés sur le plan de l’innocuité et on a montré qu’il avait un très bon profil d’innocuité, souligne le Dr Lopalco. «Les effets indésirables sévères sont rares, voire pratiquement inexistants», dit-il. Néanmoins, la crainte d’effets indésirables demeure un obstacle à la vaccination pour le public et, par conséquent, les médecins. La majorité (90 %) des omnipraticiens ont une opinion favorable de la vaccination anti-VPH et ne doutent pas de son innocuité (Piana et al. Med Mal Infect 2009;39:789-97). Parmi ceux qui ont une opinion défavorable, par contre, environ 37 % semblent influencés par les craintes des patients quant aux éventuels effets indésirables (Lutringer-Magnin et al. Vaccine 2011;29:5322-8). «Il est important que tout effet indésirable grave soit bien pris en charge. C’est seulement de cette façon que nous pourrons établir la confiance et aller chercher du soutien pour les programmes de vaccination», affirme le Dr Lopalco.
Impact de la vaccination anti-VPH en Australie
Grâce au programme de vaccination anti-VPH des filles en milieu scolaire financé par l’État australien, on a observé une diminution «extraordinaire» de 97 % des verrues génitales chez les femmes de <21 ans ayant reçu le vaccin quadrivalent anti-VPH entre 2007 et 2010, souligne le Pr Andrew Grulich, Kirby Institute, University of New South Wales, Sydney. On a également observé une diminution de 73 % des verrues génitales chez les femmes de 18 à 26 ans ayant reçu le vaccin dans le cadre d’un programme communautaire. En 2007, une diminution de 44 % des verrues génitales a été rapportée chez des résidants hétérosexuels de sexe masculin de ≤26 ans et une diminution de 25 % chez les hommes plus âgés. «Les verrues génitales sont de plus en plus rares chez les femmes et les hommes hétérosexuels en Australie», déclare le Pr Grulich. On n’a pas observé de transfert de l’immunité collective aux HARSAH, toutefois. Un comité consultatif, le Pharmaceutical Benefits Advisory Committee, recommande le financement par l’État d’un programme de vaccination des garçons au vu de l’efficience du vaccin. Si le gouvernement donne son aval, ce qui est généralement le cas après une telle recommandation, la vaccination des garçons de 11 à 13 ans devrait commencer en 2013 dans le cadre d’un programme en milieu scolaire. «Si l’on ne vaccine pas les garçons, les cancers liés au VPH deviendront bientôt la chasse gardée des hommes», insiste le Pr Grulich.
Résumé
«Les analyses comme celle de l’Australie montrent que si l’on ne vaccine pas les garçons maintenant, il y aura plus de cancers liés au VPH chez l’homme que chez la femme dans 20 à 30 ans», déclare la Pre Margaret A. Stanley, University of Cambridge, Royaume-Uni. Certains s’opposent à la vaccination des garçons, arguant qu’une vaste couverture vaccinale chez la femme conférera une immunité collective. «Or, comme le dit son nom, l’immunité collective concerne une collectivité, poursuit-elle. Si vous n’êtes pas vacciné et que vous quittez cette collectivité, vous ne serez plus protégé. C’est le cœur du problème. On ne peut pas considérer qu’un programme national de vaccination se déploie dans une arène clôturée. Nous nous déplaçons tous, de sorte que la collectivité doit bénéficier à la fois de l’immunité de chaque individu et de tous les individus. À mon avis, les deux sexes devraient être vaccinés contre l’infection à VPH.»